Nous avons reproduit, dans notre numéro spécial
consacré à Ernest Mandel, une citation qui en a intrigué plus
d'un(e). "Essayez de commencer à changer le monde",
disait notre camarade. Cette citation est la conclusion de
l'intervention d'Ernest lors d'un débat avec le courant
ultra-minoritaire et sectaire appelé Spartacist League. Dans ce
débat, Ernest Mandel défendit avec vigueur la tradition du
courant marxiste-révolutionnaire, contre tout sectarisme et
propagandisme.
En même temps, il profita de l'occasion pour
ouvrir le débat sur la nécessité de confronter le patrimoine
marxiste-révolutionnaire aux défis d'aujourd'hui. Particulièrement
intéressants à cet égard sont ses développements sur
l'actualisation du Programme de Transition.
C'est en 1938 que Léon Trotsky écrivit le
Programme de Transition, un des documents de base de notre
mouvement. La préoccupation de Trotsky était, en partant des
revendications immédiates de la classe ouvrière, de jeter un
pont vers la lutte pour une autre société, socialiste. Cette
stratégie des revendications transitoires marquait un pas en
avant qualitatif par rapport à la traditionnelle distinction
entre programme maximum et programme minimum, par les social-démocrates
et les staliniens. Le programme de transition de Trotsky était
taillé sur mesure pour les caractéristiques de la société à
son époque. Il reste extrêmement actuel et moderne.
Néanmoins, le mouvement ouvrier organisé -
en particulier sa composante marxiste-révolutionnaire- est
confronté à de nouveaux défis, de nouvelles aspirations et ce
dans une conjoncture qui est parfois radicalement différente:
le rétablissement du capitalisme dans les Etats ouvriers
bureaucratisés, le recours à l'énergie nucléaire, les armes
atomiques,... De plus, nécessité se fait sentir d'adapter les
revendications pour répondre à la modification de
l'organisation du travail et à l'offensive mondiale du Capital,
depuis la première récession économique (flexibilité, délocalisations,
place des femmes sur le marché du travail...).
Dans le passage que nous reproduisons
ci-contre, Ernest Mandel fait une tentative pour actualiser le
Programme de Transition en le complétant, en y ajoutant des
revendications complémentaires.
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Nous voudrions proposer les revendications de
transition ci-après pour compléter - et non remplacer- les
revendications du Programme de Transition de 1938:
1. Réduction de la semaine de travail à 30
heures (ou 28 heures: quatre journées de 7 heures) sans
diminution du salaire hebdomadaire, dans tous les pays
industrialisés ou semi-industrialisés. Interdiction
générale des
heures supplémentaires. Embauche obligatoire pour
garantir que ces mesures éliminent le chômage dans ces pays.
Contrôle ouvrier dans les usines pour garantir la pleine
application de ces mesures.
2. Pas d'accélération des cadences. Contrôle
ouvrier, c-à-d. pouvoir de veto, au niveau de l'usine, sur le
rythme et l'organisation du travail.
3. Opposer la consultation et la coopération
internationales des syndicats et des militants syndicaux et la
lutte de classe aux tentatives des multinationales pour choisir
la localisation des usines en fonction des différentiels de
salaires. A l'érosion progressive des salaires dans les pays à
"hauts salaires", opposer une hausse progressive des
salaires dans les pays à"bas salaires".
4. Au modèle de développement économique
"tout à l'exportation" dans les pays à "bas
salaires", opposer
un modèle de développement économique centré sur le développement
du marché intérieur, qui donne la priorité à la satisfaction
des besoins sociaux essentiels.
5. A la division internationale du travail,
qui tend à donner aux pays impérialistes le monopole de la
conception et du développement des équipements de haute
technologie, opposer le transfert systématique de cette
technologie aux pays moins développés, et ce à bas prix.
6. Défense du salaire social. Pas de réduction
des budgets sociaux d'éducation, de santé, etc...
7. Annulation de la dette et du service de la
dette dans les pays moins développés. Réduction radicale des
dettes intérieures dans tous les pays, sauf pour les petits épargnants
avec un plafond donné, et affectation des ressources ainsi dégagées
à la satisfaction des besoins sociaux essentiels.
8. Réforme agraire et urbaine radicales dans
les pays du Tiers-Monde.
9. Interdiction totale de la production des
armes nucléaires, biologiques et chimiques. Destruction des
stocks existants de telles armes sous contrôle de la
population.
10. Interdiction immédiate de la construction
de nouvelles centrales nucléaires. Fermeture progressive des
centrales nucléaires existantes, sans diminution de l'énergie
totale disponible, par le développement simultané de sources
d'énergie écologiquement "propres".
11. Référendums populaires obligatoires préalables
à l'utilisation des forces armées hors du territoire national.
"Que le peuple vote sur la guerre".
12. Interdiction de la privatisation des
grandes entreprises dans les pays ex-"socialistes".
Droit de veto des travailleurs de toutes les entreprises de ces
pays sur les formes concrètes de la propriété des
entreprises.
13. Rétablissement de tous les avantages
sociaux aux populations des pays ex-"socialistes" pour
ce qui concerne la santé gratuite, l'éducation, la culture, préalables
au changement de régime politique.
14. Toutes les libertés politiques pour les
peuples de tous les pays, y compris les pays
ex-"socialistes": droit d'association, de
manifestation pacifique, liberté de presse, droit à la grève
et aux piquets de grève, interdiction de licencier les
permanents et militants syndicaux.
15. Election libre des organes parlementaires
dans un système pluripartidaire. Accès égal de tous les
partis aux médias, au-dessus d'un certain seuil. Interdiction
du financement privé des partis politiques et des campagnes électorales
dans tous les pays
16. Légalisation des référendums
d'initiative populaire dans tous les pays. Interdiction des référendums-plébiscites
organisés par les Etats et les gouvernements.
17. Défense du droit des femmes à
l'avortement libre. Aucune restriction financière ou autre à
ce droit. Contraceptifs gratuits.
18. Crèches gratuites ouvertes en permanence
aux enfants de tous les travailleurs dans l'ensemble des lieux
de travail.
19. Congé pré- et postnataux avec plein
salaire pendant au moins quatre mois.
20. Election de comités de femmes dans
l'ensemble des entreprises et institutions, avec droit de veto
sur l'ensemble des décisions liées à la condition des femmes.
21. Droit garanti pour les femmes de choisir
le travail à mi-temps sans réduction du salaire minimum
hebdomadaire, sur demande d'au moins vingt pour cent des femmes
concernées.
22. Assemblée Constituante européenne élue
au suffrage universel pour transformer radicalement les
institutions européennes actuelles.
23. Assemblée Constituante latino-américaine
élue au suffrage universel pour fonder la Fédération
latino-américaine.
24. Création d'institutions semblables dans
les pays arabes.
25. Création d'institutions semblables dans
les pays d'Asie du Sud.
26. Création d'institutions semblables dans
les pays africains.
27. Interdiction de la propriété privée de
chaînes de radio et de télévision, de même que de journaux
quotidiens et hebdomadaires au-dessus d'un tirage donné. Accès
de l'ensemble des organisations de travailleurs et de l'ensemble
des citoyens aux médias de la collectivité. Pas de censure
gouvernementale sur les médias.
28. Jurys obligatoires pour tous les procès.
Election des juges au suffrage universel. Droit généralisé à
la défense gratuite par des avocats.
29. Abolition des services de sécurité
secrets des Etats et des gouvernements. Ouverture de tous les
dossiers existants aux personnes concernées.
30. Droit aux référendums populaires de
quartier avec effet suspensif sur l'ensemble des projets qui
posent des problèmes de santé, de sécurité et
d'environnement.
31. Droit généralisé de circulation pour
tous et partout, indépendamment de la race, de la nationalité
ou de la religion. Droits politiques entiers pour tous les
immigrés dans tous les pays, après deux ans de résidence et
le libre choix parmi les emplois proposés.
32. Interdiction des automobiles à combustion
interne dans tous les centres urbains.
33. Conférence mondiale sur les mesures
urgentes à prendre pour rétablir la couche d'ozone, combattre
la pollution des océans, arrêter la destruction des forêts,
et défendre l'environnement humain contre tout risque de
pollution qui implique la responsabilité de plus d'un pays.
34. Remplacement du Fonds Monétaire
International et de la Banque Mondiale par des organes qui représentent
proportionnellement les populations (et non les gouvernements)
des cinq continents.
35. Constitution d'un Fonds Mondial de
Solidarité pour accélérer le développement des pays plus
pauvres.
36. Droit de vote et d'éligibilité à 16
ans.
L’origine de ces propositions
Ces revendications ne proviennent pas de l’élaboration
théorique/politiques personnelles de l’auteur de cet essai.
Sauf pour quelques cas limités, elles sont le fruit de l’expérience
des cadres dirigeants et de nombreux militants de la Quatrième
Internationale dans des dizaines de pays. Nous devons continuer
à les tester dans les années à venir, les adapter, les compléter,
les transformer. Les masses dans pratiquement l’ensemble des
pays du monde ne sont pas encore prêtes à appliquer ces
revendications. Mais il est de plus en plus possible de susciter
la discussion – et parfois l’agitation – autour de
certaines de ces revendications. C’est un antidote
indispensable à la tendance à la dépolitisation, particulièrement
dans la jeunesse, dépolitisation compréhensible vu le
pourrissement des institutions actuelles, mais fort dangereuse
pour le futur de l’humanité. Il s’agit d’une éducation
à la possibilité d’une autre façon de concevoir la
politique que celle de ces institutions discréditées ;
L’AUTO-ACTIVITE POLITIQUE.
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