L’endettement croissant des pays dits du tiers-monde et les réactions en chaîne qu’il déclenche, n’est qu’un aspect d’un phénomène beaucoup plus large : l’emballement du crédit comme moteur de l’économie du capitalisme tardif. Il est important de le souligner, pour comprendre que la crise financière actuelle est le produit organique de l’expansion mondiale suite au « boom » d’après-guerre allant des années 1940-1948 aux années 1968-1973 (1).
Loin de résulter de l’impéritie des pays sous-développés, de leurs classes possédantes ou de leurs gouvernements, il n’est qu’une manifestation particulière du rôle clé que l’inflation du crédit - et donc le gonflement de toutes les formes de dettes - a joué pour stimuler la croissance (mieux : retarder la crise) après la Deuxième Guerre mondiale dans tous les pays et les secteurs capitalistes.
En vérité, si nous vivons depuis 1940 sous le règne de l’inflation permanente dans tous ces pays, inflation et endettement sont largement synonymes. L’inflation est en effet, pour l’essentiel, une inflation de monnaie scripturale (2), une inflation du crédit, donc un gonflement des dettes.
Nous l’avons déjà dit à de nombreuses reprises : après la Deuxième Guerre mondiale, le capitalisme a flotté vers la « prospérité » sur un océan de dettes. Pour se rendre compte de l’importance du phénomène, il faut en préciser tout d’abord l’ampleur. Actuellement, la seule dette libellée en dollars aux Etats-Unis, plus la dette étrangère en dollars et en d’autres devises du reste du monde, dépasse la somme astronomique de 8 mille milliards de dollars, se répartissant en gros ainsi en fin 1985 :
Pays et Régions | Dettes (en milliards de dollars) |
---|---|
Dette publique des USA | 2 000 |
Dette des entreprises aux USA | 2 800 |
Dette des ménages aux USA | 1 900 |
Dette du tiers-monde | 950 |
Dette publique d’autres pays capitalistes et des Etats ouvriers | 700 |
On voit que la dette du tiers-monde, qui provoque tant de commentaires désobligeants de la part des milieux bancaires, n’est qu’une partie modeste de la masse mondiale des dettes en dollars et devises étrangères, à peine plus de 10% du total. Comme cette somme englobe également la dette de la Chine, elle concerne les deux-tiers des habitants de la planète ; un dixième de la dette pour deux-tiers des habitants, ce n’est nullement disproportionné. Les récriminations des milieux bancaires reflètent donc l’adage bourgeois selon lequel « on ne prête qu’aux riches », traduit en termes plus crus par la formule : « On aurait dû ne prêter qu’aux riches ».
Ce chiffre de l’endettement n’a qu’une valeur indicative. Il n’englobe pas la dette en devises « nationales » de l’ensemble des pays capitalistes, sauf les Etats-Unis. Il a néanmoins une valeur opérationnelle réelle, dans la mesure où il permet de saisir la vulnérabilité du système bancaire américain et du système monétaire international fondé sur un rôle privilégié du dollar.
Rappelons brièvement par quels mécanismes l’inflation du crédit et le gonflement des dettes amortissent à court terme l’acuité des principales contradictions du capitalisme contemporain.
Les dettes des ménages permettent de réduire momentanément l’écart entre l’accroissement de la capacité de production des entreprises fabriquant des biens de consommation d’une part, et l’augmentation beaucoup plus modeste du pouvoir d’achat des masses d’autre part. Une partie des biens de consommation durables (surtout logements et automobiles) sont achetés à crédit.
Les dettes des entreprises permettent de réduire momentanément l’écart entre le rythme d’accumulation du capital et le rythme d’augmentation des profits. Elles permettent donc d’atténuer dans l’immédiat les effets de la chute tendancielle du taux moyen de profit. Le rythme d’accumulation est maintenu, dans la mesure où une partie des nouveaux investissements (achats de nouvelles machines, de quantités supplémentaires de matières premières, etc.) est financée par le crédit et non par des profits réalisés.
Le gonflement de la dette publique permet d’atténuer momentanément la crise fiscale de l’Etat, c’est-à-dire de diminuer l’écart entre le rythme d’accroissement des dépenses publiques et le rythme bien plus lent d’accroissement des rentrées de l’Etat, avant tout des impôts (3).
Bien entendu, l’endettement ne peut jouer ce rôle d’amortisseur de quelques-unes des contradictions inhérentes au mode de production capitaliste que pour un certain temps et dans certaines limites. L’acuité de ces contradictions fait qu’il faut de plus en plus de crédits, donc de plus en plus d’inflation, pour obtenir cet effet. D’où un emballement inévitable de l’inflation. Mais dès que l’inflation s’emballe et qu’elle dépasse un certain seuil, elle ne peut plus nourrir l’expansion. Elle commence même à l’étrangler.
Elle devient donc un des facteurs du retournement de l’onde longue expansive de 1940-1948/1968 début des années 1970, vers l’onde longue dépressive qui est toujours en cours (4). De là le passage de la politique économique capitaliste du keynésianisme (stimulation de la demande et donc inflation modérée) vers le monétarisme (rétablissement de la stabilité monétaire à tout prix, même au prix de la stagnation et de la dépression économiques). Ce n’est pas le changement de politique économique qui a provoqué le changement de la conjoncture, c’est le changement de priorités dans les objectifs à atteindre par la bourgeoisie qui a déterminé le changement de politique économique, au moment où le retournement de la conjoncture était déjà un fait.
Après 1945, l’objectif numéro un avait été la stabilisation sociale et politique des principaux pays capitalistes (Amérique du Nord, Europe occidentale, Japon) : de là l’orientation vers le plein emploi et l’utilisation prioritaire de techniques keynésiennes. Après 1968 et surtout après 1973, la priorité absolue est revenue à la relance du taux de profit, au besoin au prix d’un chômage massif et d’une aggravation des tensions sociales.
Rôle de l’initiative bancaire dans le gonflement des dettes
Ce qui caractérise la société bourgeoise, c’est notamment le fait que même les intérêts généraux de la bourgeoisie (exprimés le plus souvent par l’Etat bourgeois) sont défendus par des agents particuliers (hommes politiques, hauts fonctionnaires, hommes d’affaires) qui, 99 fois sur 100, ne peuvent pas faire abstraction de leurs intérêts privés. L’expansion générale du crédit, après 1940 (1948) correspondait sans aucun doute à l’intérêt général de la bourgeoisie. Elle était sans aucun doute stimulée par des banques qui ne poursuivaient pas en premier lieu le but de servir l’intérêt général du Grand Capital. Elles cherchaient avant tout à augmenter leurs propres profits, les profits bancaires.
Lorsque la conjoncture économique est bonne, lorsque le baromètre est au beau fixe, l’intérêt général de la bourgeoisie et la recherche particulière du profit par les banques coïncident dans une très large mesure. Les banques fonctionnent comme centres de « socialisation objective » des capitaux. Elles collectent les excédents de capitaux des firmes et des ménages pour les orienter vers les firmes (et depuis la Deuxième Guerre mondiale, dans une mesure croissante, vers les ménages de la grande et moyenne bourgeoisie et les couches supérieures de la petite bourgeoisie) qui en ont besoin pour élargir leurs investissements et leurs achats.
Mais lorsque le système est en crise, cette coïncidence est ébranlée. Le but particulier des banques - défendre avant tout leurs revenus et leur rentabilité propres - peut entrer en contradiction avec l’intérêt général du Capital : restaurer la rentabilité de l’ensemble du système, avant tout des principaux trusts, monopoles et groupes financiers. Recherchant des profits supplémentaires, les banques s’engagent dans des pratiques qui ébranlent la stabilité du système dans son ensemble, du moins à plus longue échéance. Le contrôle d’Etat sur les banques, étendu après l’expérience traumatisante de la crise bancaire de 1931-1933, est impuissant à supprimer ce mal, qui est inhérent à la propriété privée (5), à la concurrence et à la recherche du profit en tant que moteur principal de l’économie capitaliste.
Les profits bancaires proviennent, pour l’essentiel, de la différence entre le taux d’intérêt accordé aux dépôts et le taux d’intérêt obtenu par les prêts. Plus les dépôts bancaires se gonflent et plus les banques ont intérêt à chercher des clients auprès desquels elles peuvent placer des emprunts à des taux d’intérêt supérieurs à la moyenne. A partir du choc pétrolier de 1973, les revenus pétroliers d’une série de pays exportateurs de pétrole sont allés gonfler les dépôts d’une série de banques américaines et britanniques (dans une moindre mesure allemandes, suisses, japonaises, etc.) C’étaient les fameux pétrodollars. Les banques étaient confrontées au problème de trouver à qui prêter ces nouveaux capitaux-argent.
Or, la longue dépression qui venait de commencer dans les pays impérialistes réduisait simultanément la demande de crédits supplémentaires de la part des firmes et des ménages, déjà excessivement endettés. Pour chercher les débiteurs nouveaux, les banques se sont donc adressées ailleurs, essentiellement vers les pays du tiers-monde et, dans une moindre mesure, vers les Etats ouvriers bureaucratisés. Ce sont les banques qui ont offert ces crédits au tiers-monde, ce n’est pas le tiers-monde qui les a mendiés aux banques (6). L’opération a été stimulée par trois conditions particulières, qui coïncident avec le milieu des années 1970.
Tout d’abord, il y a eu une désynchronisation entre la dépression dans les pays impérialistes d’une part, et celle en Amérique latine et en Asie du Sud-Est et de l’Est d’autre part (7). Il y avait donc l’illusion que la solvabilité des pays semi-industrialisés dépendants, du moins dans ces secteurs géographiques, allait croissant.
Ensuite, ces pays se virent imposer des taux d’intérêt plus élevés, qu’ils étaient bien obligés de payer, vu la pénurie chronique de capitaux dont ils souffrent, alors que le taux d’intérêt réel - compte tenu de l’inflation - était très bas, quelquefois même négatif, dans les pays impérialistes (8).
En outre, les banques privées remplirent un vide laissé par la défaillance des organismes internationaux capitalistes, plus exactement par la réticence des gouvernements impérialistes, à commencer par celui des Etats-Unis, de fonctionner dans l’intérêt général du système capitaliste international en temps de crise. Le choc pétrolier avait redistribué la plus-value (et sa capitalisation sous forme de capitaux-argent à l’échelle internationale). Les principales victimes de cette redistribution étaient les pays dits du tiers-monde non exportateurs de pétrole. Les principaux profiteurs étaient les classes possédantes des pays exportateurs de pétrole. Le déficit de la balance des paiements risquait d’étrangler la capacité d’importation des premiers, non seulement dans le domaine des biens d’équipement mais même dans celui des matières premières vitales pour leur industrie naissante, voire dans celui de la nourriture. Un problème de recyclage de pétrodollars se posait donc objectivement. Il fallait prêter les excédents des pays de l’OPEP aux pays les plus déficitaires. C’est en gros ce que firent les banques privées.
Mais elles le firent avec précipitation, imprudence et en échange de gros avantages privés. Ici intervient un autre phénomène : la dégradation progressive du personnel dirigeant du système bancaire international.
Au cours de toute la période ouverte par la Deuxième Guerre mondiale, il y a eu une amplification considérable des opérations de crédit et une extension non moins spectaculaire des opérations purement spéculatives dans le cadre du système bancaire. Cette extension se manifeste surtout à partir du moment de la non-convertibilité du dollar, c’est-à-dire vers la fin dès années 1960. La spéculation vise les matières premières, l’or, les taux de change des devises, les terrains, les œuvres d’art. Elle s’étend au cours de la reprise conjoncturelle 1983-1985 à des opérations gigantesques d’offres d’achat publiques (fusion de firmes manigancées par des intermédiaires extérieurs à celles-ci) portant sur des milliards de dollars (9).
Dans ces conditions-là, des dirigeants de moins en moins traditionnels (certains disent : carrément en marge de la légalité) apparaissent à la tête d’importantes filiales des grosses banques, voire à la tête de quelques-unes de ces banques elles-mêmes (10). Ils opèrent en vue de maximaliser les profits à court terme, sans tenir compte des risques. Des gains et des pertes imprévus se succèdent, entamant sérieusement la solidité du système bancaire dans son ensemble. Spéculation, corruption personnelle, crises de solvabilité nationale, crises de solvabilité du système bancaire s’imbriquent de plus en plus. Une série impressionnante de prêts aux pays du tiers-monde sont détournés pour ainsi dire à la source pour servir les buts privés de couches bourgeoises de ces pays qui essayent de se prémunir contre l’inflation galopante et contre le risque de crises révolutionnaires.
L’évasion des capitaux est nourrie par les prêts étrangers et élargit à son tour le déficit de la balance des paiements qui conduit à un nouveau round d’endettement aggravé. La spirale de l’endettement s’élargit, au profit des classes possédantes, aux frais des masses populaires. L’ampleur de cette évasion des capitaux de la part de la bourgeoisie des principaux pays débiteurs du tiers-monde a été récemment évaluée par la revue Intereconomics sur la base de statistiques de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), du
Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale de la manière suivante :
Pays | Exportation clandestine envers les banques étrangères 1976-1982 (en millions de dollars) | En % de la dette nationale |
---|---|---|
Argentine | 17.150 | 80,5% |
Mexique | 13488 (11) | 54,0% (*) |
Venezuela | 8454 | 65,4% (*) |
Indonésie | 5164 | 34,2% (*) |
Egypte | 3944 | 44,3% (*) |
Nigeria | 2 743 | 43,3% (*) |
Inde | 2132 | 33,3% (*) |
Syrie | 1 889 | 96,0% (*) |
(*) sans la dette à court terme (12). |
Cette liste est loin d’être complète, puisqu’elle n’englobe pas l’évasion des capitaux de pays comme le Brésil, les Philippines, la Corée du Sud, la Thaïlande, considérée comme inexistante alors que tout le monde connaît des exemples patents de la part des « grandes familles » de ces bourgeoisies-là (13). Cette défaillance statistique provient du fait que les chiffres cités sont agrégés et ne recouvrent dans les cas cités ni la dette à court terme ni les fluctuations des réserves de change.
L’emballement de la dette du tiers-monde
De nouveau, les commentaires désobligeants des milieux financiers impérialistes à l’égard de l’évasion des capitaux dans les pays dits du tiers-monde sont teintés d’une bonne dose d’hypocrisie. C’est un fait incontestable que les classes possédantes des pays du tiers-monde sont corrompues jusqu’à la moelle. Mais c’est également un fait que pour qu’il y ait corruption, il faut qu’il y ait à la fois corrompus et corrupteurs. Les corrupteurs et les complices des corrupteurs sont en l’occurrence les banques impérialistes. Et il faut surtout qu’il y ait un contexte général favorisant la recherche effrénée de l’enrichissement privé. Ce contexte général s’appelle l’économie de marché, économie monétaire et surtout économie de marché généralisée, c’est-à-dire société bourgeoise, mode de production capitaliste.
Le dérapage de l’endettement du tiers-monde se situe bien au moment que nous avons mentionné, au début des années 1970. A ce moment-là, la dette de l’ensemble des pays semi-coloniaux et dépendants s’élevait à 150 milliards de dollars. Aujourd’hui, elle dépasse les 900 milliards de dollars. Cette envolée ne résulte pas essentiellement de phénomènes politiques, bien que le rôle de ceux-ci ne soit pas négligeables, ni de complots et de contre-complots. Elle résulte précisément de la dialectique interne du mode de production capitaliste dans son ensemble, tant à l’échelle internationale qu’à l’échelle des principaux pays concernés. Une fois lancé par le recyclage des pétrodollars, l’emballement des dettes du tiers-monde résulte d’une série de mécanismes plus ou moins spontanés, en tout cas maîtrisés par personne, ni par les gouvernements du tiers-monde, ni par les classes possédantes de ces pays, ni par les banques impérialistes, ni par les gouvernements impérialistes, ni par la bourgeoisie des métropoles prise dans son ensemble.
L’apport de capitaux frais dans les pays sous-développés n’est investi qu’en partie et ne peut donc rapporter des ressources supplémentaires - y compris pour payer l’intérêt sur la dette et rembourser le capital emprunté - qu’en partie. Voilà une première source de déséquilibre, et sans doute la source principale. Une partie de ces capitaux sert à couvrir des frais de fonctionnement de l’économie et de l’Etat, ou à la maintenir au niveau donné d’activité : financer la note du pétrole plus cher ou de l’importation des matières premières non couverte par les exportations. Une autre partie est détournée vers la spéculation parasitaire. Une partie, enfin, est directement accaparée par les classes possédantes et maintenue hors du pays.
Les exportations des pays du tiers-monde, qui sont censées croître à long terme au point de pouvoir assurer le service de la dette et le remboursement du principal, ne croissent pas partout ni toujours dans la proportion voulue. La loi de la valeur joue de manière implacable. Elle redistribue à l’échelle mondiale tant la de-mande que l’offre, la répartition des moyens de production et la force de travail.
Mais il s’agit justement d’un réajustement spontané, c’est-à-dire cahotique, c’est-à-dire imprévisible, et surtout désynchronisé de pays à pays, pour ne pas dire de continent à continent. D’où d’énormes déséquilibres, qu’il ne sert à rien de masquer sous la formule « temporaires ». Tout est par définition temporaire dans l’économie capitaliste, sauf la propriété privée en général et sa recherche effrénée. Mais sa répartition précise entre différents capitalistes, fractions et classes capitalistes, est toujours temporaire, toujours bouleversée par des faits nouveaux, c’est-à-dire par la loi du développement inégal et combiné.
Ainsi, la hausse - temporaire - du prix du pétrole avait mis à l’aise des classes possédantes comme celle de l’Arabie Saoudite, du Koweït ou du Mexique, alors que les économies de l’Argentine, du Brésil ou de l’Inde étaient violemment secouées. A l’inverse, lorsqu’il y eut redressement spectaculaire de la balance des paiements de la Corée du Sud et du Brésil, le Mexique et les pays de l’OPEP étaient enfoncés par la baisse du prix du pétrole. Il y a donc eu expansion globale du marché mondial inférieure à celle nécessaire pour que l’ensemble des pays endettés puissent développer leurs exportations dans la proportion nécessaire à un remboursement régulier de la dette.
Cela est d’autant plus vrai que toute la période des années 1970 (et des années 1980 qui suivit) est marquée par la dépression à long terme de l’économie des pays impérialistes. Celle-ci freina l’expansion des exportations des pays du tiers-monde vers les métropoles, y compris souvent par des mesures carrément protectionnistes. L’exemple de l’accord multi-fibres visant les exportations de produits de l’industrie textile (y compris l’habillement) en provenance d’Asie et d’Amérique latine, en est la manifestation la plus nette. Il en va de même de certaines cultures alimentaires (sucre, café, etc.)
Certes, la part des exportations de produits manufacturés du tiers-monde dans le commerce mondial a augmenté de manière spectaculaire au cours de la dernière décennie. La balance commerciale des Etats-Unis pour ces produits est devenue déficitaire (ce n’est pas le cas ni de l’Europe capitaliste ni du Japon). Les Etats-Unis importent aujourd’hui plus de produits manufacturés des pays dépendants semi-industrialisés qu’ils n’en exportent. Mais il s’agit d’un petit nombre de pays qui ont profité de cet essor, et d’un petit nombre de fabrications : chaussures et aciers brésiliens ; électronique sud-coréenne ; assemblage de Hong Kong et quelques autres cas. C’est trop peu pour dépanner l’ensemble du tiers-monde. C’est insuffisant pour désamorcer la bombe à retardement de la dette.
Vu le fait que la production courante ne dégage pas les ressources nécessaires pour couvrir le déficit de la balance des paiements (leur déficit en devises), il faut donc pour ces pays encore emprunter pour assurer une partie du service de la dette et pour rembourser une partie du principal venue à échéance. Selon les statistiques des Nations-Unies de l’année 1985, les paiements d’intérêts de la dette se sont élevés, pour 88 pays dits du tiers-monde, respectivement à 35 milliards de dollars, 48 milliards de dollars et 44 milliards de dollars en 1981, 1982 et 1983. Ils étaient supérieurs aux crédits privés reçus au cours de ces trois années et même supérieurs de 5 milliards de dollars à l’ensemble des crédits privés et publics reçus en 1983.
Il faut ajouter à cette hémorragie le drain des profits, dividendes, etc. rapatriés par le tiers-monde vers les métropoles, qui oscille autour de 12 milliards de dollars par an. Pour l’ensemble des trois années envisagées, il était supérieur à l’entrée nette de capitaux d’investissement. Selon l’Economie Conférence for Latin America and Caribean (ECLAC), il y a eu un transfert net de ressources d’Amérique latine vers le reste du monde de 30 milliards de dollars en 1985, si l’on additionne les comptes opération courante et mouvement de capitaux. Le président de cette institution, Ortiz Mena, estime que pour les quatre années 1982-1985, cette hémorragie s’est élevée à un total de 100 milliards de dollars. De là l’emballement inévitable de la dette. On emprunte de plus en plus non pas pour produire davantage mais pour rembourser d’anciens prêts et les intérêts qui en découlent. Globalement, la dette a augmenté presque deux fois plus vite que le produit national pour les pays du tiers-monde non membres de l’OPEP entre 1973 et 1982.
Ce cercle est d’autant plus vicieux que les termes de l’échange - le rapport entre le prix à l’exportation et les prix à l’importation - fonctionnent normalement aux dépens des pays du tiers-monde. Sauf, cependant, la brève flambée spectaculaire spéculative entre 1971 et 1973, et, pour le pétrole, lors des deux chocs pétroliers, les prix des matières premières et des produits semi-fabriques augmentent plus lentement quand ils ne baissent pas, que les prix des produits manufacturés. L’évolution négative de ces termes de l’échange, à laquelle n’échappent que quelques pays semi-industrialisés comme la Corée du Sud, et ce encore pour un certain temps, pèse lourdement sur les pays les plus pauvres dont la dette, même si elle est moindre en chiffres absolus que celle des pays semi-industrialisés, constitue dès lors un fardeau insupportable.
Le prix de l’ensemble des matières premières est descendu d’une moyenne de 100 en 1979-1981 à l’indicé 72 en septembre 1985, le prix des produits alimentaires (céréales, sucre, bananes, tourteaux de soja) à 56 et celui des oléagineux à l’indice 65. Les pertes de ressources (de revenus d’exportation) ainsi subies par le tiers-monde s’élèvent à une somme supérieure au service de la dette !
Finalement, pour des raisons intrinsèques à l’économie des pays impérialistes, une bonne partie de la période envisagée est marquée par une hausse vertigineuse des taux d’intérêt, surtout aux USA. Or, si pour les capitalistes de ces pays cette hausse, vu le niveau de l’inflation, n’était pas catastrophique, il n’en va pas de même pour les pays du tiers-monde. Comme leur dette est libellée en dollars, chaque augmentation d’un point du taux d’intérêt aux USA augmente le service annuel de la dette de 4, 5 ou 6 milliards de dollars à la fin des années 1970, au début des années 1980.
De nouveau, il faut emprunter davantage pour couvrir ces frais supplémentaires. Et comme les monnaies des pays du tiers-monde sont frappées par des taux d’inflation largement supérieurs à ceux des pays impérialistes, la hausse des taux d’intérêt accentue la tendance vers la « dollarisation » de l’économie de ces pays. Un secteur entier d’activité et une partie croissante de l’épargne échappent ainsi au contrôle des gouvernements nationaux et à l’accumulation nationale du capital (14).
C’est ainsi qu’au bout de la spirale sans cesse élargie de l’endettement, on en arrive aux 900 milliards de dollars de dette du tiers-monde d’aujourd’hui et à la situation d’insolvabilité de fait de la plupart des pays endettés. Sur ces 900 milliards de dollars, beaucoup moins de la moitié ont été réellement investis. Entre un tiers et un quart a été détourné vers l’étranger par les possédants, comme dans une économie d’usure, un autre quart a été retenu ou reçu par les prêteurs eux-mêmes.
La dynamique financière et économique de la dette du tiers-monde
L’emballement de la dette du tiers-monde déclenche un quadruple mouvement pervers à l’échelle de l’économie capitaliste internationale dans son ensemble :
- L’insolvabilité de fait des pays du tiers-monde menace d’effondrement quelques-unes des principales banques des pays impérialistes et, du même coup, l’ensemble du système de crédit et donc du système monétaire du monde capitaliste. Actuellement, plus de la moitié de la dette du tiers-monde, soit quelque 480 milliards de dollars, représente des créances entre les mains des banques privées.
- Les pays du tiers-monde ne peuvent assurer le service de la dette - sans même parler du remboursement du principal (15) - qu’en dégageant de vastes sur-plus de leurs balances des paiements. Cela signifie des sorties nettes de devises, de capitaux-argent et donc de capitaux tout court, à une grande échelle. Or, ce sont les pays relativement les plus pauvres en capitaux qui ont besoin de davantage de capitaux pour pouvoir s’industrialiser et se moderniser. La sortie nette de capitaux ne peut se traduire que par un, ralentissement progressif du rythme de croissance et du développement. Comme l’a dit Raul Prebisch, la « thérapeutique » du FMI revient à faire saigner un malade souffrant d’anémie !
- La sortie massive nette de capitaux du tiers-monde par la voie du service de la dette exige une restriction brutale des importations et une expansion non moins brutale des exportations. Abstraction faite de l’incapacité dans laquelle se trouvent un grand nombre de pays semi-coloniaux et plusieurs pays dépendants semi-industrialisés d’assurer cette expansion - voir le cas du Mexique, tributaire des fluctuations du prix du pétrole - cela équivaut à une restriction non moins brutale de la part du marché mondial accessible aux pays impérialistes, surtout les moins compétitifs, à commencer par les USA. Ceux-ci perdent donc sur les deux tableaux. Ils exportent moins vers le tiers-monde, ils en importent davantage de biens manufacturés.
- Mais ce ne sont pas les mêmes secteurs de te bourgeoisie qui profitent et qui perdent dans cette évolution insensée de l’économie capitaliste internationale. Les mécanismes de remboursement de la dette mis en place par le FMI favorisent en gros les secteurs bancaires et rentiers dans les pays impérialistes, et défavorisent les secteurs industriels/exportateurs. Le caractère parasitaire usurier du système impérialiste pris dans son ensemble est ainsi accentué, avant tout aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne (16). La bourgeoisie impérialiste, davantage portée vers l’exportation des marchandises - et donc dépendant davantage d’une expansion du marché mondial - comme celle de l’Allemagne fédérale et du Japon, favorise donc une politique plus souple à l’égard du service de la dette du tiers-monde. C’est le sens de la doctrine Willy Brandt, du Parti social-démocrate allemand (SPD). Paradoxalement, Brandt, joint à Franz-Josef Strauss, leader du CDU-CSU (démocrates-chrétiens allemands), agissent aujourd’hui comme les véritables porte-parole des impérialistes européens face à l’impérialisme américain.
Les menaces que l’emballement de la dette du tiers-monde fait peser sur l’économie capitaliste internationale sont donc réelles. Mais cela ne signifie pas qu’il y aura à coup sûr un véritable krach bancaire généralisé (17).
Déjà lors de la grande crise bancaire de 1931-1933, un adage avait cours dans les milieux de la finance internationale, qui disait que « si la créance est de 100.000 dollars, le débiteur souffre d’insomnies, mais si la créance est de 10 millions de dollars, c’est le créancier qui ne dort plus. » Multiplions ces chiffres par 10 ou 100 pour tenir compte de l’inflation survenue au cours du demi-siècle qui vient de s’écouler et de l’expansion de l’inflation qu’elle a stimulé, et cet adage est encore plus pertinent que jadis.
L’impérialisme américain ne peut pas se permettre l’effondrement de la Chase Manhattan, de la Citicorp ou de la Morgan Guarantee Trust, pas plus que l’impérialisme britannique ne peut se permettre l’effondrement de la Lloyds, de la Barclay’s ou de la National Westminster, parce que l’impérialisme américain, c’est la Chase Manhattan, la Citicorp et la Morgan Guarantee Trust et que l’impérialisme britannique, c’est la Lloyds, la Barclay’s et la National Westminster.
L’éventualité la plus probable, c’est donc un dépannage massif des gros débiteurs (en réalité des créanciers privés de ces gros débiteurs) par le système bancaire international et par les gouvernements impérialistes, avec une double « nationalisation » de la dette, c’est-à-dire une double nationalisation des pertes : une partie au détriment des masses laborieuses des pays impérialistes et l’autre partie au détriment des mas-ses populaires des pays du tiers-monde eux-mêmes. Les marchandages en cours visent essentiellement le partage des sacrifices. La bourgeoisie du tiers-monde est surtout intéressée par l’aspect technique de la question : délais et charges de l’échelonnement des dettes. Eviter des sacrifices pour ses propres peuples n’est pas précisément son souci principal.
Mais les succès de l’opération dépannage - dont le plan Baker (18) n’est qu’une manifestation partielle - ne sont pas assurés, justement parce que l’économie capitaliste internationale n’est contrôlée par personne. Elle est marquée par de brusques changements spontanés, largement imprévus, sous le fouet de la concurrence, guidée seulement à long terme par la loi de la valeur, et ce de façon aveugle. Ainsi, le plan d’assainissement financier du Mexique, si laborieusement mis en place par les banquiers internationaux en 1982 et dont ils ont prématuré-ment chanté le succès, vient d’être fondamentalement remis en question par la chute vertigineuse du prix du pétrole (19). Et si chaque économiste comprenant le fonctionnement de l’économie capitaliste de marché pouvait aisément prévoir que le prix du pétrole baisserait, personne ne pouvait prévoir quelle serait l’ampleur de cette baisse et à quel moment précis elle se produirait, à savoir en février 1986.
Tout cela a en partie découlé de l’acharnement de Mme Thatcher à s’assurer les devises nécessaires pour défendre la livre sterling au moyen d’une extraction effrénée du pétrole de la mer du Nord, de l’accentuation de la surproduction provoquée par cette politique, de la chute des prix du pétrole ainsi occasionnée, et du refus de l’Arabie Saoudite d’assister de manière passive à la réduction de sa part du marché pétrolier. D’où la cassure de l’OPEP, d’où la cassure des prix, d’où la surproduction accentuée, et ainsi de suite. Maintenant, il faut renégocier une deuxième fois la dette mexicaine, comme en 1982, et ce dans des conditions qui se sont détériorées, à la fois du point de vue du marché mondial du pétrole et de la situation sociale intérieure au Mexique.
La dynamique sociale et politique de la dette du tiers-monde
Le fait manifeste de l’interdépendance de l’économie des pays impérialistes et de l’économie des pays du tiers-monde dans le cadre de l’économie capitaliste internationale donne à quelques bourgeoisies du tiers-monde un pouvoir de chantage non négligeable à l’égard des banques impérialistes. Elles leur disent en l’occurrence : « Si vous pressez trop le citron, nous préférons couler, et nous vous entraînerons dans notre chute. » C’est pourquoi le projet de Fidel Castro d’une annulation collective de la dette par l’ensemble des pays du tiers-monde n’est pas purement propagandiste. Cette proposition constitue un apport positif à la lutte anti-impérialiste à l’échelle mondiale. Elle mérite l’appui de tous les militants anti-impérialistes, de tous les révolutionnaires et de tout le mouvement ouvrier international. Elle devrait être un appel à la mobilisation massive des masses populaires des pays du tiers-monde appuyées par le prolétariat international, pour réclamer des gouvernements de leurs pays respectifs l’annulation de la dette.
Loin de favoriser une quelconque subordination des travailleurs à la bourgeoisie nationale, une telle mobilisation accentuerait l’indépendance de classe du prolétariat de ces pays par rapport à la bourgeoisie, dans la mesure où elle démontrerait que c’est la classe ouvrière et le mouvement ouvrier qui défendent la souveraineté nationale contre l’impérialisme, défense conséquente dont la bourgeoisie s’avère incapable. Elle stimulerait ainsi l’alliance des ouvriers, des paysans, des couches pauvres et marginalisées urbaines, de la petite bourgeoisie urbaine indépendante de la bourgeoisie.
Elle favoriserait en outre la lutte de classe directe du prolétariat et de ses alliés, autant contre la bourgeoisie du tiers-monde que contre l’impérialisme. Non seulement cette bourgeoisie continue à payer la dîme usuraire au capital international, mais elle s’efforce surtout de transférer le gros du fardeau sur le dos des masses populaires, dont le niveau de vie connaît une baisse désastreuse. Le FMI exerce une pression constante en faveur de l’équilibre budgétaire et de la réduction des dépenses publiques, réduction qui vise avant tout les dépenses sociales, les subsides aux prix des produits de première nécessité, ainsi que la masse salariale et l’emploi du secteur public. La nature réactionnaire de classe de cette pression - disons davantage sa nature inhumaine, génératrice de misère innommable et de faim au sens littéral du terme - est manifeste.
Mais il ne suffit pas de dénoncer cette pression. Il faut encore stigmatiser tous ceux qui cèdent devant cette pression, qui la transmettent, qui s’inclinent devant les diktats, et ce non seulement par lâcheté et peur politiques, mais aussi par intérêt de classe.
C’est pourquoi le mouvement ouvrier devrait lier à la revendication de l’annulation de la dette celle, notamment, de contrôle ouvrier sur les opérations bancaires, à exercer de préférence par les employés des banques eux-mêmes, pour révéler, dénoncer, puis chercher à empêcher concrètement les opérations de détournement, de thésaurisation, d’appropriation privée et d’évasion à l’étranger des devises par la bourgeoisie, opérations qui contribuent considérablement à alourdir la dette.
La bourgeoisie latino-américaine, pour ne pas dire de l’ensemble du tiers-monde, constituera-t-elle dans les faits ce front unique pour l’annulation de la dette réclamée par Fidel Castro ? C’est peu probable. Comme le démontre l’exemple de l’OPEP, des conditions de crise accentuent la concurrence entre capitalistes, tant dans les pays impérialistes, qu’entre puissances impérialistes ou entre puissances impérialistes et pays dépendants, qu’au sein même du tiers-monde. La bourgeoisie latino-américaine - comme la bourgeoisie indienne - essayera de monnayer la pression des masses qu’elle subit, ainsi que la proposition de Fidel Castro, pour faire chanter l’impérialisme : « Rééchelonnez la dette, donnez-nous de nouveaux crédits, sinon, nous suivrons les propositions cubaines ! » Tout cela fait partie de la gigantesque partie de bras de fer actuellement engagée, et dont personne ne peut prévoir le résultat exact.
Un nombre croissant d’engagements ne seront pas tenus. Un nombre croissant de dettes venues à échéance seront purement et simplement prorogées. Proroger ad infinitum n’est pas très différent d’annuler. C’est pourquoi, répétons-le, la véritable bataille porte sur les intérêts, sur le service de la dette, plutôt que sur le principal.
L’interdépendance entre la bourgeoisie des pays semi-coloniaux et dépendants d’une part, et la bourgeoisie impérialiste d’autre part, n’est pas purement économique et financière. Elle est aussi politique et militaire. Devant la révolution qui monte dans de nombreux pays du tiers-monde, l’impérialisme reste le grand protecteur, la dernière ligne de défense des classes possédantes autochtones. Ce n’est pas seulement vrai en Amérique centrale, dans les pays arabes, en Afrique du Sud, dans la péninsule indienne, aux Philippines, en Corée du Sud. C’est vrai dans tous les pays.
A l’inverse, l’impérialisme n’a plus les ressources suffisantes pour gouverner directement le tiers-monde. Il dépend de la consolidation relative de relais bourgeois régionaux et locaux. Si le système bancaire international s’effondre, ce ne serait pas seulement un coup mortel pour les métropoles, mais un coup tout aussi mortel pour les classes possédantes du tiers-monde. Si la révolution s’étend en Amérique centrale et pénètre au Mexique, elle frappera directement à la porte des Etats-Unis.
De là les efforts désespérés des uns et des autres pour avancer à tâtons, de compromis en compromis, de renégociation en rééchelonnement, de sauvetage de telle banque menacée au sauvetage de telle autre, car il y va du sort de toute la bourgeoisie internationale.
Mais c’est bien à tâtons que doit opérer la bourgeoisie, car elle ne contrôle pas toutes les pièces de la mécanique. L’interdépendance reste une interdépendance soumise à cette loi d’airain du monde bourgeois : la crise affaiblit les faibles davantage que les forts, elle accentue les écarts de richesse (de pauvreté) et de puissance, elle ne tend pas à éliminer mais plutôt à accentuer les rapports de domi-nation et de dépendance. Et, surtout, la bourgeoisie est de moins en moins en mesure de contrôler les actions et les réactions des masses populaires.
Ernest mandel, 1er mars 1986.
Notes :
- Le début du « boom » se situe après 1948 en Europe et au Japon, après 1940 dans les pays anglo-saxons et en Amérique latine, pour autant que ces derniers y aient été entraînés, ce qui n’est vrai que pour un certain nombre de pays, avant tout l’Argentine. La fin du « boom » de longue durée est située par d’aucuns en 1968, par d’autres en 1973-1974.
- La monnaie scripturale, c’est l’ensemble des dépôts bancaires qui peuvent servir de moyens de paiement. Lorsque les banques accordent des prêts à leurs clients, ceux-ci s’inscrivent en général sous forme de dépôts, augmentent donc la masse de ces dépôts et, de ce fait, la masse de monnaie scripturale. Si le taux d’augmentation de ces dépôts est supérieur au taux d’augmentation de la production matérielle, on est en droit de parler d’inflation de la monnaie scripturale, la vitesse de circulation de cette monnaie devant être examinée comme une variable en partie autonome.
- La crise fiscale de l’Etat a des racines de classe (des racines structurelles) en société bourgeoise. La bourgeoisie préfère prêter de l’argent à l’Etat plutôt que de lui payer des impôts. L’impôt ne rapporte rien. L’emprunt public rapporte un intérêt. En outre, en maintenant le budget de l’Etat en déficit permanent, la bourgeoisie le rend perpétuellement dépendant des prêts bancaires à court terme ainsi que des emprunts d’Etat achetés par le Capital. Elle garantit ainsi que cet Etat reste bien « son » Etat, lui reste attaché par les chaînes d’or de la dette publique.
- Sur notre théorie des « ondes longues » de la conjoncture capitaliste, voir nos livres Le troisième âge du capitalisme(Edition 10-18. Paris) et The Long Waves of Capitalist Development (Cambridge University Press, 1979). Ce dernier livre va bientôt paraître en français.
- Le seul système bancaire qui ait fonctionné plus ou moins sans accrocs durant la crise actuelle est le système français, précisément parce que ses banques sont nationalisées presqu’à 100%.
- On pourrait objecter que les pays du tiers-monde étaient des « victimes consentantes », puisqu’ils avaient un besoin pressant et permanent d’apport de capitaux étrangers. Mais justement, puisque ce besoin est permanent, il ne peut pas expliquer en lui-même la brusque flambée de la dette étrangère au cours des années 1970.
- Voir à ce sujet l’excellent article de Jeffrey Bortz, « La Deuda Latino-americana y los Cidos de la Economia Mundial », dans La Batalla, numéro 13. Mexico, novembre-décembre 1985.
- Le taux d’intérêt réel est la différence du taux d’intérêt nominal et du taux d’inflation. Aux Etats-Unis par exemple, un taux d’inflation de 8% et un taux d’intérêt nominal de 7% donne, en 1977, un taux d’intérêt réel de - 1% . Dans des pays du tiers-monde, ce taux négatif était encore plus prononcé, encourageant l’évasion des capitaux. Ainsi, pour le Mexique, en moyenne pour la période 1976-1982, le taux d’intérêt réel du peso était de - 0,8% ; en Argentine, il était de - 6,6%, au Brésil, de -14,7%. Après la forte hausse des taux d’intérêt, cette situation s’est évidemment renversée.
- Voir de nombreux exemples dans le dernier chapitre de notre livre La Crise (Flammarion, 3e édition, 1985), dont les données vont jusqu’en avril 1985.
- Voir Anthony Sampson, The Money, Lenders, coronet books, 1981.
- Des sources mexicaines avancent le chiffre de 37 milliards de dollars.
- Susanne Erbe, « L’évasion des capitaux dans les pays en développement », in Intereconomics, novembre-décembre 1985.
- Rien que la famille Marcos et ses alliés sont censés avoir déposé cinq milliards de dollars à l’étranger.
- Voir l’excellent article de Pierre Salama, « Dettes et dollarisation », in Problèmes d’Amérique latine, numéro 77, Paris, 1985.
- Pour rembourser près de 1.000 milliards de dollars de capitaux empruntés, le tiers-monde devrait dégager un surplus de la balance des paiements de la même valeur. Même échelonné sur 15 ou 20 ans, cela représenterait une sortie annuelle supplémentaire au paiement des intérêts de l’ordre de 50 à 60 milliards de dollars, ce qui est totalement irréalisable. Tout le monde accepte tacitement l’hypothèse que cette dette ne sera jamais remboursée pour l’essentiel.
- A présent, aux Etats-Unis, un taux d’intérêt nominal de 10 et un taux d’inflation de 5% donnent un taux d’intérêt réel de 5%. En France, un taux d’inflation de 4 à 5% et un taux d’intérêt nominal de 10 à 12% donnent un taux d’intérêt réel de 6 à 7%, véritable intérêt usuraire. Aux USA, à certains moments du début des années 1980, on a connu des taux d’intérêt nominaux de 20%, alors que l’inflation était inférieure à 10%.
- Des krachs bancaires partiels se multiplient cependant, non seulement au Koweït, à Singapour, en Malaisie, en Argentine, en Indonésie, aux Philippines, mais aussi aux USA, en RFA, en Italie, en Grande-Bretagne, au Japon.
- Le plan Baker veut amener les banques privées à accroître leurs crédits aux pays du tiers-monde de 20 milliards de dollars, avec des quasi-garanties publiques et une forte augmentation du capital et des engagements de la Banque mondiale.
- Voir les déclarations de M. Lamballussy, le directeur de la Banque des règlements internationaux, de Baie (Suisse), banque qui s’efforce de remplir le vide laissé dans le système financier international par l’absence d’une « banque centrale des banques centrales ».