Contrairement
à une opinion fort répandue parmi les écologistes, le
rendez-vous raté des marxistes avec la question
environnementale constitue davantage une énigme qu’une évidence.
En effet, comme l’écrivait Ted BENTON il y a quelques
années:
« L’écologie,
considérée strictement comme science, est l’étude systématique
des interrelations entre les populations animales ou végétales
et leur environnement (…). Le matérialisme historique se présentant
précisément comme une approche de l’étude des sociétés
humaines dans cette perspective (…) il peut, sans subir de
distorsion, être perçu comme l’un des domaines spécifiques
de l’écologie (…). (Dès lors) pourquoi les marxistes
n’ont-ils pas été les premiers à proposer des analyses
stratégiquement appropriées des relations entre crise écologique
et impératifs du ‘développement’ capitaliste ? »[1
Nous
allons tenter de répondre à cette question dans le cas
d’Ernest MANDEL, marxiste érudit et cultivé que son
humanisme et sa pensée non dogmatique rendaient extrêmement
attentif aux phénomènes de société. Dès la première moitié
des années 70, bien avant d’autres marxistes, MANDEL commença
à exprimer une inquiétude croissante face aux dégradations
environnementales, et cette inquiétude l’accompagna jusqu’à
son dernier souffle. Dès lors, l’interrogation de BENTON
prend ici un relief particulier : pourquoi un penseur
d’une telle envergure manqua-t-il lui aussi le rendez-vous
avec la question environnementale ?
Car
MANDEL manqua le rendez-vous, en ce sens qu’il ne contribua
pas à « écologiser » le marxisme[2].
L’article qu’il écrivit en 1972, en réponse au rapport
MANSHOLT sur les limites à la croissance, en témoigne, même
s’il atteste la largeur de vue de l’auteur[3].
Du point de vue de l’écologie en tant que science, cet
article frappe notamment par le fait que MANDEL semble ignorer
certaines objections fondamentales à l’intensification de
l’agriculture, allant jusqu’à endosser « les
possibilités de l’agriculture hors-sol », ou à
plaider en faveur du « défrichement des forêts », voire de la mise en
culture par irrigation de « deux
milliards d’hectares de terres désertiques ». Sans
entrer dans des détails techniques fastidieux, on se contentera
de donner quelques indications donnant la mesure du caractère
très problématique et simplificateur de ces affirmations :
-
l’agriculture
hors-sol ne permet pas d’échapper aux contraintes du
cycle des nutriments, dont l’analyse par LIEBIG avait
conduit MARX à proposer le concept pertinent de « métabolisme
social » entre l’humanité et la nature ;
-
la
déforestation perturbe le cycle de l’eau et peut déboucher
sur une dégradation des sols irréversible à l’échelle
humaine (que MANDEL mentionne par ailleurs). De plus,
on sait aujourd’hui qu’elle contribue à l’émission
de gaz carbonique - donc à la hausse de l’effet de serre
d’origine anthropique;
-
la
désertification se définit avant tout comme une perte de
la quantité de matière organique contenue dans les sols.
La diminution de la capacité de rétention de l’eau est
une conséquence de cette dégradation, de sorte que
l’irrigation n’est une réponse que quand elle
accompagne la restauration d’un couvert végétal générateur
d’humus. Il ne suffit donc pas d’irriguer les déserts
pour engranger des récoltes abondantes. En outre,
l’irrigation entraîne des risques de pollution des
nappes, de salinisation des sols et soulève de grands problèmes
de gestion et de répartition des réserves en eau.
Ces
mises au point schématiques n’impliquent nullement que la
Terre serait incapable de nourrir plus de quatre à cinq
milliards d’êtres humains, comme l’affirmaient les MEADOWS[4],
dont les travaux avaient inspiré le rapport MANSHOLT. Le problème
est plutôt que certains arguments de MANDEL, parce qu’ils ne
prenaient pas en compte les critiques écologiques, ont
probablement contribué à détourner un public sensible aux défis
environnementaux. S’agissant de MANDEL, cette conséquence est
d’autant plus regrettable que son analyse du rapport MANSHOLT
était - et reste – très éclairante par d’autres aspects.
A propos de la lutte contre la pollution, par exemple, on ne
peut que saluer la prescience avec laquelle MANDEL –qui est
ici dans son élément, l’économie - dénonce l’absurdité
des propositions visant à « rétablir
la rationalité économique globale en modifiant simplement les
données de la rationalité partielle », notamment en
attribuant un prix
aux ressources naturelles. Le fait que la biosphère se détériore
globalement depuis trente ans - malgré les taxes, amendes,
achats de « droits de polluer » et autres mécanismes
de marché visant à « internaliser » le coût des
pollutions – suffit à montrer la pertinence de cette
critique.[5]
Certains
en déduiront qu’il suffirait aux marxistes de développer
leur connaissance des sciences naturelles pour entrer en résonance
avec la conscience environnementale. Si la solution était si
simple, il y a longtemps qu’elle aurait été mise en œuvre.
Mais plusieurs problèmes de fond sont soulevés qui nécessitent
un examen minutieux et une autocritique détaillée. Dans le
cadre de cette contribution, on se concentrera sur la question
des ressources et de leurs limites : limites absolues et
limites relatives ; limites naturelles et limites sociales.
La
réticence à admettre le caractère fini des ressources et donc
de la croissance des forces productives matérielles est assez
clairement perceptible chez MANDEL quand il écrit que c’est « l’anarchie »
de la croissance plutôt que son caractère « illimité »
qui est à dénoncer.[6] L’origine de cette réticence est souvent imputée à
MARX lui-même. Tout en saluant l’apport du concept marxien de « métabolisme
social avec la nature », Jean-Paul DELEAGE, par
exemple, reproche à l’auteur du Capital
d’avoir « abandonné
très vite cette approche pour privilégier l’analyse des deux
autres éléments du processus, le capital et le travail »[7]. Dans son importante Histoire
de l’énergie - écrite avec deux autres auteurs, DELEAGE
reproche aux « continuateurs » de MARX d’avoir « poursuivi cette dérive » conduisant à « la conviction
irraisonnée de l’abolition prochaine des contraintes
naturelles»[8].
Parmi les marxistes critiques, Michaël LOWY, dont la
contribution à l’ « écologisation » du
marxisme n’est plus à souligner, considère de même qu’« il
semble manquer à MARX et ENGELS une notion générale des
limites naturelles au développement des forces productives »[9].
La
notion de limite chez Karl MARX
Commençons
par une mise au point élémentaire : croire MARX et ENGELS
inconscients de toute limite naturelle serait faire une insulte
grossière à leur matérialisme. ENGELS, dans sa Dialectique
de la nature, brosse d’ailleurs un tableau saisissant des
affres de l’humanité lorsqu’elle aura atteint la plus
absolue des limites:
« (…)
inexorablement l’heure viendra où la chaleur déclinante du
soleil ne suffira plus à fondre la glace descendant des pôles ;
où les hommes, de plus en plus entassés autour de l’équateur,
finiront par n’y plus trouver suffisamment de chaleur pour
vivre ; où peu à peu la dernière trace de vie organique
disparaîtra et où la terre, globe mort et refroidi comme la
lune, tournera dans de profondes ténèbres, en décrivant des
orbites de plus en plus étroites autour d‘un soleil également
mort, jusqu’à ce qu’enfin elle y tombe ».[10]
Le
débat ne porte évidemment pas sur la finitude de la vie et des
ressources mais sur les contraintes que celle-ci impose au développement
humain. A cet égard, les auteurs du Manifeste
Communiste ont eu effectivement quelques formules
imprudentes. Pourtant, l’idée que le ver de la croissance
illimitée rongeait déjà le fruit de leur théorie semble pour
le moins abusive. On pourrait aligner de nombreux faits et
citations pour le démontrer : MARX dénonce sans ambiguïté
la « surconsommation », résultat de la « production
pour la production »[11],
critique RICARDO pour avoir écrit que « les
forces des sols sont indestructibles »[12],
s’inquiète de l’épuisement des mines, etc., etc.
Au-delà
de ces indications ponctuelles, le point crucial à saisir est
que, en dépit de certaines formulations problématiques, la
notion de limite absolue des ressources et du développement,
loin d’être absente chez MARX, joue au contraire un rôle
fondamental à trois niveaux : l’apparition du
capitalisme, son fonctionnement et les lignes de force d’une
alternative socialiste. On fera à ce sujet cinq remarques :
1°)
L’explication marxiste de la formation du capitalisme repose
notamment sur le caractère absolument limité du sol, condition
de son appropriation par la classe des propriétaires fonciers.
Le texte suivant est limpide à ce propos :
« Si la terre
(…) était à la libre disposition de chacun, il manquerait un
facteur essentiel pour la formation du capital. Une condition de
production tout à fait essentielle, et, - à part l’homme et
son travail – la seule condition de production originelle, ne
pourrait pas être cédée, ne pourrait pas être appropriée
et, partant, elle ne pourrait pas faire face à l’ouvrier
comme propriété d’autrui ni faire de lui un salarié. (…)
De ce fait, la production capitaliste en général aurait cessé
d’exister. »[13]
MARX
désignant fréquemment par « terre » ce que nous
appelons « nature », il est clair que cette analyse
déborde les cas particuliers de ressources spécifiques (sols,
forêts, etc) : pas de capitalisme sans appropriation des
ressources, pas d’appropriation des ressources sans limite
absolue des ressources. La généralisation n’est pas explicitée
par MARX mais il l’aurait sans aucun doute considérée comme
une évidence.
2°)
Les concepts de limite absolue et d’appropriation fondent
l’analyse de la rente foncière capitaliste (« sans
laquelle l’analyse du capital ne serait pas complète »,
précise MARX).
C’est parce qu’ils ont le monopole de superficies
cultivables existant seulement en quantités limitées que les
propriétaires fonciers peuvent soustraire leurs produits à la
péréquation du taux de profit, les vendre à leur valeur (supérieure
à leur prix de production), et transformer le surprofit en
rente absolue. Et c’est parce que la productivité des plus
mauvaises terres détermine la valeur (et, dans ce cas, le prix)
que tout investissement en capital (engrais, machines, etc.) sur
les autres terres augmente le montant de la rente relative,
poussant ainsi le capitalisme vers une agriculture toujours plus
intensive. Loin d’être « purement
économique », comme l’écrit DELEAGE[14], cette analyse est fondamentale pour comprendre la spécificité
écodestructrice de l’agriculture capitaliste par rapport à
d’autres modes de production. [15]
3°)
Non seulement MARX est conscient des limites, mais en plus il
anticipe le débat à propos de ce qu’on appelle aujourd’hui
la « substituabilité » du capital aux ressources [16]. Voici en effet ce qu’il écrit à propos de
l’utilisation d’engrais et de machines en agriculture:
« Supposons
que des machines, des produits chimiques, etc. occupent une
place de plus en plus grande(…). Il faut tenir compte du fait
que, dans l’agriculture (comme dans l’industrie extractive)
n’intervient pas uniquement la productivité sociale ; la
productivité naturelle intervient aussi(…). Il est possible
que l’accroissement de la productivité sociale compense à
peine ou ne compense même pas la diminution de la force
naturelle (mais) de toute façon cette compensation n’aura
qu’un effet temporaire »[17].
Pourquoi
l’usage de machines, d’engrais, etc. ne pourrait-il
compenser (« à
peine ou même pas ») la diminution de la productivité
naturelle ? Parce que MARX est informé du caractère décroissant
de la hausse de la production agricole en fonction de l’apport
en engrais[18].
Et pourquoi cette compensation insuffisante de la perte de
fertilité naturelle serait-elle «de
toute façon temporaire » ? Parce que les apports
en capital ne peuvent que différer les conséquences de la
rupture du cycle des nutriments due à l’urbanisation
capitaliste. Tôt ou tard le capital bute sur la fertilité
naturelle, qui constitue à la fois « une
limite, un point de départ et une base »[19]. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles
MARX et ENGELS considèrent que le communisme devra abolir la séparation
entre villes et campagnes, manifestation de « la
forme extrême du déchirement » entre producteurs et
moyens de production sous le capitalisme. Cette analyse peut
sembler invalidée par la vertigineuse augmentation de la
production agricole par travailleur et par hectare depuis un siècle.
En réalité, le problème a été déplacé, pas résolu :
la quantité d’énergie nécessaire à cette production est de
plus en plus grande et les conséquences écologiques de
l’agriculture capitaliste sont de plus en plus lourdes
(eutrophisation des eaux, déclin de la biodiversité, dégradation
et érosion des sols…).
4°)
Souvent, l’adjectif « illimité » est utilisé
pour décrire des possibilités illimitées en pratique,
relativement, dans un contexte précis, et pas en tant que
possibilités absolument sans limites. MARX fait lui-même la
distinction explicite dans le passage ci-dessous (qui confirme
d’ailleurs que, sans ‘stock’ limité de terre, aucune
appropriation n’est possible):
« Si la terre
existe de façon pratiquement illimitée face à la population
actuellement existante et au capital, si en plus cette terre
n’était pas encore appropriée et si par conséquent elle était
à la disposition de quiconque veut la cultiver, on ne paierait
naturellement rien pour l’utilisation du sol. (Par
contre) si la terre était
un élément illimité non seulement relativement (au
capital et à la population, DT)
mais en fait, son appropriation par les uns ne pourrait exclure
son appropriation par les autres. Il ne pourrait exister de
propriété privée du sol (et) on ne pourrait pas payer de
rente pour la terre »[20].
D’un
côté MARX écrit « si
la terre existe de façon pratiquement illimitée »;
il parle donc d’une possibilité réelle - quoique temporaire
(allusion aux vastes espaces du Nouveau Monde). De l’autre il
dit : «Si la terre
était un élément illimité non seulement relativement mais en
fait » ; ici (pour peu que la traduction française
soit correcte) la grammaire indique une supposition purement rhétorique :
la terre n’est évidemment pas illimitée, le mode de
production capitaliste n’aurait pas pu naître sans
appropriation du sol et il ne pourrait pas subsister sans
s’approprier les ressources. Au contraire, cette possession
est « un facteur
essentiel pour la formation du capital ».
5°)
Le concept de « métabolisme
social », ou « d’échange
de matière » (Stoffwechsel)
entre l’humanité et la nature, constitue l’expression la
plus concrète de l’intégration de la notion de limite
absolue chez MARX. Comme on le sait, ce sont les travaux de
LIEBIG sur la rupture du cycle des nutriments qui ont inspiré
les développements du
Capital à ce sujet. L’affaire est souvent sous-estimée
ou, à l’inverse, sublimée en métaphore philosophique. Peut-être
certains marxistes ont-ils peine à concevoir qu’une simple
question de fumier ait pris une telle ampleur dans la pensée de
leur maître éponyme ? Toujours
est-il que, fidèle à sa méthode, MARX est ici à la fois extrêmement
concret (le fumier doit retourner à la terre) et très général (le
métabolisme avec la nature doit être le régulateur du développement
humain): « La seule liberté possible, écrit-il, est que l’homme social, les producteurs associés, règlent
rationnellement leur échange de matière avec
la nature, qu’ils la contrôlent ensemble au lieu d’être
dominés par sa puissance aveugle et qu’ils accomplissent ces
échanges en dépensant le minimum de force et dans les
conditions les plus conformes à la nature humaine. »[21]
Il est évident que cette phrase - qui anticipe sur l’élaboration
du concept de développement durable - n’aurait strictement
aucun sens si les ‘matières à échanger’ existaient en
quantités illimitées. La suite immédiate de la citation
prouve d’ailleurs de façon incontestable que MARX ne
partageait pas « la
conviction irraisonnée » d’une humanité complètement
émancipée des limites naturelles : « Cette
activité (la régulation rationnelle des échanges avec la
nature, DT) constituera
toujours le royaume de la nécessité. C’est au-delà que
commence le développement des forces humaines comme une fin en
soi, le véritable royaume de la liberté, qui ne peut s’épanouir
qu’en se fondant sur l’autre royaume, celui de la nécessité.
La condition essentielle de cet épanouissement est la réduction
de la journée du travail.»
Que
conclure de ce survol rapide ?
Il
serait certes absurde de faire de MARX et d’ENGELS des écologistes
avant la lettre :
1°)
les préoccupations strictement écologiques n’occupent
qu’une place assez restreinte dans leur œuvre[22] ;
2°)
leur stratégie de transformation de la société est basée
avant tout sur la formation de la conscience de classe à
travers la mobilisation des travailleurs contre les patrons, pas
sur la formation d’une conscience écologique ;
3°)
on pourrait sélectionner quelques autres citations moins
limpides que celles-ci - voire même contradictoires, parfois,
sur certains points.
Néanmoins,
on voit que certaines opinions catégoriques méritent d’être
sérieusement nuancées. Il y a bien une « écologie
de Marx », selon l’expression de John B. FOSTER, et
elle n’évite pas la question des limites [23].
Ernest
MANDEL et l’ange
vert
Revenons
à présent à MANDEL et aux difficultés des marxistes avec
l’écologie. S’interrogeant à ce propos, Daniel BENSAID
considère qu’il « serait
vain d’opposer, à coup de citations choisies, un Marx ange
vert à un Marx démon productiviste ».[24]
Certes, mais est-ce la question ? En admettant la
coexistence de l’ « ange
vert » et du « démon
productiviste », la question n’est-elle pas plutôt
de savoir pourquoi les héritiers de MARX ne se sont pas
davantage inspirés du premier que du second, en particulier au
cours des cinquante dernières années?
Le
détour par MARX ne dilue donc pas le débat sur MANDEL. Au
contraire, il nous ramène avec plus de force à notre question
de départ : pourquoi MANDEL manqua-t-il lui aussi le
rendez-vous avec l’écologie? De plus, ce détour débouche
sur une série de sous-questions : Pourquoi la brillante et
passionnante élaboration par MARX de sa théorie de la rente
foncière capitaliste n’est-elle pas évoquée par MANDEL dans
son important ouvrage sur la formation de la pensée économique
de Karl MARX ?[25] Pourquoi le concept si fécond de « métabolisme
social » occupe-t-il si peu de place dans son œuvre ?
Pourquoi la rupture capitaliste de ce métabolisme est-elle à
peine évoquée dans la polémique contre le rapport MANSHOLT [26]?
Comment expliquer que MANDEL et ses partisans semblent ne pas
avoir vu l’intérêt de ce concept pour intervenir - par
exemple - dans le débat sur ’l’hypothèse Gaïa’ de James
LOVELOCK, et renouveler ainsi le crédit du marxisme parmi les
scientifiques[27] ? Pourquoi la perspective profondément révolutionnaire
d’abolir la séparation entre villes et campagnes a-t-elle si
peu incité MANDEL et le courant politique qu’il dirigeait
à s’immiscer dans les débats sur l’aménagement du
territoire?[28]
On pourrait multiplier les questions de ce genre…[29]
Inutile
de préciser que la connaissance de l’œuvre de MARX par
MANDEL n’est pas en cause… Ecartons aussi l’idée que
MANDEL aurait été dévoyé par le productivisme de la social-démocratie
ou du stalinisme : l’auteur du « Troisième
âge du capitalisme » puisait son inspiration
directement chez MARX, pas chez les épigones.
Avant
toute autre considération, il semble indispensable de prendre
en compte la priorité militante de MANDEL, son activité
inlassable, et la manière dont l’une et l’autre ont modelé
son marxisme. Gagner l’avant-garde ouvrière et les
intellectuels critiques à la Quatrième Internationale pour
aider le prolétariat à se hisser au niveau de ses tâches révolutionnaires
fut sans aucun doute le fil rouge de l’investissement
personnel de MANDEL. De 1968 à 1990 (au moins) cet
investissement a été placé sous le signe de l’urgence, de
nombreux et grands combats de classe entretenant chez MANDEL sa
conviction inébranlable de l’actualité immédiate de la révolution.
A l’Est, à l’Ouest et au Sud. Ce fut un véritable
tourbillon. MANDEL, dont l’envergure était devenue
internationale, courait de meeting en réunion, de manifestation
en colloque, d’émission de télévision en interview,
plaidant partout avec fougue en faveur de l’auto-organisation
et de l’internationalisation des luttes, gages d’un
socialisme démocratique et émancipateur. Il y a quelque
injustice à dresser son bilan sur un autre terrain que celui de
cette activité-là. Disons simplement que, tout en percevant
lucidement une série d’implications de la question écologique,
-notamment pour la structure de la consommation et donc de la
production - MANDEL eut tendance à voir ces implications comme
des confirmations d’un programme donné plutôt que comme des
stimulants à une contextualisation écologique et, partant, à
une réinvention de celui-ci. Là réside sans doute la clé du
paradoxe suivant : alors qu’il aimait camper les révolutionnaires
comme les partisans les plus conséquents des réformes, MANDEL
ne s’est guère préoccupé de formuler des réformes sur le
terrain environnemental. En cette matière, il semble s’être
cantonné à une position essentiellement propagandiste,
renvoyant à la nécessité du socialisme dont la victoire
proche permettrait de poser la question écologique en termes de
valeurs d’usages, et non de valeur.
En
admettant que nous ayons ici une part très importante de la réponse
à notre question de départ, il nous faudrait reconnaître que
cette réponse est néanmoins insuffisante. En effet, MANDEL
avait une compréhension aiguë de la crise globale des rapports
sociaux bourgeois en tant que crise de civilisation. Cette
conception aurait dû lui permettre d’intégrer la crise écologique
beaucoup plus vite et beaucoup plus complètement qu’il ne
l’a fait. [30]
Il s’agit donc d’examiner d’autres hypothèses.
Puisque
la question posée par Ted BENTON nous a servi de point de départ,
commençons par examiner la réponse que cet auteur lui-même y
apporte. Selon BENTON, le rendez-vous manqué découle de la définition
marxiste du processus de travail. Telle qu’exposée dans Le
Capital, cette définition n’engloberait que les travaux
dont la « structure
intentionnelle » est axée sur la transformation de la
matière (c’est-à-dire le travail de l’ouvrier ou de
l’artisan) laissant relativement hors champ les travaux
agricoles ou forestiers, dont la « structure intentionnelle » consiste pour une part
importante à accompagner, gérer, superviser l’action de la
nature elle-même[31].
Quoiqu’elle débouche in
fine sur des recommandations précieuses pour « écologiser »
le marxisme[32],
cette explication nous semble basée sur une double confusion :
entre travail concret et travail abstrait, d’une part, entre
processus de production et processus de travail, d’autre part.
L’étude de MARX est centrée sur la formation de la valeur,
donc sur le travail abstrait en tant que « dépense
de force humaine »[33].
Les travaux d’accompagnement, de gestion, de supervision de
l’action naturelle – dont l’agriculture n’a pas le
monopole, soit dit en passant - entrent parfaitement dans cette
définition générale du travail comme conversion d’énergie.[34] Par ailleurs, pour MARX, le processus de production
est le creuset où se combinent « les
deux seules sources de toute richesse : la terre et le
travailleur ». Il englobe le processus de travail et
l’action des éléments naturels (eau, air, ferments, éléments
nutritifs du sol, soleil, etc.). Dans les phases où ceux-ci opèrent,
MARX se contente de noter métaphoriquement que « la
nature travaille ». Dans les secteurs comme la foresterie,
où ce « travail » de la nature excède de loin
celui de l’homme, il considère que l’exploitation
capitaliste est particulièrement inappropriée. De toute façon,
ce « travail » n’étant pas producteur de
valeur, et Le Capital
n’ayant pas pour objet d’étudier les mécanismes par
lesquels la nature fournit des valeurs d’usage à l’homme,
cette partie du processus de production n’intéresse MARX que
dans la mesure où elle influe sur l’autre, et par conséquent
sur le fonctionnement du capitalisme[35]. C’est ainsi qu’est soulignée l’importance de
la différence entre les rythmes naturels et ceux du capital,
question que MANDEL reprend d’ailleurs dans son analyse des
ondes longues[36].
Le
rendez-vous raté aurait-il une explication philosophique ?
C’est la thèse
de J.B. FOSTER[37].
Selon lui, le « marxisme occidental », dans sa réaction
contre le positivisme, aurait rompu avec les sciences, avec
l’acquis d’ENGELS et avec la vision de l’évolution combinée
nature/humanité. FOSTER impute cette rupture en particulier à
Georg LUKACS. LUKACS, en effet, sépare radicalement les
sciences naturelles et les sciences humaines. La « dialectique
révolutionnaire »
de l’histoire humaine, chez lui, semble avoir pour revers une
conception de l’histoire naturelle proche de celle de HEGEL, où
« tout se répète
à l’identique » et où « le
changement est circulaire »[38].
Par ailleurs, il est clair que LUKACS ne saisit pas la portée
de l’analyse marxienne sur la « rupture
du métabolisme » entre homme et nature. Il y voit une
métaphore davantage qu’un problème concret d’échange de
matières. Pour lui, à la limite, « la
dissolution (par le capitalisme) de
toutes les relations purement naturelles » signifie
que les échanges organiques avec l’environnement ne pouvaient
que disparaître avec la fin de « la
société primitive »[39].
Cette critique du « marxisme occidental » ouvre
donc des pistes de travail stimulantes. Sous réserve d’un
inventaire plus approfondi, il nous semble pourtant que FOSTER
surestime à la fois l’impact de LUKACS et les préoccupations
environnementales des grandes figures de la IIe Internationale,
de Karl KAUTSKY à Rosa LUXEMBURG. En tout état de cause,
notons que MANDEL n’avait pas une haute estime pour LUKACS, ni
sur le plan de l’éthique révolutionnaire ni sur le plan théorique.
Son « pont » vers le « marxisme orthodoxe »
passait par ROSDOLSKY et TROTSKY, et nous l’avons entendu
contester vigoureusement l’idée que l’être social aurait
dissout la nature humaine[40].
Indépendamment
de ce débat philosophique à approfondir, l’article de MANDEL
sur le rapport MANSHOLT permet d’avancer deux autres
explications, respectivement dans le champ politique/idéologique
et dans le champ de la recherche scientifique à laquelle MANDEL
se consacrait. Ces deux explications sont liées entre elles.
1°)
L’article est dominé par la crainte que le discours sur les
limites serve de couverture à l’offensive d’austérité
contre les travailleurs et au néo-malthusianisme planétaire
contre les pauvres. Cette crainte était – et reste - pleinement fondée, et la riposte de MANDEL à cet égard
est fondamentale[41].
Mais, dans cette riposte, la distinction n’a pas été faite
– ou a été faite insuffisamment - entre la question
objective des limites, d’une part, et l’utilisation
subjective et réactionnaire qui en était faite, d’autre
part. Du coup, la distinction n’était pas suffisamment faite
non plus entre les appels capitalistes à serrer la ceinture du
monde du travail et l’indispensable diminution de la
consommation sociale d’énergie, par exemple. Ceci apparaît
notamment dans le fait que MANDEL choisit de répondre sur deux
seulement des trois terrains soulevés dans le rapport – la
pollution et la croissance démographique – tout en laissant
dans l’ombre le troisième (qu’il mentionne pourtant):
l’épuisement des matières premières, notamment des énergies
fossiles. Or, le fait que les délais d’épuisement possible
du pétrole, du charbon et de divers métaux aient été exagérément
raccourcis dans le rapport n’enlève rien au caractère non
renouvelable, et donc épuisable à terme de ces ressources.[42] En esquivant le problème, MANDEL ratait l’occasion
d’entrer en résonance avec des écologistes anti-malthusiens
tels que COMMONER[43]
et se privait de la possibilité de donner encore plus de force
à sa dénonciation du gaspillage capitaliste.[44]
2°)
On peut se demander dans quelle mesure l’analyse des ondes
longues – le point fort par excellence d’Ernest MANDEL –
n’explique pas en partie sa difficulté à séparer le bon
grain anti-productiviste de l’ivraie néo-malthusienne.
Certaines considérations sur « les
ondes longues en tant que phases historiques spécifiques »,
dans l’ouvrage remarquable que MANDEL consacra à cette matière[45],
fournissent des indices dans ce sens. Désireux d’accroître
la cohérence de sa démonstration en montrant la confluence
temporelle des tendances économiques et des tendances idéologiques,
MANDEL néglige quelque peu le fait que la conscience
environnementale est apparue avant le retournement conjoncturel[46]
et tend à assimiler trop complètement la montée des préoccupations
environnementales à la montée de l’irrationalisme, du
mysticisme et du désespoir qui caractérisent les ondes longues
dépressives : « Quand
nous sommes passés de l’onde longue expansive à l’onde
longue dépressive, écrit-il, n’est-ce pas une coïncidence frappante que soient apparus subitement
tant de prophètes du malheur et de la ‘croissance zéro’. »[47]
La coïncidence n’est sans doute pas fortuite, en effet ;
mais, plus loin dans le même texte, MANDEL revient sur les
« prophètes du malheur » dans des termes englobant
non seulement les partisans du zero growth mais aussi tous ceux qui craignent des dégradations irréversibles
à l’environnement : « Nous
laissons de côté (sic)
la question de savoir si l’environnement (…) peut ou non
supporter encore, cinquante, pour ne pas dire cent années de
croissance économique du type de celle que nous avons connue
durant les années 1940(48)-68, avec son énorme gaspillage de
ressources naturelles et la menace croissante sur l’équilibre
écologique (…). Nous n’appartenons pas aux prophètes de
malheur. Nous croyons que la science et le comportement humain
rationnel peuvent résoudre tout problème que la science,
subordonnée au motif du profit privé, a créé. » [48]
Libérer
la croissance des forces productives vertes
Pour
terminer cette analyse, je voudrais tordre quelque peu dans
l’autre sens le bâton d’une critique que certains jugeront
trop sévère… et montrer du même coup que le débat
‘limites sociales / limites absolues’ est loin d’être
tranché définitivement par la perspective de déplétion des
ressources pétrolières. L’énergie solaire qui atteint la
surface de la terre équivaut 7000 fois la consommation mondiale
d’énergie. Un millième de cette énergie – sept fois la
consommation mondiale - est utilisable immédiatement à
l’aide de technologies perfectibles mais parfaitement connues
et déjà opérationnelles. Cette proportion augmentera à
l’avenir avec les progrès de la science. Le potentiel
technique des renouvelables est tellement gigantesque que des
chercheurs de l’université de Stuttgart, auteurs d’une étude
commanditée par Greenpeace,
commencent leur rapport par ces trois petits mots : « Unilimited
clean energy ».[49]
Energie propre illimitée : le mythe prométhéen
gagnerait-il les écologistes ? En tout cas une chose est sûre :
quoiqu’il ne résolve pas le problème général des
ressources, le potentiel technique des renouvelables permet d’éviter
une catastrophe climatique. Sans empêcher le Sud de se développer.
Sans détruire les acquis sociaux péniblement gagnés par les
salariés du Nord. En créant de nombreux emplois. Et sans
recourir à l’énergie nucléaire. Mais à une condition :
il faut réduire la demande primaire d’énergie de 50% dans
les pays développés. Cette réduction, qui semble énorme,
n’est possible qu’en luttant contre le gaspillage produit
par l’irrationalité globale du capitalisme, les choix
technologiques et certaines habitudes de consommation qui en découlent.[50]
Les
obstacles à l’utilisation du potentiel technique des énergies
renouvelables sont tous liés à la domination économique,
sociale et politique du capital. Le plus important de ces
obstacles (pas le seul) est le surcoût par rapport aux
combustibles fossiles, principaux responsables du changement
climatique qui menace l’existence de centaines de millions
d’êtres humains –surtout des pauvres- d’ici la fin du siècle[51].
Or, que représente ce surcoût des renouvelables par rapport
aux fossiles ? A l’échelle de l’Union Européenne, le
calcul a été fait dans l’étude commanditée par Greenpeace :
moyennant un surcoût maximum de 6 milliards d’euros par an
pendant un maximum de trente-cinq ans, l’UE pourrait faire
passer ses émissions de C02 de 7,9 à 2,7
tonnes/personne/an à l’horizon 2050[52].
Ces six milliards représentent à peine 0,065% du PIB agrégé
des vingt-cinq Etats membres...
Le
cri éthique lancé par MANDEL en 1972 n’a donc rien perdu de
son actualité : « N’est-il pas monstrueux d’accepter des critères de
rentabilité – ‘ trop cher’, ‘ pas trop
cher’ - lorsque la survie physique de milliards d’êtres
humains est en jeu, plutôt que de parler en termes de priorités
physiques et de disponibilités physiques ? » Et
son analyse reste pertinente : « Il
n’est simplement pas vrai que la technique industrielle
moderne tend inévitablement à détruire l’équilibre écologique.
Le progrès des sciences naturelles ouvre un éventail très grand de
possibilités techniques. Si on a choisi certaines plutôt que
d’autres, sans tenir compte des effets écologiques, c’est
en fonction des calculs de rentabilité privée. (…) Face
aux doctrinaires du capitalisme, (il
faut) créer les conditions socio-économiques et
socio-intellectuelles qui encouragent toutes les recherches et
innovations rétablissant l’équilibre écologique, et cela
indépendamment des coûts privés. »[53]
Les
rapports de production n’ont pas fini d’entraver le développement
des forces productives - selon la formule célèbre de MARX - et
ce développement n’est pas nécessairement synonyme de
destruction écologique. Au contraire : en matière énergétique,
libérer la croissance des forces productives vertes est
indispensable pour sauver le climat.
(*)
Ingénieur agronome, collaborateur au journal « La Gauche »
Une
première version de ce texte a été soumise à Marijke COLLE,
Jean-Claude GREGOIRE, Hendrik « Pips » PATROONS et
François VERCAMMEN. Je les remercie chaleureusement pour leurs
critiques et suggestions. Mes remerciements vont également à
Peter DRUCKER, pour avoir attiré mon attention sur une citation
de MANDEL concernant l’épuisement des ressources, dans « Long
Waves of Capitalist Development ».
Ted
BENTON, Marxisme
et limites naturelles : critique et reconstruction écologique
in Capital contre
Nature, Jean-Marie HARRIBEY et Michaël LÖWY (dir.),
PUF, Paris, 2003, pp. 26-27.
Sur
ce que nous entendons par « écologiser le marxisme »,
lire Daniel TANURO « Vous
avez dit : écologiser le marxisme ? »,
in La Gauche, Bruxelles, décembre 2005.
Ernest
MANDEL, La dialectique
de la croissance. A propos du rapport Mansholt, in Mai
(revue), Bruxelles, nov-déc. 1972
MEADOWS,
D.L. et al., Halte à
la croissance, trad. Française, Fayard, Paris, 1972.
Le
succès – d’ailleurs relatif et encore fragile – du
Protocole de Montréal sur la protection de la couche
d’ozone, ratifié le 30 juin 1988, n’infirme pas cette
analyse. En effet, il est basé non sur des mécanismes de
marché mais sur l’élimination des gaz destructeurs de la
couche d’ozone (halons, chlorofluorocarbones,
hydrofluorocarbones, bromure de méthyle, bromochlorométhane)
avec constitution d’un fonds international visant à
assister les pays en voie de développement.
Ernest MANDEL, La
dialectique de la croissance, op.cit.
Jean-Paul
DELEAGE, Histoire de
l’écologie. Une science de l’homme et de la nature.
La Découverte, Paris 1991, p.265-266.
Jean-Claude DEBEIR, Jean-Paul DELEAGE et Daniel HEMERY, Les
servitudes de la puissance. Une histoire de l’énergie.
Flammarion, Paris, 1986, p.12.
Michael
LOWY, Progrès
destructif. Marx , Engels et l’écologie, in Capital
contre nature, sous la direction de Jean-Marie HARRIBEY
et de Michaël LOWY, Presses Universitaires de France, 2003,
page 12.
Friedrich
ENGELS, Dialectique de
la Nature, Editions Sociales, Paris, 1975, page 42-43.
Voir par exemple Karl MARX, Théories
sur la plus-value, Tome II, Ed. Sociales, Paris 1974,
page 621.
Karl MARX, Théories
sur la plus-value, t.II, Ed. Sociales, Paris, 1975, p.
283.
Cette
critique de Ricardo est moins anecdotique qu’il n’y paraît
car les économistes classiques, comme le note
Franck-Dominique VIVIEN, « mettent
un accent tout particulier sur les limites (naturelles) que
rencontrera à coup sûr, selon eux, le développement
capitaliste » (Franck-Dominique
VIVIEN, Economie et écologie,
La Découverte, Paris 1994, p. 22.)
Karl MARX, Théories
sur la plus-value, op. cit., t.II, p. 41.
Jean-Paul
DELEAGE, Histoire de
l’écologie, op. cit., p.265-266.
[15]
On
trouve sous la plume de MARX cette dénonciation visionnaire
du système agro-industriel qui a engendré entre-temps la
perte de centaines d’espèces domestiques et de cultivars
locaux, la « malbouffe », l’épidémie d’obésité
et les OGM : « La
grande industrie et la grande agriculture exploitée
industriellement agissent dans le même sens. A l’origine
elles se distinguent parce que la première ruine davantage
le travail, donc la force naturelle de l’homme, l’autre
plus directement la force naturelle de la terre. Mais elles
finissent, en se développant, par se donner la main :
le système industriel à la campagne finit aussi par débiliter
les ouvriers et l’industrie et le commerce, de leur côté,
fournissent à l’agriculture le moyen d’épuiser la
terre »
(Le Capital, livre III, Ed. du Progrès, Moscou, 1984, p. 848).
On entend par « substituabilité » la possibilité
de remplacer des ressources naturelles épuisables par du
capital. La thèse de la substituabilité absolue est défendue
par certains économistes libéraux. Voir à ce sujet
Jean-Marie HARRIBEY, Le
développement soutenable , Economica, Paris 1998,
en particulier les chapitres II et IV, et Michel HUSSON, Six milliards sur la
planète. Sommes-nous trop ? Ed.Textuel, Paris, 2000, chapitre VI.
Karl MARX, Le Capital,
op. cit. L. 3, p. 802.
La
théorie des rendements agricoles décroissants recouvre
deux contenus différents. Pour RICARDO, les rendements décroissent
parce que la mise en valeur va des terres les plus fertiles
aux moins fertiles, ce que MARX conteste à juste titre. Par
contre – la citation ci-dessus le montre – MARX intègre
à son analyse la décroissance observée de la hausse de la
production agricole en fonction de l’augmentation des
apports en engrais. Roman ROSDOLSKY semble amalgamer ces
deux contenus quand il parle de « soi-disant
loi des rendements décroissants » (Roman
ROSDOLSKI La genèse
du Capital chez Karl Marx, t1, Maspéro, Paris, 1976,
page 330)
Karl MARX, Le Capital,
Livre III. Cité
par Paul BURKETT, Marx and Nature.A Red and Green Perspective ,
MacMillan Press, Houndmills, 1999, page 36
Karl
MARX, Théories sur la
plus-value, op. cit., t. II, page 357.
Karl MARX, Le
Capital,
livre III, Ed. du Progrès, Moscou, 1984, p. 855.
« Strictement écologiques »
car il faut tenir compte aussi des préoccupations pour
l’environnement urbain et la santé des travailleurs. Sur
la lecture écologique de la dénonciation de
l’exploitation de la force de travail humaine en tant que
ressource naturelle, voir Paul BURKETT,op.cit.,en
particulier le chapitre IV.
John Bellamy FOSTER, Marx’s
Ecology. Materialism and Nature. Monthly review Press,
New York, 2000. Une thèse analogue est défendue par Paul BURKETT (à partir d’un
angle d’attaque un peu différent) dans son ouvrage Marx and Nature.A Red and Green Perspective, op. cit.
Daniel
BENSAID, L’écologie
n’est pas soluble dans la marchandise, in ContreTemps, Ed.
Textuel, N° 4, mai 2002.
Ernest MANDEL, La
formation de la pensée économique de Karl Marx, Ed.
Maspéro, Paris, 1972
Cette
absence d’évocation est d’autant plus surprenante et
troublante que MANDEL, dans sa réponse à MANSHOLT, se base
largement sur The
Closing Circle de Barry COMMONER. Or, comme son titre
l’indique, cet ouvrage fondateur fait du rétablissement
des cycles naturels la clé d’une politique écologique.
Dans ce cadre, COMMONER considère le retour du fumier à la
terre comme la première préoccupation d’un programme écologique
et reconnaît explicitement la pertinence de la critique
marxienne de l’urbanisation et de l’agriculture
capitalistes. Ici, l’expression « rendez-vous raté »
est à prendre au pied de la lettre. (Barry COMMONER, L’Encerclement. Problèmes de survie en milieu terrestre. Trad.
franç. Seuil, Paris, 1972, notamment pp. 188-189 et p. 279
pour ce qui concerne MARX).
Le « métabolisme » recouvre l’ensemble des réactions
biochimiques au sein d’un organisme. L’Hypothèse
Gaïa pose que les mécanismes de rétroaction régulant
les grands équilibres de la biosphère permettent de considérer
celle-ci comme un organisme vivant (ou ‘comme
si elle était’ un organisme vivant : l’hypothèse existe sous
les deux versions, forte et faible). Lire les contributions
théoriques dans la première partie des actes du colloque
Scientists on
Gaïa in
Scientists on Gaïa, Stephen
H. SCHNEIDER and Penelope J.BOSTON (ed.), MIT Press,
Cambridge, Massachussets, 1993, en particulier celle de
David ABRAM (The
Mechanical and the Organic: On the Impact of Metaphor in
Science).
Le lien entre écologie, aménagement du territoire et
politique énergétique est posé de façon intéressante
par ENGELS dans Anti-Dühring. M.E. Dühring bouleverse la science. Ed.
Sociales, Paris 1950. p. 335.
[29]
Il va de soi que ces questions s’adressent non seulement
à MANDEL mais aussi à ses camarades. L’auteur de ces
lignes a mis vingt-cinq ans à comprendre que sa formation
d’ingénieur agronome le qualifiait pour contribuer à
aider son propre courant politique à intégrer le défi
environnemental.
La
première édition du Troisième âge du capitalisme, ouvrage majeur d’Ernest MANDEL,
parue en 1972 (Union Générale d’Editions, Paris), ne
consacrait aucun développement significatif à la question
environnementale. La deuxième édition française (Ed. de
La Passion, Paris, 1997) fut complétée sur ce point, précisément
dans le chapitre XVIII sur la crise des rapports de
production capitalistes (en particulier pp. 457-459).
Retenons
notamment l’idée que les marxistes doivent suivre et
analyser non seulement le front de l’exploitation du
travail mais aussi le front de l’exploitation de la nature :
déforestation, appropriation du patrimoine génétique,
etc.
Karl
MARX, Le Capital, l. 1, Garnier Flammarion, Paris, 1969, p.
47.
On
pourrait objecter que MARX analyse la transformation par le
capitalisme du travail de l’artisan, pas celle de
l’agriculteur. C’est exact, mais le travail agricole
avait été bouleversé avant la révolution industrielle
– par la suppression du système des jachères dès le
XVeS. Au cours de la révolution industrielle, il ne connut
guère de changements qualitatifs. Alors que, dans
l’industrie, la vapeur pulvérisait la vieille
organisation du travail, parcellisait le travail, aggravait
ses conditions et volait le savoir du producteur
rabaissé au rang d’accessoire de la machine, les
premières machines agricoles n’avaient d’autre effet
important que d’épargner la force humaine, donc de rendre
possible l’exode rural. L’émiettement du travail
agricole et la subordination des producteurs
n’interviendront en général qu’au XXeS, dans le
sillage de la « deuxième révolution agricole moderne».
Cf. Marcel
MAZOYER et Laurence ROUDART, Histoire
des agricultures du monde. Du néolithique à la crise
contemporaine, Ed. du Seuil, coll. « Points
Histoire », Paris 2002.
Sur
« le processus végétatif
ou physiologique » comme part du processus de
production, voir notamment Théories
sur la plus-value, op. cit, t.3, pp 88 et 99.
Ernest MANDEL, Long
Waves, op. cit. , p. 69
John
B. FOSTER, Marx’s
Ecology, op. cit., chapitre « Epilogue ».
George
LUKACS, Histoire et
conscience de classe, Ed. de Minuit, Paris, 1974, p. 38
Entretien
personnel, 1990.
Un
exemple de néo-malthusianisme pratique a été fourni par
la « gestion » des conséquences du cyclone
Katrina à New Orleans, en août-septembre 2005 : selon
Jessica AZULAY, la FEMA (Federal Emergency Management
Agency) avait décidé qu’en cas de catastrophe de ce
genre les 30% de pauvres resteraient sur place faute de
ressources permettant de payer l’évacuation (Jessica
AZULAY, « FEMA
planned to Leave New Orleans Poor Behind », http://newstandardnews.net).
La même logique cynique, mais à l’échelle planétaire,
sous-tend le rapport sur les impacts du changement
climatique pour la sécurité nationale des USA, que deux
consultants ont écrit pour le Pentagone. P.
SCHWARTZ and D. RANDALL, An abrupt Climate Change Scenario and its Implications for US National
Security, oct. 2003 (consultable sur internet).
MANDEL
esquive aussi la question dans son ouvrage sur les ondes
longues : «Il
n’est pas nécessaire d’accepter les prédictions de pénurie
absolue et inévitable de l’énergie et des matières
premières, du type de celles du Club de Rome, pour
comprendre que les générations actuelles de l’humanité
ont une responsabilité collective à transmettre aux générations
futures un environnement et un stock de richesses qui
constitue la précondition
pour la survie et l’épanouissement de la civilisation
humaine ». Ernest
MANDEL, Long Waves of
Capitalist Development. A Marxist Interpretation
(revised edition), Verso, London, 1995, p. 80-81.
Le biologiste Barry
COMMONER a réfuté vigoureusement la thèse que
l’abondance et/ou la population seraient responsables de
la crise de l’environnement (The Closing Circle, op. cit. , chapitre IX).
[44]Le
paradoxe est que, ailleurs dans les Long
Waves, MANDEL attire l’attention sur le rôle de
certaines ressources (or, pétrole) dans la transition des
ondes longues récessives vers les ondes longues expansives
(op. cit., voir par exemple pp. 26-27).
Ernest
MANDEL, Long Waves,
op. cit..
Le
livre de la biologiste américaine Rachel CARSON, « Silent
Spring », dont la publication et le succès de masse
sont considérés comme la première manifestation de la
conscience écologiste, date de 1962. Rachel
CARSON, Silent Spring, PenguinClassic, London, 2000.
Ernest MANDEL, Long Waves, op. cit., p77.
Ibid, p. 94. La tendance de ce texte à surestimer les
possibilités de la science est manifeste.
Wolfram KREVITT, Uwe KLANN, Stefan KRONSHAGE, Energy Revolution. A Sustainable Pathway to a Clean Energy Future for Europe,
Institute of Technical Thermodynamics (Stuttgart) &
Greenpeace, sept. 2005, p. 10
Dans
le seul secteur du bâtiment, qui intervient pour un tiers
environ des émissions de gaz à effet de serre, de banales
mesures d’isolation thermique permettraient de réduire la
consommation énergétique de 42% en Europe. (Etude
Ecosys Gmbh pour le compte d’Eurima, The
contribution of mineral wool and other thermal insulation
materials to energy saving and climate protection in Europe,
2003.) Le secteur du transport représente
un gigantesque potentiel d’économie d’énergie
accessible par la remise en cause du transport routier et aérien,
la promotion des transports en commun et la relocalisation
des activités. Pour
ne pas parler de l’énergie économisée en cessant de
produire des armes… et de les utiliser.
Un
autre obstacle important est le fait que les renouvelables
impliquent une profonde décentralisation de la conversion
énergétique alors que la domination capitaliste s’est
construite autour d’un système extrêmement centralisé.
Wolfram KREVITT, Uwe KLANN, Stefan KRONSHAGE,
Energy Revolution, op. cit., p. 30
Ernest
MANDEL, Dialectique de
la croissance, op. cit.
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