Les attaques contre les libertés syndicales
Ernest Mandel, Quatrième Internationale, n°18-19, novembre-décembre 1974
  • La liberté d’action syndicale constituera principale conquête de la classe ouvrière dans le cadre de la société bourgeoise, celle dont l’application a empêché la dégradation des travailleurs au niveau d’une masse atomisée d’individus impuissants devant la toute-puissance économique et politique d’un patronat profitant de toutes les « lois du marché ». Elle a été arrachée à une époque où la bourgeoisie avait suffisamment confiance en elle-même, en la stabilité de son pouvoir et l’avenir de son régime pour accepter le pari que la lutte pour des augmentations des salaires ne mettrait pas en question mais consoliderait au contraire le régime du salariat.

    A « l’âge d’or » de l’impérialisme, dans la période 1890-1914, la montée du mouvement syndical dans tous les pays impérialistes reflétait en outre la capacité de la bourgeoisie impérialiste d’accorder des concessions réelles à la classe ouvrière, notamment grâce à l’afflux de sur-profits coloniaux extorqués aux prolétaires et paysans pauvres des pays coloniaux et semi-coloniaux.

    Cette situation classique du syndicalisme se trouve modifiée avec le début de l’ère de déclin du capitalisme (l’éclatement de la première guerre mondiale). D’abord, pendant des phases prolongées, la crise du régime est telle que la base matérielle pour accorder de nouvelles réformes aux travailleurs se restreint de plus en plus. L’accumulation du capital, dans ces phases, ne peut être durablement relancée que par un abaissement du niveau de vie de la classe ouvrière, même dans les pays impérialistes, ce qui explique la poussée vers des régimes fascistes ou semi-fascistes impliquant une destruction totale du syndicalisme libre.

    Ensuite, à d’autres moments, la croissance économique se poursuit, quelque fois même à un rythme accéléré, mais ce au prix d’une inflation permanente, d’un gaspillage important de ressources matérielles (production d’armements !), d’une surexploitation de la classe ouvrière (accélération des cadences), d’un refus de satisfaire les nouveaux besoins suscités par la croissance des forces productives elle-même (sous-développement de l’équipement social et des besoins sociaux).

    Dans ces conditions, le système ne se maintient en équilibre fort instable que grâce à une intervention de plus en plus poussée de l’Etat dans l’économie capitaliste, grâce à la multiplication des mécanismes de garantie étatique des profits capitalistes (avant tout aux sur-profits monopolistiques).

    Ceci implique notamment une tendance à la planification économique à moyen terme au sein des grands trusts monopolistiques et une tendance à la programmation économique a. moyen terme au sein des Etats bourgeois, qui imposent toutes deux de sévères contraintes à la liberté de négociation des salaires. Ces contraintes sont encore renforcées par la prétention des gouvernements bourgeois de « combattre l’inflation » à l’aide d’une « politique des revenus » qui implique en réalité la seule et unique « police des salaires », c’est à dire une tentative systématique de restreindre la liberté du mouvement syndical d’arracher les augmentations de ’salaire rendues possibles par une conjoncture relativement favorable aux vendeurs de la force de travail.

    Ainsi, sous les deux formes de pouvoir bourgeois dont « alternance marque la phase de déclin du capitalisme, la forme dictatoriale et la forme de démocratie parlementaire décadente, les libertés syndicales sont menacées. Elles sont menacées de destruction complète lorsque la dictature prend la forme du fascisme ou du semi-fascisme. Elles sont restreintes de manière plus ou moins prononcée même lorsque la base matérielle pour une survie de la démocratie parlementaire bourgeoise subsiste.

    La survie du capitalisme et la survie de la liberté syndicale s’excluent de plus en plus mutuellement. Telle est la conclusion première qu’il faut formuler. Il s’agit de l’application particulière d’une règle beaucoup plus générale : la survie du régime capitaliste en pleine crise structurelle menace de plus en plus nettement l’ensemble des libertés démocratiques partielles, arrachées par les masses dans la phase de montée et d’apogée de ce régime.

    Le syndicalisme libre est une association libre entre salariés ou appointés (vendeurs de la force de travail) pour négocier collectivement le prix de la force de travail et les conditions de consommation par le capital. C’est donc une organisation de défense des intérêts des salaries et d’eux seuls. On peut dire en gros que le capitalisme, même prospère et fort, ne peut tolérer un syndicalisme libre de ce genre que lorsqu’il s’agit d’un syndicalisme minoritaire ou relativement faible (par exemple cantonné dans les seuls secteurs des travailleurs très qualifiés).

    Lorsqu’il s’agit au contraire d’un syndicalisme de masse, majoritaire dans tous les secteurs de la classe ouvrière et dans tous les secteurs de la vie économique et sociale où existe le travail salarié, sa manifestation comme organisation au seul service de ses membres entre en conflit croissant avec la survie même de l’exploitation capitaliste, c’est à dire du régime. L’opposition d’intérêts irréconciliables entre le Capital (y compris son Etat) et le Travail aura alors tendance a se manifester quotidiennement, à tous les niveaux de la vie sociale, car la classe ouvrière ne peut pas ne pas puiser un sentiment de confiance croissante en elle-même ainsi que de force de classe, d’un tel accroissement de sa puissance organisée. Elle ne peut pas ne pas faire peser ce sentiment sur tous les rapports d’exploitation, d’oppression et d’inégalité qui caractérisent la société bourgeoise dans chacune de ses sphères.

    C’est pourquoi l’incompatibilité croissante entre un syndicalisme puissant, majoritaire au sein de la classe, et la survie du régime capitaliste, même dans des conditions économiques relativement favorables pour la bourgeoisie, se manifeste à l’époque de déclin du capitalisme par une tendance constante à restreindre la démocratie syndicale, à restreindre le caractère libre du syndicalisme. Les pratiques de collaboration et de conciliation de classes de la part des bureaucraties syndicales ne correspondent pas seulement à une » déviation idéologique « de la part des réformistes et des néo-réformistes, reflétant en dernière analyse les privilèges matériels conquis par ces bureaucraties au sein des institutions de la démocratie parlementaire bourgeoise. Elles constituent des conditions sine qua non pour maintenir un minimum de stabilité et de continuité des institutions bourgeoises.

    Par le truchement de mille formes d’accords de conciliation et de collaboration de classes ; par la création de multiples variantes d’organismes de » concertation « bi-partite (patronat-syndicats) ou tri-partite (patronat-syndicat-Etat), la bureaucratie syndicale agit comme un frein de l’action des salariés et des syndiqués, comme frein de la liberté d’action syndicale. Elle ne peut le faire qu’en étouffant la démocratie syndicale, qu’en restreignant de manière de plus en plus sévère le droit des syndiqués de déterminer librement l’attitude du syndicat devant chaque » fait nouveau « de la situation économique et sociale.

    L’intégration croissante des bureaucraties syndicales dans l’Etat bourgeois implique fatalement la restriction de la démocratie syndicale et de la liberté d’action syndicale, sape fatalement les libertés syndicales ; telle est la deuxième conclusion qu’il faut dégager. Les syndicats ne peuvent pas fonctionner à la fois comme organes de défense sans restriction des intérêts de leurs membres, et comme organismes de conciliation entre les intérêts du Capital et ceux du Travail (ou en tant que courroies de transmission de » l’arbitrage )> que l’Etat bourgeois effectue entre ces deux groupes d’intérêts irréconciliables). Ils ne peuvent jouer le deuxième rôle qu’en dénaturant et en délaissant de plus en plus le premier.

    De cette analyse se dégage clairement l’attitude des révolutionnaires à l’égard de l’avenir du syndicalisme. Ils refusent d’accepter la thèse défaitiste des ultra-gauches selon laquelle la dégradation et la disparition du syndicalisme de combat, et donc l’intégration définitive des syndicats dans l’Etat bourgeois, seraient inévitables. Ces tendances, qui existent et qui se manifestent puissamment, ne peuvent triompher que pour autant que la classe ouvrière assiste passive, et durablement, à la perte du seul outil dont elle dispose pour défendre ses intérêts matériels quotidiens contre le Capital de manière efficace, c’est à dire de manière massivement organisée.

    L’expérience démontre qu’une telle hypothèse fataliste à l’égard de notre propre classe est sans fondement. La réalité matérielle, l’intérêt économique, la prise de conscience périodique de cet intérêt sont à la longue plus puissants que toutes les manipulations ou répressions bureaucratiques.

    La révolte périodique et massive des travailleurs, y compris de la masse des syndiqués, contre les restrictions croissantes aux libertés syndicales et contre les tentatives de dénaturer les syndicat d’organes de défense des intérêts des travailleurs en organes de transmission de la politique économique et sociale de l’Etat bourgeois, est absolument inévitable ; telle est la troisième conclusion qui se dégage de l’analyse. Le devoir des révolutionnaires c’est de prendre hardiment la tête de cette révolte, de formuler les propositions les plus cohérentes et les plus énergiques de défense des libertés syndicales et de retour au syndicalisme de combat, de combattre pour le rétablissement et l’élargissement de la démocratie syndicale en tant qu’instrument indispensable pour renforcer le syndicat, sa base de masse et sa force de frappe contre le patronat et contre l’Etat bourgeois.

    La riposte efficace aux atteintes à la liberté syndicale, la lutte pour un syndicalisme de combat, au service exclusif des salariés, le combat pour la démocratie syndicale (qui peut inclure la recherche de formes d’organisation et de statuts nouveaux permettant de mieux garantir le contrôle des syndiqués sur les syndicats) : voilà trois devoirs des révolutionnaires à l’époque présente qui se dégagent de l’analyse de la place des syndicats dans la société du capitalisme en déclin.

    I. Contre des contrats à longue durée et contre les clauses de « paix sociale »

    Les pratiques de la "programmation économique et sociale "impliquent une pression constante de la part des grands trusts et des gouvernements bourgeois en faveur d’une « programmation des salaires » et des « frais salariaux ». De là la tendance du patronat et de l’Etat bourgeois à vouloir imposer aux syndicats des durées de plus en plus longues des contrats collectifs, des

    clauses obligeant les syndicats à « respecter la paix sociale » (c’est à dire à s’abstenir de toute action revendicative, de toute cessation de travail organisée, de toute reconnaissance de grève) durant la durée de ce contrat.

    Pareilles clauses sont contraires à la nature même du syndicalisme libre. Même dans le droit bourgeois courant, tout contrat comporte toujours une clause précisant les conditions dans lesquelles il pourrait être révoqué. Aucun commerçant ou industriel capitaliste n’accepterait de signer un contrat ne permettant sous aucune condition sa résiliation. Imposer pareils contrats au mouvement syndical signifie l’obliger à étouffer sa raison d’être et la liberté fondamentale de ses membres.

    Un syndicat qui serait obligé de refuser la reconnaissance d’une grève déclenchée par la majorité de ses membres serait non seulement profondément anti-démocratique, mais il serait même obligé de commettre un véritable abus de confiance financier en refusant à ses membres l’accès aux fonds de résistance qui leur appartiennent.

    Pour défendre les libertés syndicales, il faut donc combattre toute tendance à la longue durée des contrats collectifs, refuser toute clause de « paix sociale à respecter, » inscrite dans ces contrats. Les syndiqués doivent être libres de résilier tout contrat collectif comme n’importe quel autre contrat commercial. Dès qu’une telle résiliation a eu lieu, ils doivent avoir le droit d’utiliser toute la force organisée du syndicat, y compris la force financière, pour la défense de leurs intérêts, y compris pour financer une grève.

    On objecte quelque fois qu’une telle attitude irait à rencontre de l’intérêt porté traditionnellement par le mouvement ouvrier à la planification économique, à la lutte contre « l’anarchie capitaliste ». Il s’agit en réalité d’un argument de sophiste. Les travailleurs combattent l’anarchie capitaliste dont lis souffrent les conséquences, en cherchant à lui substituer la planification socialiste qui permet de mettre l’économie au service de la satisfaction des besoins des masses laborieuses. Mais ceci suppose l’abolition de la propriété privée des moyens de production, l’abolition de l’économie capitaliste, l’abolition de la concurrence, le pouvoir économique et politique exercé par les travailleurs organisés en conseils.

    La « programmation économique » capitaliste n’est qu’une technique pour atténuer les effets de l’anarchie capitaliste sans pouvoir la supprimer, n’est qu’une technique pour mieux faire fonctionner l’exploitation du Travail par le Capital. Elle reste fondée sur le régime du profit et de l’appropriation privée. Il n’y a aucune raison pour que les travailleurs lui sacrifient la défense de leurs intérêts propres, alors que les patrons l’utilisent justement pour pousser de manière mieux organisée la défense de leurs intérêts à eux.

    II. contre toute limitation au droit de greve contre les penalisations financieres des syndicats

    Le refus de toute clause de « paix sociale » inscrite dans un contrat de salaires implique le rejet de toute législation qui « réglemente » et donc limite l’exercice du droit de grève.

    Le droit de grève est le seul droit matériel effectif dont jouit la classe ouvrière dans le cadre du régime capitaliste. Ce qui distingue l’ouvrier salarié d’un esclave, c’est qu’il peut refuser de travailler à des conditions ou pour des salaires qu’il juge inacceptables. On ne peut reconnaître ce droit élémentaire à un ouvrier individuel et le nier aux ouvriers pris dans leur ensemble. Toute législation tendant à réglementer et donc à limiter l’exercice du droit de grève doit être dénoncée pour ce qu’elle est : une atteinte au droit des travailleurs de cesser le travail quand les conditions leur paraissent inacceptables, c’est à dire un pas vers l’instauration du travail forcé.

    La réglementation qui prévoit la « mobilisation civile » de nombreuses couches de travailleurs, c’est à dire l’obligation de travailler même à des salaires qu’ils trouvent inacceptables, dans des « moments de crise », dévoile de manière frappante cette évolution du régime capitaliste. Elle démasque aussi une fois de plus la nature de l’Etat bourgeois comme serviteur des intérêts d’une classe contre une autre. Quel est donc l’Etat bourgeois qui, après la récente crise du pétrole, inscrirait dans ses lois une obligation pour les patrons de fournir et de vendre des produits à des prix immuables en ces moments de « trouble économique » dans le seul « intérêt général » indépendamment des prix de revient, des coûts et des prévisions de profit ? Pourquoi pourrait-on obliger les détenteurs d’une seule marchandise, la force de travail, à la vendre, indépendamment des conditions brusquement changées (notamment par l’inflation !) de reproduction ?

    Le rejet de toute réglementation et limitation de l’exercice du droit de grève implique notamment :

    • Le rejet de toutes les procédures imposant aux travailleurs des « périodes d’attente » ou de « conciliation obligatoire » avant qu’une décision d’arrêter le travail ne puisse être appliquée. La grève est une arme de lutte. Nier aux travailleurs le droit à l’effet de surprise, c’est affaiblir considérablement l’effet de cette arme, c’est n’accepter son emploi qu’après avoir permis aux patrons de prendre les dispositions préalables pour neutraliser au maximum les effets économiques de la grève. C’est comme si on décrétait qu’aucune entreprise industrielle et aucun magasin n’aurait le droit d’augmenter un quelconque de ses prix sans un préavis de quatre semaines donné aux clients, communiqué dans les journaux et clairement affiché dans les vitrines !
    • Le refus d’accepter toute législation qui impose aux syndicats des amendes financières pour exercice « abusif » du droit de grève, « rupture de la paix sociale » ou autre exercice de la liberté syndicale. De tells règlements existent dans les pays Scandinaves et en République Fédérale Allemande. Ils s’infiltrent petit à petit dans les pays du Bénélux. Le gouvernement conservateur a essayé de les introduire en Grande-Bretagne. Elles représentent une menace très grave contre la liberté syndicale, puisqu’elles hypothèquent une des armes principales du syndicat : son fond de résistance financier.

    III. contre l’arbitrage obligatoire et l’immixtion de l’etat dans le reglement interieur des syndicats

    Une des techniques habituelles utilisées par l’Etat à l’époque de déclin capitaliste pour réduire la liberté d’action syndicale, c’est l’instauration d’un régime d’arbitrage obligatoire. Il s’agit d’un moyen évident en vue de décourager l’utilisation de l’arme de la grève. La période durant laquelle l’arbitrage et la conciliation jouent doit démobiliser les travailleurs et permettre aux patrons et à l’Etat de prendre toutes les dispositions nécessaires pour estomper l’efficacité de la grève. En fin de compte, si l’arbitrage échoue, l’arbitrage obligatoire imposera aux « partenaires sociaux » une solution qui, dans 99 cas sur 10° , sera contraire aux intérêts des travailleurs.

    Il est évident que l’arbitrage obligatoire porte une atteinte fondamentale à l’exercice libre du droit de grève, puisque les syndicats sont tenus de l’appliquer, même si la majorité de leurs membres réclament la grève. Il faut donc refuser de l’admettre, quelles que soient les conditions dans lesquelles la bourgeoisie et ses agents cherchent à le rendre plus appétissant.

    Jouent dans le même sens que l’arbitrage obligatoire toutes les pratiques et tous les règlements qui permettent à l’Etat de s’immiscer dans les affaires internes du syndicat :

    • la pratique qui consiste à faire organiser par l’Etat - ou tout autre personne extérieure au syndicat - la consultation des membres du syndicat qui doit démontrer si la majorité de ses membres sont pour le déclenchement ou la poursuite de la grève ;
    • la pratique qui consiste à faire réglementer par l’Etat les modalités de cette consultation : par référendum écrit et secret ou par l’assemblée générale ; à ia majorité simple ou à la majorité des deux tiers sous le contrôle des seuls syndiqués, ou sous le contrôle « d’huissiers » ou d’autres représentants de l’Etat bourgeois, etc.

    Toutes ces pratiques sont contraires à la liberté et à la démocratie syndicale. Elles ne servent qu’un seul but : empêcher les travailleurs d’utiliser l’arme de la grève comme bon leur semble, les empêcher d’utiliser l’organisation syndicale pour la défense exclusive de leurs propres intérêts, freiner la combativité ouvrière, freiner et estomper le développement de la conscience de classe. Il faut donc empêcher l’Etat d’introduire de telles dispositions légales, là où elles n’existent pas encore, lutter pour leur abrogation là où elles ont déjà été introduites et de toute façon refuser de s’y plier.

    Le syndicat est au service des syndiqués. Personne d’autre n’a le droit de s’immiscer dans ses affaires intérieures. Le cynisme et la partialité des serviteurs de l’Etat bourgeois éclatent d’une manière particulière quand on examine par ailleurs le type de « règlement intérieur » qu’ils s’efforcent d’imposer aux syndicats en matière de grève et de conclusion d’accords salariaux. Ainsi, lorsque la législation bourgeoise impose une majorité de 66,6 de syndiqués pour que le vote sur le déclenchement de la grève soit valable, elle impose souvent en même temps qu’il suffit de 50,1 des voix, voire de 32,3 des syndiqués, pour qu’un accord négocié par la direction syndicale devienne valable. Comble du cynisme : dans certains pays, la bourgeoisie cherche à imposer un référendum obligatoire sur le déclenchement d’une grève, mais en même temps refuse d’admettre un référendum sur le résultat d’une négociation salariale.

    On ne pourrait avouer plus clairement que tous ces règlements n’ont pour but que de rendre plus difficile le déclenchement de luttes ouvrières, c’est à dire de servir les intérêts du patronat.

    IV. contre les atteintes au fonctionnement des piquets de greve

    La liberté syndicale, le libre exercice du droit de grève, ne peuvent être opératoires que si la majorité des travailleurs dispose des moyens efficaces pour amener l’ensemble des compagnons de travail à cesser le travail simultanément. Certes, la persuasion, la prise de conscience de l’intérêt commun, sont à ce propos les moyens les plus efficaces.

    Mais les travailleurs d’une entreprise ou d’une branche d’industrie ne se trouvent pas tous simultanément au même niveau de conscience. Le patronat et l’Etat bourgeois peuvent jouer sur diverses divisions qui subsistent au sein de la classe ouvrière : différences de conviction politiques ou philosophiques, différences ethniques ou raciales, différences de sexe ou d’âge, différences régionales, différences de qualification, d’origine sociale, de situation familiale, etc.

    C’est pourquoi, au-delà de la persuasion orale ou littéraire, et de l’acceptation volontaire d’une décision majoritaire prise démocratiquement en assemblée, le mouvement syndical et l’action ouvrière sont obliges d’avoir recours à la persuasion par l’action. Le piquet de grève symbolise la force de la décision majoritaire et manifeste de manière pratique et tangible ce que cela veut dire pour une minorité de briseurs de grève de s’opposer à la décision de la majorité de leurs compagnons de travail, le piquet de grève est indispensable pour rendre efficace l’arrêt total de travail.

    Au cours des dernières années, les travailleurs en lutte ont démontré clairement qu’ils sont conscients de l’utilisation multiforme de l’arme du piquet de grève : contrôle non seulement des accès de l’entreprise, mais de l’accès d’artères de circulation clefs ; arrêt non seulement de la pénétration des jaunes dans l’entreprise mais aussi de marchandises pouvant effacer l’effet économique de la grève ; barrages de rues pour arrêter la circulation de jaunes ou de « marchandises noires » ; ripostes contre les menaces de lock-out et de violences policières, etc. La remontée impérieuse des luttes ouvrières depuis mai 68 en France a été accompagnée du phénomène significatif des piquets de grève massifs, auxquels participent des milliers de travailleurs, dont le piquet de la centrale électrique de Saitley, à Birmingham, durant la grève des mineurs de 1972 en Grande-Bretagne, et le piquet lors de la dernière grève de la FIAT de Turin, sont quelques uns des exemples les plus spectaculaires.

    La bourgeoisie en est parfaitement consciente. Elle essaye de limiter à l’extrême, voire d’interdire carrément l’emploi de piquets de grève, par le vote de diverses lois anti-grèves. Ce fut déjà le cas de la Belgique lors de la grève générale de 1960-61. C’est le cas de la loi anti-casseurs en France. Ce fut également le cas de l’Industrial Relations Act en Angleterre.

    Les travailleurs et les syndicats doivent s’opposer résolument à toutes les lois scélérates de cette espèce. Le droit de grève, sans droit de constituer et de faire agir librement des piquets de grève, est un couteau sans tranchant, un droit remis en question, sapé et déjà à moitié estompé. La défense de la liberté syndicale passé par la défense résolue des piquets de grève et de leur action.

    L’action répressive de l’Etat bourgeois visant surtout les piquets de grève volants, va dans la direction d’une répression pénale de plus en plus nette des « meneurs » et participants les plus actifs à ces piquets, comme ce fut le cas lors de l’emprisonnement des ouvriers du bâtiment anglais de Shrewsbury, condamnes à des peines de prison pour avoir participé à des piquets de grève. C’est une question vitale pour la classe ouvrière et pour le mouvement syndical que d’arracher à la justice bourgeoise tous les camarades condamnés pour participation à des piquets et d’abolir toute législation permettant de telles condamnations.

    V. contre le licenciement de delegues et de militants ouvriers combatifs

    La remontée des luttes ouvrières a provoqué, dans une première phase, une opposition croissante entre le cours conciliateur et de collaboration de classe de l’appareil syndical d’une part, et l’activité croissante de plus en plus radicalisée d’une partie des militants de base (délégués, shop stewards, etc.) d’autre part. Consciente du rôle-clef de cette avant-garde ouvrière au sein des entreprises et des syndicats, la bourgeoisie s’efforce de concentrer sur celle-ci tout son courroux et toute sa force répressive. Le licenciement de délégués syndicaux de base ou d’ouvriers combatifs : voilà la pratique la plus largement employée à cette fin.

    L’emploi de l’arme de solidarité la plus large à l’égard de camarades frappés est un devoir élémentaire pour le mouvement ouvrier. Pareille solidarité efficace est une condition essentielle pour défendre la liberté et l’intégrité du syndicat. La force syndicale doit s’estomper, voire se désintégrer, si le patron peut impunément licencier les militants syndicaux les plus en vue, ceux qui ont été placés à la pointe du combat par le vote et l’appui de leurs camarades de travail. Dans ces conditions, tous les autres travailleurs y regarderont à deux fois avant de s’engager à fond dans la lutte syndicale.

    C’est pourquoi les travailleurs doivent s’efforcer par tous les moyens d’arracher par l’action de solidarité la plus large et la plus résolue la réintégration des militants ouvriers licenciés par le patron. L’exemple récent des travailleurs de l’industrie du verre de Charleroi, posant au patron d’une petite entreprise (Multipane) l’ultimatum de réintégration d’un militant, sinon toutes les usines de la branche entreraient en grève et seraient occupées, puis l’application effective de cette grève avec occupation est un exemple à populariser et suivre partout.

    VI. Contre les bandes armées du capital, les « milices patronales » privées et la restriction de la liberté d’action syndiale au sein des entreprises

    Devant la reprise de la combativité ouvrière en Europe capitaliste, la bourgeoisie n’a pas seulement recours à des efforts de canalisation réformistes et néo-réformistes. Elle n’hésite point à utiliser des armes plus ouvertement violentes. Ainsi, en France, le patronat, surtout celui de certaines entreprises automobiles (Citroën, Simca), crée des syndicats jaunes CFT et constitue des bandes armées de « cogneurs », qui doivent imposer la loi patronats entreprises. Menaces de coups et coups ; destruction de matériel d propagande ;ratonnade de distributeurs de tracts ou de représentants de syndicats libres ; tentatives de faire pénétrer les jaunes à l’usine, ne sont que les formes d’action les plus anodines de ces milices patronales au service de la « défense de la propriété privée ».

    En France et en Italie, on est passé rapidement de ces formes élémentaires de violence anti-ouvrière à des formes « ponctuelles » beaucoup plus avancées : agressions à main armée, enlèvement de militants ouvriers, viols, attentats à la bombe, assassinats en bonne et due forme. Aujourd’hui encore exceptionnelles, ces agressions anti-ouvrières pourraient devenir systématiques dès que la crise sociale s’aggrave.

    Toute politique qui consiste à faire confiance à la police et à la justice bourgeoise pour défendre les libertés et les organisations ouvrière contre ces bandes armées du capital conduirait à la catastrophe. L’Etat, la police, la justice de la bourgeoisie, ne sont pas « neutres » quand des milices patronales s’affrontent avec les travailleurs Leur loyauté de classe va du côté patronal, leur haine de classe se dirige contre les militants ouvriers. En outre, les milices patronales privées sont directement liées à la police bourgeoise, soit par l’intermédiaire de services secrets et de polices « parallèles », soit par la participation quasi-ouverte de membres de la police en leur sein.

    Le mouvement ouvrier doit donc imposer le plein exercice de la liberté syndicale au sein des entreprises. Il doit écraser dans l’œuf toute tentative d’entraver la libre distribution de tracts et de circulaires des syndicats ou de toute organisation ouvrière, la libre circulation des délégués dans toute l’usine, la tenue d’assemblées syndicales sur les lieux de travail. Contre la violence des milices patronales, il doit se défendre par la constitution des groupes d’auto-défense qui protègent assemblées, activités et locaux des syndicats et des organisations ouvrières quelles qu’elles soient.

    VII. les libertes syndicales et ouvrieres ne se defendent qu’integralement.

    La défense résolue des libertés syndicales contre toute tentative de la bourgeoisie et de l’Etat bourgeois d’empiéter sur elles n’a rien à voir avec des vues « ouvriéristes » ou « économicistes » étroites, qui cherchent à séparer la défense de l’activité syndicale de la défense des organisations ouvrières dites « minoritaires » parce que révolutionnaires, ou accusées d’être « gauchistes ». Au contraire : l’expérience enseigne toujours de nouveau qu’une classe ouvrière et qu’un mouvement syndical qui hésitent à défendre les libertés ouvrières dans leur ensemble, se trouvent dès le départ fortement handicapés lorsqu’il s’agit de defender le droit de grève et la liberté syndicale.

    Appliquant la « tactique du salami », la bourgeoisie cherche à ’diviser son adversaire de classe et à présenter les choses comme si sa politique répressive ne visait que les « fauteurs de troubles » et autres « minorités irresponsables ». Elle se garde bien d’attaquer, dès l’initiation de son cours répressif, le mouvement ouvrier organisé dans son ensemble. Agissant de la sorte, elle cherche à découvrir les failles dans le dispositif ouvrier, à diviser l’adversaire, à affaiblir la capacité de riposte des masses, qui est en bonne partie fonction de la présence en son sein d’éléments plus expérimentés, plus lucides et plus courageux, dont une bonne partie fait justement partie des différentes organisations ou couches d’avant-garde.

    L’interdiction des groupes d’extrême-gauche, les saisies de journaux ou de tracts révolutionnaires, la poursuite de militants révolutionnaires devant les tribunaux ou leur emprisonnement, tout cela doit préparer le terrain pour sévir contre les délégués d’usines, les délégués syndicaux de base, les dirigeants des piquets de grève, les dirigeants ouvriers combatifs au sein des entreprises. Ce sont ces éléments-là qui sont fondamentalement visés par l’orientation répressive de la bourgeoisie. A travers eux, c’est la combativité ouvrière dans son ensemble, c’est la force de frappe du mouvement syndical tout entier, qui doivent être brisées.

    D’ailleurs les projets de législation anti-grève les plus virulents, comme l’IRA anglais, prévoyaient déjà des entraves à la liberté de la presse, notamment par l’interdiction d’une agitation en faveur de « grèves sauvages ». Toute législation antisyndicale et antigrève doit, dans sa logique, attaquer l’ensemble des libertés ouvrières qui subsistent en régime de démocratie parlementaire bourgeoise décadente. De la même manière, toute restriction des libertés ouvrières pour des organisations révolutionnaires inclut le risque d’une extension potentielle de pareilles mesures et interdictions à l’ensemble du mouvement ouvrier, y compris le mouvement syndical.

    C’est pourquoi les révolutionnaires doivent propager la pratique de la solidarité de classe la plus large au sein du mouvement ouvrier. Le principe fondamental : « un pour tous, tous pour un » doit être intégralement appliqué. Toute atteinte à la liberté d’action d’une quelconque organisation ouvrière doit provoquer la riposte d’ensemble de tout le mouvement ouvrier organisé. Aucune atteinte à la liberté d’association, à la liberté de manifestation, ne peut être tolérée, si l’on veut défendre l’intégrité du droit de grève et des libertés syndicales. Le Front Unique le plus large pour la défense des libertés ouvrières dans leur ensemble, voilà aussi une condition pour la défense efficace des libertés syndicales.