La
réédition du livre d'Ernest Mandel
est l'occasion d'une mise en perspective des débats
contemporains. Pour autant, le commentaire qui en est proposé
ici ne vise pas à une discussion systématique. Il est plutôt
le fruit d'un travail intéressé qui a consisté à se plonger
dans le magnum opus de
Mandel, non pour une défense et illustration posthume, mais
comme une invitation aux bilans et aux avancées critiques.
C'est là, sans doute, le meilleur moyen de s'inscrire dans la
tradition et la méthode d'un marxisme ouvert auquel Mandel était
tellement attaché.
La
thèse centrale du Troisième
âge est ainsi résumée au tout début de son dernier
chapitre : "Le
troisième âge du capitalisme est l'époque de l'histoire du
mode de production capitaliste au cours de laquelle la
contradiction entre la croissance des forces productives et les
rapports de production capitalistes vieillissants a pris une
forme explosive. Cette contradiction déclenche une crise généralisée
de ces rapports de production".
L'ouvrage de Mandel a été écrit entre 1970 et 1972, et cette
thèse doit donc être replacée dans la conjoncture de l'époque.
L'explosion sociale de 1968 avait déjà eu lieu, mais la première
récession généralisée de 1974-75 restait à venir. La
proposition de Mandel n'était donc pas un simple constat mais
en grande partie une anticipation. Certes, on parlait de crise
du capitalisme, mais plutôt sous forme d'une crise générale
de civilisation. Les Etats-Unis étaient entrés dans une crise
de domination, avec un retournement cyclique très marqué en
1967, la fin de la convertibilité annoncée par Nixon en 1971,
et évidemment la guerre d'intervention impérialiste au
Vietnam. Mais la fin des années d'expansion, et le passage à
une longue période de croissance faible et de montée du chômage
de masse ne faisaient pas partie de l'horizon économique. La
critique du capital était directement sociale et politique et,
pour le reste, il suffisait de proclamer "les patrons
peuvent payer". L'actualité du socialisme était de
nouveau à l'ordre du jour, mais c'était en un certain sens les
succès économiques du capitalisme qui rendaient plausibles le
passage à une autre organisation de la société. Que
l'anticapitalisme ait ensuite régressé avec les taux de
croissance n'est donc pas complètement paradoxal.
Prophéties
La
dimension prophétique de l'oeuvre de Mandel peut fournir un
premier fil directeur à cette relecture. Une plaisanterie
courante chez ses adversaires consistait à dire qu'à force de
prévoir la crise, on finit évidemment par avoir raison. Cet
humour de bon aloi n'est cependant pas parfaitement réversible :
tant de bons esprits promettent la fin de la crise depuis un
quart de siècle, et le temps passe sans que la réalité vienne
confirmer leur bel optimisme. Mais justement, il s'agit de
restituer le climat intellectuel et politique d'une époque
qu'une génération sépare de la nôtre. Il n'est donc pas
inutile de rappeler à quel point l'affirmation de la supériorité
d'un capitalisme dorénavant capable de maîtriser ses
contradictions faisait alors figure d'évidence. Dans son livre
sur la crise,
Mandel se délecte lui-même en citant quelques autorités de l'époque,
comme Samuelson : "grâce
à l'emploi approprié et renforcé de politiques monétaires et
fiscales, notre système d'économie mixte peut éviter les excès
des booms et des dépressions, et peut envisager une croissance
progressive saine". En 1969, Harrod écrit dans son
manuel Money que "le
plein emploi plus ou moins intégral devrait être considéré
maintenant comme un aspect institutionnel de l'économie
britannique". En 1970, dans L'équilibre
et la croissance économique, Stoleru renchérit : "On a dit, souvent, qu'une crise telle que la Grande Dépression ne
pourrait plus se reproduire de nos jours, compte tenu des progrès
des moyens d'intervention anticyclique de l'Etat. Ces prétentions,
pour quelques présomptueuses qu'elles paraissent ne sont pas
sans fondement".
On
ne peut ensuite séparer les pronostics de la méthode qu'ils
utilisent, ni des hypothèses qu'ils mettent en oeuvre. Ceux que
faisaient Mandel, à contre-courant, n'étaient pas avancés au
hasard, et ne relevaient pas non plus d'un catastrophisme systématique.
C'est pourquoi il est utile de revenir encore un peu en arrière,
comme il y invite d'ailleurs lui-même quand il explique dans sa
préface à l'édition allemande que le projet de rédiger le Troisième
âge découlait de son insatisfaction par rapport au
chapitre 14 du Traité
d'économie marxiste.
Ce chapitre, rédigé en 1961, s'appelle "L'époque de déclin
du capitalisme" et mérite quelques commentaires. Il
propose une analyse du capitalisme monopoliste d'après guerre,
avec une insistance particulière accordée à l'Etat et à
l'inflation, et à leur rôle dans le financement de
l'accumulation. (Mandel parle même de
"surcapitalisation"). L'intervention de l'Etat permet
d'atténuer "l'ampleur
des fluctuations cycliques", mais ce résultat est
contradictoire car il débouche sur l'inflation. Quant au Welfare
State, son développement est borné par son effet en retour
sur le taux de profit, dans la mesure où une politique de
redistribution du revenu en faveur des salariés "tendraient
à accroître considérablement le salaire minimum vital, les éléments
historiquement considérés comme nécessaires dans ce salaire,
et ce, non par suite d'une augmentation de la productivité du
travail, mais par une véritable redistribution du revenu
social, c'est-à-dire par une baisse considérable du taux de
profit".
Néocapitalisme
C'est
donc dès le début des années soixante que Mandel prend
conscience des performances du capitalisme d'après-guerre, et
ce constat le conduit à introduire le terme de "néocapitalisme".
L'exposé le plus pédagogique de ses conceptions se trouve dans
les conférences prononcées en 1963 à l'occasion d'un stage de
formation du PSU. Mandel s'y réfère à
Kondratieff puis souligne que "la
vague à long terme qui a commencé avec la deuxième guerre
mondiale et dans laquelle nous sommes encore – disons la
vague 1940-1965 ou 1940-1970 – a, au contraire, été
caractérisée par l'expansion". Celle-ci permet "une
élévation tendancielle du niveau de vie des travailleurs".
Ce fonctionnement relativement inédit du capitalisme renvoie à
une configuration particulière qui prend avant tout la
forme d'une intervention croissante des pouvoirs publics dans la
vie économique. Sa nécessité résulte en grande partie de la
guerre froide et, de manière plus générale, du défi lancé
au capitalisme par "l'ensemble
des forces anticapitalistes". Cette expansion continue
admet aussi une base matérielle, qu'il faut aller chercher dans
les effets d'une "révolution
technologique permanente" qui n'obéit plus au rythme
cyclique d'évolution décrit par Schumpeter, en raison de la
part prépondérante de la recherche militaire. La course aux
armements représente de ce point de vue "un véritable stimulant d'une recherche permanente, sans
interruption et pratiquement sans considération économique".
Cette révolution technologique a pour effet de raccourcir la "période de renouvellement du capital fixe" et de réduire
la durée mais aussi l'amplitude des cycles. Parmi les
instruments anticycliques, Mandel mentionne également
l'importance accrue des prestations sociales dans le revenu
national. Ce salaire différé "joue le rôle d'un coussin d'amortissement qui empêche une chute
trop brusque et trop forte du revenu national en cas de
crise".
La
tendance à l'inflation permanente est la conséquence de ces
dispositifs nouveaux, et principalement des dépenses
d'armement. Elle résulte aussi du comportement des monopoles
qui introduisent une rigidité à la baisse des prix. Economie
concertée et politique des revenus contribuent également à réduire
les fluctuations cycliques en essayant d'éviter les mouvements
revendicatifs durant "la
seule phase du cycle pendant laquelle les rapports de force
entre les classes jouent en faveur de la classe ouvrière",
de telle sorte qu'on obtient au total "un cycle dans lequel la part relative des salariés dans le revenu
national aura tendance à baisser en permanence". Le
tableau est donc dressé et il sera développé de manière plus
systématique en 1964, dans un article des Temps
Modernes.
Ces
divers éléments permettent à Mandel d'analyser les fondements
de la "vague à long terme", et d'annoncer, dans le même
mouvement, sa fin prochaine La notion de néocapitalisme est de
ce point de vue l'inverse d'une théorisation de la fin des
contradictions capitalistes. Le texte qui synthétise sans doute
le mieux la logique de ce pronostic se trouve dans les thèses
sur "la nouvelle montée de la révolution mondiale"
adoptées en avril 1969 par le 9ème congrès de la Quatrième
Internationale :
"Les marxistes révolutionnaires
ont offert (...) une analyse globale des raisons de la longue période
d'expansion de l'économie impérialiste qui cadre avec la théorie
marxiste générale (...) Cette analyse débouchait sur trois
conclusions : d'abord, que les moteurs principaux de cette
longue période d'expansion allaient s'épuiser progressivement,
provoquant du même fait une aggravation de plus en plus nette
de la concurrence inter-impérialiste ; ensuite, que
l'application délibérée des techniques keynésiennes
anticrise accentuerait l'inflation universelle et l'érosion
permanente du pouvoir d'achat des monnaies, ce qui finirait par
provoquer une crise très grave du système monétaire
international ; enfin, que ces deux facteurs pris
conjointement allaient multiplier les récessions partielles et
qu'on s'orienterait vers une récession généralisée de l'économie
impérialiste, certes différente de la grande crise de
1929-1932 tant par son ampleur que par sa durée, mais qui
frapperait néanmoins tous les pays impérialistes et dépasserait
largement l'ampleur des récessions des vingt dernières années.
Deux de ces conclusions se sont déjà vérifiées ; la
troisième s'annonce pour le début des années
soixante-dix".
Ce
texte force l'admiration, si on se souvient encore une fois
qu'il est antérieur à la récession de 1974-75. On voit qu'il
s'inscrit dans une longue série de travaux consacrés au
capitalisme concret, et qu'on ne peut donc pas le taxer de
catastrophisme permanent. Au contraire, la réflexion sur le néocapitalisme
pouvait paraître peu orthodoxe aux partisans d'une version
dogmatique du marxisme, qui leur interdisait d'intégrer les
transformations du capitalisme et, accessoirement, de simplement
citer Mandel.
Salaire
L'analyse
de l'onde longue d'après-guerre conduit à poser la question de
la progression du salaire réel. Comment s'inscrit-elle dans une
lecture marxiste ? Chez Mandel, le point de départ est une
critique de la "théorie" de la paupérisation absolue
développée notamment par les économistes staliniens des années
cinquante. La question est ensuite de savoir si le capitalisme
peut durablement augmenter le salaire réel des travailleurs ou,
plus exactement, dans quelle mesure il peut ristourner aux
salariés tout ou partie des gains de productivité. Cette
question est évidemment absolument centrale et l'expérience de
l'après-guerre montre que la réponse doit être positive,
comme l'illustre le tableau 1, construit
à partir de données françaises, qui n'ont rien
d'exceptionnel. La période qui va de 1946 à 1976 est caractérisée
par une progression annuelle moyenne de 4,5 % du salaire réel,
qui a donc été multiplié par 3,8 en trente ans, alors qu'il
ne l'a été que de 1,7 sur le reste du siècle qui vient de s'écouler.
Tableau 1
Salaire
et productivité
Période
|
Croissance
du
salaire réel
|
Croissance
de
la productivité
|
1896-1938 (42
ans)
|
1,3
fois (0,6 %)
|
2,0
fois (1,6 %)
|
1946-1976 (30
ans)
|
3,8
fois (4,5 %)
|
5,0
fois (5,5 %)
|
1976-1996 (20
ans)
|
1,4
fois (1,5 %)
|
1,6
fois (2,5 %)
|
1896-1996 (100
ans)
|
6,3
fois (1,9 %)
|
13,5
fois (2,6 %)
|
Accroissement
sur chaque période. Entre parenthèses, taux annuel moyen.
Source :
Pierre Villa
C'est
pourquoi Mandel souligne à juste titre la présence d'une "élévation tendancielle du niveau de vie des travailleurs".
Faut-il y voir un démenti flagrant apporté par le capitalisme
d'après-guerre à la théorie marxiste ? Si l'on remonte
à Marx lui-même, cette question ne manque pas de pertinence.
On trouve par exemple dans la version allemande du Capital
cette affirmation catégorique : "au
fur et à mesure que croît la productivité du travail, le
travailleur devient meilleur marché, donc le taux de plus-value
augmente, même si le salaire réel augmente également. Ce
dernier ne croît jamais dans la même proportion que la
productivité du travail".
Cette dernière phrase est d'ailleurs citée par Varga dans un
texte consacré à la question de la paupérisation absolue.
Or, ce passage est rédigé de manière différente dans l'édition
française, où il ne reste plus que cette affirmation banale :
"En mettant les subsistances à meilleur marché, le développement
des pouvoirs productifs du travail fait que les travailleurs
baissent aussi de prix". Maximilien Rubel signale
bien dans une note à l'édition de la Pléiade qu'il s'agit
d'une rectification portant sur l'idée que le taux de
plus-value augmente, en dépit de la progression du pouvoir
d'achat ouvrier.
Il
ne s'agit pas là de pure marxologie, car l'hésitation de Marx
pose, au fond, la question de savoir, si le concept régulationniste
de "fordisme" est ou non antithétique à celle du
marxisme sur ce point. On a beaucoup de raisons de penser que
c'est effectivement ce schéma que Marx avait en tête,
autrement dit qu'il raisonnait la plupart du temps sur un modèle
de capitalisme incompatible avec une progression du salaire réel
parallèle à celle de la productivité du travail ; si tel
est le cas, il se trompe, sans que cette erreur remette
d'ailleurs en cause la cohérence d'ensemble de sa théorie. En
fait, la discussion la plus approfondie de Marx se trouve dans
le texte présenté comme le chapitre inédit du Capital.
On y retrouve une proposition semblable : "L'analyse du procès de production capitaliste a montré
qu'abstraction faite de l'allongement de la journée de travail,
la force de travail tendait à devenir meilleur marché du fait
de la diminution de prix des marchandises entrant dans la
consommation de l'ouvrier et déterminant la valeur de sa force
de travail autrement dit, la partie payée du travail diminue,
tandis que la partie non payée s'accroît".
Ce raisonnement est à moitié macro-économique et plutôt
statique. Il montre bien que les gains de productivité font
baisser la valeur de la force de travail, mais que se passe-t-il
en dynamique ? Dans la mesure où Marx refuse la loi
d'airain des salaires, il existe toujours la possibilité que la
détermination de la valeur de la force de travail intègre des
valeurs d'usage supplémentaires. Par ailleurs, surgit immédiatement
la question de la réalisation. Si le taux de plus-value
augmente uniformément avec la progression de la productivité,
alors la part des salaires doit baisser régulièrement, et, en
même temps, les débouchés qu'elle représente. Et c'est bien
sur cette question que, dans le même passage, Marx polémique
avec Proudhon : "Comment la classe ouvrière, avec sa recette de la semaine, c'est-à-dire
son seul salaire, pourrait-elle acheter une masse de
marchandises qui, en plus du salaire, contient une plus-value ?".
Il répond classiquement en disant que l'ouvrier n'achète
qu'une part du produit social. C'est cependant une autre
question qui se posait dans le contexte, celle de savoir qui achète
la fraction du produit social correspondant à une plus-value
croissante.
Au
fond, on peut lire un grand nombre de contributions marxistes de
l'après-guerre comme un moyen de répondre à cette question
tout en excluant, au moins théoriquement, la possibilité d'une
croissance des salaires réels. Mandel a clairement critiqué la
théorie de la paupérisation absolue et adopte dans le Troisième âge une position d'indétermination de principe : "Dés
lors que l'armée de réserve industrielle demeure stable ou décroît
à long terme, l'élévation de la productivité du travail a un
effet double et contradictoire sur le niveau des salaires :
d'une part, elle réduit la valeur de la force de travail,
puisque les marchandises habituellement considérées comme nécessaires
à la reproduction de la force de travail perdent de la valeur ;
d'autre part, elle augmente la valeur de la force de travail,
puisque de nouvelles marchandises sont incorporées au minimum
vital (par exemple les biens de consommation durables, dont le
prix est entré peu à peu dans le salaire moyen)".
Ensuite, le chapitre 5 sur le taux de plus-value bifurque
insensiblement, en ce sens qu'il laisse de côté la question de
l'évolution relative des gains de productivité et du salaire réel.
Aucun des chiffres cités n'examine la progression des gains de
productivité, et la discussion porte directement sur des
indicateurs, d'ailleurs souvent discutables, du taux de
plus-value.
Mandel
insiste à juste titre pour dire que ce rapport fondamental dépend
étroitement du taux de chômage, pris comme indicateur des
rapports de force sociaux, et accessoirement seulement du taux
d'accumulation. Par ailleurs, Mandel fait jouer un rôle
essentiel à ce que l'on pourrait appeler l'élévation
primitive de la plus-value aux lendemains immédiats de la
Seconde Guerre Mondiale, en ce qu'elle a permis d'emmagasiner
des réserves de rentabilité. Tout cela ne prête pas vraiment
à débat. En revanche, la question du salaire réel, en
relation avec la productivité a une nouvelle fois disparu. Il y
a là un point aveugle de l'analyse de Mandel, qui conduit à négliger
la croissance absolument exceptionnelle des gains de productivité,
comme base possible d'une progression du salaire réel (voir à
nouveau le tableau 1).
Avec
le recul du temps, c'est sans doute là que réside l'apport régulationniste,
que la représentation par certains côtés orthodoxe de Mandel
l'a empêché de prendre complètement en considération. On
peut en effet identifier deux caractéristiques essentielles de
son "modèle". La première est une approche des schémas
de reproduction déconnectée du mode concret de satisfaction
des besoins sociaux. La seconde est, quitte à introduire des
notions étrangères à la théorie marxiste, une conception
d'un progrès technique fortement biaisé dans le sens de
l'alourdissement du capital. Ces deux aspects sont évidemment
liés.
Les
schémas de reproduction
Les
schémas de reproduction ont souvent donné, lieu dans la
tradition marxiste, à une utilisation hors de propos. C'est ce
que dit Mandel dès les premières pages du Troisième
âge : "nous
estimons que les schémas de reproduction ne sont pas
utilisables pour la recherche des lois de développement du
capital ou de l'histoire du capitalisme".
C'est un point de vue méthodologique qu'il est important de
rappeler, d'autant plus que Mandel l'enfreint à plusieurs
reprises. A un premier niveau, il consiste à montrer qu'il
existe un nombre trop grand de paramètres, et que les évolutions
des grandeurs fondamentales sont donc relativement indéterminées.
La tentation est donc grande de vouloir réduire le nombre de
"degrés de liberté" en imposant des conditions supplémentaires
afin d'engendrer un modèle déterministe de l'évolution du
capitalisme, par exemple en imposant une règle de
proportionnalité entre les deux sections de l'économie. De
telles contraintes n'ont pas de raison d'être, et ce type de théorisation
de la dynamique du capital, de ses crises (voire de son
effondrement final) repose sur des formulations ad
hoc sans grand intérêt. Symétriquement, on ne peut pas
non plus se prévaloir de simulations arithmétiques pour démontrer
qu'une croissance harmonieuse est compatible avec les lois de
l'accumulation capitaliste. Ces versions opposées,
catastrophistes ou au contraire harmonicistes, tombent de surcroît
dans un travers identique, qui est la difficulté à comprendre
l'alternance d'ondes longues expansive et récessive. Dans un
cas, ce sont les crises qui apparaissent comme incompréhensibles,
dans l'autre, c'est au contraire le non-effondrement du système
qui devient inexplicable.
Le
second niveau de critique de l'utilisation habituelle des schémas
de reproduction suppose un détour. Il s'agit cette fois de
s'extirper d'une vision simpliste opposant un marxisme qui ne
s'intéresserait qu'aux valeurs d'échange à une théorie néo-classique
faisant jouer un rôle central à l'utilité. Or, les valeurs
d'usage importent, même dans le champ du marxisme, et le
bouclage concret des schémas de reproduction suppose une
certaine correspondance entre ce qui est produit et ce qui est
consommé. Marx écrit par exemple que "pour qu'une marchandise puisse être vendue à sa valeur de marché,
c'est-à-dire proportionnellement au travail social nécessaire
qu'elle contient, la masse totale du travail social utilisée
pour la totalité de cette sorte de marchandise doit
correspondre à l'importance du besoin social existant pour
cette marchandise, c'est-à-dire du besoin social solvable".
Cette nécessaire adéquation entre la production et les biens
concrets qui matérialisent les besoins sociaux vaut encore plus
si on raisonne en dynamique. Il faut alors que la structure des
besoins sociaux (solvables) progressent en correspondance avec
l'offre, et pas seulement du seul point de vue de la masse de
valeurs, mais aussi de la structure des valeurs d'usage qui
"portent" cette valeur d'échange globale. Autrement
dit, il faut que la structure de consommation soit compatible
avec l'orientation de l'accumulation, et la reproduction
d'ensemble induit par conséquent une dialectique entre
production et consommation sur laquelle Marx insistait à
l'occasion : "La
faim est la faim ; mais si elle est apaisée avec de la
viande préparée et mangée à l'aide d'une fourchette et d'un
couteau, elle est différente de celle qui est calmée en
avalant de la chair crue, déchirée avec les mains, les ongles
et les dents. Ce n'est pas seulement l'objet de la consommation,
c'est aussi le mode de consommation que la production crée
objectivement et subjectivement (...) Elle produit donc la
consommation : a) en lui fournissant sa matière ;
b ) en déterminant le mode de consommation ; c )
en suscitant chez le consommateur le besoin de produits, qu'elle
a d'abord créés matériellement".
Il s'agit d'autre chose que d'une condition de proportionnalité
très globale entre grandes sections, entre accumulation et
consommation. C'est à l'intérieur de chacune d'entre elles que
cette adéquation structurelle doit être reproduite. De ce
point de vue, on peut discerner chez Mandel une certaine réticence
à aborder la question et à prendre en considération ce qu'il
y a pu avoir de neuf dans la consommation de masse de biens
manufacturés. Cette idée centrale qui a été introduite par
les régulationnistes, et qui représente à nos yeux un
approfondissement de l'analyse de Marx, conduit à une première
sous-estimation des caractéristiques exceptionnelles de cette période.
La
composition organique du capital
Du
côté de la production, il existe un fil directeur qui tient
une place importante dans l'analyse de Mandel. C'est l'idée que
la révolution technologique permanente conduit forcément à
une croissance de la composition organique du capital, et cette
approche s'inscrit dans une lecture assez orthodoxe de la baisse
tendancielle du taux de profit. Dans le très intéressant texte
adjoint à la réédition du Troisième
âge,
Mandel synthétise ses principales thèses et en propose le résumé
suivant : "La hausse
de la composition organique du capital conduit à la chute
tendancielle du taux moyen de profit. Celle-ci peut être
partiellement compensée par diverses contre-tendances, la plus
importante d'entre elles est la tendance à l'accroissement du
taux de plus-value (le taux d'exploitation de la classe ouvrière)
indépendamment du niveau des salaires réels (qui peuvent
augmenter dans les mêmes circonstances, étant donné un taux
suffisant d'accroissement de la productivité du travail).
Cependant, à long terme, le taux de plus-value ne peut
augmenter proportionnellement au taux d'accroissement de la
composition organique du capital, et la plupart des
contre-tendances tendent au moins périodiquement (et aussi à
très long terme) à être supplantées à leur tour".
Cette
formulation, par ailleurs classique, n'est pas vraiment
satisfaisante, pour plusieurs raisons. Encore une fois, la
formulation concernant le taux de plus-value n'est pas claire.
Ce dernier est déterminé par l'évolution relative du salaire
réel et de la productivité du travail : cette dernière a
pour effet de baisser la valeur de la force de travail à
salaire réel donné, mais elle peut compenser une amélioration
du niveau de vie des travailleurs, sans que cela se traduise par
une baisse du taux d'exploitation. Il n'y a pas ici de loi générale
selon laquelle le taux d'exploitation devrait ou non augmenter :
cela dépend du rythme de la productivité du travail et du
rapport de forces capital/travail. On voit donc que l'on est
obligé de distinguer les deux composantes du taux de plus-value
(salaire réel et productivité du travail) à moins de se
situer dans un cas très particulier de maintien à moyen terme
du salaire réel. Mais, à partir du moment où l'on introduit
cette distinction, l'observation vaut aussi pour la composition
organique du capital.
Le
rapport en valeur du capital constant au capital variable n'obéit
pas non plus à une loi générale d'augmentation qui découlerait
de l'accumulation du capital mort par rapport au capital vivant.
Il y a trois raisons à cela. La première est que le capital
mort transmet petit à petit sa valeur aux marchandises
produites. Le capital constant augmente avec l'accumulation,
mais baisse avec ce transfert de valeur qu'on peut appeler
amortissement, de telle sorte que la composition organique
aurait plutôt tendance à se stabiliser. Pour illustrer cette
proposition, on peut imaginer une économie où la dépense de
travail, donc la valeur totale créée chaque année, est
constante, le taux de plus-value constant, et où toute la
plus-value est accumulée. Si le taux d'amortissement est
constant, alors la composition organique du capital tend vers
une constante.
Ce résultat est assez simple à saisir : en valeur,
l'amortissement augmente proportionnellement au capital, tandis
que la valeur nouvelle accumulée est constante. La première
grandeur augmente jusqu'à égaler progressivement le surcroît
(constant) de capital accumulé et à ce moment le capital
constant n'augmente plus en valeur, puisque la quantité de
valeur qu'on lui ajoute (l'accumulation) est égale à ce qu'on
lui retire (l'amortissement). On peut certes construire des
exemples où la composition organique augmente indéfiniment,
mais cette tendance est obtenue comme sous-produit d'autres
tendances que l'on ne peut considérer comme représentatives du
fonctionnement normal du capitalisme, par exemple une
augmentation de la partie accumulée du produit social, où un
allongement continu de la durée de vie du capital, etc.
Ce
résultat heurte cependant l'intuition selon laquelle
l'accumulation augmente le poids du capital relativement au
travail. Cet alourdissement des combinaisons productives est un
fait avéré, mais il concerne la composition technique, dont la
croissance n'entraîne pas forcément celle de la composition en
valeur. L'indicateur le plus simple est le capital par tête qui
rapporte le stock de capital – le nombre de machines si
l'on veut – aux effectifs employés ou au nombre total
d'heures de travail. Mais, fera-t-on remarquer, un tel concept
de "capital" défini comme un stock de moyens de
production est étranger à la théorie marxiste et ne fait sens
que dans la théorie néo-classique. Une telle objection n'est
cependant pas légitime, parce qu'elle confond des problèmes de
mesure avec la critique d'un concept. Le concept de capital de
la théorie marginaliste est certes critiquable, parce qu'il est
censé préexister aux prix relatifs. Autrement dit, il devrait
être théoriquement possible de déterminer la quantité de
cette substance particulière, de ce "facteur de
production" que serait le capital en général, indépendamment
des prix et donc de la répartition. Cette exigence résulte
logiquement du fait qu'on va ensuite construire une théorie de
la répartition établissant que le profit est déterminé par
la productivité marginale du capital, le salaire reflétant de
manière symétrique la productivité marginale du travail. On
reconnaît la critique dite "cambridgienne" de la théorie
du capital qui consiste à dire que cette théorie est
circulaire et que la mesure du capital physique ne peut préexister
au système de prix.
Tout ceci est parfaitement juste, mais n'a rien à voir avec la
possibilité de construire un agrégat baptisé capital fixe.
Personne ne discute la pertinence d'une notion de productivité
du travail, qui suppose la mesure d'un produit
"physique" en tant qu'agrégat, que "panier"
de valeurs d'usage que l'on ne peut combiner qu'à l'aide d'un
système de prix. Le stock de capital additionne quant à lui
des générations d'investissement et est redevable de
conventions semblables, à laquelle vient s'ajouter une loi
raisonnable d'amortissement.
Donc,
le capital par tête augmente, et c'est un fait empirique qui ne
fait l'objet d'aucune discussion. Pourquoi alors ne peut-on en déduire
la tendance à la hausse de la composition organique ?
Cette impossibilité découle pour l'essentiel de l'action de la
productivité du travail, ce qu'une formalisation minimale
permet de percevoir. Le passage de la
composition technique à la composition organique dépend de l'évolution
de la productivité et du salaire réel. A taux de plus-value
constant, la composition organique ne s'élève que si la
composition technique du capital croît plus vite que la
productivité du travail. En d'autres termes, l'identité entre
les évolutions de la composition technique et de la composition
valeur ne peut être établie en toute généralité.
Le
taux de profit
Ces
développements font apparaître un cas hypothétique où tout
croît au même taux : le salaire réel, la productivité
du travail, et le capital par tête. C'est ce que Joan Robinson
appelait Age d'or et définissait ainsi : "Quand
le progrès technique est neutre et survient régulièrement
sans modifier la périodisation des processus de production,
alors que les mécanismes concurrentiels fonctionnent sans
entraves et que la croissance de la population (le cas échéant)
est régulière et que l'accumulation est assez rapide pour
fournir la capacité de production nécessaire à la population
active disponible qui cherche à s'employer, le taux de profit a
tendance à être constant et le niveau des salaires à s'élever
avec la production par tête. Le système est dépourvu de
contradictions internes (...)
Nous pouvons désigner cet ensemble de conditions comme la
caractéristique de l'“âge d'or” (en indiquant ainsi que
cela constitue une situation fort improbable dans une économie
concrète)".
Dans ce cas, la composition organique, la taux de plus-value et
le taux de profit sont constants. Etablir une loi tendancielle
de baisse du taux de profit, c'est dire pourquoi cette
configuration est impossible (version forte) ou non tenable
longtemps (version faible). La version forte doit être rejetée,
dans ses deux variantes. La première repose sur une hypothèse
de biais du progrès technique, selon laquelle le capital par tête
augmenterait toujours plus vite que la productivité du travail.
Mais on vient de voir qu'une telle hypothèse n'a aucune
justification. La seconde variante stipule que le salaire ne
peut jamais croître aussi vite que la productivité et donc
qu'il existe une loi universelle de baisse de la part des
salaires qui contribue à son tour à l'élévation de la
composition organique. Or, l'évolution du salaire réel est un
produit de la lutte des classes et, là encore, rien ne permet
d'affirmer qu'il augmente forcément moins vite que la
productivité.
On
retrouve en fin de compte la sous-estimation des performances du
fordisme, par ailleurs éphémères à l'échelle historique.
Mandel aborde indirectement ce point, quand il analyse les
quatre principaux dispositifs qui permettent en général au
capitalisme de maîtriser la question des débouchés. Il y a
d'abord l'auto-développement de la section des moyens de
production qui admet des limites évidentes puisqu'en fin de
compte la demande pour les machines est induite par la demande
de biens de consommation. Le second élément est la demande émanant
d'autres classes sociales que les salariés. Ces deux facteurs
ont joué un rôle relativement secondaire durant l'expansion
d'après-guerre. Mandel y ajoute le fait "qu'une
part croissante des biens de consommation n'est pas vendue
contre des revenus, mais contre du crédit" mais force
est de reconnaître que cette formulation n'est pas correcte,
car la réalisation de la valeur s'effectue toujours par échange
"contre des revenus" et la fonction du crédit est de
réaffecter les revenus courants, sans pouvoir constituer un débouché
autonome. Enfin, le dernier facteur porte sur la "la
consommation de masse", notamment celle des salariés,
mais Mandel ajoute aussitôt qu'elle croît "moins
rapidement que la valeur totale des marchandises produites".
On retrouve donc bien l'expression "classique" de la
baisse tendancielle :"L'élévation
du taux social moyen de plus-value a deux résultats
contradictoires qui aboutissent en définitive à une diminution
du taux moyen de profit, c'est-à-dire du rapport entre le
capital social total et la masse de plus-value totale. D'un côté,
l'accumulation du capital s'accroît. D'un autre côté, la part
du travail vivant dans la dépense de travail social totale
diminue. Mais comme le travail vivant est seul créateur de
plus-value, il s'agit d'une simple question de temps pour que l'élévation
de la composition organique du capital due à l'accélération
de l'accumulation du capital ne dépasse l'élévation du taux
de plus-value et ne diminue finalement le taux de profit".
La
version faible de la baisse tendancielle du taux de profit
renvoie quant à elle à la dynamique d'ensemble du capitalisme
et à deux de ses caractéristiques essentielles, la concurrence
entre capitalistes et la lutte des classes. La première pousse
à la recherche incessante de gains de productivité au moyen
d'un accroissement du capital par tête : il s'agit de
gagner contre les concurrents, mais aussi contre les salariés,
en réduisant leurs effectifs. La lutte des classes, à ses différents
niveaux, vise quant à elle à maintenir la progression des
salaires en dessous de celle de la productivité. L'absence de
maîtrise sociale sur ces processus conduit à l'idée que les
conditions exceptionnellement complexes et fragiles qui
permettent une progression harmonieuse du système ne peuvent être
établies que de manière relativement courtes à l'échelle
historique. Au bout d'un certain temps, les contradictions ont
raison des meilleures régulations : la résistance à la
montée salariale, et le surinvestissement de substitution
finissent par porter atteinte à la rentabilité.
Stagnation,
monopoles, inflation
Malgré
ce qui vient d'être dit sur son orthodoxie, l'oeuvre de Mandel
ne peut évidemment pas être rangée parmi les versions
dogmatiques du marxisme. Deux points essentiels de sa méthode
l'en préservent absolument : c'est d'abord la perspective
historique, et c'est aussi l'analyse du système capitaliste
pris dans sa totalité, qui apparaît alors "comme
une structure articulée de différences de productivité, comme
le produit d'un développement inégal et combiné d'Etats, de régions,
de branches industrielles et de firmes, en dernière analyse déterminé
par la recherche de surprofits".
Les trois principales sources de ce surprofit correspondent
à des transferts de valeur en provenance des régions
agricoles, des colonies et semi-colonies ou encore des branches
de production techniquement moins développées. Mandel propose
une périodisation marquée par un déplacement progressif de la
dynamique du capitalisme. Le centre de gravité du capitalisme
de libre concurrence "se
situe dans la juxtaposition de développement et sous-développement
régionaux au sein de pays s'industrialisant" ;
avec l'impérialisme classique, le facteur de dynamisme
principal se trouve dans la "juxtaposition du développement international (dans les pays impérialistes)
et du sous-développement (dans les pays coloniaux et
semi-coloniaux)". Quant au capitalisme du troisième âge,
son dynamisme est plus autocentré et prend la forme d'une "juxtaposition
du développement et du sous-développement de branches
industrielles de croissance et de branches industrielles en
stagnation ou en déclin dans les pays impérialistes et, de
manière secondaire, dans les semi-colonies" .
Cette
approche historicisée s'accompagne d'un projet constant qui
vise à montrer comment les contradictions fondamentales du
capitalisme, contradictions classiques pourrait-on dire, se
reproduisent à travers des formes nouvelles qui ne font que les
déplacer. Trois thèmes dominaient à l'époque le débat hétérodoxe :
les monopoles, l'inflation et les dépenses d'armement. Sur
chacun de ces points, Mandel tient une position théorique
intermédiaire entre "modernistes" et
"conservateurs", autrement dit entre deux manières de
considérer les transformations du capitalisme. Les modernistes
insistent sur les aspects fonctionnels de ces transformations
qui permettraient au système de dépasser ses contradictions,
et d'adopter un registre radicalement nouveau. La notion d'un
capitalisme organisé était à l'époque dominante, et la
critique marxiste avait pour tâche de remettre en cause cette
vision harmonieuse, sans tomber dans un dogmatisme
catastrophiste, sans grand rapport avec la réalité. Les
"conservateurs" cherchent au contraire à montrer que
rien ne change, et que les mêmes contradictions sont à
l'oeuvre.
En
ce qui concerne les monopoles, Mandel ne s'est jamais rallié
aux thèses stagnationnistes d'inspiration keynésienne (Steindl)
ou marxiste (Baran et Sweezy).
Pour lui, la concentration du capital n'impliquait pas la
disparition de la concurrence. Mandel reprend à son compte une
réflexion de Marx : "Si
la formation de capital devenait le monopole exclusif d'un petit
nombre de gros capitaux arrivés à maturité, pour lesquels la
masse du profit l'emporterait sur son taux, le feu vivifiant de
la production s'éteindrait définitivement"
et présente comme une évidence le fait qu'"un
capitalisme sans concurrence serait un capitalisme sans
croissance".
Mais, reprenant une idée déjà présente dans le Traité, il cherche plutôt à théoriser son mode de fonctionnement
sous le capitalisme des monopoles : "Ainsi
se constitue l'équivalent d'une peréquation tendancielle des
surprofits, c'est-à-dire une juxtaposition de deux taux de
profits moyens, celui du secteur monopolisé et celui du secteur
non monopolisé des pays impérialistes".
Ce transfert de valeur permet de rendre compatible le pouvoir
attribué aux monopoles de fixer leurs prix, le phénomène de
l'inflation permanente et la loi de la valeur. Une grande partie
du débat entre économistes marxistes portait en effet sur
cette question des prix et du profit. Beaucoup de positions
approximatives insistaient sur le fait que l'inflation était un
moyen de garantir le taux de profit, quitte à admettre une
certaine déconnexion des prix par rapport à la valeur des
marchandises. L'un des travaux fondateurs de l'école de la régulation
portait justement sur une analyse de l'inflation, rendue
possible par le passage à une "régulation
monopoliste".
Cette discussion s'articulait par ailleurs avec un débat plus
théorique sur la transformation des valeurs en prix, ouvert par
la critique néo-ricardienne de la théorie marxiste, à partir,
notamment, des travaux de Sraffa. La double peréquation des
taux de profit et l'analyse de l'inflation permanente proposée
par Mandel ont fourni les éléments d'une réponse globalement
correcte à la remise en cause de la loi de la valeur. L'idée
centrale est qu'aucun dispositif même aussi permissif que la
monnaie de crédit ne peut conduire à une création de valeur
qui irait au-delà de la plus-value engendrée par
l'exploitation du travail salarié, ni non plus compenser
durablement les mécanismes profonds qui viennent peser sur la
rentabilité.
Le
traitement de l'économie d'armement s'inscrit dans la même
logique. Pour tout un courant marxiste stagnationniste, les dépenses
d'armement jouent dans le capitalisme d'après-guerre un rôle
absolument central. Baran et Sweezy écrivent par exemple : "Il semble qu'ici, le capitalisme monopoliste ait définitivement
trouvé la réponse à la question de savoir dans quel domaine
doivent s'effectuer les dépenses gouvernementales pour empêcher
le système de sombrer dans les marais de la stagnation. Il
s'agit d'acheter des armes, des armes encore et toujours des
armes".
Pour Mandel, les dépenses d'armement ne constituent pas une
réponse durable à la baisse tendancielle du taux de profit,
parce qu'elles représentent une ponction sur la plus-value
sociale, et qu'elles contribuent, au même titre que d'autres
branches, à un alourdissement de la composition organique.
Le
retournement
D'où
vient le retournement ? On a là un problème théorique de
grande ampleur, où il s'agit de rendre compatible une histoire
concrète avec des schémas théoriques intégrant à la fois la
possibilité de phases d'extension et l'inéluctabilité des
crises. Cette articulation est extrêmement complexe, car il ne
faut pas que les théories soient "trop bonnes". Il
existe ainsi des lectures "catastrophistes" qui
expliquent si bien la crise qu'on ne comprend pas comment elle
n'est pas permanente ; vice versa, les approches
"harmonicistes" conduisent à se demander comment une
mécanique si bien huilée a pu jamais se détraquer. On ne peut
non plus exiger des formulations théoriques qu'elles
fournissent une grille de lecture universelle et atemporelle,
applicable à toutes les situations de crise, puisque ce serait
nier leur dimension historique. Une autre manière d'exprimer
cette difficulté consiste à insister sur la contradiction qui
existe entre les causes structurelles de la crise, et ses formes
brutales d'apparition. On pourrait aisément montrer que le lieu
d'irruption de la crise désigne toujours un "faux
coupable", une causalité superficielle. En 1973-1974, on a
ainsi immédiatement parlé de choc pétrolier, en mélangeant
allègrement un facteur direct de l'entrée en récession et ses
causes profondes. Les Bourses sont le lieu de prédilection d'émergence
des crises, non pas que la dimension financière soit première,
mais parce qu'il s'agit de la scène naturelle où se dénoue la
nécessité d'une dévalorisation violente du capital. Ce problème
d'interprétation existe aussi au sein du marxisme le plus
traditionnel : comment, et à quelles conditions, une
tendance comme celle de la baisse du taux de profit, peut-elle
en effet engendrer des krachs périodiques ? Une difficulté
semblable s'exprime par la variété de significations du terme
de crise qui s'applique aussi bien au choc brutal du krach,
qu'à l'enlisement dans la
crise qui dure. Trois figures théoriques permettent d'avancer
sur ces terrains : l'accumulation des contradictions, le
retournement des cercles vertueux, la distinction entre
variables du temps long et variables du temps court.
La
première figure utile à la lecture de la crise est celle des
tensions accumulées. On peut prendre l'image d'un barrage qui cède :
la catastrophe intervient dans un temps très court mais elle
est le résultat d'un lent travail d'usure. La première brèche
peut être minuscule, mais elle déclenche un processus de
transformation qualitative, provoque un déséquilibre qui se
transforme en rupture. L'endroit où s'est produit la première
fissure est indifférent : sa localisation ne donne aucune
indication sur une quelconque causalité. Pour filer la métaphore,
la position de Mandel consiste à observer le barrage avant
qu'il cède et à montrer à la fois pourquoi il a tenu jusque là,
et pourquoi il ne peut pas résister aux pressions qui
s'accumulent. Si l'on oublie l'un des termes de ce pronostic, on
obtient un discours unilatéral facilement critiquable. Et c'est
d'ailleurs ce qui explique que Mandel ait été pris entre des
critiques contradictoires. Il y a eu des défenseurs du dogme
pour lui attribuer la thèse selon laquelle le capitalisme avait
résolu ses contradictions. Mais, d'autres, en sens inverse, lui
ont reproché de prévoir en permanence l'effondrement du système.
Un
second instrument conceptuel conduit à observer comment les
dispositifs vertueux peuvent se transformer progressivement en
leur contraire pour devenir en quelque sorte des accélérateurs
de contradiction. L'inflation présente ainsi bien des avantages
pour le financement du capital, mais elle se borne à étaler
les contradictions dans le temps, jusqu'au moment où elle se
transforme en son contraire,
à savoir un obstacle à la gestion capitaliste de la
crise. On a vu que l'inflation joue un rôle central dans les
analyses du capitalisme d'après-guerre, et c'est sans doute
Mandel qui en a le mieux montré la double nature. Mais c'est
aussi autour du mot d'ordre de lutte contre l'inflation que va
s'effectuer le tournant néolibéral, l'objectif réel étant évidemment
d'imposer l'austérité salariale comme nouvelle norme. Et, pour
cela, il fallait bien défaire cet instrument de régulation,
qui devenait un obstacle à la mise en place des politiques de
sortie de crise. Le même raisonnement s'applique aux dépenses
sociales ou, plus récemment, aux dépenses militaires, dont
tout le monde s'accordait à décrire l'impact anti-récession,
mais dont Mandel a été l'un des rares théoriciens à saisir
la dimension contradictoire, à savoir le poids croissant
qu'elles représentaient dans la formation du profit.
Enfin,
une dernière distinction devrait être opérée entre les
variables de long terme et les variables de court terme. Le
passage de l'onde longue expansive à l'onde longue récessive
ne peut être compris que par une modification de la
configuration capitaliste d'ensemble que Mandel propose
d'analyser à partir d'une combinatoire de ce qu'il nomme
"variables partiellement indépendantes". Les
principales sont : 1) la composition organique du
capital en général et dans les deux sections ; 2 )
la répartition du capital constant entre capital fixe et
capital variable ; 3 ) l'évolution du taux de
plus-value ; 4 ) l'évolution du taux d'accumulation (rapport
entre plus-value consommée productivement et improductivement) ;
5 ) la durée du cycle de renouvellement du capital ;
6 ) les relations d'échange entre les deux sections.
La thèse que soutient Mandel est que "l'histoire
du capitalisme, à la fois histoire du développement de ses
contradictions et de sa logique interne, ne peut être appréhendée
et comprise qu'en fonction du jeu combiné de ces six variables.
Les fluctuations du taux de profit sont le séismographe de
cette histoire, parce qu'elles expriment le plus clairement le résultat
de ce jeu combiné.".
Pourtant,
ces variables ne peuvent à elles seules rendre compte des
retournements conjoncturels. La récession généralisée de
1974-75, qui clôt la période d'expansion, ne peut être
directement expliquée par des variations tendancielles de
productivité ou encore moins par des évolutions lentes de la
demande sociale. Ce sont pourtant ces mouvements tectoniques
lents, souterrains, qui mènent à la crise (puis à la
non-sortie de crise) même si celle-ci prend la forme concrète
de l'éruption, du tremblement de terre ou du raz-de-marée. Le
récit des crises et l'analyse historique des ondes longues
supposent donc une maîtrise de la "discordance des
temps", pour reprendre la belle expression (et pas
seulement métaphorique) de Bensaïd.
Pourquoi
la crise ?
Malgré
les réserves critiques soulevées dans ce qui précède,
l'explication de la crise qui découle de l'analyse de Mandel
apparaît bien plus cohérente que celle des régulationnistes,
même si elle repose sur des prémisses incomplètes. Que disent
en effet les régulationnistes ? Pour eux, la crise est liée
à un épuisement des gains de productivité, ce qui est
fondamentalement juste. Mais à quoi est dû ce ralentissement ?
Là, les régulationnistes oscillent entre plusieurs versions,
que l'on peut classer en trois rubriques. La première est
technologique : on a tiré tout ce que l'on pouvait du
"paradigme taylorien", accéléré les chaînes de
montage au maximum, et entré dans une phase de rendement décroissant
du taylorisme. La seconde est plus "ouvriériste" et
met en avant les résistances à l'intensification du travail.
Enfin, la troisième est plus classiquement keynésienne et
insiste sur l'épuisement des débouchés de masse par
saturation progressive des marchés. Ces explications ont toutes
leur domaine de validité mais entrent en opposition avec
l'originalité théorique de la régulation. A l'intérieur de
cette théorie, il est en effet paradoxalement difficile de
comprendre pourquoi le capitalisme bien régulé n'a pas pu opérer
les tournants nécessaires vers de nouvelles formes
d'organisation du travail, vers un ajustement transitoire des
salaires, et vers la satisfaction de nouveaux besoins sociaux.
Et d'ailleurs, logiques avec eux-mêmes, les régulationnistes
ont depuis le début des années quatre-vingt cherché à dégager
les contours d'une régulation "post-fordienne" sans réussir
à construire un scénario alternatif par rapport au rouleau
compresseur néolibéral.
Mandel
a eu raison contre les régulationnistes, parce que son analyse
et ses pronostics prenaient en compte la nature contradictoire
du mode de production capitaliste, et le fait qu'il n'est pas
orienté vers la satisfaction optimale des besoins sociaux. La régulation
fordiste lui a été dans une large mesure imposée, et sa
logique immanente est entrée en conflit avec la trajectoire sur
laquelle se situait l'onde longue expansive, qui menait
effectivement à une socialisation progressive et à une réorientation
de la demande sociale vers les services collectifs. Il faut ici
hiérarchiser les déterminations, et bien distinguer facteurs déclenchants
et modalités profondes de la crise. Mandel a polémiqué à
juste titre contre toutes les interprétations monocausales de
la crise, qu'il s'agisse des théories symétriques du profit
squeeze
ou de la difficulté d'absorption du surplus à la Sweezy.
L'analyse de la crise doit combiner ces éléments explicatifs
– baisse du taux de plus-value, suraccumulation, baisse
ultérieure de la productivité – en une lecture qui soit
cohérente avec la configuration de l'onde d'expansion qui s'achève.
Rétrospectivement,
la variable de long terme la plus caractéristique est le
glissement de la demande sociale vers les services collectifs,
que mesure par exemple la croissance de la part socialisée du
salaire. Il s'agit là d'une sorte d'anti-fordisme, sous deux
aspects : les travailleurs du secteur marchand ne
consomment plus ce qu'ils produisent mais, pour une partie
croissante, les produits du secteur non marchand ; de plus,
les biens et services qui sont les supports concrets de cette
consommation n'engendrent pas des gains de productivité aussi
importants qu'il le faudrait. Le "fordisme" se détraque
dans la mesure où le salaire s'autonomise par rapport à la
productivité. Les gains de salaires obtenus dans les luttes
sociales de la fin des années soixante font alors reculer le
taux de plus-value. Les capitalistes ripostent par des
investissements de productivité qui ne donnent pas les résultats
escomptés, et le taux de profit chute. En arrière-fond,
l'aspect dominant est sans doute l'épuisement des normes de
consommation, d'ou l'importance de cette notion. C'est ce qui
apparaît en tout cas avec vingt ans de recul, à partir d'un
constat fondamental, qui est le rétablissement du taux de
profit, obtenu par le blocage des salaires et la dévalorisation
du capital. Qu'est-ce qui manque alors pour renouer avec une
croissance de type "fordiste" ? Cette question
est le point obscur de l'école de la régulation, et c'est chez
Mandel que l'on peut trouver la méthode pour bien la poser.
Technologie
Une
autre manière de formuler cette interrogation est de se
demander à quel endroit de l'onde longue on peut se situer
aujourd'hui. Voit-on s'esquisser, notamment aux Etats-Unis, une
nouvelle phase d'expansion ? Pour aborder cette discussion,
il faut se garder d'un certain nombre de simplifications, et
l'approche de Mandel est sur ce point une référence
indispensable. Il faut d'abord se garder d'une conception mécanique
des cycles longs selon laquelle il suffirait d'attendre 25 ans
pour que cela redémarre. La seule base objective de cette périodisation
serait un cycle spécifique de l'innovation. Or, un tel cycle
n'existe pas, et même si cela était le cas, la transformation
des innovations en forces productives n'aurait aucune raison
d'obéir à une telle régularité temporelle. On a pourtant
trop souvent interprété l'approche de Mandel en rabattant sa
théorie des ondes longues sur une forme à peine renouvelée de
l'approche de Schumpeter. Dans un texte fondateur de l'école de
la régulation, Boyer reprend à son compte cette assimilation :
"On ne saurait se contenter de l'interprétation assez mécanique
proposée par N.D.Kondratief, récemment reprise par E. Mandel,
qui représente l'histoire du capitalisme comme la succession de
vagues de forte puis de faible accumulation de durée
approximative d'un quart de siècle (...) Aucun principe téléologique
ne vient garantir ni la succession mécanique de phases
ascendantes, puis descendantes, ni le passage automatique d'un régime
d'accumulation principalement extensif à un régime à
dominante intensive".
Il s'agit là d'une lecture fautive du chapitre correspondant du
Troisième âge (et
d'ailleurs aussi de Kondratief), sur laquelle l'école de la régulation
n'est plus jamais revenue. Dockès et Rosier souligneront au contraire
que Mandel a été "l'un
des tout premiers auteurs se réclamant de Marx à introduire
explicitement la lutte des classes dans son explication des
cycles longs" même s'ils lui adressent le reproche
presque symétrique d'en faire un élément exogène, ce qui est
aussi un contresens, mais d'une autre nature.
La
nouvelle édition des Ondes
longues fait justice de cette
critique, qui s'applique à la rigueur aux écrits de Mandel du
début des années soixante. Mais – et la découverte des Grundrisse est passée par là – l'élaboration ultérieure
de Mandel fait jouer un rôle croissant à l'incapacité des
rapports sociaux capitalistes à rendre effectives toutes les
potentialités du progrès technique. Ainsi, dans le Troisième
âge, Mandel cite, pour le dénoncer, ce passage d'Habermas :
"Dès lors, on ne voit vraiment pas de quelle manière nous en
viendrions jamais à pouvoir renoncer à la technique, en
l'occurrence à notre
technique, au profit d'une autre qui en serait qualitativement
différente, aussi longtemps que la nature humaine ne se modifie
pas et que par conséquent nous devrons continuer à entretenir
notre existence grâce au travail social et à l'aide de moyens
se substituant au travail". Mandel récuse
absolument cette position, où il discerne "la croyance apologétique que seule la technique développée
selon la logique capitaliste serait en mesure de surmonter
l'insuffisance du travail manuel simple." En effet,
pourquoi, "dans un contexte social radicalement changé, les hommes,
largement libérés de la contrainte du travail mécanique, mais
développant en même temps pleinement leurs capacités créatrices,
seraient-ils incapables de développer une technique
“qualitativement différente”, adaptée aux besoins de la
“riche individualité” ?".
Quelques années plus tard, dans un texte resté inédit en français,
Mandel insistera à nouveau sur cette position : "Il faut également souligner que toute conception faisant de la
technologie contemporaine – qui détruit la nature et
menace directement la vie – le produit “inévitable”
de la logique interne de la science, doit être rejetée comme
obscurantiste, a-historique et, en dernière analyse, apologétique
à l'égard du capitalisme. Il n'y a rien de neuf dans la compréhension
du fait que la technologie développée en régime capitaliste
n'est pas la seule possible, que c'est une technologie spécifique introduite pour des raisons précises découlant de la
nature même de l'économie capitaliste et de la société
bourgeoise."
Cette
onde longue...
Pour
répondre à la question de la trajectoire du capitalisme
contemporain, mieux vaut également éviter les décalques
historiques un peu rapides. La théorie des ondes longues doit
être débarrassée de ses oripeaux mécanistes et ne pas
conduire à une vision selon laquelle les flux et reflux
historico-économiques se dérouleraient selon un grand
calendrier des marées écrit par avance quelque part. En
particulier, chaque "onde" combine différemment les
contradictions internes du capitalisme, obéit à une dynamique
particulière, et conduit à esquisser des issues différentes.
La dernière fois, ce fut la guerre et le fascisme, mais ce schéma
n'est pas le seul possible et c'est d'ailleurs un autre, tout à
fait différent, qui a ouvert une phase expansive à la fin du
siècle dernier. Il faut enfin se garder
d'une conception où le taux de profit représenterait l'alpha
et l'oméga, de telle sorte qu'il existerait un seuil de
rentabilité qu'il suffirait d'atteindre pour que s'amorce
spontanément une nouvelle phase d'expansion.
Depuis
un quart de siècle, le capitalisme s'est installé dans une
phase récessive et a mis en place une régulation néolibérale
relativement cohérente et assez nouvelle dans son histoire. Ce
n'est pas une phase expansive en ce sens que le taux
d'accumulation et le taux de croissance restent modestes par
rapport aux niveaux atteints dans le passé ; le salaire réel
progresse lentement et le sous-emploi se répand à travers le
monde. Mais le trait le plus nouveau est le rétablissement du
taux de profit à des niveaux comparables à ceux d'avant la
crise. Le graphique 1 retrace en détail les différentes
phases des relations entre ces deux grandeurs fondamentales que
sont le taux de profit et le taux d'accumulation. Les données
portent sur des moyennes pondérées établies à partir d'un échantillon
des principaux pays industrialisés pour lesquels les
statistiques de l'OCDE sont disponibles : Etats-Unis,
Japon, Allemagne, France, Italie, Royaume-Uni, Belgique,
Danemark, Espagne, Grèce, Norvège, Suède, Finlande et Suisse.
Au cours des années soixante, profit et accumulation
progressent ensemble jusqu'à un premier palier, suivi de la
première récession généralisée de 1975-1975. Un cycle de
reprise semble alors s'esquisser mais ne réussit pas à décoller,
et c'est la seconde récession généralisée du début des années
quatre-vingt. A partir de cette date charnière, le rétablissement
du taux de profit est amorcé avec la généralisation des
politiques néolibérales à travers les différents pays. Mais
le taux d'accumulation ne suit pas. Le cycle de la fin des années
quatre-vingt semble esquisser un rattrapage, mais un
retournement très net se produit au début des années
quatre-vingt-dix, de telle sorte que le taux d'accumulation
retombe à des niveaux faibles, du même ordre de grandeur en
moyenne depuis vingt ans.
C'est
cette déconnexion entre profit, d'une part, accumulation et
croissance d'autre part, qui permet de parler de la phase
1974-1998 comme du versant récessif d'une onde longue, dont le
capitalisme mondial ne semble pas vouloir sortir. Cette
incapacité à retrouver des taux d'accumulation semblables à
ceux des années soixante est ce qui permet de rejeter l'idée
d'une nouvelle phase expansive, et on arrive évidemment à une
conclusion semblable en examinant les taux de croissance. Mais
il convient en même temps d'insister sur les spécificités de
cette configuration néolibérale qui associe un taux de profit
dynamique et une accumulation peu vigoureuse. Du point de vue de
la capacité du système à rentabiliser le capital, on se situe
aujourd'hui dans une période particulièrement florissante.
Mais la plus-value ainsi dégagée a de plus en plus de mal à
trouver des lieux d'accumulation convenables. Si l'on revient au
graphique, la surface délimitée par les deux courbes représente
la plus-value non accumulée, en d'autres termes la place
croissante occupée par la finance. On peut même y observer
comment le krach d'octobre 1987 a eu pour effet de crever la
bulle financière, et de rapprocher les deux courbes. Mais
celles-ci ont recommencé à diverger, et l'écart s'est depuis
durablement creusé entre elles.
Autrement
dit, la phase récessive de l'onde longue se perpétue sous
forme de la mise en place d'un régime d'accumulation qui
associe un taux de plus-value croissant et un taux
d'accumulation constant, et s'accompagne de la financiarisation,
chargée de redistribuer la
plus-value non accumulée vers les couches sociales qui
ont pour fonction de la consommer. Mandel avait bien anticipé
ce durcissement néolibéral des rapports sociaux : "Le
passage de l'onde longue expansive à une onde longue à
tendance au ralentissement de la croissance aiguise la lutte de
classes internationale. Ce n'est plus l'atténuation souhaitée
des contradictions sociales mais la tentative de faire payer aux
salariés les coûts d'amélioration de la compétitivité de
l'industrie, qui devient la ligne directrice de la politique économique
bourgeoise. Le mythe du plein emploi assuré disparaît (...) La
lutte pour augmenter le taux de la plus-value devient le centre
de toute la dynamique économique et sociale, comme ce fut le
cas entre le début du siècle et les années trente".
Ce tableau est cependant incomplet, en raison même des modalités
de restauration du profit, qui ne sont pas indifférentes à la
trajectoire suivie, puisqu'il implique un environnement de
croissance médiocre des débouchés. Ce résultat a en effet été
obtenu par des moyens régressifs, autrement dit par le blocage
des salaires plutôt que par le développement de la productivité
sociale. Mais, d'un autre côté, il n'y a pas eu non plus de
grande défaite infligée à la classe ouvrière, ni de
"facteur exogène" qualitativement nouveau.
L'ouverture au marché mondial des pays de l'Est s'est faite de
manière extrêmement sélective et régressive et n'a pas
modifié la donne.
Mandel
a d'ailleurs progressivement intégré à son analyse cet étirement
temporel du cycle de la lutte des classes. En 1985, il écrivait
par exemple : "C'est précisément parce que la force organique de la classe des travailleurs salariés reste si
grande lors de la première phase de la dépression, que l'issue
de l'offensive systématique du Capital est loin d'être écrite
à l'avance. La probabilité d'une défaite brutale du prolétariat
dans l'un des principaux pays capitalistes, comparable à celle
de l'Allemagne en 1933, de l'Espagne en 1939 ou de la France en
1940, ne semble pas très élevée (...). La variante la plus
probable en régime capitaliste est par conséquent la
prolongation de la dépression actuelle, avec un développement
seulement partiel de l'automatisation et de la robotisation qui
s'accompagnerait d'importantes surcapacités
(donc de surproduction de marchandises), d'un chômage de
masse et de pressions constantes pour extraire toujours plus de
plus-value de travailleurs productifs
dont le nombre tendrait à stagner ou à baisser lentement.
Cette pression croissante à la surexploitation de la classe
ouvrière (par la baisse des salaires réels et des prestations
sociales) chercherait à affaiblir, voire à détruire, le
mouvement ouvrier indépendant et à vider de leur contenu les
libertés démocratiques et les droits de l'homme".
L'explication de fond de l'incapacité du capitalisme à
impulser une nouvelle phase expansive renvoie enfin à une autre
thèse centrale de Mandel, qui porte sur les limites de
l'automation.
L'automation
et le temps de travail
L'influence
de la lecture des Grundrisse
se retrouve dans Le troisième
âge, où Mandel avance une thèse centrale qui, en un sens,
ne trouve qu'aujourd'hui sa pleine actualité : "C'est
dans le double caractère de l'automation que se reflète de
manière concentrée toute la contradiction historique du
capitalisme. Potentiellement l'automation pourrait signifier achèvement
du développement des forces productives matérielles, qui
pourrait libérer l'humanité de toute contrainte d'un travail mécanique,
répétitif, non créateur et aliénant. Dans les faits, elle
signifie, à nouveau, mise en péril de l'emploi et du revenu,
renforcement du climat de peur d'une remontée du chômage
chronique massif et de l'insécurité, allant périodiquement
jusqu'à la baisse de la consommation et du revenu, donc à
l'appauvrissement intellectuel et moral. L'automation
capitaliste en tant que développement puissant à la fois de la
force productive du travail et de la force destructive et aliénante
de la marchandise et du capital devient l'expression la plus
caractéristique des contradictions inhérentes au mode de
production capitaliste".
Mandel va même encore plus loin en parlant d'impossibilité :
"L'automation générale
dans la grande industrie est impossible en régime capitaliste.
Attendre une telle automation généralisée aussi longtemps que
les rapports de production capitalistes ne sont pas supprimés,
est tout aussi faux que d'espérer la suppression de ces
rapports de production des progrès mêmes de cette
automation".
Cette
position permet de souligner ce qui constitue la raison
primordiale de l'enlisement capitaliste, dont on a cherché
ailleurs
à montrer qu'elle renvoie à une double difficulté. Outre les
résistances sociales qui s'appuient sur les acquis légitimes
des années d'expansion, le capitalisme se heurte à sa propre
incapacité à combler l'écart croissant entre son offre de
marchandises et la demande sociale. Il cherche, sans y parvenir
à une échelle suffisante, à individualiser, à
"remarchandiser" un mode de satisfaction des besoins
assez largement socialisé. Les multiples innovations accumulées
au cours des deux dernières décennies ne donnent pas lieu à
des gains de productivité suffisants, faute de l'effet d'entraînement
de l'extension des débouchés, et en raison aussi de la très
rapide obsolescence des différents produits. C'est ce qui
explique le "paradoxe de Solow" qui constate que les
gains de productivité restent médiocres en dépit des
innovations technologiques et des transformations dans
l'organisation du travail.
C'est l'absence de marchandises susceptibles de porter une
production et une consommation de masse qui empêche de renouer
avec le "cercle vertueux fordiste". Si cette lecture
est correcte, le capitalisme se trouve, peut-être pour la première
fois de son histoire, confronté à une crise systémique.
Celle-ci remet en cause ses propres critères d'efficacité, en
ce sens que le capitalisme réussit de moins en moins à
"traduire" en marchandises rentables les besoins
aujourd'hui dominants, qu'il s'agisse de santé, d'éducation,
de logement, de qualité de vie, et surtout, par définition, de
temps libre. Si, selon la formule de Robert Boyer, le mauvais
capitalisme chasse le bon, c'est parce que la bonne manière de
faire du profit (l'augmentation rapide de la productivité
sociale) est évincée par la mauvaise, à savoir le blocage du
salaire sous toutes ses formes. Faire de la financiarisation la
caractéristique majeure d'une telle configuration, c'est
prendre un symptôme pour la cause et c'est aussi rester à la
surface des choses en n'adressant pas au capitalisme une
critique qui va à la racine de ses présupposés. En d'autres termes, un
hypothétique contrôle instauré sur le pouvoir des marchés
financiers n'apporterait en rien une réponse à sa difficulté
fondamentale, qui est de ne pouvoir prendre en compte les
besoins sociaux tels qu'ils s'expriment historiquement et concrètement
dans les sociétés les plus développées.
La
réponse à cette difficulté est aujourd'hui régressive. Plutôt
que de reconstituer les conditions d'une nouvelle expansion, la
solution du capitalisme consiste à mettre en place "une
société duale, qui
divise le prolétariat contemporain en deux groupes antagonistes :
ceux qui restent intégrés au processus capitaliste
de production de plus-value, ou le deviennent – notamment
dans les pays dits du “tiers monde” – avec un salaire
qui tend souvent à baisser ; ceux qui sont expulsés de ce
processus et survivent par toutes sortes de procédés autres
que la vente de leur force de travail : allocations ;
développement des activités “indépendantes” ; petite
paysannerie et artisanat ; retour au travail domestique
pour les femmes ; communautés “ludiques”, etc. En
cherchant à instaurer une société duale, l'objectif du Capital est de réduire la masse
salariale aux seuls salaires directs, qui commenceraient immédiatement
à baisser avec le gonflement de l'armée industrielle de réserve.
Le grossissement du nombre de travailleurs “précaires” ou
“intermittents” qui ne bénéficient généralement pas de
prestations sociales est, comme le chômage en tant que tel, un
moyen d'avancer vers cet objectif. Mais cela va plus loin, et on
arrive ici à la véritable pierre d'achoppement quant aux potentialités réellement émancipatrices des nouvelles
technologies et de la “robotique”. Une telle orientation
revient en effet à perpétuer de manière élitiste une
partition de la société entre, d'un côté,
ceux qui bénéficient d'un temps de loisir et des
dispositions nécessaires pour s'approprier pleinement les
fruits de la science et de la civilisation – ce qui
inclut la satisfaction des besoins matériels essentiels –
et, de l'autre, ceux qui sont condamnés (voire se condamnent
eux-mêmes en choisissant l'ascétisme) à consacrer de plus en
plus de leur temps à travailler comme des “bêtes de
somme”, pour reprendre l'éloquente formule de Marx.
Le
vrai dilemme, qui synthétise le choix historique décisif
auquel est aujourd'hui confrontée l'humanité, se pose en ces
termes : ou bien une
réduction radicale du temps de travail pour tous – en
commençant par la demi-journée, ou la demi-semaine de travail –
ou bien la perpétuation de la division de la société entre
ceux qui produisent et ceux qui décident. Cette réduction
radicale de la durée du travail pour tous - qui était la grande vision émancipatrice de Marx -
est indispensable à la fois pour l'acquisition par tous des
connaissances scientifiques, et pour l'autogestion généralisée,
autrement dit l'instauration d'un régime de producteurs associés.
Sans une telle réduction, ces objectifs sont utopiques".
Troisième
âge ou sénilité ?
Dans
un texte publié en 1968, Mandel avoue ne pas être absolument
convaincu par l'appellation de capitalisme "tardif",
rendue en français par l'expression de Troisième
âge : "Le
terme allemand de Spätkapitalismus présente un certain intérêt,
mais il indique simplement une séquence temporelle, et il n'est
pas facile à traduire. Aussi, jusqu'à ce que l'on en propose
un qui soit meilleur, nous nous en tiendrons au terme de néocapitalisme".
Cette hésitation, qui sera finalement tranchée autrement, a
quelque chose de curieux dans la mesure où les deux
qualificatifs ont une connotation presque inverse. Le terme de néocapitalisme
suggère plutôt une seconde jeunesse, alors que le capitalisme
tardif implique une idée de vieillissement, rendue en français
par celle de troisième âge. Sans vouloir attacher une
importance démesurée à ce débat terminologique, il
semblerait plus approprié de parler de capitalisme de la
maturité. C'est en effet un capitalisme en pleine possession de
ses moyens, et cela permet de rappeler le caractère
exceptionnel de ses performances entre 1945 et 1975. Mais c'est
aussi un capitalisme qui tend à s'épuiser, à s'essouffler, et
à laisser apparaître ses limitations. Pour filer la métaphore,
on pourrait dire aussi qu'il est aujourd'hui guetté par la sénilité,
et qu'il cherche en vain à retrouver la belle sauvagerie de ses
vingt ans, à l'aide de potions néolibérales.
Peu
importent après tout les adjectifs. L'essentiel est de
comprendre que la conception de Mandel se distingue résolument
d'un déterminisme historique qui consisterait à présenter le
capitalisme "tardif" comme le stade ultime, que rien
ne séparerait plus d'un inéluctable effondrement. Ce que dit
Mandel est différent. Pour lui, les exceptionnelles
performances du capitalisme d'après guerre n'impliquent pas que
ses contradictions auraient été maîtrisées de façon irréversible ;
elles préfigurent au contraire une remise en question radicale.
Les réussites du "fordisme" ont représenté ce qui
peut se faire de mieux en matière de capitalisme mais, la
parenthèse une fois refermée, l'incapacité du système à se
perpétuer autrement que par une gigantesque régression n'en
devient que plus criante. Il est alors temps, comme y invite
Mandel, de se réapproprier la critique marxiste la plus
radicale du capitalisme, et de poser pratiquement la question de
son dépassement.
Economiste, auteur de Misère
du capital. Une critique du néolibéralisme, Syros,
1996.
Ernest Mandel, Le
troisième âge du capitalisme, Editions de la Passion,
1997.
Ernest Mandel, La
crise, Flammarion, coll. "Champs", 1985.
Ernest Mandel, Traité
d'économie marxiste, Ed. Christian Bourgois, 1986. La
première édition était parue en 1962 aux Editions
Julliard.
Ernest Mandel, Initiation
à la théorie économique marxiste, EDI, 1983.
Ernest Mandel, "L'apogée du néocapitalisme et ses
lendemains", Les
Temps Modernes n°219-220 (août-septembre 1964),
reproduit en annexe de la réédition du Traité.
Revue Quatrième
Internationale, 27ème année, n°37, mai 1969.
Pierre Villa, Un siècle
de données macroéconomiques, INSEE Résultats n°303-304,
avril 1994.
Cité d'après Roman Rosdolsky, La
genèse du "Capital" chez Karl Marx, Maspero,
1976, p.371.
in Eugène Varga, Essais
sur l'économie politique du capitalisme, Editions du
Progrès, Moscou, 1967.
Karl Marx, Le Capital,
La Pléiade, Economie I, p.1111; Editions Sociales,
tome 3, p.45.
Karl Marx, Un chapitre
inédit du Capital, Ed.10/18, 1971, p.108-109.
Un chapitre inédit,
p.110.
Karl Marx, Le Capital,
Editions sociales, tome 6, p.207.
Karl Marx, Fondements
de la critique de l'économie politique, Editions
Anthropos, 1968, tome 1, p.21.
"Variables partiellement indépendantes et logique
interne dans l'analyse marxiste classique". Ce texte
est paru initialement dans Ulf Himmelstrand,
Interfaces in Economic & Social Analysis, Routledge,
1992.
Si on appelle d le taux d'amortissement fixe, et m la
fraction accumulée de la valeur nouvelle, alors la
composition organique tend vers une limite finie m/d. Avec
un taux d'amortissement de 10 %, et un taux d'accumulation
de 20 % de la valeur produite, la composition organique tend
vers 2.
Pour une présentation récente, voir Gérard Jorland, Les
paradoxes du capital, Editions Odile Jacob, 1995,
chap.8.
Pour évaluer le nombre d'heures de travail cristallisées
dans le capital fixe engagé, on divise le volume de capital
K par la productivité moyenne du travail dans la production
des biens de capitaux. Comme il s'agit d'un assemblage de
biens produits à des époques différentes, il faut donc
appliquer, non pas la productivité courante, mais la
productivité moyenne de ces différentes générations. Si
la durée de vie du capital est de T années, son âge moyen
est voisin de T/2, et on peut donc en première
approximation lui appliquer la productivité (prod) d'il y a
T/2 années. La valeur du capital constant est donc K/prodt-T/2.
La valeur du capital variable est égal à wN/prodt
où w est la salaire réel, N les effectifs et prodt
la productivité courante. La composition organique (CO) se
calcule finalement selon la formule CO = [(K/N)/ prodt-T/2]
/ [w/ prodt]. Si le taux de plus-value
[w/ prodt] est constant alors la
composition organique (CO) n'augmente que si la composition
technique (K/N) croît plus vite que la productivité
moyenne du travail sur la période, soit prodt-T/2.
Joan Robinson, L'accumulation
du capital, Dunod, 1972, p.90-91.
Josef Steindl, Maturity and Stagnation in American Capitalism, 1952.
Paul A. Baran et Paul M. Sweezy, Le
capitalisme monopoliste, Maspero, 1968.
Karl Marx, Le Capital,
Editions Sociales, tome VI, p.271.
Robert Boyer, Alain Lipietz et
alii, Approches de
l'inflation. L'exemple français, Cepremap, 1977.
Le capitalisme
monopoliste, p.174.
Daniel Bensaïd, La
discordance des temps, Editions de la Passion, 1995.
Toute cette partie est fortement influencée par les travaux
de Francisco Louçã, auquel Mandel fait référence dans la
dernière édition des Long
waves. Outre sa propre contribution à ce livre, on
renvoie à son ouvrage magistral, Turbulence
in Economics, Edward Elgar, 1997.
Andrew Glyn and Bob Sutcliffe, British
Capitalism, Workers and the Profit Squeeze, Penguin
Books, 1972.
Robert Boyer, "La crise actuelle : une mise en
perspective historique", Critiques
de l'Economie Politique n°7-8, 1979.
Pierre Dockès et Bernard Rosier, Rythmes
économiques. Crises et changement social : une
perspective historique, La Découverte/Maspero, 1983,
p.183.
Ernest
Mandel, The long waves
of capitalist development, Verso, 1995. Une
traduction française de cette nouvelle édition révisée
est annoncée aux Editions Page Deux pour 1998.
Jürgen Habermas, La
technique et la science comme "idéologie",
Gallimard, coll. Tel, 1993, p.14.
Ernest Mandel, "Marx, the present Crisis and the Future
of Labour", Socialist Register 1985/86, The Merlin Press, p.449.
Pierre Dockès et Bernard Rosier, op.cit.,
chapitre 4.
Le troisième âge,
p.373-374.
Marx, the present
Crisis and the Future of Labour, op.cit., p.441 et p.444.
Voir en particulier le livre d'Ernest Mandel, La formation de la pensée économique de Karl Marx, Maspero, 1967.
Michel Husson, Misère
du capital. Une critique du néolibéralisme, Syros,
1996.
Voir Michel Husson, "Du ralentissement de la
productivité", La
Revue de l'Ires n°22, automne 1996, ainsi que Les
ajustements de l'emploi, à paraître en 1998 aux
Editions Page Deux.
Michel Husson, "Contre le fétichisme de la
finance", Critique
communiste n°149, 1997.
Marx, the present
Crisis and the Future of Labour, op.cit., p.447.
Ernest
Mandel, "La situación de los obreros dentro del
neocapitalismo" in Ensayos
sobre el neocapitalismo, Ed. Era, México,
1971.Texte original publié dans International
Socialist Review, New York 1968, vol.29, n°6.
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