Notre
camarade Ernest Mandel est mort inopinément le jeudi 20 juillet
1995. Une crise cardiaque l'a foudroyé alors qu'il avait encore
tant de projets à concrétiser. En dépit du camp international
des jeunes organisé par la Quatrième Internationale à cette période,
en dépit de l'absence de nombreux militants partis en congé,
plus de deux cents personnes ont accompagné sa dépouille à
Anvers, le mercredi 26 juillet. Plusieurs personnalités de différentes
tendances du mouvement ouvrier étaient présentes. Leen
Vandamme a annoncé les manifestations d'hommage prévues en
septembre (voir en page 2), François Vercammen a brossé le
tableau de la vie et de l'oeuvre du défunt, Jacques Yerna a évoqué
différents souvenirs de sa collaboration avec lui dans les années
cinquante et soixante et Nadine Peeters a témoigné de
l'influence d'Ernest dans les jeunes générations.
Fondé
à l'initiative d'Ernest Mandel en 1957, notre journal se doit
bien entendu de rendre hommage au disparu. Ce numéro lui est
entièrement consacré. II fera l'objet d'une diffusion spéciale
dans le mouvement ouvrier et les autres mouvements sociaux,
ainsi qu'en direction de la presse. Dans la première partie,
des responsables de la Quatrième Internationale retracent la
vie et l'oeuvre du disparu. La deuxième partie regroupe des témoignages
de personnalités qui ont collaboré avec Ernest dans le passé.
Il va de soi que la rédaction du journal n'endosse pas nécessairement
leurs opinions politiques actuelles.
Il
ne s'agit pas seulement d'évoquer la vie, les espoirs et les
combats d'un homme. A partir du moment où la conscience
politique d'Ernest s'est éveillé, son existence a été
indissolublement liée à celle du mouvement ouvrier
international et du courant marxiste en son sein. Les avancées
et les reculs de la révolution mondiale ont rythmé la vie et
l'oeuvre de notre camarade. Evoquer son itinéraire militant,
c'est ouvrir le livre de la lutte des classes pour parcourir
avec le regard du militant les pages brûlantes consacrées aux
soixante dernières années. A l'issue de cette lecture, ce
n'est pas seulement un individu qui se présente, la tête
haute, devant le tribunal de l'Histoire: c'est une vision de
l'humanité, un programme et une pratique politique qui
apparaissent dans leur globalité, révèlent leur sens
historique, montrent leur cohérence philosophique et se
soumettent sans crainte à la critique des hommes et des femmes.
En
tant qu'homme, Ernest est un individu parmi les autres. Nous
saluons sa sensibilité et sa grande capacité d'insoumission,
de révolte contre toutes les humiliations. Cette capacité est
intimement liée à la combinaison, caractéristique chez lui,
des facteurs subjectifs et objectifs dans l'analyse marxiste. En
tant que militant, le bilan exceptionnel d'Ernest est aussi
celui de ces milliers d'hommes et de femmes qui ont osé se
lever, au cours des dernières décennies, pour clamer leur foi
rationnellement fondée dans un socialisme mondial, démocratique
et autogestionnaire, et qui ont puisé dans cette foi l'énergie
de lutter contre l'exploitation et l'oppression capitalistes - même
quand celles-ci prenaient les formes les plus immondes.
Nous,
POS, sommes en partie ces militants et militantes, en partie
leurs successeurs. C'est dire que ce bilan est aussi le nôtre.
Nous n'avons pas besoin de le farder pour en être fiers: il est
sans tache. Nous le revendiquons dans sa globalité. De la lutte
contre le stalinisme dans le mouvement communiste à la critique
de Gorbatchev, de la Résistance à Mai 68, du soutien à Cuba révolutionnaire
à la campagne contre la guerre du Vietnam, de l'intervention
dans la "Grève du Siècle" aux réseaux des
"porteurs de valise" pendant la guerre d'Algérie, de
la fondation de La Gauche au sein au PSB à celle de la LRT-POS,
en passant par celle du PWT et de l'UGS.
Nous
n'avons rien à cacher. Mais notre fierté n'émoussera jamais
l'esprit autocritique sans lequel il n'y a ni marxistes ni révolutionnaires
dignes de ce nom. Car ce bilan ne justifie pas seulement ce que
nous sommes en montrant ce que nous avons été. Il est le socle
sur lequel nous bâtissons ce que nous voulons être demain.
Nous avons besoin que le bilan soit vrai. Pour surmonter nos
faiblesses. Pour nous orienter en cette époque de grand désarroi.
Pour acquérir la force de caractère de nos aînés - d'Ernest
en particulier. Car aucune théorie, si juste soit-elle, ne
suffira pour affronter en révolutionnaires les terribles épreuves
que le capitalisme mondialisé a déjà commencé de faire
pleuvoir sur la tête de l'humanité. En Bosnie, au Rwanda, en
Palestine...
Nous
refuserons tout culte de la personnalité. Comme penseur
marxiste et militant révolutionnaire, nous ne craignons pas de
dire qu'Ernest Mandel se situe dans la lignée des plus grands
des théoriciens du marxisme et a enrichi celui-ci. Mais Ernest,
comme Léon Trotsky, comme Rosa Luxembourg, comme Vladimir
Oulianov "Lénine", comme Karl Marx, avait ses forces
et ses faiblesses. Sur le plan humain, il portait comme chacun
et chacune des stigmates de cette société aliénée et aliénante.
Sur le plan politique il lui est arrivé de se laisser entraîner
trop loin par son optimisme révolutionnaire. Sur le plan
militant, il a connu de grands succès, mais aussi des échecs.
Cela aussi nous l'assumons. Plus encore: nous ne craignons pas
de dire que c'est seulement ainsi, dans leur vérité humaine et
historique, qu'Ernest, ses combats et son oeuvre peuvent rester
vivants en nous et, à travers nous, contribuera orienter les
combats du prolétariat vers la révolution socialiste. Tel est
le sens de l'hommage que nous lui rendons aujourd'hui.
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