Faire renaître l’espoir
Inprecor, 1992, nr. 358
  • Ernest Mandel était invité à la rencontre du Forum de Sao Paulo, à Managua en 1992 comme membre de la direction de la IVe Internationale. Il est notamment intervenu en tant que spécialiste économique sur la question des alternatives possibles. Nous reproduisons son intervention.

    Depuis la moitié des années 70, on assiste à une dégradation du rapport de forces entre les classes à l’échelle mondiale provoquée surtout par l’ouverture d’une onde longue dépressive de l’économie capitaliste qui s’accompagne d’une hausse continue du chômage. Dans les pays impérialistes, le nombre de chômeurs est passé de 10 à 50 millions ; dans le tiers monde, il touche 500 millions de personnes et dans de nombreux pays, ce phénomène concerne près de 50 % ou plus de la population adulte.

    Le développement massif du chômage ainsi que les craintes qu’il engendre chez tous ceux qui travaillaient encore ont relativement affaibli la classe ouvrière. Cela a facilité l’offensive internationale du capital qui cherche à augmenter le volume et le taux de ses profits en provoquant une chute des salaires réels, des dépenses sociales et des infrastructures. L’offensive néolibérale et néoconservatrice n’est que l’expression idéologique de celle offensive économique et sociale.

    La majorité des directions des partis de masse qui se revendiquent du socialisme ont capitulé face à cette offensive et ont accepté la politique d’austérité ; dans des pays comme la France, l’État espagnol, les Pays-Bas, l’Australie, la Suède, le Venezuela ou le Pérou, ce sont ces mêmes directions qui l’ont appliquée. Cette situation a provoqué la désorientation de la classe ouvrière et, pendant toute une période, rendu les luttes défensives des masses plus difficiles.

    Parallèlement à cette capitulation de la social-démocratie, il faut signaler les effets idéologiques et politiques de la crise des systèmes d’Europe de l’Est, de l’ancienne Union soviétique, de la République populaire de Chine ou d’Indochine qui ont provoqué une crise de crédibilité du socialisme quasi universelle.

    Des dégâts à l’Est et à l’Ouest

    Aux yeux de la grande majorité des masses, les deux expériences historiques principales de construction d’une société sans classes - l’expérience stalinienne, post-stalinienne et maoïste, et l’expérience social-démocrate - ont échoué. Les masses comprennent très bien que cet échec est celui d’un objectif social radical d’ensemble, ce qui n’implique pas un bilan négatif des changements importants de la réalité sociale survenus en faveur des exploités. Dans ce sens, le bilan de plus de 150 ans d’activité du mouvement ouvrier internalional, toutes tendances confondues, reste très positif.

    Mais ce n’est pas pour autant que des millions de travailleurs ont la conviction que toutes les luttes immédiates débouchent chaque fois plus dans la lutte pour la défaite du capitalisme et l’avènement d’une société sans exploitation, sans oppression, sans injustice et sans violence massive. En l’absence d’une telle conviction, les luttes actuelles sont fragmentées, discontinues et n’ont pas un objectif politique d’ensemble.

    L’initiative politique est actuellement du côté de l’impérialisme, de la bourgeoisie et de ses agents. Cela a été confirmé par les événements d’Europe de l’Est où la chute des dictatures bureaucratiques sous la poussée de luttes de masse importantes a conduit non pas à l’apparition d’un processus politique qui avance vers le socialisme, mais à celle des forces favorables à la restauration capitaliste. Il est en de même dans l’ancienne Union soviétique.

    Comment rendre sa crédibilité au socialisme ?

    En Europe de l’Est et dans l’ancienne URSS, pour ne pas parler du Cambodge, les masses identifient la dictature stalinienne et post-stalinienne avec le communisme, le marxisme et le socialisme. Pourtant elles se trompent. Staline a tué un million de communistes et réprimé des millions d’ouvriers et de paysans. Ce phénomène n’était pas le produit du marxisme, du socialisme ou de la révolution, mais celui d’une contre-révolution sanglante. Les masses voient les choses autrement, c’est un fait objectif qui pèse sur la réalité politique et sociale à l’échelle internationale.

    Cette crise de crédibilité du socialisme explique la contradiction principale qui caractérise la situation internationale. Les masses continuent de se battre dans de nombreux pays à une échelle beaucoup plus importante que par le passé. L’impérialisme et la bourgeoisie internationale ne sont pas capables d’écraser le mouvement ouvrier, comme ce fut le cas dans les années 30 et au début des années 40 en Europe, au Japon et dans de nombreux autres pays.

    Mais les travailleurs ne sont pas encore disposés à lutter pour une solution globale anticapitaliste et socialiste. Voilà pourquoi nous sommes entrés dans une longue période de crise et de désordre mondiaux où aucune des principales classes sociales n’est sur le point d’arracher une victoire historique.

    La tâche principale des socialistes-communistes est d’essayer de restaurer la crédibilité du socialisme dans la conscience et la sensibilité de millions d’hommes et de femmes. On n’y parviendra qu’en parlant des principales préoccupations et besoins des masses. Tout modèle de politique économique alternatif doit les prendre en compte.

    Nous devons être ceux qui aident concrètement et efficacement les masses à lutter avec succès pour leurs besoins. On peut citer ici ces besoins sur un mode quasi biblique : l’éradication de la faim, des vêtements pour ceux qui n’en ont pas, un logement digne pour tous, sauver la vie de ceux qui meurent faute de protection médicale, généraliser l’accès gratuit de tous à la culture en éliminant l’analphabétisme, universaliser les libertés démocratiques, les droits de l’homme, en finir avec la violence répressive sous toutes ses formes.

    Cela n’a rien de dogmatique ni d’utopique. Les masses, même si elles ne sont pas encore prêtes à se battre pour la révolution socialiste, peuvent parfaitement assumer de tels objectifs à condition qu’ils soient formulés de la façon la plus concrète possible. Elles peuvent enclencher des luttes importantes sous des formes diverses et combinées.

    Voilà pourquoi je répète que nous devons essayer d’être aussi concrets que possible à l’heure de faire des propositions. Quelle production alimentaire est-il possible de faire ? Avec quelles techniques agricoles ? Où ? Quel matériel de construction peut-on produire ? Où, nationalement, à l’échelle internationale ou à celle du continent, etc.?

    Mais, lorsque l’on analyse les conditions qui nous permettront de parvenir à ces objectifs on arrive à la conclusion qu’il faut une redistribution radicale des ressources existantes. Cela implique aussi une révision radicale du mode de décision dans l’utilisation de ces ressources et un changement radical dans leurs formes d’utilisation. Nous devons être convaincus que les masses qui se battent pour ces buts n’abandonneront pas la lutte lorsque la réalité leur montrera toutes les implications.

    « On s’engage et puis on voit »

    Voilà un des défis auxquels doit faire face le mouvement socialiste : il doit être capable d’encourager sans restrictions des luttes de masse très larges afin d’atteindre les objectifs les plus perceptibles par l’humanité aujourd’hui.

    Ce modèle alternatif est-il politiquement réalisable dans le monde et dans la société actuels, sans un objectif concret de prise ou de participation du pouvoir concret, qui soit aussi réalisable à court ou moyen terme ? A mon avis, cette question ainsi formulée nous entraîne dans un piège.

    Il ne faut évidemment pas relativiser le problème du pouvoir politique. Mais la forme concrète de lutte pour le pouvoir, et encore moins les formes concrètes de pouvoir de l’État, ne doivent pas être décidées à l’avance. Surtout, il ne faut pas subordonner la formulation d’objectifs concrets et de formes concrètes de lutte permettant d’y arriver à une considération d’ordre pseudo-réaliste de ce qui serait réalisable ou pas à court terme sur le terrain politique.

    Au contraire, il faut déterminer les objectifs et les formes de lutte sans préjugés politiques, ni gauchistes, ni opportunistes, d’aucune sorte. Il faut appliquer la formule du grand tacticien Napoléon Bonaparte que Lénine répéta à de nombreuses reprises : "On s’engage et puis on voit".

    C’est ainsi que le mouvement ouvrier international, au moment de son expression universelle la plus impressionnante, conduisit ses campagnes, à travers deux objectifs centraux : la journée de travail de huit heures et le suffrage universel égalitaire.

    L’impérialisme, ou plutôt l’impérialisme allié au grand capital local, peut-il aujourd’hui empêcher la réalisation de ces objectif dans les pays d’Amérique latine ? Peut-il bloquer tous les revenus du capital et le transfert de technologie, en plus des pressions du Fonds monétaire international (FM) et de la Banque mondiale (BM) ?

    A mon avis, encore une fois, la formulation de cette question nous entraîne dans un piège. A vrai dire, personne ne peut répondre à une telle question à l’avance. Elle dépend, en dernière instance, des rapports de force. Mais ces rapports de force ne sont pas pré-établis, ils changent continuellement. Et ce sont justement les luttes pour des objectifs précis, accessibles aux larges masses, qui permettent de modifier ces rapports de forces en faveur des travailleurs et des autres couches exploitées et opprimées.

    Et l’impérialisme ?

    Il ne faut pas oublier que l’impérialisme lui-même connaît une crise de direction très grave. L’impérialisme nord-américain, même s’il a consolidé son hégémonie militaire, a perdu son hégémonie technologique et financière. Il n’est plus capable d’imposer sa volonté à ses principaux concurrents, l’impérialisme japonais et l’impérialisme allemand. En outre, il ne contrôle pas les réactions possibles des masses aux États-Unis face à ce qu’il essaye de mettre en oeuvre à l’échelle internationale.

    Dans ces conditions, on peut se trouver face à des réponses différentes dans le cas d’une lutte victorieuse pour l’annulation immédiate du paiement du service de la dette. Il est peu probable que l’ensemble des gouvernements d’Amérique latine et encore plus du tiers monde prennent une telle décisions, mais si un pays comme le Brésil, dans le cas d’une victoire électorale du Parti des travailleurs (PT) le faisait, on ne peut pas savoir à l’avance quelle serait la réaction de l’impérialisme. Il peut décider d’appliquer un blocus économique.

    Mais, objectivement, le blocus du Brésil, le pays le plus développé d’Amérique latine, est plus difficile à mettre en oeuvre que celui d’un petit pays comme Cuba ou le Nicaragua. Le Brésil aurait, par exemple, la possibilité de riposter par une offensive politique, avec un Brest-Litovsk politico-économique, en s’adressant à de nombreux gouvernements et aux masses de leurs pays et en leur disant : " Êtes-vous d’accord pour que notre peuple soit puni parce qu’il essaye d’éradiquer la faim, les maladies, et de mettre fin aux violations des droits de l’homme ? ». La réponse des travailleurs du monde n’est pas jouée d’avance. Elle peut être insuffisante, mais elle peut être aussi positive.

    C’est une grande bataille qui peut changer la situation politique mondiale ; plus que la modification du rapport de forces, elle permettrait de retrouver l’espoir en un monde meilleur.

    Ne rien imposer au mouvement de masse

    Il faut aborder ce problème du point de vue méthodologique fondamental de Karl Marx : la lutte pour le socialisme n’est pas l’application forcée, dogmatique et sectaire préalable d’aucun objectif pré-établi au mouvement réel des masses. Ce n’est que l’expression consciente de ce mouvement qui ne fait que développer les éléments constitutifs de la nouvelle société qui progresse d’ores et déjà au sein de la vieille société.

    On peut illustrer cela en parlant des problèmes essentiels du monde actuel. Les multinationales dominent des secteurs de plus en plus importants du marché mondial. Elles représentent une forme qualitativement supérieure de centralisation internationale du capital. On assiste ainsi à une internationalisation de plus en plus importante de la lutte des classes.

    Malheureusement, la bourgeoisie internationale est, à ce niveau, mieux préparée et agit avec plus de cohésion que les travailleurs.

    Pour la classe et le mouvement ouvriers, il n’y a principalement que deux réponses possibles face aux multinationales : soit un repli sur le protectionnisme et la défense de la prétendue compétitivité nationale - c’est-à-dire, la collaboration de classe avec le patronat et le gouvernement de chaque pays contre « les Japonais », « les Allemands », « les Mexicains », exploités et exploiteurs, tous ensemble - , soit la solidarité avec les ouvriers de tous les pays contre les exploiteurs internationaux et nationaux.

    Dans le premier cas, on rentre dans la spirale inévitable de la réduction des salaires, de la protection sociale et des conditions de travail dans tous les pays. Les multinationales pourront toujours exploiter un pays avec des salaires plus bas, y transférer la production ou faire du chantage au mouvement ouvrier pour lui arracher des concessions.

    Dans le deuxième cas, il reste, au moins, la possibilité d’avoir une spirale ascendante qui augmente de façon progressive les salaires et la protection sociale dans les pays les moins développés, tout en réduisant les différences de niveau de vie de façon positive.

    Cette deuxième façon de réagir ne s’oppose absolument pas au développement économique ou à la création d’emplois dans les pays du tiers monde. Elle implique, par contre, un autre modèle de développement non pas orienté vers l’exportation des bas salaires, mais vers l’élargissement du marché national et vers la satisfaction des besoins élémentaires du peuple.

    La lutte pour une telle réponse internationaliste face à l’offensive des multinationales nécessite, dès à présent, la concrétisation d’initiatives syndicales communes, combatives, critiques, indépendantes et à la base, dans toutes les usines du monde travaillant pour une même multinationale ou dans une même branche. Cela a déjà commencé à se faire, mais de façon encore limitée.

    Le projet de la mise sur pied d’un marché commun nord-américain, la tentative de transformer le Mexique en une vaste maquiladora [usine dans une zone franche], ouvre d’ores et déjà la voie à une telle riposte - c’est sur l’ensemble de l’Amérique latine qu’on peut assister à de telles coordinations visant à répondre à l’initiative de l’impérialisme nord-américain.

    Par ailleurs, ce qu’on appelle les nouveaux mouvements sociaux ne sont que la traduction de l’angoisse de couches sociales importantes délaissées par la dynamique du capitalisme tardif. Cette dynamique risque de laisser de côté des secteurs importants qui peuvent alors se dépolitiser de plus en plus et devenir une base sociale à des attaques droitières et même néofascistes contre les libertés démocratiques.

    Toute politique de "contrat social", de consensus pseudo-réaliste avec la bourgeoisie peut faire croire qu’il n’y a pas d’autres options politiques fondamentales et renforcer un tel danger.

    Il est donc vital que le mouvement ouvrier établisse une alliance structurelle avec les secteurs marginalisés, en les organisant, en favorisant leur auto-organisation, en les défendant et en les encourageant à conquérir la dignité et l’espoir.

    Socialisme ou barbarie

    Sur tous ces terrains, il faut agir sans dogmatisme, sans penser détenir la vérité absolue, ni la réponse définitive.

    La construction du socialisme est un immense laboratoire d’expériences nouvelles qui ne sont pas encore définies. Il faut tirer des leçons de la pratique, et d’abord de la pratique des masses elles-mêmes. Il faut donc être ouvert au dialogue et à la discussion fraternelle avec toute la gauche, même si chaque courant et chaque organisation défend avec fermeté ses principes - c’est le cas de mon organisation, la IVe Internationale.

    Il faut comprendre que ce qui est en jeu aujourd’hui dans le monde est dramatique : il s’agit littéralement de la survie physique de l’humanité. La faim, les épidémies, la misère, les centrales nucléaires, la détérioration de l’environnement : voilà la réalité du vieil et du nouveau désordre capitaliste mondial.

    Chaque année, dans le tiers monde, 16 millions d’enfants meurent de faim ou de maladies parfaitement guérissables - l’équivalent de 25% des morts de la Seconde Guerre mondiale, Auschwitz et Hiroshima compris. Tous les quatre ans, on assiste donc à une guerre mondiale contre les enfants : voilà la réalité de l’impérialisme et du capitalisme aujourd’hui.

    Cette réalité a aussi des effets idéologiques et politiques inhumains. Dans le Nord-Est du Brésil, la carence de vitamines dans l’alimentation des plus pauvres a produit une nouvelle couche de pygmées, d’hommes-nains, qui ont 30 centimètres en moins que la moyenne des habitants de ce pays. Il y en a déjà des millions. La classe dominante et ses agents appellent ces malheureux les "hommes-rats", avec tout ce que cela renferme comme déshumanisation idéologique semblable à celle des nazis.

    Avec la restauration graduelle du capitalisme en Europe de l’Est et dans l’ancienne URSS, on voit arriver cette barbarie et ce recul social. La privatisation des grandes entreprises dans l’ancienne URSS peut produire de 35 à 40 millions de chômeurs, et une chute dans les revenus réels des travailleurs de 40 %.

    Le socialisme peut être de nouveau à l’ordre du jour et gagner en crédibilité s’il est prêt à s’identifier totalement à la lutte contre de tels dangers. Il y a trois conditions à cela.

    1. D’abord, il ne faut, sous aucun prétexte, que le soutien aux luttes sociales des masses soit subordonné à un quelconque projet politique. Nous devons être inconditionnellement aux côtés des masses dans tous leurs combats.
    2. Ensuite, il faut une propagande et une éducation des masses sur l’objectif global, sur le modèle de socialisme qui intègre les principales expériences et les formes de conscience nouvelles de ces dernières décennies.

    Nous devons défendre une modèle de socialisme totalement émancipateur sur tous les terrains de la vie.

    Un socialisme émancipateur

    Ce socialisme doit être autogestionnaire, féministe, écologiste, radical-pacifiste et pluraliste ; il doit étendre la démocratie directe de façon qualitative, et être internationaliste et multipartiste. Il faut qu’il soit aussi émancipateur pour les producteurs directs. On ne peut y parvenir qu’avec la disparition progressive du travail salarié et de la division sociale du travail entre ceux qui produisent et ceux qui administrent et accumulent.

    Les producteurs doivent avoir le pouvoir réel de décider comment on produit, ce qu’on produit et comment est utilisée une plus grande partie du produit social. Ce pouvoir doit être conduit de façon pleinement démocratique, c’est-à-dire qu’il doit exprimer les convictions réelles des masses. Pour ce faire, il faut la pluralité des partis, et la possibilité pour les masses de choisir entre différentes variantes des objectifs centraux du plan économique - cela n’est réalisable qu’avec la réduction drastique de la journée et de la semaine de travail.

    Il y a presque un consensus sur le poids de plus en plus fort de la corruption et de la criminalisation dans la société bourgeoise et dans les sociétés post-capitalistes en désagrégation. Mais il faut comprendre que cela est structurellement lié au poids de l’argent dans la société. Il est utopique et irréaliste d’espérer une moralisation de la dite société civile et de l’État, sans une réduction radicale du poids de l’argent et de l’économie de marché.

    On ne peut pas défendre une vision cohérente du socialisme sans s’opposer de façon systématique à l’égoïsme et à la recherche des profits individuels, vu les conséquences qu’ils ont sur toute la société. Il faut donner la priorité à la solidarité et à l’éducation. Et cela suppose précisément une réduction décisive du poids de l’argent dans la société.

    Enfin, les socialistes et les communistes doivent refuser toute pratique de substitution paternaliste ou verticaliste. Nous devons transmettre la principale contribution de Karl Marx à la politique : la libération des travailleurs sera l’oeuvre des travailleurs eux-mêmes. Elle ne peut pas être l’oeuvre des États, des gouvernements, des partis ou des dirigeants supposémment infaillibles, ni d’experts d’aucune sorte.

    Tous ces organes sont utiles et même indispensables dans la voie de l’émancipation. Mais ils ne peuvent qu’aider les masses à se libérer, et non pas s’y substituer. Il est immoral et même impraticable d’essayer d’assurer le bonheur des gens contre leurs convictions.

    C’est une des principales leçons que l’on peut tirer de l’écroulement des dictatures bureaucratiques en Europe de l’Est et dans l’ancienne URSS.

    La pratique des socialistes et des communistes doit être totalement conforme à leurs principes. Nous ne devons justifier aucune pratique aliénante ou oppressive. Nous devons réaliser ce que Marx appelait l’impératif catégorique de lutte pour écraser toutes les conditions dans lesquelles les êtres humains sont aliénés et humiliés.

    Si notre pratique répond à cet impératif, le socialisme retrouvera une force formidable et une légitimité morale qui le rendra invincible.