Voici le texte du discours que le Cde Ernest Mandel, rédacteur en chef de « La Gauche », a prononcé au Congrès du P.S.B. le 12 décembre, comme dernier orateur inscrit dans le débat sur la discipline, avant la réponse du président Léo Collard. Le passage du texte imprimé en italiques n’a pas été prononcé parce qu’Ernest Glinne, député de Charleroi, qui avait pris la parole pour notre tendance au début de l’après-midi du 12 décembre, avait déjà développé les mêmes thèmes.
Le libre exercice du droit de tendance
La motion d’incompatibilité entre l’appartenance au P.S.B. et l’exercice des fonctions de membre du Conseil Général du M.P.W. ou de collaborateur à « La Gauche » et à « links », que le Bureau du Parti soumet à ce Congrès, remet en question, dans les faits, l’exercice du droit de tendance.
Une chose est le droit des membres individuels du Parti de défendre leurs positions au sein des assemblées locales, fédérales et nationales du Parti. Cela n’est pas l’exercice du droit de tendance.
Autre chose est le droit d’un certain nombre de membres du Parti, qui croient que la majorité du Parti se trompe, de défendre leurs opinions avec efficacité, c’est-à-dire avec des chances réelles de pouvoir convaincre la majorité, c’est-à-dire par la parution d’organes de tendance.
Voilà ce qu’est l’exercice du droit de tendance, qui est aussi indispensable à la démocratie dans le Parti que la liberté de la presse l’est à la démocratie dans la société. Sans diversité d’opinions, il n’y a pas de démocratie. Sans informations contradictoires, il n’y a pas de démocratie.
Au cours des débats préparatoires à ce congrès, la Fédération bruxelloise a longuement insisté sur le rôle néfaste de certains grands journaux dans le résultat mauvais des élections communales. On y a dit : si 2 ou 300.000 personnes lisent jour après jour une certaine prose antisocialiste, il est évident que les résultats des élections s’en ressentent.
Cette analyse est correcte. Mais elle s’applique aussi à la situation à l’intérieur du Parti. Il est du devoir du Bureau du Parti, des directeurs des journaux officiels du Parti, de défendre dans ces journaux l’opinion de la majorité. C’est normal ; c’est la règle du jeu. Mais cela signifie objectivement que les 250.000 membres du Parti sont soumis, jour après jour, au feu roulant d’une seule opinion.
Si devant cette situation de fait, les camarades de la minorité ne disposent que de la tribune des assemblées et des congrès pour défendre leurs opinions, alors les dés sont pipés, les membres au Parti ne disposent pas tous de droits effectivement égaux, et la minorité ne dispose plus d’aucun moyen efficace pour faire triompher ses opinions.
Il est possible de considérer pareille situation comme normale, et comme correspondant à l’intérêt du Parti. Mais il est possible de le faire à une seule condition : celle de considérer la majorité, le Bureau et les dirigeants du Parti comme infaillibles. Dans ce cas, et dans ce cas seulement, il est utile pour le Parti que la minorité soit placée dans l’impossibilité de faire triompher ses opinions.
Mais si on suppose que le Bureau, les dirigeants du Parti et la majorité ne peuvent se tromper, ne fût-ce qu’une fois sur dix, alors il est de l’intérêt du parti, de tout le parti, y compris de l’intérêt de la majorité elle-même, que la minorité puisse défendre ses opinions avec des chances égales, c’est-à-dire au moyen d’organes de tendance. Car une telle possibilité pour la minorité de lutter à chances égales devient alors la condition pour que le Parti puisse découvrir et corriger à temps des erreurs commises par le Bureau, ses dirigeants et sa majorité, et qu’il ne soit pas condamné à traîner ses erreurs durant des années, voire des décennies.
Ces chances seraient d’ailleurs « égales » pour tous de manière fort relative, même dans ces conditions. Car que pèsent les quelque 10.000 exemplaires des journaux de tendance devant la presse quotidienne du Parti ? Mais si vous supprimez ces journaux, vous désarmez complètement la minorité, vous la condamnez au silence 350 sur 365 jours par an !
Proclamez donc l’infaillibilité du Bureau, proclamez que nos camarades Collard, Van Eynde, Spaak, sont aussi infaillibles que le pape Pie XII ou que Joseph Staline, ou admettez, dans l’intérêt du Parti, que les minorités puissent disposer d’organes de tendance, que « La Gauche » et « Links » puissent continuer à paraître.
Il n’y a pas eu d’indiscipline
On introduit une confusion entre la libre expression d’une opinion, qui est l’exercice du droit de tendance, et une action d’indiscipline, qui est en effet normalement inadmissible dans un parti.
On en arrive ainsi à la conception selon laquelle ce serait de l’indiscipline que d’affirmer après un congrès que la majorité s’y est trompée ! Pourtant, Collard lui-même a écrit dans « Le Peuple », la « Volksgazet » et « Vooruit » du 24 octobre 1962, c’est-à-dire après que le Congrès eût décidé la participation ministérielle : « Il n’est donc pas question de contester à ceux qui pensent que les socialistes ont tort d’entrer au gouvernement ou d’y rester, le droit de le dire ou de l’écrire. » (Retraduit du néerlandais.)
Malgré cette promesse formelle, tout le procès qu’on intente maintenant à notre tendance est basé sur l’affirmation que l’expression de notre opinion au lendemain de certains congrès du Parti serait déjà en soi de l’indiscipline ! L’article de Léo Collard dans « Le Peuple » du 2 décembre 1964, qui rassemble les matériaux d’accusation contre notre tendance, est entièrement fondé sur cette identification des expressions d’opinion avec l’indiscipline. En réalité, le président du parti a été incapable de citer un seul acte d’indiscipline de la part de « La Gauche » !
Premier chef d’accusation : le « compromis des socialistes ». Or, sur cette question, « La Gauche » s’est contentée après le congrès du P.S.B. d’affirmer que, selon elle, la majorité du Congrès s’était trompée. C’est tout. Elle n’a mené aucune campagne sur cette question après le congrès, et personne ne pourra démontrer le contraire, les numéros de notre journal en main.
Deuxième chef d’accusation : les élections communales. Glinne a déjà répondu sur le fond. On ne pourra trouver dans « La Gauche » aucune ligne qui appelle les socialistes à voter pour les candidats d’autres partis que le P.S.B. On pourra y trouver au contraire plusieurs articles qui disent qu’il faut voter socialiste.
Nous sommes étonnés qu’un homme comme Léo Collard nous rétorque à cette objection : « Mais vous n’avez jamais désavoué Yerna ». Le Président du Parti sait tout de même qu’il y a une différence entre le fait de commettre un acte et le fait de ne pas désavouer un acte ! Comment peut-on parler d’indiscipline dans le second cas ?
Nous avons écrit que nous n’approuvons évidemment pas le fait d’appeler à voter pour un autre parti que le P.S.B. Mais nous n’avons pas désavoué et nous ne désavouons pas Jacques Yerna. Car nous sommes convaincus qu’on lui cherche une mauvaise querelle, puisqu’on ne condamne point divers dirigeants et mandataires du Parti qui, eux aussi, comme Yerna, ont appelé les électeurs à voter pour des candidats de divers partis dont ceux du P.S.B.
Mais il y a le troisième exemple cité par le président Collard qui permet de mieux saisir à la fois la portée et l’utilité du droit de tendance, et le fait que « La Gauche » n’a point enfreint la discipline du Parti. C’est l’exemple des projets sur le maintien de l’ordre.
Dès que le texte des projets fut connu, « La Gauche », le M.P.W. et « links » ont ameuté les travailleurs de ce pays contre les dangers très graves que ces projets comportaient pour le libre exercice du droit de grève, alors que certains citoyens-ministres ont parlé à ce propos de « « projets de promotion syndicale » !
nous sommes fiers d’avoir fait ce travail de mobilisation. Nous sommes fiers du fait que les deux tiers des points, que nous avions été les premiers à dénoncer - la date des numéros de « La Gauche » en témoigne ! - ont abouti à des amendements de députés socialistes qui ont enlevé en partie les aspects les plus dangereux de ces projets.
Tout cela nous l’avons fait AVANT le congrès du Parti qui a adopté une position définitive à l’égard des projets amendés. Ce ne furent donc pas des actes d’indiscipline commis par notre tendance.
Il est vrai qu’à notre avis, tous les aspects de ces projets qui sont dangereux pour le mouvement syndical et pour les masses laborieuses n’ont pas été éliminés grâce aux amendements socialistes. Mais nous ne sommes pas seuls à penser ainsi. APRES le congrès du P.S.B. qui a décidé d’approuver les projets amendés, s’est tenu un comite national elargi de la F.G.T.B., où 46% des mandats, représentant plus de 300.000 travailleurs, et notamment 70% des représentants des travailleurs wallons, se sont prononcés contre l’adoption des projets approuvés par le Congrès du P.S.B.
Il est vrai aussi qu’après ce congrès, nous avons écrit qu’à notre avis il s’était trompé. Mais je vous le demande : oseriez-vous affirmer, en votre âme et conscience, que le résultat des élections communales aurait été meilleur pour le P.S.B. s’il ne s’était trouvée aucune tendance au sein du P.S.B. pour exprimer tout haut, dans l’arene politique, la conviction de plus de 300.000 travailleurs affilies a la F.G.T.B. ?
La preuve que vous ne le pensez pas, c’est que vous ne condamnez point le véritable acte d’indiscipline qu’a été le vote des quinze députés socialistes à la Chambre rompant avec la discipline du groupe et du Congrès sur cette question, et parmi lesquels se trouvaient tous les députés socialistes liégeois ! Nous sommes entièrement solidaires de ces camarades, et nous les félicitons de leur courage. Mais c’est quand même un peu fort que vous voulez nous condamner pour avoir exprimé une opinion, alors que vous n’osez pas condamner ceux qui ont posé un acte d’indiscipline.
De même vous savez fort bien que d’autres mandataires, et non les moindres, ont, comme nous, mais sur d’autres sujets, combattu publiquement des décisions de Congrès qui ne leur plaisaient pas. La politique militaire du Parti, adoptée au congrès de décembre 1960, qui s’oppose à remploi d’armes nucléaires par l’armée belge et qui réclame une réduction importante des dépenses militaires, a été critiquée publiquement par le citoyen Spaak, devant le Cercle Mars et Mercure, qu’on pourra difficilement présenter comme un milieu « interne au Parti ». Et faut-il rappeler qu’avant la guerre, le citoyen Spaak, premier ministre, a pu violer une décision de Congrès s’opposant à la reconnaissance du gouvernement franquiste de Burgos ? Il est vrai qu’on fait pour les grands ce qu’on ne fait guère pour les communs des membres du Parti, et qu’un autre Congrès a pu ratifier par la suite la décision indisciplinée de Spaak, Vandervelde étant mort entre les deux congrès...
Pourquoi dès lors ce système de deux poids et de deux mesures, à l’égard de notre tendance et à l’égard de puissants mandataires du Parti, en matière de liberté d’expression, publique et de discipline ?
Pourquoi la chasse aux sorcières ?
Pourquoi cette question de discipline est-elle maintenant soulevée contre la tendance de gauche dans le Parti ? Parce qu’au lendemain des élections communales du 11 octobre, les dirigeants du P.S.B. ont voulu expliquer l’échec subi par le Parti par l’action « dissolvante » de « La Gauche » et du M.P.W.
Ces camarades ne peuvent pas comprendre que l’échec électoral du 11 octobre est dû à leur orientation politique. Ils ne peuvent pas comprendre qu’une partie croissante des masses laborieuses re-jette cette orientation et a, pour cette raison, refusé de voter socialiste le 11 octobre. Parce que « La Gauche » a reflété ce mécontentement, a attiré l’attention du Parti sur les dangers qu’il court en poursuivant son cours erroné, l’a averti qu’il allait droit à un échec électoral, on nous présente maintenant comme les « méchants » et les « traîtres » qui auraient CAUSE cet échec. La belle logique, en vérité ! C’est le baromètre qui aurait causé la pluie. C’est la démonologie qu’on veut substituer à la sociologie électorale.
Il y a un triste précédent pour une attitude de ce genre. Aux Etats-Unis, il y a eu, au début des années ’50, une même incompréhension des échecs graves subis par la politique étrangère de ce pays, notamment en Chine et en Corée. Cette incompréhension a abouti à une théorie stupide selon laquelle ces échecs ne seraient pas dus à une politique erronée, mais à l’infiltration des pions communistes au sein de l’administration américaine. Vous connaissez la tournure qu’ont prise ensuite les événements : maccarthysme, chasse aux sorcières, candidature de Goldwater, extrémisme de la John Birch Society qui affirme froidement que les présidents des Etats-Unis eux-mêmes étaient des « agents communistes ».
Prenez garde que la même méthode n’aboutisse aux même résultats dans le Parti ! Prenez garde qu’après nous avoir excommuniés vous ne soyez obligés d’instaurer un système dé délation systématique, pour savoir qui continue à collaborer avec nous, fût-ce sous un nom d’emprunt ! Prenez garde qu’après nous avoir exclus, vous ne soyez condamnés à étouffer toute nouvelle opposition, toute nouvelle discussion, sous prétexte qu’elle n’est que l’écho de « La Gauche ». La répression systématique, la chasse aux sorcières, ont une logique propre, et c’est une logique terrible. Il n’y a jamais qu’une seule charrette d’hérétiques qui est envoyée au bûcher !
Nous accusons le Bureau de ne pas avoir respecté les décisions des Congrès de 1958 et de 1959
Le véritable problème posé devant ce Congrès est ailleurs. Les décisions des congrès doivent engager tout le Parti, nous dit-on. Mais il se fait que les décisions d’un congrès sont contradictoires avec les décisions d’autres congrès.
Les Congrès de 1958 et de 1959 avaient adopté un nouveau programme d’action du P.S.B., auquel « La Gauche » avait applaudi de toutes ses forces, ne fût-ce que parce qu’elle avait apporté sa modeste contribution à l’élaboration d’un pareil programme.
Collard nous avait à ce moment promis que le P.S.B. ne participerait plus au gouvernement si la majeure partie de ce programme ni figurait pas à la plate-forme gouvernementale. Il est vrai que le Congrès d’avril 1961 avait décidé la participation gouvernementale, à une majorité très large, contre les avertissements de la tendance de gauche qui avait dénoncé dès cette époque le fait que la plate-forme du gouvernement Lefèvre ne contenait qu’une partie mineure, du programme du Parti.
Aujourd’hui, ou plutôt demain, le bilan sera fait. Mais vous savez tous que l’Institut Emile Vandervelde nous a, en fait, donné raison en constatant qu’il y a un grand écart entre les réalisations gouvernementales et le programme du parti.
A cette constatation, on répond en parlant d’autre chose, à savoir le fait qu’on ne pourrait pas reprocher au gouvernement de ne pas avoir réaliser des points du programme socialistes qui n’avaient pas été retenus dans la déclaration ministérielle.
Mais il ne s’agit pas de reprocher cela au gouvernement ; il s’agit de reprocher au Bureau d’avoir induit en erreur le Congrès d’avril 1961 en présentant la plate-forme gouvernementale comme étant plus rapprochée du programme d’action socialiste qu’eUe ne le fût en réalité. Il s’agit surtout de reprocher au Bureau de n’avoir rien fait pour populariser et défendre le programme socialiste de 1958-59 dans l’opinion publique, indépendemment du gouvernement.
Que ne nous a-t-on rabattu les oreilles avec la formule que « le Parti n’est pas le gouvernement », que la politique du Parti ne s’identifie pas à celle du gouvernement, que le Parti a le devoir de continuer à rester lui-même et à défendre ses propres idées, même lorsqu’il participe au gouvernement !
Nous posons donc la question : pourquoi le Bureau n’a-t-il pas respecté les décisions des Congrès de 1958 et de 1959 ? Pourquoi ne les a-t-il pas défendues publiquement, avec acharnement, semaine après semaine ? La matière d’actualité pour ce faire n’a point fait défaut, pourtant. Est-ce peut-être parce qu’en pratique, il s’est avéré impossible de défendre à la fois la politique gouvernementale et le programme du parti ? Ce ne sont pas les directeurs des quotidiens socialistes qui me démentiront !
« La Gauche » quant à elle, peut dire avec fierté qu’eue a respecté ces décisions de Congrès-là, et qu’emme a apporté sa modeste contribution à la popularisation de réformes de structure anticapitalistes, depuis avril 1961 comme avant avril 1961. Mais tout le monde ne pourra pas en dire autant...
Ce qui est plus grave : le résultat électoral du 11 octobre a démontré que la participation ministérielle, loin de nous rapprocher d’une majorité absolue, nous en éloigne ! Le citoyen Spaak l’a reconnu au congrès de la Fédération Liégeoise. Il a conclu, en généralisant un peu vite : dorénavant, il sera impossible de conquérir la majorite absolue
Comment, dans ces conditions, le Parti pourra-t-il jamais réaliser son programme, s’il continue à se fier exclusivement aux moyens électoraux et parlementaires ? Pareil aveu n’implique-t-il pas en pratique l’abandon de tout espoir de jamais réaliser le socialisme ?
Le but des socialistes doit rester celui de renverser le capitalisme
On nous accuse souvent, nous marxistes, socialistes de gauche, d’être des « archéo-marxistes ». Cette accusation a trouvé son écho dans ce Congrès, lors-que le citoyen Geldolf a dit que ne sont vraiment de gauche que ceux qui s’appuient sur les données de l’économie et de la sociologie de 1964, et non pas sur des idées de 1848, tout à fait dépassées. L’idée du capitalisme, tel qu’il est décrit dans notre Charte de Quaregnon, le but du socialisme tel qu’il s’y trouve précisé, sont-ce là des « idées de 1848 » ?
Les statistiques des droits de succession payés en 1961 qui viennent de paraître il y a quelques semaines dans le « Bulletin de Statistiques » ; ceux des droits de succession payés en 1960 qui ont été publiés en mars dernier ; ceux des années précédentes publiés il n’y a guère, présentent le tableau suivant de la répartition actuelle de la fortune privée en Belgique (je dis bien « actuelle » et non en 1848) :
- 63 à 65% des ménages détiennent de 12 à 13% de la fortune privée ;
- le 1% des ménages, le plus riche, détient de 30 à 33% de la fortune privée ;
- les 3% des ménages les plus riches détiennent de 44 à 47%, donc près de la moitié, de la fortune privée en Belgique !
Cette formidable concentration de richesse économique, aujourd’hui comme en 1848, peut-elle être effacée par autre chose que par l’appropriation collective des moyens de production, de distribution et d’échange ?
La véritable concentration de puissance économique est encore bien plus forte que cette concentration de RICHESSE ; car les plus riches commandent d’immenses fortunes qui ne leur appartiennent qu’en partie, grâce au système des holdings. le récent scandale de la Sofina n’a-t-il pas démontre que six personnes - M. Gutt, le baron Snoy, M. Frère, le baron Boël et MM. Nokin et Puissant-Baeyens - ont décidé du sort des 7 ou 8 milliards d’actif que comporte ce holding ?
D’aucuns rétorquent que si cette concentration de richesse et de puissance capitaliste est effectivement un fait, les travailleurs ne se passionnent pourtant guère pour le renversement du capitalisme, à partir du moment où leur standing s’améliore sans cesse.
De la part de « La libre Belgique « , il est effectivement logique et raisonnable, dans le cadre de sa croisade contre le « collectivisme matérialiste » de supposer que les travailleurs vont vendre leur âme et leur idéal en échange d’un poste de télévision, d’une moto, voire d’une petite maison ! La grande grève de 1960-61 ne l’a-t-elle donc pas détrompé ? Mais que des socialistes puissent répéter de telles billevesées, voilà ce qui dépasse l’entendement !
Ne savent-ils donc pas qu’un récent sondage d’opinion fait par la C.G.S.P. parmi plus de 10.000 agents des services publics - y compris des non-affiliés à la C.G.S.P.! - a donné, en pleine période de prospérité, plus de 60 de voix en faveur de l’emploi de l’arme de la grève generale interprofessionnelle ?
Ne savent-ils pas que la C.S.C. vient de tenir un congrès sur le thème « Entreprise et Syndicat », inspire du livre de M. Bloch-Laîné : « Pour une Reforme de l’Entreprise », qui contient cette phrase terrible et lucide chez un technocrate non socialiste : le calme est trompeur. il recouvre beaucoup d’insatisfactions particulières promptes à allumer des révoltes au premier fléchissement de la conjoncture générale » (p.25).
Ne savent-ils pas qu’au congrès international des ouvriers de l’industrie automobile qui vient de se tenir à Francfort, le chef du puissant syndicat américain A.W., venant du pays le plus riche du monde, dont les ouvriers, par surcroît n’ont pas de conscience socialiste, a déclaré, au sujet de la récente grève à la Général Motors : « La grève chez Général Motors ne fut pas une grève pour de l’argent. Nous avions obtenu d importantes satisfactions financières. Et néanmoins 3.660.000 ouvriers ont voté pour poursuivre la grève. Non pour l’argent, mais pour les droits des travailleurs, pour la dignité humaine à l’entreprise, pour le droit de pouvoir influencer la marche de l’entreprise » !
Voilà la « réalité de 1964 », citoyen Geldolf ! Voilà ce qui démontre que la critique apparemment « archéo-marxiste » de l’aliénation capitaliste, que la revendication apparemment « archéo-marxiste » du contrôle ouvrier et de la prise en main des moyens de production par les travailleurs eux-mêmes, loin d’être une chimère « dépassée », correspond exactement à la réalité de notre époque, précisément dans la mesure où une prospérité - d’ailleurs instable et incertaine - a momentanément rendu moins aiguë la pression en faveur de revendications immédiates.
Le genre de parti que vous voulez
La véritable question que vous devez trancher n’est donc pas une question de discipline. Elle a trait à la nature même du Parti que vous désirez. Nous saluons le désir de conciliation exprimé par diverses Fédérations lors de leurs congrès fédéraux et ici même par divers orateurs. Nous les remercions. Nous les comprenons. Nous aussi, comme tous les travailleurs d’ailleurs, sommes profondément attaches à l’idée d’unité.
Comment ne le serions-nous pas, alors que nous espérons un jour voir naître ce grand Parti du Travail qui rassemblera tous les travailleurs sans distinction d’origine et de conviction philosophique ou religieuse, qui dressera un seul front de classe devant le patronat, rassemblant dans ce pays l’immense majorité de la nation et la totalité de ses forces vives ! mais ce parti ne pourra naître et s’épanouir que si la liberté d’opinion et de tendance la plus stricte est garantie en son sein, que s’il rassemble vraiment toutes les familles spirituelles du monde du travail sans exclure aucune !
Collard nous dit maintenant : Votez d’abord le principe de l’incompatibilité de la double appartenance. Puis il y aura ultime effort de conciliation. C’est une procédure inadmissible. On ne peut pas proclamer d’abord l’incompatibilité entre l’appartenance au P.S.B. et la direction du M.P.W., de « La Gauche » et de « Links » PUIS chercher un modus vivendi pour garder dans le Parti ceux qu’on menace d’exclure s’ils ne capitulent pas. Car pour nous la situation est claire. Nous ne capitulerons pas. Nous ne nous tairons pas. Nous ne briserons pas notre plume. « La Gauche » n’arrêtera pas de paraître.
Nous nous rattachons à une vieille et fière tradition de la gauche socialiste, qui va des combats de de Brouckère contre le cartel socialiste-libéral en 1912 a la lutte de Karl Liebknecht et de Rosa Luxembourg contre la guerre impérialiste en 1914, de la lutte pour la grève générale en 1934-35 à l’esprit de notre magnifique « grève du siècle » en 1960-61. Nous ne pouvons décevoir les milliers de travailleurs qui nous ont fait confiance.
Nous vous conjurons donc de ne pas voter ici la motion d’incompatibilité qui correspondrait à notre exclusion pure et simple du P.S.B. Nous comprenons que vous croyez que nous avons nui au Parti, comprenez à votre tour que nous sommes sincèrement convaincus de l’avoir servi, et de le servir encore en combattant contre la motion du Bureau.
Tout parti a besoin de discipline. Fixez donc concrètement le cadre dans lequel le droit de tendance et le droit a la libre expression d’opinion peut se mouvoir, même après le congrès. Faites l’expérience si notre tendance viole ces règles qui n’ont jamais été énoncées, avant de parler d’incompatibilité et daller inévitablement vers des sanctions.
Faites un effort sur vous-mêmes, comme vous l’a demande Merlot, et mettez par-dessus tout l’unité et la fraternité socialistes. Manifestez ainsi votre volonté de ne pas vous vouloir coupés notamment de cette avant-garde ouvrière liégeoise, des 100.000 affiliés collectifs au M.P.W. Vous manifesterez ainsi votre volonté de rester attachés a cette conception du Parti qu’avait exprimée Emile Vandervelde lorsqu’à disait, à un autre Congrès qui avait à trancher une question de discipline : « Il est nécessaire qu’il y ait deux ailes. Il est bon qu il y ait des gens réfléchis, prudents, bâtissant par des reformes toujours plus larges... Il est bon qu’il y ait aussi des hommes hardis, décidés, épris d’idées neuves et audacieuses ».
Vous maintiendrez le libre exercice du droit de tendance dans le Parti, vous permettrez à toute la tendance de gauche de continuer à défendre ses idées dans le Parti, dans ses organes de tendance et vous provoquerez un grand, un magnifique sursaut d’unité dans les masses laborieuses, autour du drapeau rouge du socialisme !