Les origines du 1er Mai
La Gauche n°15, 27 avril 1957
  • L’idée du Premier Mai est d’origine américaine. En octobre 1884, la fédération syndicale américaine de l’époque, la Fédération of organised Trades and Labor Unions, réunie à Chicago, décide de placer à l’ordre du jour la conquête de la journée de huit heures. Dans ce but, elle fixe une journée nationale de grève au 1er mai 1886. Le Congrès suivant, réuni en décembre 1885, à Washington, confirme cette décision. Il ajoute que la réduction du temps de travail serait soumise à la signature des employeurs ; la grève ne serait déclarée que dans les usines dont les patrons n’accepteraient pas les huit heures.

    Une grande agitation est développée dans tout le pays par voie de meetings et de manifestations. Des grèves éclatent le ler mai 1886 à de nombreux endroits. A Chicago, une provocation policière aboutit, le 4 mai, au lancement d’une bombe contre des agents qui voulaient disperser une réunion de grévistes à Haymarkel. Quatre dirigeants ouvriers, anarchistes, accusés à tort d’avoir organisé l’attentat, sont condamnés à mort et exécutés ; un cinquième, condamné également à mort, se suicide. Le sang de ces martyrs a donné une signification toute spéciale à la journée du Premier Mai.

    Des Etats-Unis à la France

    En décembre 1886, le mouvement syndical américain se renforce par la fusion de l’ancienne Fédération et de quelques groupes de Chevaliers du Travail, Ainsi naît l’American Federation of Labour, la grande centrale syndicale des Etats-Unis. Dans son congrès de Saint-Louis, tenu en décembre 1888, elle renouvelle l’appel en faveur d’une grève générale pour la journée des huit heures et en fixe la date au 1er mai 1890.

    Entre-temps, une idée analogue avait pris forme en France. La première fédération syndicale, la Fédération des Syndicats Ouvriers, y était née en 1886. Les principaux dirigeants, Dormoy et Raymond Lavigne, étaient des militants du Parti Ouvrier « guesdiste » et marxiste. A son congrès de 1888, tenu à Marseille, Dormoy proposa que les journées du 10 et du 24 février 1889 soient consacrées à des manifestations dans tout le pays en faveur de la journée des huit heures. Cette proposition fut acceptée et les manifestations se produirent en une cinquantaine de villes.

    A l’occasion de l’Exposition Universelle de Paris de 1889, un congrès socialiste international avait été convoqué à Paris. En fait, ce furent deux congrès qui se réunirent, l’un rassemblant les « possibilistes » (socialistes de droite), l’autre qui allait devenir le congrès de Fondation de la IIe Internationale.

    A la salle Pétrelle

    C’est ce dernier, dit congrès de la salle Pétrelle, qui verra l’adoption de l’idée d’une grève internationale le 1er mai. Après les expériences américaine et française, l’idée était dans l’air. Ce fut le leader socialiste belge, Edouard Anseele qui l’avait formulée le premier. Il s’agissait d’affirmer l’unité de l’Internationale retrouvée, d’associer notamment travailleurs français et allemands en une action commune. Aussi Guesde, Lafargue, Lavigne et les autres dirigeants « marxistes » français avaient-ils pris contact avec le dirigeant de la social-démocratie, Auguste Bebel, qui donna son adhésion à l’idée.

    Celle-ci fut finalement incarnée dans une résolution déposée d’abord par le syndicaliste français Raymond Lavigne, puis amendée par Bebel. Ce fut le délégué américain qui demanda que la date prévue pour la manifestation internationale soit le 1er mai. La résolution adoptée eut le texte suivant :

    « II sera organisé une grande manifestation internationale à date fixe, de manière que, dans tous les pays et dans toutes les villes à la fois, le même jour convenu, les travailleurs mettent les Pouvoirs publics en demeure de réduire légalement à huit heures la journée de travail et d’appliquer les autres résolutions du congrès international de Paris.

    Attendu qu’une semblable manifestation a déjà été décidée pour le 1er mai 1890 par L’AMERICAN FEDERATION OF LABOUR dans son congrès de décembre 1888 tenue, à Saint-Louis, cette date est adoptée pour la manifestation internationale. Les travailleurs des diverses nations auront à accomplir cette manifestation dans les conditions qui leur sont imposées par la situation spéciale de leur pays ».

    Dans notre pays, ce fut le 1er mai 1891 qui fut le premier chômé avec éclat. En effet, la Fédération des Houilleurs le prolongea par une grève qui entraîna 100.000 travailleurs dans une lutte de solidarité avec les mineurs de la Ruhr et une protestation contre les lenteurs de la revision constitutionnelle. Cette grève était en quelque sorte le prologue de la grève générale de 1893 qui aboutira à la conquête du Suffrage universel, avec vote plural.

    Action syndicale et Solidarité internationale

    Ce premier mai 1891 permet de dégager clairement les caractéristiques que cette journée de combat présenta aux yeux des socialistes et des travailleurs de l’époque. Elle était avant tout une action internationale de la classe ouvrière, la première grande traduction pratique de la devise du Manifeste communiste : « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! »

    La nécessité de cette action internationale n’était pas le produit d’une « doctrine » quelconque. Elle résultait de l’expérience pratique des luttes ouvrières. D’une part, les patrons s’opposèrent aux revendications’ ouvrières sous le prétexte que celles-ci mettaient en danger la position de leur pays sur l’arène de la concurrence internationale. D’autre part, les patrons essayèrent de briser les grèves en « important » de la main-d’œuvre étrangère ou en transférant leurs commandes à l’étranger. Les travailleurs apprirent bientôt qu’ils n’avaient pas d’autre arme à opposer à ces manœuvres du Capital que l’arme de la solidarité internationale.

    Mais si l’idée du Premier Mai prend ainsi ses origines dans la solidarité internationale appliquée à un objectif syndical à conquérir - la journée de huit heures - sa signification fondamentale dépasse singulièrement ce cadre. La bourgeoisie ne s’y trompe guère, puisqu’elle réagit partout avec effroi contre l’idée d’une manifestation internationale simultanée.

    Si les travailleurs de tous les pays s’avéraient en effet capables de s’unir dans l’action pour un objectif immédiat, ils pourraient fort bien en conclure que la force ainsi acquise devrait être utilisée dans une lutte plus vaste. L’union de millions de manifestants et de grévistes, de par le monde, pourrait se refaire dans la lutte contre la guerre. Elle pourrait se refaire dans la lutte pour la conquête du pou-voir, pour le renversement du capitalisme. Ce fut la Grande Peur des Bien-Pensants.

    Hier et aujourd’hui

    Aujourd’hui, ces possibilités que renferme l’idée du Premier Mai, restent d’une actualité brûlante. La lutte internationale pour la semaine des 40 heures ne doit-elle pas être engagée ? La lutte contre la guerre et les expériences nucléaires n’est-elle pas une lutte internationale d’importance vitale pour les travailleurs de tous les pays ? La question de la conquête du pouvoir par le mouvement ouvrier, de l’abolition du régime capitaliste, ne devient-elle pas une condition nécessaire pour que l’humanité puisse jouir dans la paix et la prospérité des bienfaits d’un progrès technique - domestication de l’énergie nucléaire/automation, etc. - qui, sous le régime de la propriété privée, menaceraient la vie et le pain de millions de travailleurs ?

    Voilà des pensées qui ne devraient pas nous quitter lorsque nous marcherons cette année encore dans les cortèges" du Premier Mai...