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Menaces de guerre et luttes pour le socialisme

Ernest Mandel - Archive internet
Ernest Mandel Imprimer
Inprecor, 1982, nr. 132

Ces deux dernières années, l'impression a été créée à plusieurs reprises que la menace de voir éclater, à court terme, la troisième guerre mondiale, était en train de se préciser. Des commentateurs impressionnistes n'ont pas manqué de tirer cette conclusion. Un vent de panique s'est même levé, avant tout dans certains milieux intellectuels. Le mouvement anti-guerre, puissant et plein de promesses qui se développe actuellement dans les pays impérialistes en a été affecté à son tour, du moins partiellement. Le nombre d'ouvrages consacrés à la troisième guerre mondiale qui aurait déjà commencé, qui serait en cours, voir qui serait sur le point de s'achever, ne se compte plus (1).

Il faut reconnaître que les événements eux-mêmes sont pour quelque chose dans cette vague de panique. N'a-t-on pas vu, au mois de juin 1982, coïncider la relance de la guerre entre l'Iran et l'Irak, la guerre des Malouines, les préparatifs de l'invasion du Liban par Israël, l'accroissement de l'intervention étrangère dans la guerre civile salvadorienne, sans parler des «petites guerres» plus ou moins oubliées, comme celles du Tchad, d'Erythrée, de Namibie, du Sahara occidental, sans compter la guerre civile au Yémen, la guerre civile jamais éteinte en Angola et au Mozambique, et encore la liste n'est-elle pas exhaustive ...

De là à conclure que la guerre serait en train de se rallumer à l'échelle mondiale, il n'y avait qu'un pas à faire, que d'aucuns ont franchi sans se rendre compte de ce qu'impliquait cette conclusion injustifiée. Comme il s'agit d'une question d'importance capitale, il y a tout intérêt à ne pas se laisser entraîner par la panique ou l'euphorie, l'une ou l'autre profondément irresponsables au regard de l'enjeu même qui est celui, littéralement, de la survie physique du genre humain.

Avancees de la revolution mondiale et guerres contre-revolutionnaires

Plus que jamais, l'impérialisme reste résolu à opposer sa violence contre-révolutionnaire à toute avancée de la révolution dans le monde. Cette violence contre-révolutionnaire prend la forme d'interventions armées systématiques, déguisées quelquefois sous la forme d' «appui» à l'un des camps en présence d'une guerre civile, prenant en d'autres occasions la forme d'une intervention étrangère massive en bonne et due forme. Comme le système impérialiste mondial est en proie à une profonde crise de décomposition, comme les foyers révolutionnaires n'ont cessé et ne cessent de s'y succéder depuis plus d'un demi-siècle, le principal danger de guerre provient de la multiplication de ces interventions étrangères contre des révolutions en cours. Tout au long de ces dernières décennies, la grande majorité des guerres ont été des guerres de ce genre. Il en est de même aujourd'hui; il en sera de même demain.

Il ne s'agit donc nullement d'un phénomène nouveau. En fait, depuis l'intervention contre la Russie soviétique en 1918-1922, chaque révolution triomphante, ou en marche vers d'importantes victoires a dû affronter une guerre étrangère contre-révolutionnaire. Énumérons à ce propos - pour ne mentionner que les plus importantes - l'intervention de l'impérialisme allemand contre la révolution finlandaise de 1918 ; l'intervention de l'Entente (France, Pologne, Tchécoslovaquie, Yougoslavie, Roumanie) utilisant comme pointe acérée la Roumanie contre la République soviétique hongroise de Bela Kun en 1919 ; l'intervention de Hitler et de Mussolini contre la révolution espagnole de 1936-1937 ; l'intervention britannique et américaine contre la révolution grecque de 1944-1949 ; l'intervention impérialiste contre la troisième révolution chinoise de 1946-1949 ; la première guerre d'Indochine de 1945-1954 ; l'intervention impérialiste contre les révolutions coréenne et chinoise en 1950-1953 ; la guerre impérialiste contre la révolution algérienne en 1954-1962 ; l'intervention impérialiste contre la guérilla en Malaisie (1948-1960) et au Kenya (1952) ; la deuxième guerre d'Indochine de 1961-1975 ; l'intervention impérialiste contre la révolution en Angola (1961), au Mozambique (1964) et en Guinée-Bissau (1971) ; les interventions impérialistes et sionistes contre 1'Egypte (1956, 1967) ; les interventions impérialistes répétées contre la révolution palestinienne (1969, 1970, 1975, 1976, 1978, 1981, 1982).

Certaines de ces guerres ont été d'une ampleur sans commune mesure avec la guerre des Malouines ou l'intervention impérialiste actuellement en cours en Amérique centrale. Ne mentionnons que la première guerre d'Indochine, l'attaque israélienne doublée de l'intervention franco-britannique de 1956 sur le canal de Suez, la guerre d'Algérie et, enfin, la deuxième guerre d'Indochine, qui ont impliqué des centaines de milliers de soldats des pays impérialistes.

Le fait nouveau, ce ne sont pas ces guerres contre-révolutionnaires «localisées». Elles constituent la règle. Le fait nouveau, cela a été l'exception représentée par les révolutions nicaraguayenne et iranienne contre lesquelles, du moins au moment de la chute de Somoza et de celle du chah, l'impérialisme s'est trouvé dans l'incapacité politique (non matérielle ou militaire) d'intervenir par suite des retombées de la défaite subie en Indochine en 1975.

A l'époque, la IVe Internationale avait analysé cette paralysie comme devant être de courte durée. Aussi bien la résolution politique votée au XIe Congrès mondial en 1979 que celle adoptée par le Comité exécutif international (CEI) de mai 1981 ont correctement indiqué que l'impérialisme était en train de se donner les moyens de reprendre des interventions contre-révolutionnaires contre les révolutions en cours, ou des initiatives anti-impérialistes nouvelles avec, entre autres, la mise sur pied de la Force de déploiement rapide (RDF) américaine. Cette analyse a été confirmée depuis lors.

Loin de constituer une « situation internationale nouvelle » ou de nous amener au seuil de la troisième guerre mondiale, la guerre des Malouines, l'invasion du Liban, l'intervention impérialiste en Amérique centrale et, dans une mesure plus ambiguë, la guerre Iran-Irak, représentent un «retour à la norme», à savoir la tentative systématique, obstinée, de l'impérialisme d'opposer sa violence contre-révolutionnaire à toute nouvelle avancée de la révolution, norme qui s'affirme depuis près de soixante-cinq ans.

Guerres contre-révolutionnaires et guerre mondiale

Différentes de cette chaîne quasi ininterrompue de guerres localisées qui ponctuent toute la période historique ouverte par la révolution russe - et qui prouvent l'incapacité de l'impérialisme à assurer la paix à l'humanité, raison parmi les plus importantes pour se débarrasser de ce système qui secrète la violence la plus barbare par tous ses pores - sont les deux guerres mondiales qui ont éclaté en 1914 et en 1939. Encore plus différente de cette même chaîne serait forcément la troisième guerre mondiale.

Ces différences ne sont pas seulement quantitatives. Elles sont qualitatives. Contrairement aux guerres contre-révolutionnaires «localisées» , les guerres mondiales ont impliqué des dizaines, voire des centaines de millions de personnes, causant un nombre proportionnel de victimes et de destructions matérielles, modifiant ainsi de fond en comble le fonctionnement de l'économie mondiale, entraînant un profond recul des forces productives, de la richesse matérielle accumulée de l'ensemble de l'humanité, et réduisant donc les bases de départ pour la reconstruction socialiste du monde. Ce n'est nullement faire preuve de «pacifisme» que de reconnaître ces effets désastreux des guerres mondiales. Rappelons à ce titre le jugement de l'Internationale communiste en mars 1919:

"L'Europe est couverte de débris et de ruines fumantes... Les contradictions du régime capitaliste se sont révélées à l'humanité à la suite de la guerre sous forme de souffrances physiques, la faim, le froid, les maladies épidémique et une recrudescence de barbarie. Maintenant, ce n'est pas seulement la paupérisation sociale, mais un appauvrissement physiologique, biologique, qui se présente à nous dans toute sa réalité hideuse.» (Manifeste du 1er Congrès de l'Internationale communiste aux prolétaires du monde entier.)

Il est vrai que des guerres contre-révolutionnaires «localisées» peuvent avoir des effets similaires pour un pays. Il suffit de penser aux effroyables conséquences des destructions causées par l'impérialisme au Cambodge (mars-août 1973, six mois de bombardements de toutes les zones de population dense par la flotte aérienne US d'Indochine toute entière). Mais, d'un point de vue matérialiste, toute la différence est justement de savoir si c'est un pays (ou un petit nombre d'entre eux) qui se voit ainsi acculé au bord de la barbarie, avec la possibilité de voir rapidement compensé son manque de production par le reste du monde, ou si c'est l'humanité tout entière (ou sa vaste majorité) qui est acculée au désastre, sans qu'il y ait de réserves pour la sortir rapidement du marasme.

Cette différence entre guerres contre-révolutionnaires «localisées» et guerre mondiale plonge ses racines dans les causes objectives différentes des deux phénomènes. Les guerres contre-révolutionnaires «localisées» sont des ripostes conjoncturelles à des avancées partielles de la révolution. La guerre mondiale surgit de la crise structurelle du système contre laquelle elle constitue en quelque sorte un ultime recours.

Il faut certes nuancer cette distinction. Les avancées successives, bien que partielles, de la révolution sont elles-mêmes l'expression de la même crise structurelle du système qui finit par enfanter la guerre mondiale. Mais si la différence qualitative doit être nuancée, elle n'en reste pas moins de taille. 

Les guerres contre-révolutionnaires «localisées» peuvent coïncider, et ont coïncidé en maintes occasions, avec des phases d'essor «pacifique» de l'économie capitaliste. La guerre mondiale ne survient que lorsque une dépression économique grave semble boucher pour une longue période toute possibilité d'un nouvel essor pacifique de l'économie capitaliste internationale. Et,surtout, les guerre contre-révolutionnaires « localisées », constituant des ripostes à des avancées fragmentaires de la révolution, peuvent coïncider, et coïncident généralement, avec une montée du mouvement de masse qui freine, voire paralyse, la marche générale de l'impérialisme vers la guerre. 

Par contre, l'éclatement de la Seconde guerre mondiale a exprimé de manière synthétique une défaite ou une série de défaites si graves du mouvement de masse dans des pays clés de la lutte des classes, que c'est la paralysie temporaire du prolétariat qui a répondu à l'initiative belliqueuse de la bourgeoisie. En d'autres termes, les guerres contre-révolutionnaires «localisées» accompagnent des avancées ou des victoires partielles de la révolution mondiale. L'éclatement de la Seconde guerre mondiale a exprimé, au contraire, une défaite historique profonde de cette même révolution.

Armes nucleaires et guerre mondiale

Le fait que la troisième guerre mondiale serait, selon toute probabilité, une guerre nucléaire ne peut que souligner davantage l'importance de cette distinction. Il lui donne encore plus de poids.

Il serait absurde et contraire aux principes élémentaires du matérialisme historique, d'argumenter que l'accumulation d'un arsenal nucléaire capable de détruire au moins vingt fois (2) tout le genre humain ne changerait rien de «fondamental», et que celle-ci poserait au prolétariat mondial et aux révolutionnaires des «problèmes stratégiques et tactiques identiques » à ceux de la Première et de la Seconde guerre mondiale. 

Pour construire la société sans classes, il faut des forces productives humaines et techniques considérables. Des cendres nucléaires ne surgirait pas le socialisme mais une planète dominée par les herbes et les insectes (3) ou, dans la «meilleure» des hypothèses, une société humaine barbare à partir de laquelle les survivants de l'holocauste reprendraient une pénible ascension séculaire. Le projet communiste serait de toute manière écarté de l'actualité pour une longue période. 

On peut évidemment penser - à tort, à notre avis - que tout cela est déjà devenu inévitable. Mais il est difficile de percevoir en quoi il serait particulièrement «révolutionnaire» de substituer un autre projet social à celui du communisme, en partant de l'hypothèse que les bases matérielles du communisme sont condamnées à disparaître, c'est-à-dire sans partir de l'inévitabilité de l'holocauste nucléaire.

Il en découle que le but stratégique du mouvement ouvrier et révolutionnaire mondial doit être d'empêcher la guerre nucléaire mondiale et non pas de la «gagner» (quel que soit le contenu aberrant de cette dernière formule). Ou, pour exprimer ce but de manière encore plus précise, tout faire pour que les progrès de la révolution mondiale - tout en ne pouvant empêcher des interventions contre-révolutionnaires «localisées» de l'impérialisme (cela est utopique, aussi longtemps que l'impérialisme conservera le pouvoir politique et la puissance matérielle et militaire dans des pays-clés) - paralysent de manière croissante sa capacité d'intervention avec des armes nucléaires, et conduisent progressivement à son désarmement nucléaire par le renversement de son pouvoir politique.

Comme l'ont précisé de nombreux documents de la IVe Internationale, ce désarmement n'est possible que de l'intérieur des forteresses impérialistes disposant d'armes nucléaires, et non de l'extérieur (4). Seul le prolétariat nord-américain, français, britannique, allemand, japonais peut désamorcer les armes nucléaires, en interdire à tout jamais l'emploi, les supprimer radicalement et les effacer une fois pour toutes de la terre (épaulé dans ce sens par le prolétariat soviétique et chinois). Tout le reste revient à croire à un miracle qui ne se produira pas, à savoir que les impérialistes seront à tout jamais assez sages, ou assez peureux, ou assez démoralisés, pour ne pas utiliser l'arme du désespoir, même s'ils conservent le pouvoir de le faire.

On pourrait, à première vue, trouver une contradiction entre le fait que nous soulignons l'inévitabilité des guerres contre-révolutionnaires « localisées » et que nous affirmons simultanément la nécessité et la possibilité d'empêcher la guerre nucléaire mondiale. Les premières ne risquent-elles pas de déboucher graduellement, quasi imperceptiblement, sur la seconde ? N'y a-t-il pas un risque réel que des armes nucléaires «tactiques» soient utilisées un jour contre des avancées de la révolution, soit par l'impérialisme directement, soit par un de ses relais particulièrement « motivé » (sionistes extrémistes au Moyen-Orient, partisans extrémistes de l'apartheid en Afrique du Sud) ? Toute escalade des guerres « localisées » en voie d'extension ne risque-t-elle pas de déclencher une conflagration généralisée, conduisant à la guerre nucléaire mondiale?

Il y a un élément de vérité dans cette objection, mais seulement un élément. Il implique que le danger de guerre nucléaire augmente au fur et à mesure qu'augmente l'arsenal nucléaire et que se multiplient les conflits «locaux» Mais on passe de la dialectique au sophisme en passant du constat de l'accroissement de ce danger de guerre nucléaire à la conclusion de l'inévitabilité de son éclatement.

C'est justement la nature particulière des armes nucléaires qui nous permet de toucher du doigt cette différence capitale: aussi longtemps que survit l'impérialisme, les guerres locales et le danger de guerre nucléaire sont inévitables: la guerre nucléaire ne l'est pas. 

La realité de "l'equilibre de la terreur"

Il est un fait que, malgré l'accumulation depuis trente ans et plus d'un arsenal de plus en plus terrifiant d'armes nucléaires, celles-ci n'ont pas été utilisées jusqu'ici alors que les guerres « locales» se sont multipliées et que des armes « classiques» de plus en plus sophistiquées et de plus en plus meurtrières y ont été effectivement employées. La raison de cette différence nous semble évidente. Ceux qui détiennent et qui peuvent décider de leur emploi connaissent parfaitement leur caractère suicidaire pour le genre humain. Le grand public peut être berné avec des récits monstrueux sur les « guerres nucléaires qui ne coûteront que quelques centaines de millions (sic) de morts» et que « ceux qui auront des abris nucléaires survivront», les puissants de ce monde ne sont pas dupes.

Il est vrai qu'un des buts partiellement « rationnels» de la folle course aux armements nucléaires, c'est la recherche frénétique d'armes nucléaires si «petites» et si «propres» que leur emploi «tactique» dans des guerres «localisées» deviendrait possible, sans déclencher automatiquement la guerre nucléaire mondiale. Sans pouvoir exclure totalement cette hypothèse, disons qu'elle est fortement improbable et qu'elle impliquera, de toute façon, d'effroyables coûts en vies humaines et en destructions.

Cela signifie, en clair, que c'est la fabrication et la possession d'armes nucléaires par l'Union soviétique qui a sauvé jusqu'ici l'humanité de l'holocauste nucléaire. Sans cet «équilibre de la terreur», il est pratiquement certain que l'impérialisme aurait utilisé l'arme nucléaire contre les «volontaires chinois» pendant la guerre de Corée, contre les révolutions vietnamienne et chinoise pendant la seconde guerre d'Indochine (5), voire contre d'autres révolutions.

Au-delà de la nature totalitaire et contre-révolutionnaire de la bureaucratie soviétique, responsable en grande partie de la survie de l'impérialisme à l'échelle mondiale (et donc, indirectement, de l'existence même du péril nucléaire), l'existence de l'État ouvrier soviétique en tant qu'État de nature socialement différente des États impérialistes, en tant qu'État d'une société qu'aucune logique infernale ne propulse sur la voie de l'holocauste nucléaire, prend une fois de plus toute sa signification contradictoire pour la réalité mondiale d'aujourd'hui, et confirme la justesse de sa définition marxiste, n'en déplaise à tous ses détracteurs superficiels et inconstants qui le définissent comme étant de même nature sociale que celui des États-Unis.

Quand nous affirmons que, jusqu'ici «l'équilibre de la terreur» a effectivement empêché l'éclatement de la guerre nucléaire mondiale, nous n'émettons pas un avis fondé sur une loi naïve dans la «rationalité humaine». Nous avons suffisamment dénoncé le caractère profondément irrationnel du «troisième âge du capitalisme» pour ne pas nous attirer un tel reproche (6). Nous nous fondons sur quelque chose de beaucoup plus fondamental que la Raison: sur l'instinct de conservation, au sens physique du terme, des classes possédantes et notamment de ses représentants les plus puissants au sein du capital financier, du complexe militaro-industriel et de leurs dirigeants politiques. 

Ces gens-là constituent la classe dominante la plus riche que le monde ait jamais connue. S'imaginer qu'ils soient prêts à sacrifier toute cette richesse, toute cette jouissance, tout ce pouvoir, sur l'autel d'idées abstraites ou de principes «absolus» comme l'anticommunisme, la « défense de l'économie de marché » (appelée « défense de la liberté »), « la haine de la révolution », c'est se tromper du tout au tout concernant les motivations et le comportement de cette classe.

Ce à quoi on assiste périodiquement, c'est un chantage nucléaire tendant à modifier les rapports de forces au sein de « l'équilibre de la terreur », non à une tentative suicidaire d'utiliser les armes nucléaires pour réintroduire le capitalisme à l'Est ou pour modifier à l'échelle mondiale les rapports de forces entre l'ensemble des forces impérialistes d'une part et l'ensemble des forces non capitalistes (y compris l'Union soviétique et la Chine) d'autre part. C'est d'ailleurs actuellement la troisième fois depuis la Seconde guerre mondiale que l'impérialisme déclenche pareille relance accélérée de la course aux armements nucléaires. Il l'a fait la première fois lors de la guerre de Corée (1950-1953). Il l'a fait une deuxième fois au début des années 1960. Il s'y est engagé une troisième fois à partir de la fin des années 1970. Chacune de ces relances a abouti à une nouvelle tentative de « détente » , c'est-à-dire à « l'équilibre de la terreur » confirmé.

Les limites de "l'equilibre de la terreur"

Mais, si nous croyons que « l'équilibre de la terreur » a permis d'éviter jusqu'ici l'emploi des armes nucléaires - et donc, par représailles et escalades successives, le déclenchement de la troisième guerre mondiale - pendant toute une période historique, nous sommes en même temps persuadés qu'il n'en sera pas ainsi indéfiniment. La raison du changement possible nous semble de nouveau liée à l'amplification de la crise structurelle qui frappe le système capitaliste à l'échelle mondiale.

Ce qui distingue l'actuelle relance de la course aux armements nucléaires de celle des années 1950 et 1960, c'est qu'elle correspond davantage à un besoin économique intrinsèque de l'économie impérialiste lié à la dégradation a long terme de la situation économique du capitalisme. Dans des conditions de tassement du taux de profit et de stagnation des débouchés «normaux», la production d'armes est de plus en plus le «marché de substitution» par excellence qui relance l'accumulation du capital. 

Plus grand est le poids des dépenses d'armement dans l'économie impérialiste, plus grande est la pression pour accentuer l'austérité et en finir avec le Welfare State (État-providence) sous toutes ses formes, plus s'exacerbe la lutte de classe, y compris pour des objectifs immédiats et défensifs, et plus la bourgeoisie impérialiste est amenée à rechercher aussi un changement de régime politique au sein de ses principales citadelles (7).

Quand nous disons que les classes dominantes nord-américaine, européenne et japonaise, ont été et restent motivées au cours des trente dernières années par tout ce que leurs richesses impliquent concrètement, et notamment par des possibilités de manoeuvre qui résultent des immenses réserves qu'elles détiennent encore, nous entendons par là quelque chose de fort précis: un « climat » politique, social, militaire et idéologique d'ensemble résultant d'une longue période de croissance accélérée, et qui a profondément imprégné le personnel politique dirigeant de l'impérialisme, sur l'arrière-fond d'un rapport de force déterminé, tant avec la classe ouvrière qu'avec les bureaucraties soviétique et chinoise. 

Certes, c'est un personnel capable de mille initiatives barbares contre la révolution coloniale (tortures en Algérie, défoliants au Vietnam, massacres en Amérique latine, armes « antipersonnel » utilisées contre le peuple palestinien, etc.). Mais ce n'est pas un personnel politique prêt à la barbarie suicidaire d'un Adolf Hitler de 1944-1945 ou d'un général Hideki Tojo à la même époque au Japon.

Pour qu'un personnel politique prêt à la « solution finale » pour toute l'humanité arrive à la tête des principales puissances impérialistes, il faut un climat économique totalement différent, il faut que les principales forces du grand capital y soient littéralement acculées, il faut d'autres dominantes idéologiques, d'autres rapports de force entre les classes dans ces pays. Justement, avec la prolongation d'une « onde dépressive » de l'économie capitaliste internationale, avec l'accentuation de l'offensive d'austérité et de remilitarisation du capital international, apparaissent progressivement, dans les coulisses ou sur les bords de la scène, les personnages, les tendances, voire les forces politiques qui incarnent la résolution de se battre jusqu'à la mort sans phrase, y compris le suicide collectif, pour la plus grande gloire de la propriété privée, de la nation ou de la race, comme le firent Adolf Hitler et Hideki Tojo (mais cette fois-ci il s'agira de la mort nucléaire). 

Il serait profondément irresponsable d'écarter d'un revers de la main la possibilité d'un tel «tournant suicidaire» du personnel dirigeant du grand capital, une fois dépassé un certain seuil de la crise structurelle du capitalisme en déclin (comme le seuil dépassé en Allemagne vers 1932). Ceux qui croient que «l'équilibre de la terreur» ou la propagande anti-nucléaire peuvent nous sauver à tout jamais de l'holocauste nucléaire sont ceux qui croient à la petite voix qui susurre « Toi, tu ne peux pas mourir!». 

Hélas, notre destin à nous autres humains, c'est que non seulement les individus meurent inévitablement, mais que même l'espèce peut disparaître si elle ne maîtrise pas à temps sa destinée sociale, si elle ne la soumet pas à des règles rigides face à la menace nucléaire par la création d'un ordre social mondial qui rende impossible la guerre. Ce qui signifie en clair l'abolition de la propriété privée et de l'État national souverain et la constitution d'un pouvoir mondial des producteurs (la Fédération socialiste mondiale) qui interdise la fabrication de toute arme importante et qui ait les moyens d'imposer le respect de cette interdiction.

« L'équilibre de la terreur » perd progressivement son efficacité, au fur et à mesure que s'aggravent et la dépression et la crise capitalistes de longue durée, au fur et à mesure que se modifient les rapports de forces au sein des sociétés bourgeoises impérialistes, au fur et à mesure que s'amplifient l'austérité et la remilitarisation. Ces phénomènes sont structurellement liés les uns aux autres. 

Il en découle une première conclusion essentielle: la possibilité ou non de voir arriver au pouvoir des groupes de politiciens bourgeois prêts à déclencher la guerre nucléaire dépend de l'issue de l'ensemble des luttes de classes politiques et économiques des principaux pays capitalistes dans les années et les décennies a venir. Il leur faudra d'abord vaincre le prolétariat occidental (et le mouvement anti-impérialiste des pays dépendants les plus développés) avant de pouvoir pousser sur le bouton de l'holocauste. Voilà ce qui doit guider l'orientation des marxistes révolutionnaires ainsi que le cours politique de tous ceux et de toutes celles qui ont compris la gravité du péril nucléaire.

Un parallèle vient immédiatement à l'esprit. Vers la fin des années 1920, la fraction stalinienne a en grande partie motivé le cours criminel ultra-gauche, dit « de troisième période » de l'Internationale communiste par l'imminence du danger de guerre. Il y avait, certes, quelques éléments de vrai dans cette analyse. Mais nous savons aujourd'hui jusqu'à quel point Trotsky avait raison quand il soulignait que rien n'était décidé ni en 1928, ni en 1929, ni en 1931 (date du déclenchement de l'agression japonaise contre la Chine, qui a été en quelque sorte la prolongation de l'agression impérialiste plus générale, mais aussi plus diffuse, contre la révolution chinoise et le début de la marche vers la Seconde Guerre mondiale), ni même en 1936.

La marche vers la Seconde Guerre mondiale avait, certes, déjà commencé. Mais l'inévitabilité de la Seconde Guerre mondiale est passé par la défaite du prolétariat allemand de 1933, par la trahison de la montée révolutionnaire française de 1936, et surtout par l'étouffement puis par l'écrasement de la révolution espagnole de 1936-1937. Rien n'était fatal à ce propos, et certainement pas en 1928-1929. 

Dans ce sens, et avec toutes les réserves qu'appellent les analogies historiques, la situation d'aujourd'hui se rapproche davantage de celle de 1928-1931 que de celle d'après 1938. Les batailles de classe décisives sont devant nous, non derrière nous. Ce sont elles qui décideront de la marche vers la guerre.

On peut formuler une deuxième conclusion essentielle: le sort de l'humanité se joue dans une course de vitesse entre, d'une part, la capacité du mouvement ouvrier international a renverser le pouvoir dans les principales forteresses impérialistes - tout affaiblissement extérieur contribuant évidemment à ce renversement, mais sans pouvoir se substituer à lui -, d'y résoudre la question de la percée vers le socialisme et, d'autre part, la tentative de l'impérialisme d'infliger à ce mouvement ouvrier international des défaites décisives qui laisseraient le champ libre à la guerre nucléaire. L'offensive d'austérité et de remilitarisation débouche d'ailleurs, tôt ou tard, sur une offensive de remise en cause de l'essentiel des libertés démocratiques du mouvement ouvrier qui ouvrirait à son tour la porte à un changement fondamental du personnel politique impérialiste (8). 

La première voie implique la transcroissance de la révolution mondiale, de son développement fragmentaire et empirique à son développement universel et conscient. La seconde signifie la défaite de la révolution mondiale. La première voie sauve le genre humain, préserve les chances d'une renaissance de la civilisation dans le socialisme libéré de l'angoisse de l'holocauste nucléaire (9). La seconde conduit éventuellement sinon probablement à cet holocauste.

Importance des mobilisations anti-guerre et anti-nucleaires

Au fur et à mesure que s'amplifie l'offensive du Capital vers l'austérité, la remilitarisation amplifiée et les attaques de plus en plus graves contre les conquêtes sociales et politiques du prolétariat des pays impérialistes - en même temps que des coups de boutoir de plus en plus meurtriers et barbares contre la révolution coloniale - , « l'équilibre de la terreur » perd une partie de son efficacité comme obstacle principal de la marche vers la troisième guerre mondiale. Dans la même mesure s'accroît l'importance du mouvement anti-guerre (avant tout anti-guerre nucléaire), qui se développe aujourd'hui dans les principaux pays impérialistes, et dont la manifestation du 1er juin 1982 à New York (la plus grande manifestation de l'histoire des États-Unis sinon des pays impérialistes, avec un million de participants) n'a constitué qu'un avant-goût. 

Ce qui motive ce mouvement, ce n'est pas le désir immédiat de renverser le capitalisme, seul responsable de la course aux armements nucléaires, ou de soutenir la révolution à l'échelle mondiale, bien que ces motivations soient présentes chez de nombreux participants et qu'il soit du devoir des marxistes révolutionnaires de propager inlassablement ces idées et d'en accroître l'influence au sein du mouvement. Ce qui motive ce mouvement, c'est fondamentalement la peur de l'holocauste nucléaire, l'instinct physique de conservation. 

C'est pourquoi, à la surprise générale, les masses allemandes, qui ont pourtant un niveau de conscience politique bien plus bas que les masses françaises et italiennes, y participent bien plus largement que leurs frères et soeurs de classe dans les pays voisins. Car les masses allemandes sont convaincues que toute l'Allemagne sera détruite dès les premiers jours d'une guerre nucléaire, et elles veulent vivre.

Ceux qui, avec pédanterie, dénient à l'action de ces masses leur impact objectivement révolutionnaire, sous prétexte qu'elles ne font pas, de prime abord, la distinction entre États ouvriers bureaucratisés et États bourgeois, qu'elles emploient quelquefois le jargon concernant les prétendues « super-puissances» à mettre sur le même pied, qu'elles ne font pas preuve d'«internationalisme prolétarien » par rapport aux révolutions en cours (reproches qui sont d'ailleurs en partie faux), méconnaissent deux aspects essentiels de la situation mondiale : 

Primo, c'est l'impérialisme, et l'impérialisme seul qui a vitalement et désespérément besoin d'armes nucléaires pour sa stratégie militaire contre-révolutionnaire. Concentrer le mouvement contre les armes nucléaires, c'est donc frapper objectivement l'impérialisme. 

Secundo, ces mouvements de masse, dans la mesure où ils incluent des secteurs croissants du mouvement ouvrier organisé et de la jeunesse, déclenchent une dynamique objectivement anticapitaliste, indépendamment de l'idéologie utilisée par certains de leurs dirigeants. Car ils visent et viseront à imposer non seulement des mesures concrètes de désarmement unilatéral de l'impérialisme (contre l'installation de missiles Pershing et Cruise, contre les bases de l'Organisation du Traité de l' Atlantique-Nord - OTAN), mais encore une politique économique fondée sur l'alternative anticapitaliste à l'austérité et à la remilitarisation : des emplois et pas des bombes; des écoles et des hôpitaux et pas de bases militaires; la semaine de 35 heures par la réduction radicale du budget militaire, etc.

D'une manière plus générale, la lutte contre la course aux armements nucléaires et contre l'offensive de remilitarisation recoupe, au moins sur un point essentiel, la lutte contre la crise capitaliste et contre le capitalisme en général. Elle enseigne aux masses les plus larges qu'il n'y a aucune fatalité menant à la troisième guerre mondiale, pas plus qu'il n'y a de fatalité qui mène à la crise, à 35 millions de chômeurs dans les pays impérialistes, à la faim dans le Tiers-Monde ou à la torture partout. Les « cavaliers de l'Apocalypse» peuvent être arrêtés, à condition que les masses, que les exploités et les opprimés, saisissent leur destin dans leurs propres mains.

Dans ces conditions, il est du devoir des marxistes révolutionnaires de se battre aux premiers rangs du mouvement anti-guerre et anti-armes nucléaires, d'y être des éléments unitaires et fédérateurs, d'y entraîner le maximum de forces du mouvement ouvrier organisé et des « mouvements sociaux» qui en sont les alliés naturels, de faire descendre des millions et des millions de gens dans la rue de par le monde. 

Si ce mouvement s'amplifie et se généralise, nous connaîtrons l'itinéraire opposé à celui de 1913-1914 et de 1938-1939. Ces fois-là, la guerre avait étouffé la révolution; cette fois-ci, la révolution empêchera la guerre. C'est dans ce cadre unitaire que nous défendons l'ensemble de notre programme, et pour la solidarité avec les révolutions en cours, et avec toutes les victimes des guerres contre-révolutionnaires « locales » de l'impérialisme. Nous, marxistes révolutionnaires, ne subordonnons pas la mobilisation unitaire au débat idéologique, parce que nous comprenons l'impact décisif de ces mobilisations sur les chances objectives de révolution mondiale.

Dans le même sens, nous appuyons résolument les mouvements de masse autonomes contre la course aux armements en République démocratique allemande (RDA) et dans les autres pays d'Europe Orientale. Non pas que nous mettions sur le même pied des États ouvriers et des États bourgeois, ou que nous aurions oublié le devoir de défendre, en cas de conflit militaire, les premiers contre les seconds. Mais nous comprenons que, dans la situation mondiale d'aujourd'hui, tout ce qui favorise la mobilisation la plus large et la plus unitaire pour le désarmement unilatéral de l'impérialisme en Europe constitue un coup mille fois plus dur contre l'impérialisme, et donc une contribution mille fois plus efficace à la défense de l'URSS et des autres États ouvriers, que quelques fusées en plus ou quelques conflits disciplinaires en moins dans l'armée de tel ou tel État ouvrier. 

En enlevant à la bourgeoisie un de ses principaux arguments politiques pour diviser le mouvement anti-guerre en Occident et freiner son essor, le mouvement anti-guerre à l'Est porte objectivement un coup à l'impérialisme plus qu'à la bureaucratie. En réclamant un contrôle public et démocratique des masses sur la politique militaire et étrangère, le mouvement anti-guerre autonome en Europe orientale et en URSS y stimule objectivement la révolution politique anti-bureaucratique. Celle-ci est partie intégrante de la révolution mondiale et donc de la lutte pour sauver l'humanité de l'anéantissement nucléaire. Comme viennent de le démontrer successivement les avancées de la révolution politique et de la contre-révolution en Pologne (10), elles entraînent des conséquences quasi immédiates - positives dans le premier cas, négatives dans le second - pour la lutte anti-impérialiste et anticapitaliste à l'échelle internationale.

Notre débat avec les pacifistes

Il est faux et contre-productif d'engager le débat avec les pacifistes sur le terrain de savoir s'il est, oui ou non, prioritaire d'abolir les armes nucléaires (de même que les écologistes disent qu'il est prioritaire de sauver la biosphère de la pollution) plutôt que d'abolir le régime capitaliste. Nous renversons la question: «Il est impossible d'éliminer la menace de guerre nucléaire sans éliminer le régime de propriété privée des moyens de production, la concurrence et l'économie de marché qui en découlent, l'âpreté au gain individuel, la production pour le profit et toute leur logique infernale, y compris de frustrations et d'agressivité exacerbées. Rien ni personne n'empêcheront des groupes ou des individus d'acheter des machines et de la main-d'oeuvre pour gagner plus d'argent en fabriquant des armes potentiellement destructrices de l'humanité. 

Pour empêcher des groupes sociaux de jouer la survie du genre humain à la roulette russe, il faut créer des conditions sociales et matérielles nécessaires à ce dessin par la victoire de la révolution socialiste mondiale, par la création de la Fédération socialiste mondiale, par la socialisation des moyens de production, leur emploi sous le contrôle public le plus large, libéré de tout «secret».

Nous reprochons donc aux pacifistes, non pas d'« exagérer» le danger des armes nucléaires, mais de le sous-estimer. Nous leur reprochons de se contenter de mesures temporaires - la lutte pour telle ou telle mesure immédiate que nous appuyons évidemment, telle la lutte pour la zone dénucléarisée en Europe, du Portugal à la Pologne - , sans voir que le danger terrifiant subsistera aussi longtemps que subsisteront le régime capitaliste et l'État national souverain, c'est-à-dire la possibilité, pour certains, de décider de la fabrication de ces bombes derrière le dos de la grande majorité du genre humain. 

Nous disons aux pacifistes radicaux que l'humanité ne sera libérée du cauchemar de la menace nucléaire que si elle prend elle-même en main le droit et le pouvoir de décider ce qui est produit, et aussi ce qu'il est interdit de produire. Cela suppose la suppression de la propriété privée, de la concurrence entre individus, entre États, et de l'économie marchande. "Si vous n'êtes pas prêts à payer ce prix, c'est que vous préférez courir le risque de voir disparaître le genre humain plutôt que de modifier le régime social qui conduit au suicide collectif."

Pour nous, la cause de la lutte contre la guerre et de la lutte pour le socialisme n'est qu'une. Seul un monde socialiste autogéré sera un monde sans armes. Les hommes et les femmes qui habitent cette planète, ayant compris le terrible danger qu'ils courent, décideront collectivement qu'on ne fabriquera plus d'armes d'extermination et créeront le seul régime social capable de faire respecter cette interdiction.

Autant nous sommes partisans de toute lutte, de toute mobilisation concrète, immédiate, contre l'actuelle relance impérialiste de la course aux armements, autant nous continuerons sans relâche à dénoncer l'illusion historique qu'il est possible d'abolir les armes d'extermination sans détruire le régime capitaliste. Elle est du même ordre que l'illusion des années 1950 et 1960 selon laquelle il aurait été possible d'empêcher les crises économiques sans abolir la domination du capital. Elle risque de connaître le même sort, avec un résultat mille fois plus terrifiant pour le genre humain.

De même que la lutte contre l'austérité, la lutte contre la remilitarisation ne peut atteindre sa pleine ampleur, et surtout ne peut arracher la victoire, que si elle débouche sur une solution anticapitaliste d'ensemble: arracher le pouvoir politique à la bourgeoisie. Il n'y a pas d'autre issue historique à la crise de l'humanité - dont la course au suicide nucléaire est l'expression la plus condensée - que la conquête du pouvoir par les travailleurs et son exercice à l'échelle mondiale dans le cadre de la démocratie socialiste pluraliste la plus large, fondée sur l'autogestion planifiée des producteurs.

Ernest Mandel, 1er juillet 1982.

Notes:

1. Citons, parmi ces ouvrages, celui d'un ancien président des État-Unis, Richard Nixon, qui s'intitule la « Troisième guerre mondiale a commencé », et celui de l'ancien chef d'état-ma-jor adjoint de l'armée britannique, le général sir John Hackett, The Third World War (Sphere Books, Londres, 1978). Mentionnons aussi l'article devenu célèbre d'Edward Thompson, Exterminism, the Last Step of Civilization, repris du Symposium Exterminism and the Cold War Il, publié par la New Left Relllew, (Verso Books, Londres, 1982).
2. Selon l'étude Comprehensible Study on Nuclear Weapons, soumise à l'Assemblée générale des Nations-Unies de 1980, on a calculé que l'explosion de 1.000 ogives nucléaires de 1 mégatonne contre l'URSS et les USA causerait instantanément la mort de 150 à 200 millions de personnes dans ces deux pays. Or, Il y a actuellement déjà plus de 40.000 ogives nucléaires stockées de par le monde. Et il faut tenir compte des pertes causées ultérieurement par les retombées radioactives, la famine, la contamination, etc.
3. C'est le titre de l'essai initial du livre de Jonathan Shell, The Fate of the Earth (Pan Book, London, 1982), livre par ailleurs faible et inconséquent, mais qui décrit avec une grande force de conviction les conséquences, suicidaires pour le genre humain, d'une guerre nucléaire.
4.En dernière analyse, seule la victoire du prolétariat dans les pays impérialistes les plus hautement développé, et allant tout la victoire du prolétariat américain, peut délivrer l'humanité du cauchemar de l'anéantissement nucléaire. Telle est, définitivement, la solution révolutionnaire socialiste que la IVe Internationale oppose aux illusions utopiques de la "coexistence pacifique" et de la victoire dans une guerre nucléaire mondiale. cf. Dialectique actuelle de la révolution mondiale, document adopté par le Congres de réunification de la IVe Internationale, juin 1963.
5.Nombreuses sont les sources déjà publiées qui attestent de débats au cours desquels l'emploi des armes nucléaires a été envisagé par les dirigeants de l'impérialisme américain, A ces occasions-là, quand les sources aujourd'hui encore secrètes seront accessibles, on verra que ces occasions n'étaient pas les seules.
6. Voir notre chapitre sur « l'idéologie du capitalisme du troisième âge » dans Ernest Mandel, le Capitalisme du troisième âge, UGE, 10/18, Paris, 1975.
7. Un but parallèle de la relance de la course aux armements nucléaire par l'impérialisme est d'aggraver la crise économique et sociale en URSS. Par suite du déclin du taux de croissance de l'économie soviétique, le Kremlin se trouvera acculé à des choix déchirants . I1 doit accroître considérablement ses dépenses militaires, comme Washington entend l'y obliger. Pour éviter qu'il en soit ainsi, il devra payer un prix politique dont l'impérialisme s'efforce d'augmenter le montant.
8, A plusieurs reprises, nous avons insisté sur les risques politiques inhérents au maintien de la démocratie bourgeoise pour une démocratie engagée dans une politique d'appauvrissement systématique des masses laborieuses. Certes, il n'y a rien d'automatique dans des victoires de la gauche réformiste dans de telles circonstances; elles dépendent de beaucoup de facteurs, variant d'un pays à l'autre et d'une situation à une autre. Néanmoins, le risque d'un désastre électoral pour la bourgeoisie, comparable à celui du 10 mai 1981 en France, est réel dans de telles conditions. Récemment, pour la première fois dans l'histoire, la gauche réformiste a obtenu à l'île Maurice tous les mandats parlementaires lors d'élections pourtant organisées sous un gouvernement de droite.
9. Deux intellectuels anglo-saxons, qui n'ont pourtant rien de révolutionnaires, viennent de se prononcer pour l'abolition et l'interdiction immédiate des armes nucléaires: le Britannique lord Soy Zuckerman (Nuclear Illusion and Reality, New York. Vikini Press. 1982). ancien principal conseiller scientifique du ministère britannique de la Défense, et l' Américain Theodor Draper, historien social-démocrate spécialisé dans l'étude du stalinisme et anti-communiste convaincu (How Not to Think About Nuclear War dans New York Relliew of BoohB, 15 juillet 1982). Mais ils ne répondent pas à la question de savoir quelles sont les préconditions politiques et sociales pour permettre pareille abolition et interdiction.
10. Révolution politique et contre-révolution en Pologne, résolution adoptée par IIe Comité exécutif International (CEI) de la IVe Internationale, le 27 mai 1982, dans Inprecor', numéro 130 du 12 juillet 1982.

 

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