De l’inégalité sociale à la société sans classes
Cours donné au Centre Régional d’Education Ouvrière de Bruxelles et publié en brochure en 1955 par la Fédération bruxelloise des Jeunes Gardes Socialistes.
  • De l’inégalité des classes sociales à travers l’histoire

    I. L’inégalité sociale dans notre société contemporaine 

    En Belgique, il existe une pyramide des revenus et du pouvoir social. A la base de cette pyramide se trouvent les deux tiers de nos concitoyens, dont les revenus ne dépassent pas les 75.000 frs par an. Au sommet de la pyramide se trouvent 100 familles qui contrôlent directement ou indirectement toutes les sociétés anonymes dirigées par les holdings, ce qui représente plusieurs centaines de milliards de frs. 

    Aux Etats-Unis, une enquête menée en 1952 par le Brooking Institute a donné les résultat suivants : 130.000 personnes, soit 0,1% de la population américaine, possèdent 56% de la valeur boursière de toutes les actions et obligations émises par des sociétés anonymes américaines. Comme (à part quelques exceptions) toute l’industrie et la finance américaine est organisée sur la base des sociétés anonymes, on peut dire que 99,9% des citoyens américains ont un pouvoir économique inférieur à celui de 0,1% de la population. 

    A notre époque, nous ne devons pas seulement tenir compte des inégalités sociales qui existent à l’intérieur de chaque pays. Il est important de tenir compte également de l’inégalité entre une petite poignée de pays avancés du point de vue industriel et la majeure partie de l’humanité, qui vit dans les pays dits sous-développés (pays coloniaux et semi-coloniaux). 

    Ainsi les Etats-Unis produisent plus de la moitié de la production industrielle et consomment plus de la moitié d’un grand nombre de matières premières industrielles dans le monde de ce côté-ci du rideau de fer. 350 millions d’Indiens ont à leur disposition moins d’acier et moins d’énergie électrique que 8 millions de Belges. Le revenu réel, par tête d’habitant, dans les pays les plus pauvres du monde, n’est que 5% du revenu par tête d’habitant dans les pays les plus riches. 

    Résultat : un habitant de l’Inde mange tous les jours la moitié seulement des calories que nous mangeons dans les pays avancés. L’âge moyen qui dépasse en Occident 65 ans, pour atteindre 70 ans dans certains pays, n’atteint même pas 30 ans en Inde et en Chine. 

    II. L’inégalité sociale dans des sociétés antérieures 

    Nous trouvons une inégalité sociale comparable à celle qui existe dans le monde capitaliste dans toutes les sociétés antérieures qui se sont succédées au cours de l’histoire (c’est à dire au cours de la période d’existence de l’humanité sur la Terre de laquelle nous possédons des témoignages écrits). 

    Voici une description de la misère des paysans français vers la fin du XVIIe siècle, description tirée des « Caractères » de La Bruyère : « L’on voit certains animaux farouches, des mâles et des femelles répandus par la campagne, noirs, livides et tout brîlés de soleil attachés à la terre qu’ils fouillent et qu’ils remuent avec une opiniâtreté invincible ; ils ont comme une voix articulée, et, quand ils se lèvent sur leurs pieds, ils montrent une face humaine ; et en effet ils sont des hommes. Ils se retirent la nuit dans des tanières, où ils vivent de pain noir, d’eau et de racines… » 

    Comparer ce portrait des paysans à l’époque à celui des fêtes brillantes données par Louis XIV à la Cour de Versailles, au luxe de la noblesse et au gaspillage du Roi, c’est tracer une image saisissante de l’inégalité sociale. 

    Dans la société du haut moyen âge, où prédominait le servage, le noble seigneur disposait très souvent de la moitié du travail ou de la moitié de la récolte des paysans-serfs. Nombreux étaient les seigneurs qui avaient sur leurs terres des centaines, sinon des milliers de serfs. Chacun d’eux recevait donc chaque année autant que des centaines, sinon des milliers, de paysans. 

    Il en était de même dans les différentes sociétés de l’Orient classique (Egypte, Sumérie, Babylonie, Perse, Inde, Chine, etc…) sociétés basées sur l’agriculture, mais où les propriétaires fonciers étaient soit des seigneurs, soit des Temples, soit le roi lui-même (représenté par des clercs, agents du fisc royal). 

    La « Satire des Métiers », rédigée dans l’Egypte des Pharaons il y a 3.500 ans, nous a laissé une image des paysans exploités par ces scribes royaux, comparés aux bêtes nocives et aux parasites. 

    Quant à l’Antiquité gréco-romaine, sa société était basée sur l’esclavage. Si sa culture a pu atteindre un niveau élevé, cela est dû en partie au fait que les citoyens des cités antiques ont pu consacrer une large partie de leur temps à des activités politiques, culturelles, artistiques et sportives, le travail manuel étant de plus en plus abandonné aux seuls esclaves. 

    III. Inégalité sociale et inégalité de classe

    Toute inégalité sociale n’est pas une inégalité de classe. La différence de rémunération entre un manœuvre et un ouvrier hautement qualifié ne fait pas de ces deux hommes des membres de deux classes sociales différentes. Sans approfondir pour le moment la notion de classe, nous lui donnerons cette définition-ci, qui sera précisée plus loin : 

    « L’inégalité de classe dans une société est une inégalité qui trouve ses racines dans la structure et la marche normale de la vie économique et qui est conservée et accentuée par les principales institutions sociales et juridiques de l’époque ». 

    Précisons cette définition par quelques exemples : Pour devenir grand industriel en Belgique, il faut rassembler des capitaux évalués à 1 million par ouvrier embauché. Une petite usine employant 50 ouvriers exige donc le rassemblement d’un capital d’au moins 50 millions. Or, le salaire d’un ouvrier ne dépasse jamais 100.000 frs par an. Même en travaillant pendant 50 années et ne dépensant pas un sou pour manger et pour vivre, il ne peut pas rassembler suffisamment d’argent pour devenir capitaliste. Le salariat, qui est un des caractéristiques de la structure de l’économie capitaliste, représente donc une des racines de la division de la société capitaliste en deux classes fondamentalement différentes : la classe des propriétaires des moyens de production, les capitalistes, et la classe ouvrière qui, de par ses revenus, ne peut jamais devenir propriétaire de moyens de production. 

    Il est vrai qu’à côté des capitalistes proprement dits, certains techniciens fortement doués peuvent accéder aux postes de chefs d’entreprise. Mais la formation technique requise est une formation universitaire. Or, une étude du citoyen Hicter publiée par la revue « Socialisme » a indiqué qu’au cours des dernières décades, seuls 5 à 7% des étudiants en Belgique sont des fils d’ouvriers... 

    Les institutions sociales ferment donc l’accès à la propriété capitaliste aux ouvriers, et de par leurs revenus, et de par le mode d’enseignement supérieur. Elles maintiennent, conservent, perpétuent la division de la société en classes telles qu’elle existe aujourd’hui. 

    Même aux Etats-Unis, où l’on se complaît à citer les exemples des « fils d’ouvriers-méritants » qui deviennent milliardaires à force de travailler », une enquête a démontré que 90% des chefs d’entreprises importantes proviennent de la grande et moyenne bourgeoisie. 

    Ainsi, tout au long de l’histoire, nous retrouvons une inégalité sociale cristallisée en inégalité de classe. Dans chacune de ces sociétés, nous pouvons retrouver une classe de producteurs qui fait vivre de son travail l’ensemble de la société et une classe dominante qui vit du travail d’autrui : 

    • Paysans et prêtres, seigneurs ou clercs dans les Empires d’Orient ;
    • Esclaves et maîtres d’esclaves dans l’Antiquité gréco-romaine ;
    • Serfs et seigneurs féodaux dans le haut moyen-âge ;
    • Ouvriers et capitalistes à l’époque bourgeoise.

    IV.L’inégalité sociale dans la préhistoire humaine

    Mais l’histoire ne représente qu’une tranche mineure de la vie humaine sur notre planète. Elle est précédée par la préhistoire, l’époque dans l’existence de l’humanité où l’écriture n’existait pas encore. Des peuples primitifs en sont restés aux conditions préhistoriques jusqu’à une date récente ou jusqu’à nos jours même. Or, pendant la majeure partie de son existence préhistorique, l’humanité a ignoré l’inégalité de classe. 

    Nous comprendrons la différence fondamentale entre une telle communauté primitive et une société de classe en examinant quelques unes des institutions de ces communautés. 

    Ainsi, plusieurs anthropologues nous ont parlé de mœurs, qu’on retrouve chez de nombreux peuples primitifs, qui consistent à organiser des fêtes abondantes après les récoltes. L’anthropologue Margaret Mead nous a décrit ces fêtes chez le peuple papou des Arapech (Nouvelle-Guinée). Tous ceux qui ont fait une récolte au-dessus de la moyenne, invitent toute leur famille et tous leurs voisins et les festivités se poursuivent jusqu’à ce que la majeure partie de ce surplus ait disparu. Margaret Mead ajoute : « Ces fêtes représentent une mesure adéquate pour empêcher qu’un homme individuel n’accumule des richesses… » 

    D’autre part, l’anthropologue Asch a étudié les coutumes et le système d’une tribu indienne vivant dans le sud des Etats-Unis, la tribu des Hopi. Dans cette tribu, contrairement à notre société, le principe de la compétition individuelle est considéré comme répréhensible du point de vue moral. Lorsque des enfants Hopi jouent ou pratiquent des sports, ils ne comptent jamais des points et ignorent qui a « gagné ». 

    Lorsque des communautés primitives, ignorant la division de la société en classes, font de l’agriculture leur activité économique principale et occupent un terrain déterminé, elles n’installent pas la propriété. Chaque famille reçoit des champs en usufruit pour une certaine période, mais ces champs sont redistribués fréquemment pour éviter de favoriser tel ou tel membre de la communauté aux dépens des autres. Les prairies et des bois sont exploités en commun. Ce système de la communauté villageoise, basée sur l’absence d’une propriété privée du sol, a été retrouvé à l’origine de l’agriculture chez presque tous les peuples du monde. Il démontre qu’à ce moment-là, la société n’était pas encore divisée en classes, au niveau du village.

    V. La révolte contre l’inégalité sociale à travers l’histoire

    La société divisée en classes, la propriété privée du sol et des moyens de production, ne sont donc nullement le produit de la « nature humaine ». Elles sont le produit d’une évolution de la société et des institutions économiques et sociales. Nous verrons prochainement pourquoi elles sont nées et comment elles disparaîtront. 

    En fait, dès qu’apparaît la division de la société en classes, l’homme manifeste sa nostalgie de l’ancienne vie communautaire. Nous retrouvons les expressions de cette nostalgie dans le rêve de l’Age d’Or », qui se serait placé à l’aube de l’existence humaine sur la Terre, rêve que décrivent les auteurs classiques chinois. Virgile dit d’ailleurs clairement qu’à l’époque de cet Age d’Or, les récoltes étaient partagées en commun, c’est à dire que la propriété privée n’existait pas. 

    Toute une série de philosophes et des savants parmi les plus grands de l’humanité ont considéré que la division de la société en classes représente la source du malaise social et ont élaboré des projets pour la supprimer. 

    Ainsi le philosophe grec Platon caractérise-t-il l’origine des malheurs qui s’abattent sur la société : « Même la ville la plus petite est divisée en deux parties, une ville des pauvres et une ville des riches qui s’opposent (comme) en état de guerre ». Pour supprimer cette division, il prône une sorte de socialisme aristocratique, basé sur la communauté des biens. 

    Les sectes juives qui pullulent au début de notre ère, et les premiers Pères de l’Eglise chrétienne, qui en poursuivent la tradition, sont également de farouches partisans d’un retour à la communauté des biens. Saint Barnabé écrit : « Tu ne parleras jamais de ta propriété, car si tu jouit en commun des biens spirituels d’autant plus faut-il jouir en commun des biens matériels ». Saint Cyprien a prononcé de nombreux plaidoyers en faveur du partage égalitaire des biens entre tous les hommes. Saint Jean Chrysostome s’est le premier exclamé : « La propriété, c’est le vol ». Même Saint Augustin a commencé par déceler l’origine de toutes les luttes et de toutes les violences sociales dans la propriété privée, pour modifier plus tard son point de vue. 

    Cette tradition se poursuit pendant le moyen-âge, notamment chez Saint François d’Assise et chez les précurseurs de la Réforme : les Albigeois, les Cathares, Wycliff, etc. Voici ce que dit le prédicateur anglais John Ball, élève de Wycliff, au XIVe siècle : « Il faut abolir le servage et rendre tous les hommes égaux. Ceux qui s’appellent nos maîtres, consomment ce que nous produisons… Ils doivent leur luxe à notre labeur ». 

    Finalement, à l’époque moderne, nous voyons ces projets de société égalitaire devenir de plus en plus précis, notamment dans « L’Utopie » de Thomas Moore (Anglais), dans « La Cité du Soleil » de Campanella (Italie), dans « Le Testament de Jean Moslier » et dans « Le Code de la Nature » de Morelly (Français). 

    A côté de cette révolte de l’esprit contre l’inégalité sociale, il y a eu d’innombrables révoltes dans les actes, c’est à dire des insurrections des classes opprimées contre leurs oppresseurs. 

    Nous possédons un document qui décrit la première révolution sociale dans l’histoire, sous la XVIIIe dynastie de l’Egypte des Pharaons, il y a 4.000 ans. Dans l’Empire romain, il y a eu une suite ininterrompue de révoltes d’esclaves, dont la plus connue est celle de Spartacus, et qui ont contribué fortement à la chute de l’Empire. En Chine, chaque dynastie régnante est renversée après quelques siècles de règne par une insurrection paysanne. Au moyen-âge, des insurrections de paysans de succèdent à partir du XIVe siècle (Jacqueries en France, guerre de Wat Tyler en Angleterre, guerre des Hussites en Bohème, guerre des paysans en Allemagne). En même temps débutent les luttes de compagnons d’artisans qui annoncent la lutte du prolétariat moderne pour son émancipation. 

    Bibliographie :

    1. Marx et Engels : Le Manifeste communiste
    2. Engels : Anti-Düring, 2e et 3e partie
    3. Max Beer : Histoire du socialisme
    4. Quack : De Socialisten, premiers volumes. 

    Sources économiques de l’inégalité sociale

    Les communautés primitives basées sur la pauvreté

    Pendant la majeure partie de son existence préhistorique, l’homme a vécu dans des conditions d’extrême pauvreté. La nourriture nécessaire à leur subsistance, les hommes ne pouvaient se la procurer que par la chasse, la pêche et la cueillette des fruits. Les hommes vivaient en « parasites » sur la nature, puisqu’ils n’augmentaient pas les ressources naturelles dont ils vivaient. Ils n’avaient aucun contrôle sur ces ressources. 

    Les communautés primitives sont organisées de sorte à garantir la survie collective dans ces conditions d’existence extrêmement difficiles. Chacun participe obligatoirement au travail, et le travail de chacun est nécessaire pour maintenir en vie la communauté. La production de vivre suffit à peine pour nourrir la collectivité ; des privilèges matériels condamneraient à la famine une partie de la tribu, la priverait de la possibilité de travailler rationnellement et saperaient ainsi les conditions de survie collective. Voilà pourquoi l’organisation sociale, à cette étape du développement des sociétés humaines, tend à maintenir un maximum d’égalité à l’intérieur des communautés humaines. 

    Ayant examiné les institutions sociales de 425 tribus primitives, les anthropologues anglais Hobhouse, Wheeler et Ginsberg ont trouvé une absence totale de classes sociales chez toutes les tribus qui ignorent l’agriculture. 

    La révolution néolithique

    Cette situation de pauvreté fondamentale n’a été durablement modifiée que par la formation des techniques de culture du sol et d’élevage des animaux. La technique de la culture du sol, la plus grande révolution économique dans l’existence de l’humanité, est due aux femmes comme une série d’autres découvertes importantes dans la préhistoire (notamment la technique de la poterie et celle du tissage). Elle s’est affirmée à partir de – 15.000 avant J.C à plusieurs endroits du globe, vraisemblablement d’abord en Asie Mineure, en Mésopotamie, en Iran et au Turkestan, s’étendant progressivement à l’Egypte, à l’Inde, à la Chine, à l’Afrique du Nord et à l’Europe méditerranéenne. On l’appelle la révolution néolithique, parce qu’elle s’est produite à une époque de l’âge de pierre où les principaux instruments de travail de l’homme sont fabriqués en pierre polie ; l’époque la plus récente de l’âge de la pierre). La révolution néolithique permet à l’homme de produire lui-même ses vivres et à contrôler donc – plus ou moins – sa propre subsistance. Elle atténue la dépendance par rapport aux forces de la nature dans laquelle se trouve l’homme primitif. Elle permet la constitution de réserves de vivres, ce qui permet à son tour d’affranchir certains membres de la communauté de la nécessité de produire leur nourriture. Ainsi peut se développer une certaine division du travail, une spécialisation des métiers, qui accroît la productivité du travail humain. Dans la société primitive, une telle spécialisation ne peut que s’ébaucher, puisque, comme l’a dit un des premiers explorateurs espagnols au sujet d’Indiens au 16e siècle, ils (les « primitifs ») veulent utiliser tout leur temps pour rassembler des vivres, car s’ils l’utilisent autrement, ils seront tenaillés par la faim. 

    Produit nécessaire et surproduit

    C’est l’apparition d’un surplus permanent de vivres qui bouleverse les conditions de l’organisation sociale. Lorsque ce surplus est relativement petit et éparpillé de village en village, il ne modifie par la structure égalitaire de la communauté villageoise. Il lui permet de nourrir quelques artisans et fonctionnaires, comme ceux qui, dans les villages hindous, ce sont maintenus pendant des millénaires. 

    Mais lorsque ces surplus sont concentrés sur de grands espaces par des chefs militaires ou religieux, ou lorsqu’ils deviennent plus abondants dans le village grâce à l’amélioration des méthodes de culture, ils peuvent fournir la base pour l’apparition d’une inégalité sociale : on peut les utiliser pour nourrir des prisonniers de guerre ou d’expédition de piraterie (qui auparavant auraient été tués, faute de subsistance) ; qui devront travailler pour les vainqueurs en échange de cette nourriture : c’est l’apparition de l’esclavage dans le monde grec. 

    On peut les utiliser pour nourrir toute une population de prêtres, de soldats, de fonctionnaires, de seigneurs et de rois : c’est l’apparition des classes dominantes dans les Empires de l’Orient antique (Egypte, Babylonie, Iran, Inde, Chine, etc.). 

    La production sociale ne sert donc plus, dans son ensemble, pour subvenir aux besoins des producteurs. Elle se partage dorénavant en deux parties : 

    • Le produit nécessaire, c’est à dire la subsistance des producteurs sans le travail desquels toute la société s’effondrerait.
    • Le surproduit, c’est à dire le surplus produit par les producteurs et accaparé par les classes possédantes.

    Voici comment l’historien Heichelheim décrit l’apparition des premières villes dans le monde antique : « La population des nouveaux centres urbains consiste … en majeure partie d’une couche supérieure vivant des rentes (c’est à dire s’appropriant le surproduit du travail agricole, E.M) composé de seigneurs, de nobles et de prêtres. Il faut y ajouter les fonctionnaires employés et serviteurs, indirectement nourris par cette couche supérieur ». 

    L’apparition des classes sociales – classes productrices et classes dominantes – donne ainsi naissance à l’Etat, qui est la principale institution pour maintenir les conditions sociales données, c’est à dire, dans le cas qui nous intéresse, l’inégalité sociale. La division de la société en classe se consolide par l’appropriation des moyens de production par les classes possédantes. 

    Production et accumulation

    La formation des classes sociales, l’appropriation du surproduit social par une partie de la société, résulte d’une lutte sociale et ne se maintient que grâce à une lutte sociale constante. Mais elle représente en même temps une étape – inévitable – du progrès économique, grâce au fait qu’elle permet la séparation des deux fonctions économiques fondamentales, la fonction de production et la fonction d’accumulation. 

    Dans la société primitive, l’ensemble des hommes et des femmes valides sont occupés principalement à la production de vivres. Dans ces conditions, ils ne peuvent que consacrer peu de temps à la fabrication et au stockage des instruments de travail, à la spécialisation de cette fabrication, à la recherche systématique d’autres instruments de travail, à l’apprentissage de techniques compliquées de travail (comme par exemple le travail métallurgique, l’observation systématique de phénomènes de la nature, etc.). 

    La production d’un surproduit social permet de donner suffisamment de loisirs à une partie de l’humanité pour qu’elle puisse se consacrer à l’ensemble de ces activités qui facilitent l’accroissement de la productivité du travail. Ces loisirs se trouvent ainsi à la base de la civilisation, du développement des premières techniques scientifiques (astronomie, géométrie, hydrographie, minéralogie, etc.) et de l’écriture. La séparation du travail intellectuel et du travail manuel, produit par ces loisirs, accompagne la séparation de la société en classes. 

    La division de la société en classes représente donc une condition de progrès historique, aussi longtemps que la société est trop pauvre pour permettre à tous ses membres de se consacrer au travail intellectuel (aux fonctions d’accumulation). Mais le prix payé pour ce progrès est très lourd, jusqu’à la veille du capitalisme moderne seules les classes possédantes profitent des bienfaits de l’accroissement de la productivité du travail. Malgré tous les progrès de la technique et de la science pendant les 4.000 ans qui séparent les débuts de la civilisation antique du 16e siècle la situation d’un paysan indien, chinois, égyptien, ou même grec et slave n’a pas changé de façon sensible. 

    La cause de l’échec de toutes les révolutions égalitaires du passé

    Lorsque le surplus produit par la société humaine, lorsque le surproduit social ne suffit pas pour libérer toute l’humanité d’un labeur pénible constant, toute révolution sociale qui cherche à rétablir l’égalité primitive entre les hommes est d’avance vouée à l’échec. Elle ne peut que trouver deux issues à l’ancienne inégalité sociale : 

    1. Ou bien détruire délibérément tout surproduit social, et retourner à l’extrême pauvreté primitive. Alors, la réapparition du progrès technique provoquera rapidement les mêmes inégalités sociales qu’on a voulu supprimer.
    2. Ou bien déposséder l’ancienne classe possédante au profit d’une nouvelle classe possédante. C’est ce qui s’est passé constamment avec l’insurrection des esclaves romains sous Spartacus, avec les premières sectes chrétiennes et les monastères, les diverses insurrections paysannes qui se sont succédées dans l’Empire chinois, la révolution des Taborites en Bohème au XVe siècle, les colonies communistes établies par des immigrants en Amérique, etc.

    Sans prétendre que la révolution russe ait abouti à la même situation, la réapparition d’une inégalité sociale accentuée dans l’URSS d’aujourd’hui s’explique fondamentalement par la pauvreté de la Russie au lendemain de la révolution, par l’insuffisance du niveau de développement des forces productives. 

    Une société égalitaire basée sur l’abondance et non pas sur la pauvreté, voilà le but du socialisme, ne peut se développer que sur la base d’une économie avancée dans laquelle le surproduit social est si élevé qu’il permet à tous les producteurs de se libérer d’un labeur abrutissant et qu’il accorde suffisamment de loisirs à toute la communauté pour que celle-ci puisse remplir collectivement les fonctions dirigeantes dans la vie économique et sociale (fonction d’accumulation). 

    Les anciennes classes possédantes, frein au développement technique

    Pourquoi a-t-il fallu 15.000 ans de surproduit social, avant que l’économie humaine puisse prendre l’essor nécessaire pour laisser entrevoir une solution socialiste de l’inégalité sociale ? Aussi longtemps que les classes possédantes s’approprient le surproduit social sous forme de produits (de valeur d’usage), leur propre consommation (consommation improductive) représente la limite pour l’accroissement de la production qu’ils désirent réaliser. 

    Les temples et rois de l’Orient antique ; les maîtres d’esclaves de l’Antiquité greco-romaine ; les seigneurs nobles et marchands chinois, indiens, japonais, byzantin, arabes ; les nobles féodaux du moyen-âge, n’avaient pas d’intérêt à accroître la production du moment qu’ils aient entassé dans leurs châteaux suffisamment de vivres, de vêtements de luxe, d’objets d’art, etc. Il y a une limite à la consommation et au luxe qu’il était impossible de transgresser (exemple comique de la féodalité sur l’île d’Hawaï où le surproduit social prend la forme exclusive de nourriture et de ce fait le prestige dépend… du poids de chaque personne). 

    Ce n’est que quand le surproduit social prend la forme d’argent - de plus value – et qu’il peut servir non plus seulement à l’acquisition de biens de consommation mais de biens d’équipement (de production) que la nouvelle classe dominante – la bourgeoisie – acquiert un intérêt à un accroissement illimité de la production. C’est ainsi que se créent les conditions sociales nécessaires à une application de toutes les découvertes scientifiques à la production, c’est à dire les conditions nécessaires à l’apparition du capitalisme industriel moderne.

    Bibliographie :

    1. Marx et Engels : Le Manifeste communiste
    2. Engels : Anti-Dühring, 2e et 3e partie
    3. Gordon Childe : What happened in history – Man made himself (deux excellents résumés de la préhistoire et de l’histoire antique écrits d’un point de vue généralement marxiste).
    4. La collection : Le travail à travers les âges ;
    5. Le volume : Le travail dans l’ancienne Grèce, par Glotz
    6. Le volume : Le travail au moyen-âge, par P. Boisonnade.

    L’évolution de la société capitaliste moderne

    Origines du capitalisme moderne

    Le capitalisme moderne est le produit de trois transformations économiques et sociales : 

    1. La séparation des moyens de production et des producteurs. Cet séparation s’est effectuée notamment dans l’artisanat par la destruction des corporations médiévales, par le développement de l’industrie domestique, par l’appropriation privée des réserves de terres vierges dans les pays d’outre-mer (notamment par les compagnes de chemins de fer).
    2. La constitution d’une classe qui monopolise les moyens de production, la bourgeoisie industrielle moderne. L’apparition de cette classe présuppose d’abord une accumulation de capitaux sous forme d’argent (ce qui s’est fait par l’usure et le commerce à partir du moyen-âge), ensuite une transformation des moyens de production qui rend ceux-ci suffisamment chers pour que seuls les propriétaires de capitaux considérables puissent les acquérir. La révolution industrielle qui base dorénavant la production sur le machinisme réalise cette transformation.
    3. La transformation de la force de travail en marchandise. Cette transformation résulte de l’apparition d’une classe qui ne possède rien d’autre que sa force de travail et qui, pour pouvoir subsister, est obligée de vendre cette force de travail aux propriétaires des moyens de production. « Des gens pauvres et besogneux, dont nombreux sont ceux qui ont la charge et le fardeau de femmes et de nombreux enfants, et qui possèdent rien d’autre que ce qu’ils peuvent gagner avec le travail de leurs mains » (extrait d’une requête de la fin du 16e siècle, rédigée à Leyde en Hollande).

    Parce que la masse de ces prolétaires n’a pas la liberté du choix – si ce n’est le choix entre la vante de sa force de travail et la faim permanente – elle est obligée d’accepter pour prix de sa force de travail le prix dicté par les conditions capitalistes normales : c’est à dire le minimum vital nécessaire pour assurer la subsistance des travailleurs et de leur famille. De même que dans les sociétés de classe précapitalistes, les classes productives fournissaient du travail non payé, du surtravail, qui se trouve à la base du surproduit social, de même dans la société capitaliste l’origine de la plus-value (le surproduit sous la forme monétaire) se trouve dans le travail gratuit fourni par les ouvriers. Le salaire de ceux-ci ne représente que l’équivalent d’une partie de la valeur qu’ils produisent par leur travail. L’autre partie de la valeur qu’ils créent est accaparée par les capitalistes et se trouve à la base de leur profit.

    Dans un contrat de travail passé à Liège en 1634 entre Antoine de Jelly, maître tisserand, et Nicolas Cornélis, il est dit que celui-ci gagnera le mitant (la moitié) de ce qu’il travaillera, l’autre mitant restant au profit du maître. 

    Le fonctionnement de l’économie capitaliste

    L’économie capitaliste fonctionne avec une série de caractéristiques qui lui sont propres et parmi lesquelles nous mentionnerons : 

    1. La production est exclusivement production de marchandises, production de biens qui ne servent pas à satisfaire les besoins de leurs producteurs, mais qui sont destinés à être vendus sur le marché pour que le capitaliste rentre dans ses frais et réalise son profit. Sans la vente des marchandises, pas de réalisation du profit pour l’industriel.
    2. La production s’effectue pour un marché anonyme et est régie par les lois de la concurrence. Du moment où la production n’est plus limitée par la coutume (comme dans les communautés primitives) ou par la loi (comme dans les corporations moyennâgeuses), chaque propriétaire privé de moyens de production s’efforce de produire le maximum, sans se soucier de ce que produisent d’autres industriels opérant dans la même branche. De ce fait, c’est la concurrence entre les industriels qui décide de la question ; quelle entreprise arrivera à écouler sa production et quelle entreprise échouera devant ce but.
    3. Le but de la production c’est de réaliser le maximum de profit. Les classes possédantes précapitalistes vivaient du surproduit sociale, le consommaient improductivement. La classe capitaliste, elle aussi, doit consommer improductivement une partie du surproduit sociale, des profits. Mais pour ce faire, elle doit réaliser son profit, c’est à dire vendre ses marchandises. Dans une société régie par la concurrence, ce sont les marchandises offertes au prix le plus bas qui sont effectivement vendues. Or, pour vendre à vil prix, il faut sans cesse moderniser les installations, accroître le capital constant, les machines, etc. Cela exige un accroissement de la masse du capital, qui est obtenu par la transformation de la plus-value en capital, par la capitalisation des profits (une grande partie du profit n’est pas consommée improductivement mais productivement, c’est à dire utilisée pour l’achat de nouvelles machines, etc.). Pour pouvoir subsister, les capitalistes cherchent donc à accroître sans cesse leurs capitaux et dans ce but, de réaliser le maximum de profits. Pour cette raison, l’économie capitaliste se caractérise par un épanouissement énorme des moyens de production, par un développement prodigieux des forces productives.
    4. Pour réaliser le maximum de profits, les capitalistes cherchent à réduire sans cesse la part absolue ou relative du revenu national qui revient à la classe ouvrière. Le revenu national (plus exactement : le revenu de l’industrie d’une nation déterminée) se partage en effet en deux parties : salaires et profits. L’une part ne peut augmenter qu’à condition que l’autre diminue. C’est tout le contenu de la lutte de classe économique en régime capitaliste. Les deux moyens essentiels par lesquels les capitalistes s’efforcent d’accroître leur part, c’est : a) la prolongation d’une journée de travail et la réduction des salaires réels (du 16e au milieu du 19e siècle), réduction absolue de la part qui revient à la classe ouvrière ; b) l’augmentation de l’intensité de la productivité du travail (à partir du milieu du 19e siècle), réduction relative de la part qui revient à la classe ouvrière.
    5. La recherche du maximum de profit par chaque capitaliste conduit, par le truchement de la concurrence des capitaux, à la formation d’un taux moyen de profit. Ce sont les écarts d’avec ce taux de profit qui régissent en grande partie les investissements des capitaux ; ceux-ci se dirigent vers les secteurs où le taux de profit est le plus élevé mais ce faisant, y provoquent une concurrence accrue qui conduit à une baisse de ce taux, jusqu’à ce que le taux s’établit sur un niveau plus ou moins égal dans la plupart des secteurs industriels.

    Les étapes du capitalisme moderne

    Le capitalisme moderne a parcouru trois grandes étapes à partir de la révolution industrielle qui se place en Angleterre, dans la 2e moitié du 18e siècle : 

    1. De 1750 à 1870 : la période du capitalisme libéral, de libre-échange et de libre concurrence. L’industrie capitaliste reste en fait limitée à l’Angleterre, la Belgique, la Rhénanie, le Nord et l’Est de la France. Les marchandises produites par cette petite partie du globe conquièrent tout le marché mondial. Les capitalistes ont une confiance illimitée dans la bonne marche de l’économie. Ils se remettent à l’automatisme des « lois économiques » pour résoudre toutes les difficultés, toutes les crises. Ils sont opposés à toute initiative économique de l’Etat, y compris à la conquête des colonies. C’est à l’époque du « laissez-faire, laissez aller ».
    2. De 1870 à 1930 : la période du capitaliste monopoliste, de l’impérialisme. L’industrie capitaliste s’étend à l’ensemble de l’Europe occidentale et de l’Amérique du Nord, à une partie de l’Europe orientale, de l’Asie, et de l’Amérique latine et prend même pied en Afrique et en Océanie. La domination du Capital s’établit sur tous les pays sous-développés. Il n’y a plus de marchés à conquérir ; la lutte entre les puissances capitalistes pour de nouveaux partages du monde remplace la conquête du monde d’antan. Les capitalistes ne croient plus aux bienfaits de la concurrence illimitée. Ils s’organisent à leur tour, limitent et éliminent les concurrences dans un cadre déterminé par la constitution de trusts et des cartels. Mais la concurrence n’est ainsi éliminée dans une branche ou dans un pays que pour reprendre avec une acuité redoublée entre différentes branches ou différents pays.
    3. Depuis la grande crise de 1929 : la période du déclin du capitalisme monopoliste, non seulement il n’y a plus de nouveaux pays à conquérir pour l’industrie capitaliste, mais suite à la révolution russe, puis à la conquête de l’Europe orientale par l’armée russe et à la révolution chinoise, une partie importante du globe est enlevée du domaine du capitalisme. Les capitalistes n’ont plus confiance dans leur système. Ils demandent de plus en plus l’intervention de l’Etat pour garantir leur profit (croissance du secteur public dans l’économie ; nationalisation des branches industrielles ; rôle des commandes d’Etat, surtout de l’économie d’armement et de l’économie de guerre pour soutenir la conjoncture ; garantie étatique aux exportateurs, etc.). C’est au fond une période qui par la succession des guerres et des crises, et l’abdication de plus en plus prononcée de l’initiative privée, fait le pont vers la période de transformation entre le capitalisme et le socialisme.

    Les lois d’évolution du capitalisme

    A travers la succession de ces trois étapes du capitalisme, certaines lois d’évolution du capitalisme peuvent être mises en relief : 

    • La concentration du capital : dans la concurrence, les grandes entreprises battent les petites qui disposent de moins de moyens et qui de ce fait ne peuvent pas suivre le progrès technique. Les entreprises acculées à la ruine sont absorbées par les entreprises de plus en plus grandes. Alors qu’il n’y a un siècle, une entreprise avec plus de 500 ouvriers était exceptionnelle, il existe aujourd’hui des trusts qui occupent plus de 100.000 salariés, des entreprises dans lesquelles travaillent des dizaines de milliers d’ouvriers. Le nombre de petits patrons indépendants diminue sans cesse par rapport à la masse des salariés : 

    Evolution de la structure de classe aux Etats-Unis (en % de toute la population exercant une une profession)

    1880 1890 1900 1920 1930 1939 1946
    Salariés de tout genre : 62 65 67,9 71,9 73,9 76,8 82,9
    Entrepreneurs de tout genre : 36,9 33,8 30,8 26,3 20,3  18,8 17,1

    b) L’évolution de l’économie capitaliste ne se fait pas de façon harmonieuse, égale, mais par bonds et cycles. Des périodes de haute conjoncture et des périodes de crise se succèdent. 

    c) La socialisation progressive de l’économie ; au début du capitalisme, chaque entreprise capitaliste était une cellule indépendante de l’autre, n’établissant que des rapports passagers avec les fournisseurs et les clients. Plus le régime capitaliste évolue, et plus s’établissent des liens d’inter-dépendance durables entre les entreprises de toutes les branches et de tous les pays. Une crise dans un secteur se répercute dans tous les autres secteurs. Pour la première fois dans l’existence de l’humanité s’établit ainsi une solidarité économique de base entre tous les hommes. La contradiction sans cesse croissante entre socialisation de fait de l’économie et le maintien de la propriété privée des moyens de production, le maintien d’une économie basée sur la recherche du profit privé. C’est au moment où cette inter-dépendance des entreprises, des pays, des continents, saute aux yeux de tous, que le fait que tout le système ne fonctionne que d’après les ordres d’une petite poignée de magnats capitaliste acquiert tout son caractère odieux, apparaît comme monstrueusement anti-démocratique.

    Bibliographie :

    1. Marx : Prix, salaires et profits
    2. Marx et Engels : Le Manifeste Communiste
    3. Engels : Anti-Dühring
    4. Kautsky : La Doctrine économique de K. Marx
    5. O. Debunne : De Kapitalistische concentratie (en flamand).

    Les origines du mouvement ouvrier moderne

    Depuis qu’il existe des salariés, c’est à dire bien avant la formation du capitalisme moderne, il y a eu des manifestations de lutte de classe entre patrons et ouvriers. Celle-ci n’est pas le résultat d’activités subversives de la part d’individus qui « prêchent la lutte de classe ». Au contraire, la doctrine de la lutte de classe est le produit de la pratique de la lutte de classe qui la précède. 

    La lutte de classe élémentaire du prolétariat

    Les manifestations élémentaires de la lutte de classe des salariés se sont toujours axées autour de trois revendications :

    1. L’augmentation des salaires, moyen immédiat pour modifier en faveur des salariés la répartition du produit social entre patrons et ouvriers ;
    2. La diminution des heures de travail sans réduction de salaire, autre moyen direct pour modifier cette répartition en faveur des travailleurs ;
    3. La liberté d’organisation. Alors que le patron, propriétaire du capital, des moyens de production, a de son côté toute la puissance économique, les ouvriers sont désarmés aussi longtemps qu’ils mènent entre eux une lutte de concurrence pour obtenir un emploi. Dans ces conditions, les « règles du jeu » jouent unilatéralement en faveur des capitalistes, qui peuvent fixer les salaires aussi bas qu’ils le veulent, les ouvriers étant obligés à les accepter par crainte de perdre leur emploi, et de ce fait leur subsistance.

    C’est en supprimant cette concurrence qui les divise, en faisant bloc devant le patronat, en refusant tous ensemble de travailler à des conditions jugées inacceptables, que les travailleurs ont une chance d’obtenir des avantages dans la lutte qui les oppose au patronat. L’expérience leur enseigne rapidement que s’ils n’ont pas la liberté d’organisation, ils n’ont pas d’armes pour s’opposer à la pression capitaliste. 

    La lutte de classe élémentaire des prolétaires a pris traditionnellement la forme du refus de travail collectif, c’est à dire de la grève. Des chroniqueurs nous rapportent des récits de grèves dans l’ancienne Egypte et dans l’ancienne Chine. Nous avons également le compte-rendu des grèves en Egypte sous l’Empire romain, notamment au premier siècle de notre ère. 

    Conscience de classe élémentaire

    Or, l’organisation d’un grève implique toujours un certain degré de conscience de classe et un certain degré – élémentaire – d’organisation de classe. Elle implique notamment la notion que le salut de chaque salarié dépend d’une action collective ; c’est une solution de solidarité de classe opposée à la solution individuelle (essayer d’augmenter le gain individuel sans égards pour les revenus des autres salariés). 

    Cette notion est la forme élémentaire de la conscience de classe prolétarienne. De même, dans l’organisation d’une grève, les salariés apprennent instinctivement à constituer des caisses de secours. Ces caisses et de secours et d’entraide se constituent également pour diminuer quelque peu l’insécurité de l’existence ouvrière, pour permettre aux prolétaires de se défendre pendant les périodes de chômage, etc. Ce sont les formes élémentaires de l’organisation de classe. 

    Mais ces formes élémentaires de conscience et d’organisation ouvrières n’impliquent ni la conscience des buts historiques du mouvement ouvrier, ni la compréhension de la nécessité d’une action politique indépendante de la classe ouvrière. 

    Ainsi, les premières formes d’action politique ouvrière se situent-elles à l’extrême gauche du radicalisme petit-bourgeois. Dans la révolution française, à l’extrême gauche des Jacobins, apparaît la Conspiration des Egaux de Gracchus Babeuf, qui représente le premier mouvement politique moderne visant à la collectivisation des moyens de production. 

    A la même époque en Angleterre, des ouvriers constituent la London Corresponding Society, qui cherche à organiser un mouvement de solidarité avec la révolution française. Cette organisation fut écrasée par la répression policière, mais immédiatement après la fin des guerres napéloniennes, à l’extrême gauche du parti radical (petit-bourgeois), se crée dans la région industrielle de Manchester-Liverpool une Ligue du suffrage universel essentiellement constituée par des ouvriers. Après les sanglants incidents à Peterloo en 1817, la séparation d’un mouvement ouvrier indépendant du mouvement petit-bourgeois fut accélérée, et ainsi put naître un peu plus tard le parti Chartiste, parti essentiellement ouvrier qui réclame le suffrage universel. 

    Le socialisme utopique

    Tous ces mouvements élémentaires de classe ouvrière furent dirigés largement par des ouvriers eux-mêmes, autodidactes qui formulaient souvent des idées naïves sur des sujets historiques, économiques et sociaux, qui exigent des études scientifiques solides pour être traitées à fond. Ces mouvements se développèrent donc en quelque sorte en marge du progrès scientifique qui occupa le 17e et le 18e siècle. C’est au contraire dans le cadre de ce progrès scientifique que se place les efforts des premiers grands auteurs utopiques, Thomas Moore (chancelier d’Angleterre au 16e siècle), Campanella (auteur italien du 17e siècle), Robert Owen, Charles Fourier et Saint-Simon (auteurs du 18e et 19e siècle). Ces auteurs s’efforcent de rassembler toutes les connaissances scientifiques de leur époque pour formuler : 

    1. Une critique virulente de l’inégalité sociale, notamment de celle qui caractérise la société bourgeoise (ceci s’entend pour Owen, Fourier et Saint Simon).
    2. Un plan d’organisation d’une société égalitaire, basée sur la propriété collective. 

    Par ces deux aspects de leur œuvre, les grands socialistes utopiques sont les véritables précurseurs du socialisme moderne. Mais la faiblesse de leur système consiste : 

    1. Dans le fait que la société idéale dont ils rêvent (de là le terme : socialisme utopique) est présentée comme un idéal à construire, à atteindre d’un seul coup par un effort de compréhension et de bonne volonté des hommes, sans rapport avec l’évolution historique plus ou moins déterminée de la société capitaliste elle-même.
    2. Dans le fait que l’explication des conditions dans lesquelles l’inégalité sociale est apparue, et dans lesquelles elle peut disparaître ; est scientifiquement insuffisante se base sur des facteurs secondaires (violence, morale, argen,t, psychologie, etc.) et ne part pas des problèmes de structure économique et sociale.

    Le Manifeste communiste

    C’est précisément dans ces deux domaines que la formation de la théorie marxiste dans l’Idéologie allemande (1845) et surtout dans le Manifeste communiste (1847) de Karl Marx et de Frédéric Engels représente un progrès décisif. Avec la théorie marxiste, la conscience de classe ouvrière est incarnée dans une expression scientifique du niveau le plus élevé. 

    Marx et Engels n’ont pas découvert les notions de classe sociale et de lutte de classe. Ces notions étaient connues des socialistes utopiques et d’autres bourgeois comme les historiens Thierry et Guizot. Mais ils ont expliqué de façon historique l’origine des classes, les causes du développement des classes, le fait que toute l’histoire humaine peut être expliquée par la lutte de classe, et surtout les conditions matérielles et morales sous lesquelles la division de la société en classes peut faire place à une société sans classes. 

    Ils ont, d’autre part, expliqué comment le développement même du capitalisme préparait inexorablement l’avènement d’une société socialiste, préparait les forces matérielles et morales qui devaient assurer le triomphe de la société nouvelle. Celle-ci n’apparut plus dès lors comme un simple produit des rêves et des désirs des hommes, mais comme le produit naturel et logique de l’évolution de l’histoire humaine. 

    Le Manifeste communiste représente ainsi une forme supérieure de la conscience de classe prolétarienne. Il enseigne à la classe ouvrière que la société socialiste sera le produit de sa lutte de classe contre la bourgeoisie. Il lui enseigne la nécessité de ne pas lutter simplement pour des augmentations de salaires mais aussi pour l’abolition du salariat. Il lui enseigne surtout la nécessité de constituer des partis ouvriers indépendants, de compléter son action de revendication économique par une action politique sur le plan national et international. 

    Le mouvement ouvrier moderne est né de la fusion entre le mouvement élémentaire de la classe ouvrière et la conscience de la classe portée à sa plus haute expression qui est incarnée dans la théorie marxiste. 

    La Première Internationale

    Cette fusion est l’aboutissement de l’évolution du mouvement ouvrier international entre les années ’50 et les années ’80 du siècle passé. 

    Au cours des révolutions de 1848 qui ébranlent la plupart des pays d’Europe, la classe ouvrière n’apparaît nulle part sauf en Allemagne (dans la petite « Association des Communistes » dirigée par Marx) comme un parti politique au sens moderne du mot. Partout, elle se traîne à la suite du radicalisme petit-bourgeois. En France, elle se sépare de ce dernier au cours des sanglantes journées de juin 1848, sans pouvoir constituer un parti politique indépendant. Après les années de réactions qui suivent la défaite de la révolution de 1848, ce sont les organisations syndicales et mutualistes de la classe ouvrière qui se développement avant tout dans la plupart des pays (à l’exception de l’Allemagne, où l’agitation pour le suffrage universel permet à Lasalle de constituer un parti politique ouvrier ; l’Association Générale des travailleurs Allemands). 

    C’est par la fondation de la Iere Internationale en 1864 que Marx et le petit groupe de ses adeptes fusionnent véritablement avec le mouvement ouvrier élémentaire de cette époque et qu’ils préparent la constitution des partis socialistes dans la plupart des pays d’Europe. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, ce ne sont pas les partis ouvriers nationaux qui se sont rassemblées pour constituer la Iere Internationale. C’est la constitution de celle-ci qui a permis le rassemblement national des groupes locaux et syndicalistes qui adhérèrent à la Iere Internationale. Quand l’Internationale se disloque après la défaite de la Commune de Paris, les ouvriers d’avant-garde conservent la conscience de la nécessité d’un tel regroupement sur le plan national, et au cours des années ’70 et ’80, après plusieurs tentatives échouées, des partis socialistes basés sur le mouvement ouvrier élémentaire de l’époque se constituent définitivement. Les seuls exceptions importantes sont celles de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis. Là, les partis socialistes qui se sont constitués à cette même époque sont restés en marge d’un mouvement syndical déjà puissant. En Grande-Bretagne, c’est seulement au 20e siècle que le Parti travailliste basé sur les syndicats a été créé. Aux Etats-Unis, la création d’un tel parti reste encore aujourd’hui la tâche brûlante d’un mouvement ouvrier. 

    Différentes formes d’organisation du mouvement ouvrier moderne

    Ceci nous permet de préciser que les syndicats, les mutualités et les partis socialistes apparaissent en quelque sorte comme les produits spontanés, inévitables, de la lutte au sein de la société capitaliste, et qu’il dépend en définitive de facteurs de tradition et de conjoncture nationales si une telle forme se développe avant telle autre. Ce qui importe, c’est de rassembler organiquement ces différentes formes en un front commun, ce qui peut se faire, comme en Grande-Bretagne et en Belgique avant la guerre, par l’adhésion collective au parti, soit comme c’est actuellement le cas, par le truchement de l’Action commune. 

    Quant aux coopératives, elles ne sont le produit spontané de la lutte de classe mais le produit de l’initiative prise par Robert Owen et ses camarades qui, en 1844, fondèrent la première coopérative à Rochdale en Angleterre. 

    L’importance du mouvement coopérateur est immense, non seulement parce qu’il constitue pour la classe ouvrière une école de gestion ouvrière de l’économie, mais surtout parce qu’il prépare, au sein même de la société capitaliste, la solution d’un problèmes les plus ardus de la société socialiste, ce lui de la distribution.

    Bibliographie :

    1. Marx et Engels : Le Manifeste communiste
    2. Engels : Socialisme utopique et socialiste scientifique
    3. Beer : Histoire du socialisme
    4. Lefèvre : Le Marxisme (collection « Que sais-je ? »)
    5. Bibliographie du cours du citoyen Cudell sur l’histoire du mouvement ouvrier belge
    6. Dolléans : Histoire du mouvement ouvrier

    Evolution et révolution dans l’histoire

    La naissance et le développement du mouvement ouvrier moderne au sein de la société capitaliste nous offrent un exemple de l’action réciproque qu’exercent l’un sur l’autre le milieu social dans lequel les hommes se trouvent placés et l’action plus ou moins consciente qu’ils développent dans ces conditions. 

    Les modifications de régime social se sont faites le plus souvent de façon brusque dans l’histoire, par des guerres, des révolutions ou une combinaison des deux. A l’origine de presque tous les Etats modernes – la grande exception est celle de l’Inde indépendante - se trouvent des événements violents. Mais il serait erroné de supposer qu’il suffit d’utiliser la violence pour modifier fondamentalement la structure de la société. Pour qu’une révolution transforme réellement la société et les conditions d’existence du peuple, il faut qu’elle ait été précédée d’une évolution qui crée au sein de l’ancienne société les bases matérielles (techniques) et humaines de la société nouvelle. 

    Lorsque ces bases font défaut, les révolutions même les plus violentes finissent par reproduire exactement les conditions qu’elles avaient voulu abolir. 

    Un exemple classique à ce sujet est fourni par les soulèvements paysans victorieux qui s’échelonnent tout au long de l’histoire chinoise. Ces soulèvements représentent à chaque fois une réaction du peuple conte les exactions et la charge d’impôts insupportable dont les paysans sont les victimes dans les périodes de déclin de chaque dynastie impériale. Ils aboutissent au renversement de cette dynastie et à l’arrivée au pouvoir d’une dynastie nouvelle (souvent, comme dans le cas de la dynastie des Han, cette dynastie est constituée par des dirigeants de l’insurrection paysanne). Celle-ci commence par rétablir des conditions meilleures pour la paysannerie, mais au fur et à mesure que son pouvoir se consolide et que son administration se renforce, ses dépenses exigent l’accroissement de l’impôt qui rétablit bientôt les mêmes conditions de misère pour les paysans. L’absence d’un développement des forces productives, d’un enrichissement durable de la société qui reste foncièrement agricole, expliquent ce retour cyclique des insurrections paysannes et de la fondation de nouvelles dynasties pendant 2.000 ans. 

    Révolutions politiques et révolutions sociales

    Il ne faut pas dire que les révolutions qui ne modifient fondamentalement la structure de la société et sa base économique (et technique) soient sans importance pour l’avenir d’un pays. Les révolutions politiques qui modifient le régime, la forme d’Etat, d’un pays peuvent être la base de l’existence nationale. Ainsi, la Belgique est née d’une révolution politique, celle de 1830. Les révolutions françaises de 1830, de 1848 et de 1870, qui ont chaque fois changé la forme de l’Etat français (pour finalement créer la Troisième république) étaient des révolutions du même genre, puisqu’elles laissaient intactes le mode de production capitaliste et la société bourgeoise. 

    Par contre, des révolutions qui font passer le pouvoir d’une classe sociale à l’autre, et modifient de ce fait la structure économique et sociale du pays (ainsi que d’importantes structures juridiques) sont des révolutions sociales. Au 16e, 17e et 18e siècles c’est par ces révolutions que la bourgeoisie a conquis le pouvoir politique et éliminé les privilèges féodaux de la plupart des grands pays : 

    1. Au 16e siècle, la révolution des Pays-Bas a donné le pouvoir à la bourgeoisie commerciale hollandaise et a créé l’Etat néerlandais ;
    2. Au 17e siècle, la révolution anglaise de 1649 a donné le pouvoir à la bourgeoisie commerciale britannique et créé l’Etat britannique moderne, monarchie constitutionnelle après la 2e révolution de 1689 ;
    3. Au 18e siècle, la révolution américaine de 1775-1783 a donné le pouvoir à la bourgeoisie commerciale américaine et fondé les Etats-Unis ;
    4. Au 18e siècle également, la grande révolution française a donné le pouvoir à la bourgeoisie française et a crée l’Etat français centralisé.

    Les classes populaires et les révolutions bourgeoise

    Toutes les révolutions de l’histoire étaient des révolutions populaires ; ce sont toujours les fils du peuples qui descendent dans la rue et combattre, s’il le faut, les armes à la mains pour ce qu’ils considèrent leur idéal et leur intérêt. Mais toutes ces révolutions n’ont pas augmenté le pouvoir politique ou la situation matérielle du peuple. Bien au contraire, la plupart des fois ce furent de nouvelles classes possédantes qui, grâce à ces révolutions populaires, réussirent à conquérir le pouvoir. Ce fut le cas notamment pour les révolutions bourgeoises susmentionnées qui établirent le pouvoir de la bourgeoisie à la place de celui de la noblesse et de la monarchie absolue. 

    Le « peuple » qui « fait » la révolution, ce sont des membres des classes sociales différentes au fur et à mesure que l’on avance dans l’histoire vers les l’époque contemporaine. Les gueux et iconoclastes de la révolution des Pays-Bas, ce furent des compagnons d’artisans, souvent au chômage, des manœuvres, des petits artisans, des valets de ferme, de petits paysans, des matelots et des pêcheurs, etc. Les « Côtes de fer » de Cromwell qui ont assuré la victoire de la révolution anglaise étaient d’une même origine sociale. Ce furent surtout des fermiers indépendants et des artisans et manœuvres qui assurèrent la victoire de la Guerre d’indépendance aux Etats-Unis. Dans la révolution française, ce furent les « Bras nus », les « sans-culotte », c’est à dire les travailleurs manuels des villes, en partie manœuvres et compagnons d’artisans anciens style, en partie déjà ouvriers salariés modernes, qui furent la force motrice de la révolution. Au 19e siècle, dans les révolutions successives de 1830, de 1848 (notamment en Allemagne, en Italie, en Autriche, en Hongrie, en Pologne, etc.) en 1870-71, puis dans les révolutions russes du 20e siècle, dans la révolution espagnole de 1931-1938, etc. les foules révolutionnaires deviennent de plus en plus prolétariennes, ouvrières, c’est à dire composé de salariés de la grande industrie capitaliste. 

    Cette manifestation de la composition sociale des masses populaires qui combattent dans les révolutions entraîne également une modification dans l’attitude de la bourgeoisie envers la révolution. 

    Dans les anciennes révolutions bourgeoises du 16e au 18e siècle, la bourgeoisie marchande, financière et commerciale se trouve dans le camp de la révolution qui combat pour les libertés politiques modernes (souveraineté nationale, unité nationale, gouvernement représentatif, liberté de conscience, liberté économique, liberté de presse et de parole, etc.). Certes, cet appui diffère de pays en pays, de couche à couche et d’époque en époque. Il se limite à la direction politique du mouvement et à son financement (prudent et insuffisant). Les « meneurs », les organisations des journées ou batailles révolutionnaires, se recrutent en général dans la petite-bourgeoisie, parmi les « doctrinaires » (nous dirions aujourd’hui : des intellectuels) ou parmi les gens du peuple eux-mêmes. Mais cet appui n’en est pas moins réel. La révolution se fait au nom du « Tiers Etat » qui est la bourgeoisie. 

    Plus le peuple révolutionnaire se compose d’ouvriers salariés, plus la bourgeoisie est avant tout une bourgeoisie industrielle, et plus elle est portée à craindre que la révolution, une fois victorieuse ne sauvegardera pas l’ensemble de la propriété bourgeoise, et plus elle est portée à étendre de ce fait sa sollicitude envers l’ensemble des classes possédantes. Ainsi, déjà au cours de la grande révolution française, les couches bourgeoises les plus riches (banquiers et gros commerçants) étaient opposés à la République et à la poursuite de la révolution au-delà de la monarchie constitutionnelle. Elles glissèrent dans le camp de la contre-révolution et ce furent des couches petites-bourgeoises et ouvrières qui, sous la direction des Jacobins, défendirent et complétèrent l’œuvre de la révolution bourgeoise contre la volonté de la bourgeoisie elle-même. 

    A partir de 1848, cette séparation de la bourgeoisie d’avec la pratique de la révolution devint définitive. Au cours de cette révolution de 1848, la classe ouvrière s’opposa pour la première fois dans l’histoire à la bourgeoisie sous son propre drapeau et combattant pour ses intérêts propres. Elle fut réprimée par le général Cavaignac (Journées de Juin), mais le sang versé scella définitivement le passage de la bourgeoisie dans le camp de « l’ordre » et de la conservation sociale. Dans toutes les révolutions suivantes, même dans des pays comme la Russie, l’Espagne ou la Chine, où les libertés bourgeoises n’étaient pas encore ou insuffisamment acquises, la bourgeoisie se plaça résolument du côté de la réaction absolutiste (ou fasciste), parce qu’elle craignait davantage le prolétariat que cette réaction. 

    Les révolutions contemporaines dans les pays arriérés

    Ce fait est devenu un des facteurs historiques prédominants du 20e siècle. C’est de lui que découle ce que l’on pourrait appeler à la fois la chance et la tragédie du socialisme à notre époque : à savoir la mission qui incombe à la classe ouvrière et à ses partis politiques de réaliser dans les pays sous-développés les tâches historiques que les révolutions bourgeoises ont réalisées dans le passé dans les pays avancés. 

    L’unité nationale, l’indépendance nationale envers le capital étranger, la suppression de la grande propriété foncière semi-féodale, - ce fut en Russie, en Espagne, en Yougoslavie, en Chine, au Vietnam, de partis se réclamant de la classe ouvrière et du socialisme. Mais comme la réalisation de ces tâches se heurte à la résistance (et à la violence contre-révolutionnaire) de la bourgeoisie, il fallut briser cette résistance et exproprier en grande partie les capitalistes. Là où ce ne fut pas fait, la révolution recula, puis fut battue. Là où ce fut fait, la révolution dut passer à la solution de tâches socialistes, à l’organisation d’une société nouvelle pour laquelle la base matérielle et humaine fait défaut. 

    Il n’y a pas d’issue à cette impasse, sinon l’aide et la collaboration avec le socialisme dans les pays avancés. Seule une victoire socialiste dans les pays à grande industrie développée permettra aux pays sous-développés de trouver un accès au socialisme et à la démocratie, sans devoir payer cette audace d’une terrible saignée à la mode stalinienne. 

    Evolution et révolution socialiste dans les pays avancés

    Toutes les révolutions du passé ont transféré en définitive le pouvoir d’une classe possédante à une autre. La conquête du pouvoir par la classe ouvrière devra, pour la première fois dans l’histoire, amener au pouvoir la masse des producteurs. Elle devra, par définition, consolider et étendre la démocratie, parce qu’elle ne pourra vaincre et durer que grâce à l’appui de la majorité du peuple. 

    Toutes les révolutions du passé ont transféré en définitive le pouvoir à des classes qui déjà avant ces révolutions détenaient en grande partie les richesses de la société. La révolution socialiste verra l’arrivée au pouvoir d’une classe sociale qui ne possède qu’une part minime de la richesse privée, mais dont le travail crée toute la richesse sociale. Etant brimée et mutilée dans son développement intellectuel et moral par la société bourgeoise, la classe ouvrière ne pourra organiser la société nouvelle qu’après une longue période de préparation. C’est là la fonction historique du mouvement ouvrier et de la démocratie parlementaire. 

    Par l’organisation de ses partis et de ses syndicats, de ses mutualités et de ses coopératives, de sa presse et de ses groupement culturels ; par le développement de sa conscience politique à travers les campagnes électorales, les débats parlementaires, les luttes politiques extra-parlementaires, par l’intérêt croissant devant l’ensemble des problèmes économiques qui résulte inévitablement de la lutte de classe ; par le début des expériences de contrôle et de gestion ouvrière, le prolétariat acquiert progressivement, au sein de la société capitaliste, les qualités nécessaires à la construction du socialisme. 

    Une longue évolution économique (concentration du capital, réduction du nombre des indépendants, affaiblissement politique de la bourgeoisie, etc.) et sociale (maturation politique et humaine des classes laborieuses) précède ainsi la révolution socialiste, la conquête du pouvoir par les partis ouvriers et la socialisation des moyens de production qui ouvrent la voie vers la société nouvelle.


    Démocratie et dictature

    Au sens immédiat du mot, « dictature » signifie gouvernement par une seule personne, et « démocratie » gouvernement par le peuple. A notre époque, ces formes de gouvernement sont toutes deux rendues impossibles par l’ampleurs qu’a prise la société. Même la dictature la plus absolue, comme celle d’Hitler, n’a pas abouti à concentrer entre les mains d’un seul homme tous les pouvoirs d’Etat ; d’autre part la démocratie moderne n’est pas le gouvernement direct par le peuple, mais le gouvernement par des représentants élus de ce peuple, ce qui n’est pas du tout la même chose. Ce n’est qu’au sein de petites communautés plus ou moins primitives que la « dictature » et la « démocratie » au sens littéral du mot peuvent exister. Des vestiges de démocratie directe se retrouvent notamment dans certains cantons suisses, dans des communautés villageoises de certains pays de l’Orient, etc. 

    Formes d’Etat et tension sociale

    Dès que la société s’élargit et devient plus complexe, la division du travail qui s’opère sur le domaine économique se manifeste également dans le domaine de l’administration publique. Les fonctions de cette administration se séparent de la poursuite normale d’une activité économique et son confiées à des spécialistes. Ceux-ci sont entretenus avec une partie du surproduit social. Mais comme les classes possédantes contrôlent le surproduit social, ils exercent l’influence prépondérante sur la masse des gens qui constituent l’appareil d’Etat. 

    Ainsi, dans le haut moyen-âge, le seigneur féodal réunit en sa personne toutes les fonctions essentielles de l’Etat : il est, sur son domaine, à la fois législateur et pouvoir exécutif suprême : il est juge et détient le pouvoir de police ; il est le commandant de la petite armée locale et manager des activités culturelles du domaine ; souvent il désigne même l’abbé ou l’évêque de l’endroit. 

    Mais avec la progression de l’économie médiévale, le développement du commerce et de l’artisanat, l’apparition des villes, la concentration des domaines, cette concentration suprême du pouvoir d’Etat en une personne disparaît. Une partie des seigneurs féodaux se contente de plus en plus de n’exercer qu’une seule fonction d’Etat : celle d’être officier (ou gendarme) au service du seigneur le plus puissant, le roi. Celui-ci se sert d’une masse de clercs, de fonctionnaires, pour administrer son immense domaine. Il doit déléguer une partie de ses pouvoirs législatifs à des assemblées d’Etat ou, en pratique, à des groupes puissants de nobles, de prélats et de bourgeois, qui lui procurent les fonds nécessaires pour entretenir sa cour et son armée. Auparavant simples serviteurs personnels, le chancelier, le garde de sceau, le maréchal, deviennent de plus en plus « ministres » qui administrent un secteur déterminé de la chose publique. Ces personnes dépendent en dernière analyse de ceux qui les entretiennent. Toute la lutte des rois fut une lutte pour posséder des sources de revenus indépendants. Du moment qu’ils étaient condamnés à devoir s’adresser régulièrement aux classes possédantes pour équilibrer leur budget, leur pouvoir était irrémédiablement limité. 

    L’histoire des origines et du développement de l’Etat nous enseigne par ailleurs que la violence des phénomènes répressifs est en général en proportion directe avec la tension sociale qui règne dans une société, et ne proportion inverse avec la stabilité relative de celle-ci. 

    Ainsi, dans l’Antiquité, Athènes traita ses esclaves de façon relativement douce et se paya le luxe d’un régime très démocratique – employant même des formes multiples de démocratie directe ; de gouvernement par l’assemblée du peuple – pour ses citoyens libres. Sparte, par contre, persécuta de façon féroce les hélotes (esclaves) ; elle fit régner une terreur permanente par des assassinats froidement perpétrés dans ce but, et connut la dictature même pour ses citoyens libres. La différence entre ces deux régimes s’explique du fait que 1) le rapport numérique entre esclaves et citoyens libres était beaucoup plus défavorable pour ces derniers, à Sparte qu’à Athènes ; 2) la société spartiate était infiniment plus pauvre que la société athénienne. 

    Pour les classes possédantes, un régime plus souple et plus démocratique représente certainement une solution plus avantageuse qu’une dictature féroce. Mais cette solution implique la nécessité de certaines concessions matérielles aux classes exploitées. Ces concessions matérielles ne peuvent être accordées que si les classes possédantes sont assez riches pour pouvoir se payer ce luxe. 

    Sans vouloir schématiser à excès, on pourrait tout de même établir un parallèle entre le régime politique des deux cités grecques et celui que connurent après 1918 l’Allemagne et l’Italie d’une part, la Grande-Bretagne et la France de l’autre ! 

    Démocratie politique et liberté économique

    Pour beaucoup de gens qui ne réfléchissent pas profondément à cette question, liberté politique et liberté économique sont des notions équivalentes. C’est là notamment le dogme libéral qui prétend se prononcer de la même façon « pour la liberté » sur tous les domaines. 

    Cependant, si la liberté politique peut être facilement définie de façon à ce que la liberté des uns n’implique pas l’asservissement des autres – dans un pays démocratique, la liberté d’organisation, de réunion, de parole, de presse, etc. est propre à tous les citoyens sans exclusive que la société soit divisée en deux groupes : ceux qui vendent et achètent des esclaves et ceux qui sont vendus et achetés comme esclaves. La première partie de la société ne peut pas exercer cette « liberté » sans en priver la seconde, sans que la seconde soit réduite à l’état d’esclavage ! 

    Il en va de même dans la société capitaliste. La « liberté » de posséder les moyens de production comme propriété privée implique nécessairement qu’il y ait une classe de gens qui soient privés de cette propriété, qui ne possèdent rien d’autre que leur force de travail. Sinon, les propriétaires de machines ne trouveraient jamais la main-d’œuvre nécessaire pour mettre en marche leurs moyens de production, et la propriété du capital perdrait son sens. 

    La « liberté » que les bourgeois libéraux du 19e siècle défendirent farouchement contre le principe de la législation sociale, c’était la liberté d’envoyer des gosses de 10 ans à la mine, la liberté de payer des salaires qui obligeaient les travailleurs à trimer pendant 14 ou 16 heures par jour. 

    Si l’on considère l’énorme tension sociale qui doit nécessairement régner dans une telle société, on serait plus en droit d’affirmer qu’à partir du développement de la grande industrie, liberté économique absolue et liberté politique s’excluent mutuellement ! 

    L’histoire du 19e siècle confirme d’ailleurs la justesse de cette affirmation. Alors que la bourgeoisie se présente aujourd’hui comme champion de la démocratie, il faut reconnaître que nulle part où elle a exercé seule le pouvoir politique, elle n’a instauré la liberté et la démocratie politique toutes les classes de la société. 

    C’est ainsi qu’elle fit interdire par la fameuse Loi Le Pelletier en France et des lois analogues ailleurs, la « coalition ouvrière », c’est à dire la création d’organisations syndicales, mutualistes et mêmes politiques de la classe ouvrière. 

    C’est ainsi qu’elle limita, sinon supprima, la liberté de réunion chaque fois que la propriété était « attaquée ». C’est ainsi qu’elle soumit partout le droit politique suprême, celui de désigner les membres des assemblées législatives, à la possession d’une fortune considérable et au payement d’impôts importants. 

    Le régime de la bourgeoisie, ce fut la « démocratie censitaire » qui, tout comme la démocratie d’Athènes, ne reconnaît les droits de citoyenneté qu’à une partie de la société. Les hommes libres de l’Antiquité devinrent les hommes fortunés, les bourgeois du 19e siècle. Eux seuls jouissaient des libertés politiques. 

    La démocratie parlementaire telle qu’elle fonctionne aujourd’hui dans les pays occidentaux n’est pas le produit du régime capitaliste ou du libéralisme bourgeois. Elle a été imposée à la bourgeoisie, malgré sa résistance acharnée au progrès, par la lutte tenace du mouvement ouvrier. En Belgique, il a fallu quatre grèves générales pour l’arracher. Dans d’autres pays comme la Grande-Bretagne, l’Allemagne ou la France, sa conquête a exigé plusieurs révolutions ou des troubles sociaux qui ont coûté de nombreuses victimes. 

    Importance des luttes politiques dans la lutte pour le socialisme

    Ce n’est pas par hasard que le mouvement ouvrier s’est trouvé à l’avant-garde de la lutte pour la démocratie politique aux 19e et 20e siècles. Il se doit d’occuper cette position, à la fois pour des raisons de tactique et pour des raisons de principe. 

    Du point de vue tactique, c’est en brandissant le drapeau de la démocratie politique et du suffrage universel que le mouvement ouvrier est apparu comme l’héritier légitime de l’extrême gauche bourgeoise (radicale petite-bourgeoise) qui se dessina déjà au cours des révolutions bourgeoises des siècles passés. C’est pour la même raison qu’il a réussi à gagner l’adhésion ou la sympathie de quelques-unes des couches les plus formées de l’intelligentsia radicale. En défendant le principe du suffrage universel, le mouvement ouvrier défend en même temps les conditions meilleures pour son ascension et sa lutte future. La place de la classe ouvrière dans la société moderne implique en effet un poids numérique infiniment supérieur à celui de la bourgeoisie, et au fur et à mesure que se poursuit l’industrialisation, le poids numérique majeur dans la société. Contre l’aristocratie de l’argent, le socialisme incarne la puissance de la masse organisée, du grand nombre. 

    Du point de vue de principe, la liberté politique conquise en régime capitaliste représente la meilleure école de la démocratie réelle que les travailleurs conquerront demain dans le socialisme. Le socialisme implique l’autogestion des citoyens, des producteurs, des consommateurs. Il implique la possibilité, pour tous les citoyens, de participer à l’administration de l’économie et de la société dans son ensemble. Mais cette participation exige l’expérience de la politique, exige l’habitude de la démocratie qui ne s’apprennent que par une longue expérience. Les peuples obligés de passer du capitalisme au socialisme sans connaître la phase intermédiaire de la démocratie bourgeoise, sont forcés de faire cet apprentissage de la démocratie après le renversement du capitalisme, ce qui fausse et met en danger toute la construction du socialisme. 

    Insuffisance de la démocratie parlementaire

    Mais c’est précisément parce que la démocratie possède une importance capitale aux yeux des socialistes, parce que ceux-ci sont résolument partisans d’une application universelle des principes démocratiques, qu’ils se rendent d’autant mieux compte des limites de la démocratie parlementaire bourgeoise à notre époque. 

    Tout d’abord, il s’agit d’une démocratie indirecte, dans laquelle seuls quelques milliers de députés, sénateurs, bourgmestres, conseillers provinciaux et communaux, participent à l’administration de la chose publique. L’écrasante majorité des citoyens est exclue de toute participation directe à cette administration. 

    Ensuite, l’égalité politique dans le pays bourgeois même le plus démocratique est une égalité purement formelle, et non pas réelle. Formellement, le riche et le pauvre possèdent une seule voix aux élections, le même droit à organiser un parti ou une réunion, à éditer un journal ou acheter un poste-émetteur. Mais comme l’exercice de ces droits présuppose la mise ne mouvement de puissants moyens matériels, le riche seul peut pleinement jouir de ces droits politiques. Le capitaliste réussira non seulement à influencer un grand nombre d’électeurs qui dépendent matériellement de lui, à influencer des journaux, des partis, etc. grâce à ses subsides. Il exercera encore une pression prépondérante jusque sur le Parlement, l’administration, voire le gouvernement lui-même qui, pour son crédit à court terme sans lequel il ne peut fonctionner, est sous la dépendance complète des banques.

    Au fur et à mesure que les moyens de former et d’influencer l’opinion publique deviennent de plus en plus complexes et exigent des mises de fonds de plus en plus élevées, le grand capital les monopolise et manie « l’opinion publique » à sa guise. C’est notamment le cas de la presse à fort tirage, du cinéma et, là où elles ont été commercialisées, de la radio et de la télévision. 

    Finalement, même si l’on fait abstraction de toutes limites propres à la démocratie politique en régime bourgeois, et si l’on considère celle-ci comme parfaite, il reste le fait qu’elle n’est que politique. Or, à quoi sert une égalité politique si celle-ci ne réussit nullement à supprimer l’énorme inégalité économique et sociale qui caractérise le régime capitaliste ? Même si le riche et le pauvre ont les mêmes droits et les mêmes pouvoirs politiques – ce qui est loin d’être le cas ! - le premier a un énorme pouvoir économique et social qui manque au second et qui, inévitablement, subordonne le second au premier dans la vie de tous les jours. 

    La démocratie et la société socialiste.

    Toute cette critique socialiste de la démocratie bourgeoise est reprise aujourd’hui par les communistes staliniens, qui en tirent cependant une conclusion fort illogique. Puisque la démocratie politique en régime bourgeois est incomplète, disent-ils en substance, supprimons-la et remplaçons-la par une « démocratie nouvelle », où l’absence de classes et l’exercice du droit au travail pour tous, supprime la nécessité de partis politiques, d’une lutte politique, etc. 

    Il est évident que le raisonnement correct est tout différent puisque la démocratie politique en régime est formelle et incomplète, complétons-la par une démocratie économique (socialiste), rendons-la substantielle en donnant aux citoyens, égaux du point de vue politique, des possibilités et un pouvoir économique plus ou moins égal. 

    La distinction entre ces deux raisonnements n’est pas seulement une distinction logique. Il s’agit en réalité de deux formes d’organisation politique dont l’une s’avère, et s’avérera toujours de plus en plus, un obstacle sur la voie de la construction du socialisme, alors que l’autre représente en définitive la voie la plus rationnelle, la plus « rentable » vers la société socialiste. 

    L’organisation d’une société socialiste est impensable sans l’extension de la démocratie, c’est à dire des différentes formes d’autogestion sur tous les plans de la vie sociale. Le maintien de formes d’organisation non-démocratiques dans la vie économique, politique, culturelle d’une nation, même après la socialisation des moyens de production, est simplement la mesure de la distance qui sépare encore pareille nation de la société socialiste. 

    La planification intégrale de l’économie implique la nécessité de décisions centrales qui déterminent la vie économique de tous les citoyens pendant une longue période. Ils s’agit notamment de la décision concernant la répartition du revenu national entre fonds de consommation et fonds d’accumulation. 

    Si ces décisions sont prises de façon arbitraire par des instances « ad hoc », s’inspirant de critères paternalistes et voulant faire « le bonheur des hommes au besoin contre leur propre volonté », la restriction abusive du fonds de consommation, l’abaissement du niveau de vie, provoqueront une résistance passive, une réduction de la productivité du travail, une fluctuation de la main-d’œuvre, etc. qui exigeront à leur tour, de la part des « dirigeants » l’emploi d’une contrainte sans cesse accrue, afin de neutraliser les effets désastreux de cette résistance sur la production. Mais une telle contrainte ne peut pas s’exercer sans la création d’un immense appareil de contrôle et de répression, l’entretien duquel finit par absorber exactement les mêmes ressources qu’on a commencé par refuser à la consommation... 

    Par contre, si ces décisions vitales d’une économie planifiée doivent être prises de façon démocratique, il faut qu’une véritable lutte d’opinion puisse s’engager autour d’elles, et que plusieurs partis, tendances ou groupements politiques puissent défendre des conceptions différentes à ce sujet devant le peuple. 

    On comprend à la rigueur qu’au moment de la lutte violente pour le pouvoir, et devant une résistance armée des anciennes classes possédantes, un parti ouvrier révolutionnaire soit obligé de supprimer temporairement quelques libertés politiques pour une partie de la société. Pareil phénomène s’est vérifié au cours de toutes les révolutions de l’histoire, à commencer par les révolutions bourgeoises. Mais lorsque l’ont fait de cette nécessité d’abord une loi et ensuite une vertu, et lorsque l’ont transforme un pis-aller temporaire en principe général, on crée des conditions suffisantes pour éterniser ce pis-aller pendant toute une période. C’est ce que Rosa Luxemburg notamment avait souligné dès 1918 par rapport à la Révolution russe, pourtant infiniment plus démocratique que ne l’est le régime actuel de l’URSS. 

    Par ailleurs, l’ensemble des problèmes posés par l’organisation d’une société socialiste représente une expérience absolument nouvelle pour l’humanité, dont les « lois » n’ont été consignées dans aucun manuel scientifique. Commettre des erreurs sera inévitable dans ces conditions. L’existence d’une opposition politique, l’examen critique des mesures d’un gouvernement par une telle opposition, permettent de réduire au minimum la marge d’erreurs, de même que la toute-puissance et l’absence de tout contrôle d’un régime totalitaire aboutissant à l’accumulation constante de fautes grossières. Ainsi, dans une succession devenue monotone de « critiques et d’autocritiques », les gouvernements de l’URSS et des « démocraties populaires » reconnaissent année après année – mais chaque fois avec deux, rois ans de retard ! – de terribles fautes en matière d’organisation économique ou culturelle, de planification ou même de politique étrangère. Il est évident que l’existence d’une opposition politique dans ces pays aurait permis de faire l’économie d’une partie importante de ces erreurs. 

    Finalement, l’exercice de droits démocratiques sur tous les domaines, à commencer par celui de la politique, représente une condition indispensable à l’éducation de « l’homme socialiste ». Du moment qu’on vise à supprimer la différence de classe, la différence entre administrés et administrateurs, la différence entre travail manuel et travail intellectuel, il est évident qu’il faut commencer au plus tôt à permettre aux hommes de s’habituer à l’exercice de droits d’administration et de gestion sur les domaines les plus divers. Ce n’est que par l’expérience pratique qu’on peut acquérir la technique. Si le socialisme présuppose la technique de l’auto-administration des hommes, il ne sera jamais assez tôt de multiplier les exemples et expériences d’une telle auto-administration ! 

    Ainsi, loin de s’identifier avec un régime totalitaire, la société socialiste réclame le maintien et l’extension des droits et libertés démocratiques acquises par le mouvement ouvrier dans la société bourgeoise. Le socialisme n’abandonnera aucune conquête des sociétés qui l’ont précédé. Il les conservera, les étendra et en assurera la jouissance à tous les hommes. 


    La transition vers le socialisme

    Le but socialiste à atteindre

    Le but socialiste que nous voulons atteindre, c’est de substituer à la société bourgeoise basée sur la lutte de tous contre tous, une société communautaire sans classes, dans laquelle la solidarité sociale remplace le désir d’enrichissement individuel comme mobile essentiel d’activité, et dans laquelle la richesse de la société assure le développement harmonieux de tous les individus. 

    Bien loin de vouloir « rendre tous les hommes égaux » comme le prétendent les adversaires ignorants du socialisme, les socialistes désirent permettre pour la première fois dans l’histoire humaine le développement de toute la gamme infinie des possibilités différentes de pensée et d’action présentes dans chaque individu. Mais ils comprennent que l’égalité économique et sociale, l’émancipation de l’homme de la nécessité de combattre pour son pain quotidien, représente une condition préalable à la conquête de cette véritable inégalité humaine. 

    Une société socialiste exige donc une économie développée au point où la production pour les besoins succède à la production pour le profit. L’humanité socialiste ne produira plus des marchandises destinées à être échangées contre de l’argent sur un marché. Elle produira des valeurs d’usage distribuées à tous les membres de la société afin de satisfaire tous leurs besoins. 

    Une telle société aura libérée l’homme des chaînes de la division sociale et économique du travail. Les socialistes rejettent la thèse selon laquelle certains hommes « sont nés pour commander » et certains autres « nés pour obéir ». Aucun homme n’est de par sa nature prédisposé à être pendant toute sa vie mineur, fraiseur ou receveur de tramway. Dans chaque homme sommeille le désir d’exercer un grand nombre de fonctions productives : il suffit d’observer les travailleurs pendant leurs loisirs pour s’en rendre compte. Dans la société socialiste, le haut niveau de qualification technique et intellectuelle de chaque citoyen lui permettra de remplir au cours de sa vie de nombreuses tâches diverses, utiles à la communauté. Le choix de la « profession » ne sera plus imposé aux hommes, par des forces ou des conditions matériellement indépendantes de leur volonté. Il dépendra de leurs propres besoins, de leur propre développement individuel. Le travail cessera d’être une activité imposée qu’ont fuit, pour devenir simplement la réalisation de la propre personnalité. L’homme sera enfin libre au sens réel du mot. 

    Une telle société s’efforcera d’éliminer toutes les sources de confits entre les hommes. Elle consacrera à la lutte contre les maladies, à la formation du caractère chez l’enfant, à l’éducation et aux beaux-arts, les ressources immenses consacrées aujourd’hui à des buts de destruction et de contrainte. Eliminant tous les antagonismes économiques et sociaux entre les hommes, elle aura éliminé toutes les causes de guerre ou de révolutions violentes. Seul l’établissement dans le monde entier d’une société socialiste peut garantir à l’humanité cette paix universelle qui devient condition de la simple survie de l’espèce à l’époque des armes atomiques et thermo-nucléaires. 

    Les conditions économiques et sociales pour atteindre ce but

    Si nous ne nous contentons pas de rêver d’un avenir radieux, si nous voulons combattre pour conquérir cet avenir, nous devons comprendre que la construction d’une société socialiste, qui bouleversera complètement les mœurs et habitudes des hommes établie depuis des millénaires dans des sociétés divisées en classes, est subordonnée à la transformation matérielle non moins bouleversantes qu’il faut préalablement réaliser. 

    L’avènement du socialisme exige avant tout la suppression de la propriété privée des moyens de production. A l’époque de la grande industrie et de la technique moderne (qu’on ne pourrait supprimer sans rejeter l’humanité dans la pauvreté généralisée), cette propriété privée des moyens de production implique inévitablement la division de la société en une minorité de capitalistes qui exploitent une majorité de salariés. 

    Les adversaires du socialisme affirment souvent que les socialistes sont adversaires de la « propriété ». Cette affirmation est contraire aux faits. En voulant supprimer la propriété des moyens de production pour arriver à une société communautaire, les socialistes espèrent au contraire créer les conditions qui permettront d’accroître considérablement la propriété de biens de consommation de tous les individus. A une société où la propriété privée des moyens de production implique le monopole de la propriété tout court par une petite fraction de l’humanité, ils désirent substituer une société dans laquelle la socialisation des moyens de production permettra la diffusion de la propriété parmi tous. 

    L’avènement de la société socialiste exige la suppression du salariat, de la vente de la force de travail contre un salaire fixe en argent, qui fait du producteur un élément subordonné de la vie économique. Au salariat doit se substituer la rétribution du travail par le libre accès à tous les biens nécessaires à la satisfaction des besoins des producteurs. C’est seulement dans une société qui assure à l’homme pareille abondance de biens que peut naître une nouvelle conscience sociale, une attitude nouvelle des hommes les uns envers les autres. 

    Mais l’abolition du salariat n’exige pas seulement la transformation des conditions de rétribution, de distribution des biens de consommation. Elle réclame également la modification de la structure hiérarchique de l’entreprise. La substitution du régime de la démocratie économique à celui du commandement unique du directeur (assisté de ses chefs d’atelier, contremaîtres, etc.). Le but du socialisme, c’est l’auto-gouvernement des hommes à tous les échelons de la vie sociale, à commencer par la vie économique. C’est le remplacement de tous les chefs désignés par des chefs élus, de tous les chefs permanents, par des chefs exerçant leurs fonctions à tour de rôle. C’est sur cette voie qu’on parviendra à créer les conditions d’une véritable égalité. 

    La richesse sociale permettant d’instaurer un régime d’abondance ne pourra être atteinte que par voie de planification de l’économie, permettant d’éviter tout gaspillage que représente la non-utilisation temporaire des moyens de production et le chômage. L’émancipation du travail reste subordonnée au développement prodigieux de la technique moderne (application productive de l’énergie atomique ; électronique et télécomandement qui permettent l’automatisation complète de la production ; cybernétique, etc.) qui libère l’homme de plus en plus des tâches lourdes, dégradantes et abrutissantes. Ainsi, l’histoire répond-elle d’avance à la vieille objection vulgaire contre le socialisme : « Qui donc s’occupera d’évacuer les immondices dans une société socialiste ? ». 

    Le développement maximum de la production dans les conditions les plus rentables pour l’humanité exige le maintien de la division mondiale du travail, l’unification mondiale de l’économie, la suppression des frontières et la planification de l’ensemble de l’économie mondiale. La suppression des frontières et l’unification réelle du genre humain est d’ailleurs également un impératif psychologique du socialisme, le seul moyen de supprimer l’inégalité économique et sociale entre les nations. La suppression des frontières ne signifie nullement la suppression de la personnalité culturelle propre à chaque nation ; elle permettra au contraire l’affirmation de cette personnalité de façon bien plus éclatante qu’aujourd’hui. 

    Les étapes qui ont déjà été franchies vers ce but

    Le monde capitaliste a manifesté la banqueroute de son système sociale par l’éclatement de la première guerre mondiale et l’ouverture d’une ère de conflagrations politiques, économiques et sociales presque ininterrompues à partir de 1914 jusqu’à nos jours. On peut dire qu’alors que nous assistons à une croissance énorme des forces anticapitalistes dans le monde à partir de cette époque, les capitalistes les plus intelligents se sont efforcés de prolonger la vie de leur système en empruntant de plus en plus des réformes et des institutions dans l’arsenal de leurs adversaires socialistes. 

    Ainsi, depuis 1914, et surtout depuis la crise de 1929, la faillite du libéralisme économique, du « laisser-faire » et du « jeu aveugle des lois économiques », a été irrémédiablement démontrée par les faits, malgré toutes les affirmations en sens contraire de la part des théoriciens et idéologues. Le capitalisme lui-même, n’a pu se sauver à travers les crises et les guerres qu’en passant résolument à des formes de dirigisme économique, qu’en créant et développant des secteurs publics dans l’économie, qu’en limitant le libre jeu des forces économiques. Ce « dirigisme » n’est pas, en soi, progressif. Il l’est quand il s’effectue sous la direction et au profit de forces du travail (travaillisme). Il est profondément réactionnaire quand il s’effectue sous la direction d’un Etat totalitaire au profit du capitalisme monopoleur (fascisme). Mais il manifeste de toute façon l’effondrement progressif de l’initiative privée en tant que moteur de la vie économique, la transition vers une société dans laquelle la planification consciente prend en main la gestion et le développement des forces productives. 

    De même, le principe du salaire contractuel, fixé entre patron et ouvrier en échange d’un travail fourni, a été battu en brèche par l’application de contrats collectifs et par le développement du principe du salaire social accordé sans distinctions à un grand nombre d’individus dans certaines conditions déterminées (sécurité sociale, enseignement obligatoire gratuit, etc.). 

    Le principe de la souveraineté nationale illimitée, le fétichisme de l’Etat national, a été lui aussi battu en brèche par l’évolution historique dans le cadre même du capitalisme en crise. Après les premiers tâtonnements (SDB, ONU, etc.) qui n’impliquaient pas réellement des abandons de souveraineté, la bourgeoisie s’est vue obligée au lendemain de la deuxième guerre mondiale d’admettre de tels abandons, ne fût-ce que pour mieux défendre ses propres intérêts dans des conditions de plus en plus difficiles.

    Les initiatives dans ce sens, pas plus que le dirigisme, ne sont en elles-mêmes forcément progressives. Mais elles permettent aux idées de planification internationale, d’autorité internationale, de faire leur chemin, et annoncent nettement que le refrain de notre chant de combat « L’internationale sera le genre humain » se vérifiera un jour dans les faits. 

    Finalement, sur une partir importante du globe, le mode de production capitaliste a été supprimé, soit grâce à des mouvements révolutionnaires (révolution russe, yougoslave, chinoise et vietnamienne), soit par l’expansion des armées soviétiques au lendemain de la deuxième guerre mondiale (pays d’Europe orientale, Corée du Nord). Les régimes ainsi nés, qui ne disposent guère d’une base matérielle supérieure à celle du capitalisme, ne sont pas encore des régimes socialistes. A l’exception de celui de la Yougoslavie, ils comportent de nombreux traits anti-socialistes (dictature, absence de libertés ouvrières, absence de contrôle et de gestion ouvrière dans l’industrie, inégalité croissante) qui nous déplaisent profondément. Mais ils représentent néanmoins des formes d’organisation sociale au-delà du capitalisme qui créent des bases de départ pour la construction d’une société socialiste.

    Les étapes qu’il reste à franchir

    Le plus grand obstacle qu’il reste à franchir afin de créer les bases matérielles d’une société socialiste, c’est l’écart énorme qui sépare la production des pays sous-développés de celle des pays industriellement avancés. Cet écart est tel qu’il faudrait doubler ou tripler la production industrielle actuelle de l’ensemble du globe afin d’assurer aux habitants des pays sous-développés un standing de vie conforme aux besoins de l’homme moderne. Pareille augmentation de la production est irréalisable dans les pays sous-développés eux-mêmes sans un aide étrangère des plus généreuses. Les efforts partiels faits dans cette voie par les pays sous-développés abandonnés à leurs propres ressources, exigent un tel accroissement du taux d’accumulation, qu’ils risquent de diminuer davantage encore, la consommation populaire, déjà beaucoup trop basse. 

    Seule une économie socialiste planifiée des pays industriellement avancés est capable d’accorder aux pays sous-développés une aide de l’ampleur envisagée et ce, dans les conditions acceptables à ces pays (on a calculé que les investissements nécessaires pour industrialiser l’Inde seraient de quelques 60-80 milliards de dollars). 

    Ainsi, la nécessité même de diminuer l’écart qui sépare l’économie des pays sous-développés de celle des pays avancés, souligne la nécessité impérieuse de la transformation socialiste de ces derniers pays. Ceci implique la conquête du pouvoir politique par la classe ouvrière, la socialisation des moyens de production, et l’organisation d’une économie planifiée combinée avec la démocratie économique. En pratique, l’ampleur de la socialisation nécessaire pour organiser une économie non-capitaliste dépend de la structure économique de chaque pays et varie donc de cas en cas. 

    Le problème de l’intégration des classes moyennes laborieuses (paysans, artisans, petits-commerçants, etc.) dans une économie socialisée, problème qui a créé tant de difficultés et abouti à des solutions si sauvages dans les pays de l’est, se pose de façon bien différentes dans les pays industriellement avancés, où la paysannerie ne représente plus qu’une fraction relativement restreinte de la population, et où différentes formes de coopératives se sont déjà puissamment développées au sein même de la société capitaliste. Cette intégration ne peut être envisagée par l’emploi de la violence ou de la contrainte. Elle ne peut s’opérer que la persuasion et l’exemple d’un secteur coopérateur - et public – plus rentable et mieux adapté aux besoins de ceux qui y travaillent. 

    Aujourd’hui déjà, dans la plupart des pays capitalistes, il existe un salaire social à côté du salaire individuel. Il consiste en prestations gratuites fournies par l’Etat (la collectivité) à tous les citoyens sans distinctions et indépendamment de ce qu’ils donnent en retour à l’Etat. Un exemple frappant, c’est l’enseignement gratuit. Un autre exemple du même genre, c’est le service national de la santé en Grande-Bretagne. Les progrès vers le socialisme seront marqués par l’extension de la part du salaire social par rapport au salaire individuel dans la consommation de chaque citoyen. 

    On a formulé une objection contre le salaire social : il favoriserait des abus. L’expérience a montré que ceux-ci peuvent être réduits au minimum dans tous les secteurs dits de première nécessité : enseignement, médecins, transports urbains, nourriture de base, etc. Il est évident, pour ne prendre que cet exemple, que si les voyages en tram ou si la consommation de pain étaient gratuits, cela n’augmenterait pas énormément l’usage que font aujourd’hui les citoyens belge de ce service ou de ce produit, usage qui est limité par l’ensemble des habitudes, du standing de vie acquis, etc. Par contre, cela permettrait d’éliminer définitivement la peur de la faim de la psychologie des classes pauvres ce qui représenterait une révolution morale d’une énorme ampleur. 

    Il est évident, par ailleurs, que de tels progrès du salaire social exigent des progrès parallèles de la production (du développement des forces productives), sans lesquels leur réalisation serait matériellement impossible. 

    Pour le socialisme, la conquête de certaines conditions de vie économiques et sociales ne représente pas un but en soi, mais un moyen, le moyen fondamental pour transformer la psychologie humaine, pour substituer à l’esprit du lucre, d’enrichissement individuel, d’égoïsme, l’esprit de solidarité et de compréhension mutuelle entre tous les hommes, l’esprit de l’humanisme socialiste. 

    Aussi, la transformation des conditions matérielles ne suffit-elle pas, en elle-même, pour créer « l’homme socialiste ». Elle doit être complétée par une refonte de toute la vie, notamment par la transformation du rapport entre le travail et les loisirs et de la façon dont les hommes meublent leurs loisirs. La technique contemporaine permet une réduction radicale des heures de travail. Déjà, certains syndicats américains réclament la semaine de trente heures ! La prolongation de la scolarité, l’enseignement secondaire et supérieur gratuit, réorganisé sur la base de la sélection par le seul talent, l’éducation culturelle organisée sur grande échelle, doivent permettre de préparer cette autre révolution lointaine qui annoncera le socialisme : la suppression de la division du travail manuel et du travail intellectuel, la formation d’hommes complets, développés harmonieusement sur le plan physique autant que sur le plan intellectuel et moral.