Les salaires et la productivité
La Gauche n°10, 13 mars 1965
  • La productivité, c’est-à-dire la quantité produite par travailleur, dépend de la rationalisation et des investissements. Rationaliser, c’est tirer un meilleur parti des moyens de production existants, tandis qu’investir, c’est acquérir de nouveaux moyens de production.

    La hausse des salaires peut se faire de deux manières, soit en les augmentant au fur et à mesure de l’accroissement de la productivité, soit en prélevant sur les bénéfices.

    Qu’il soit obtenu par la rationalisation ou par l’investissement, l’accroissement de la productivité n’a qu’une origine, la réduction du nombre de travailleurs pour une production déterminée.

    Il s’ensuit que le rattachement de la hausse des salaires à l’augmentation de la productivité présente une série de dangers, même en période de prospérité.

    L’ensemble de la production, la production nationale peut croître sensiblement sans que les travailleurs « libérés » par les machines, puissent se recaser. Même s’il y a le plein emploi, les travailleurs mis en chômage ne trouvent pas toujours facilement une nouvelle place. Les industriels qui les ont renvoyés pour augmenter les bénéfices, ne tirent pas nécessairement un nouveau profit en créant de nouvelles entreprises pour occuper le personnel disponible.

    D’autre part, les travailleurs doivent subir un entraînement de réadaptation qui n’est pas aisé, de sorte qu’ils peuvent être amenés à accepter des besognes inférieures à leur ancienne qualification.

    L’Etat pourra prendre certaines mesures, mais l’Etat qui nous dirige, qu’il y ait des ministres socialistes ou non, est un Etat capitaliste dont le but et la structure ne le destinent pas à créer des entreprises industrielles et à, de ce fait, des moyens limités dans ce domaine.

    Il encouragera les industriels en donnant des subventions, en accordant des abattements fiscaux importants et en créant, avec la collaboration des autorités locales, des zones industrielles où le terrain sera vendu à bas prix. En un mot, avec l’argent de tous, il fera des cadeaux aux capitalistes pour les encourager à faire des affaires, sans pour autant arriver au résultat souhaité.

    L’Etat pourra organiser des cours de réadaptation, mais avec l’accélération du progrès technique il arrivera un moment où, comme aux Etats-Unis, on ignorera quel enseignement il faudra donner, le caractère des emplois à trouver dans les industries les plus nouvelles évoluant constamment. C’est la raison pour laquelle les cours destinés aux chômeurs, qui se comptent par millions, ont si peu de succès en Amérique.

    Cette situation ne tient pas à « la nature des choses » mais à un manque de vue globale dû à l’anarchie de la production capitaliste. Or, celle-ci n’est pas à l’abri des crises économiques. S’il y a déjà des difficultés en période de prospérité, qu’arrivera-t-il en cas de dépression, quand des milliers et des milliers de travailleurs de ce pays seront jetés sur le pavé ?

    Il est donc erroné de lier l’élévation des revenus du travail à l’accroissement de la productivité. Celui-ci ne peut indiquer que le minimum de la hausse des salaires à revendiquer.

    L’objection des capitalistes est qu’une hausse trop grande réduit la part nécessaire aux investissements. Mais qu’est-ce qu’une hausse trop grande et quelle est la part nécessaire ? Est-ce celles qu’ils disent ? Ils sont trop intéressés pour dire vrai.

    Les travailleurs sauront où en sont les choses en établissant le contrôle ouvrier, en attendant les nationalisations si nécessaires qui constituent les réformes de structures anticapitalistes essentielles.