L’entrée en guerre du Japon, des Etats-Unis, l’offensive contre l’URSS
La Gauche, 21 mai 1990
  • Alors que la guerre se prépare en Europe, le Japon est occupé à conquérir par étapes la Chine et vise également le Sud-Est asiatique. Washington est opposé à la suprématie du Japon en Asie de l’Est et dans l’Océan Pacifique tout comme Londres est opposé à la suprématie allemande en Europe. A long terme les USA s’attendent donc à un conflit. Entre-temps, il s’agit pour eux d’empêcher la consolidation du Japon en tant que super-puissance économique et militaire.

    Dans ce but, l’administration Roosevelt impose un embargo non officiel sur les importations japonaise de matières premières et intensifie son aide à Tchang-Kaitchek (1). Pour éviter la confrontation avec Washington, Tokyo aurait dû se retirer de Chine. Mais, en occupant l’Indochine - avec l’aide du gouvernement de Vichy (2) - le 23 juillet 1941, et en conquérant ainsi une tête de pont pour une attaque future contre la Malaisie et Singapour, le Japon a choisi la confrontation, suite à quoi Roosevelt annonce le blocus officiel du Japon.

    L’Impérialisme japonais

    Ce sont ses besoins économiques qui dictent au Japon la voie à suivre. L’empire du soleil levant importait 66% de son pétrole des USA et la majeure partie de ses matières premières des Indes Néerlandaises, de l’Indochine française, de la Malaisie anglaise, des Philippines américaines et de Chine.

    Au début, les conflits en Asie et en Europe apparaissaient comme des conflits distincts. Mais ensuite les succès de l’Allemagne ont incité Tokyo à conquérir les colonies européennes dans le Sud-Est asiatique. Lorsque, à la fin de juillet 1941, les Etats-Unis mettent un terme à toutes les exportations de matières premières pour arrêter la progression japonaise en Chine, le Japon savait ce qui lui restait à faire. Même les cercle les plus radicaux du gouvernement impérial japonais ne visaient pas une guerre de longue durée, une guerre totale, jusqu’au bout. Même pas le 5 novembre 1941, lorsqu’ils décident de porter un grand coup aux Américains. Tokyo espérait plutôt une paix de compromis qui lui permettrait de stabiliser sa sphère d’influence. Mais Washington va rester intraitable...

    Pearl Harbour

    L’opinion publique américaine était contre la guerre. Mais l’attaque japonaise du 7 décembre contre Pearl Harbour (3) donne à Roosevelt le prétexte pour façonner l’opinion publique à sa façon. Aussi importants qu’aient été les intérêts américains dans le Pacifique, le centre d’intérêt de l’impérialisme US était en Europe, parce que c’est à partir du Vieux Continent que partaient les ramifications permettant de tenir en main l’économie mondiale. A partir de 1939, tous les stratèges américains étaient d’accord sur ce point. Début 1941, les états-majors britanniques et américains décident que la priorité de l’effort de guerre doit aller à l’Europe. Ils maintiennent cette orientation, même après Pearl Harbour.

    La décision de l’impérialisme américain d’intervenir directement pour provoquer un réarrangement de l’ordre économique et politique mondial constitue, à côté de la volonté de l’Allemagne et du Japon d’élargir leurs frontières politico-économiques, une autre cause immédiate importante de la Deuxième Guerre Mondiale. La majorité de la bourgeoisie des Etats-Unis s’était groupée autour de Roosevelt pour formuler une nouvelle stratégie internationale de l’impérialisme US. La cause en est que l’économie américaine avait été soumise à une transformation profonde, surtout après la crise de 1929. Elle disposait d’énormes réserves de capitaux non investis, de capacités de production et de force ; de travail excédentaires.

    Les tentatives faites avec la politique du New Deal (4) avaient permis aux Américains de surmonter les aspects les plus saillants de la crise. Mais en 1938 les USA comptaient de nouveau 12 millions de chômeurs. Il devaient se tourner vers le marché mondial : investir les capitaux à l’étranger, les prêter et exporter des marchandises comme jamais auparavant. Cet effort d’expansionnisme de l’impérialisme US présupposait pourtant un marché mondial stable et garanti. "Un monde sûr pour la démocratie" était le slogan avec lequel on allait mettre un terme à l’isolationnisme américain (5).

    Mais Roosevelt devait manoeuvrer avec plus de précautions que Hitler et que les chefs de guerre japonais : son pays était encore démocratique. Il ne pouvait pas imposer la guerre à la population américaine. L’attaque surprise de Pearl Harbour constituait donc un magnifique prétexte pour impliquer les Etats-Unis dans le conflit mondial, et rencontrer ainsi la ferme volonté de la classe dominante américaine.

    Guerre contre l’URSS

    L’attaque allemande contre l’URSS ne résulte pas d’une décision concertée du capitalisme mondial, c’est-à-dire d’une concertation entre les impérialismes britannique, français » allemand et américain. L’isolement de l’Union Soviétique et ses problèmes internes laissaient au contraire le champ libre pour la lutte des différentes puissances impérialistes entre elles.

    L’ouverture du front de l’Est était en premier lieu l’affaire de l’impérialisme allemand qui, ce faisant, voulait se renforcer face à ses rivaux occidentaux. En URSS même, une contradiction explosive s’était développée entre les infrastructures industrielles et militaires renforcées par le plan quinquennal d’une part, et la crise politique provoquée par les purges de Staline et sa diplomatie brutale d’autre part. Les purges avaient décapité l’Ar-mée Rouge et désorganisé la défense nationale. La diplomatie avait livré la Pologne et l’Europe à Hitler. Cela rendait plus facile une attaque ultérieure contre l’URSS. Mais le plan quinquennal va permettre à l’URSS de gagner la guerre.

    L’impréparation de l’Année Rouge en 1941 était la conséquence directe du manque de compréhension par Staline de la situation en Europe et des intentions de Hitler, c’est-à-dire de l’impérialisme allemand. Quelques années auparavant, le maréchal soviétique Toukhatchevsky (6) avait prouvé que l’armée française ne s’opposerait pas activement à l’Allemagne dont l’agressivité était surtout dirigée vers l’Est. Mais Staline était convaincu que Hitler n’attaquerait pas une Union Soviétique "qui se comporterait correctement".

    Le Pacte de non-agression germano-soviétique de 1939 représentait plus un mouvement stratégique qu’un mouvement tactique de sa part. Dans une étude de l’Etat-major général de l’Armée Rouge, datée de décembre 1940, l’idée que l’Allemagne pourrait être un ennemi potentiel est rejetée avec force. Les projets de manoeuvres proposés ne tenaient pas compte de la situation et des besoins des forces armées et il n’y était pas question d’un plan de guerre coordonné. Le "Plan 1941 de défense de la frontière", que l’état-major général établissait en avril et avec lequel l’URSS devait entrer en guerre deux mois plus tard, limitait le rôle de l’Armée Rouge à la défense des frontières extérieures et attachait peu d’importance à une défense stratégique.

    L’URSS avait pourtant toutes les raisons de se renforcer à court terme et le mieux possible contre une attaque allemande, d’autant plus que les Britanniques et les Français avaient hésité très fort - c’est le moins que l’on puisse dire - à conclure avec Moscou une alliance militaire pour la défense de la Pologne. Mais le Pacte Hitler-Staline comprenait une clause secrète sur le partage de la Pologne (7), et cela alors qui n’était pas encore question d’une attaque allemande contre ce pays. Staline donnait donc le feu vert à Hitler et délivrait pour un certain temps le Troisième Reich du cauchemar d’une guerre sur deux fronts.

    Les conséquences de la "Realpolitik" cynique de Staline ont été terribles pour la population soviétique. La Deuxième Guerre Mondiale a coûté à l’Union Soviétique 20 millions de vies humaines et des dégâts matériels incommensurables. Une politique plus clairvoyante et moins cynique aurait pu épargner à l’URSS tant de souffrances. Ainsi peut-on affirmer que cette politique compte également parmi les causes principales du déclenchement de la Deuxième Guerre Mondiale.

    Notes

    1. Tchang Kaichek : Maréchal cl dirigeant "nationaliste" chinois qui luttait plus contre les communistes que contre les envahisseurs japonais.
    2. Les autorités coloniales de l’Indochine (Vietnam, Laos et Cambodge) avaient reconnu le gouverne-ment pro-allemand de Vichy.
    3. La base de la marine des Etats-Unis à Hawaï dans la partie occidentale de l’Océan Pacifique.
    4. Avec la "Nouvelle Distribution" (New Deal) la bourgeoisie américaine donnait partiellement satisfaction aux besoins sociaux de la classe ouvrière. Mais le "New Deal" a surtout servi à consolider une restructuration complète du capitalisme américain.
    5. La politique "isolationniste" des Etats-Unis consistait à se tenir a l’écart des événements mondiaux.
    6. Toukhachevsky a été exécuté sur ordre de Staline. Ce faisant, il a liquidé un des grands stratèges de l’Armée Rouge.
    7. Le Pacte prévoyait un partage le la Pologne entre l’Allemagne et l’URSS et comprenait certaines clauses secrètes sur l’annexion des Etats baltes.