Le marxisme est un produit de son époque. Mais il n'en est ni
un produit spontané ni un produit automatique. Pour que la
transformation des sciences sociales, l'évolution du socialisme
utopique vers le socialisme scientifique, la transcroissance de
la pratique et de l'organisation révolutionnaires
petites-bourgeoises et pré-prolétariennes en pratiques et
organisations révolutionnaires prolétariennes s'effectuent
dans les faits, au moment où elles se sont effectuées, le
rôle de deux individus, Karl Marx et Friedrich Engels, a été
déterminant.
Ils ont certes pu jouer ce rôle parce que "l'histoire
avait besoin d'eux", c'est-à-dire parce que leur activité
correspondait a une nécessité ressentie par beaucoup de
personnes (avant tout des prolétaires, mais aussi d'autres
socialistes/communistes de l'époque), ce qui est confirmé par
le fait que des tentatives allant dans le même sens ont été
entreprises par d'autres qu'eux, parce que ces efforts de
synthèse étaient dans l'air (du temps). Néanmoins, la
manière précise dont ces synthèses et transcroissances ont
été réalisées, leur contenu et leur dynamique exacts,
dépendent dans une large mesure de la personnalité propre de
ces deux fondateurs du marxisme. Comme c'est le plus souvent le
cas, la "nécessité historique" est filtrée par des
personnalités déterminées, qui ne peuvent pas la faire
dévier de son cours fondamental, mais qui peuvent la marquer
jusqu'à un certain point de leur empreinte, de leurs
caractéristiques individuelles.
Ni Marx ni Engels ne furent des prolétaires. Le premier est le
fils d'une famille de la petite-bourgeoisies cossue. Il est né
en 1818: son père était un avocat libéral influent dans la
ville rhénane de Trèves (Trier), descendant d'une vieille
famille de rabbins, mais converti au christianisme pour des
raisons de convenance personnelle et non de conviction. Du
côté de sa mère et du côté de sa femme, Jennie von
Westfalen, Marx était plutôt lié à la grande bourgeoisie
qu'aux classes laborieuses. Son évolution vers le communisme
n'est donc point déterminée par une expérience immédiatement
vécue, ou par ses propres conditions d'existence misérables
(qui sont postérieures à cette adhésion, et se situent
essentiellement durant son deuxième exil a Londres, au cours
des années 1850 et 1860; au cours des années 1870, sa
situation matérielle s'améliore). Elle est essentiellement
déterminée par le résultat d'un travail intellectuel et par
des motivations morales.
Cela est encore plus vrai pour Friedrich Engels. Né en 1820, il
provient d'une famille bourgeoise d'industriels du textile de
Barmen, dans la Ruhr. Il vécut la plus grande partie de sa vie
comme gérant d'une usine textile que sa famille possédait en
Angleterre. Il vécut une vie confortable et laissa une
importante fortune au moment de sa mort en 1895. Chez lui aussi,
l'itinéraire vers le communisme est avant tout intellectuel et
moral.
Mais chez les deux penseurs, l'évolution, la prise de
conscience progressive, ne résulte pas d'un effort intellectuel
détaché de la réalité conflictuelle courante. Leur
motivation non seulement scientifique mais aussi morale provient
justement d'une confrontation avec des situations sociales -
misère ouvrière, révoltes ouvrières, luttes politiques - qui
se développent devant leurs yeux et qui les influencent
profondément. Elle résulte de ce fait aussi d'un engagement,
celui de ne pas se comporter de manière purement
interprétative, donc quiétiste et passive, devant la misère
humaine en général et la "question sociale" en
particulier. Marx et Engels se sont rapidement décidés à
agir, à mettre leur activité en conformité avec leurs
convictions, à tendre vers cette unité de la théorie et de la
pratique qui devient à la fois un critère épistémologique
(seule la pratique peut en dernière analyse confirmer le
contenu de vérité d'une théorie) et une obligation morale.
Leur engagement pour et dans le mouvement ouvrier devient
d'ailleurs la précondition pour qu'ils puissent effectuer la
plus importante de leurs contributions à l'histoire: la fusion
progressive du mouvement réel d'émancipation des travailleurs
et des principaux acquis du socialisme scientifique.
De ce fait, l'itinéraire individuel de Marx et d'Engels
s'entrecroise avec une série de rencontres, d'appréhensions de
situations et de conflits, qui les orientent et les
ré-orientent successivement. Jointes aux résultats de leurs
analyses scientifiques critiques - c'est-à-dire d'un examen
critique des données des principales sciences sociales de leur
époque - ces rencontres détermineront leurs prises de position
théoriques-politiques et l'évolution de celles-ci, du
néo-hégélianisme au radicalisme politique petit-bourgeois, de
la démocratie petite-bourgeoise au socialisme/communisme, et du
communisme rudimentaire au socialisme/communisme scientifique et
révolutionnaire de leur maturité.
(a) La rencontre avec la condition prolétarienne, avec la
misère ouvrière. Elle se situe dés le début de l'activité
journalistique de Marx comme rédacteur (ensuite
rédacteur-en-chef) de la Gazette rhénane (Rheinische Zeitung)
dès le lendemain de ses études universitaires, en 1842. Elle
est encore plus nette chez Engels, confronté avec la condition
ouvrière en Angleterre, dés son arrivée dans ce pays. Il en
résultera la première oeuvre majeure des deux jeunes penseurs,
La Situation de la Classe Ouvrière en Angleterre (1845) (Die
Lage der Arbeitenden Klasse in England).
(b) La rencontre avec la résistance et l'organisation
prolétariennes. Elle se situe essentiellement durant le premier
exil de Marx à Paris, puis à Bruxelles, le contact avec des
associations ouvrières à Paris et à Gand, mais surtout le
contact avec les ouvriers de la Ligue des Justes à Paris, à
Londres et à Bruxelles, dans les années 1846-1847. Chez
Engels, le contact avec les groupements chartistes et des
groupes ouvriers syndicalistes dans la région de Manchester
sera déterminant, de même que des contacts plus épars avec
des groupes ouvriers de la Ligue des Justes dans la Ruhr, le
tout dans la période 1844-1847. Les deux fondateurs du marxisme
seront en outre fort marqués par des explosions ouvrières
contemporaines, avant tout la révolte des tisserands de
Silésie de 1844.
(c) L'expérience directe de la révolution de 1848-1850,
acquise grâce à la participation personnelle et active de Marx
et Engels aux développements de la révolution en Allemagne, et
à la manière directe et rapide dont ils suivirent les
développements de la révolution en France, en Autriche, en
Hongrie, en Italie, etc. C'est seulement après l'insurrection
prolétarienne de juin 1848 et le bilan qu'ils tirent du rôle
contre-révolutionnaire de la bourgeoisie allemande qu'ils
arrivent à mettre au point une stratégie de prise du pouvoir
fondée sur une logique de révolution permanente, en 1850.
(d) L'expérience d'une organisation révolutionnaire
prolétarienne vivante - la Ligue des Communistes - entre 1847
et les premières années du deuxième exil de Marx a Londres.
Cette expérience rendit beaucoup plus concrète la vision des
deux amis de l'organisation prolétarienne, et les prépara et
arma à comprendre les problèmes politico-organisationnels avec
lesquels ils allaient être confrontés au cours des années
1860-1870 et ultérieures.
(e) L'expérience de l'Association
Internationale des Travailleurs entre 1863 et 1873, et
surtout l'effort pour y impliquer les syndicats anglais. Ce fut
la première rencontre réelle de Marx et d'Engels avec des
organisations de masse de la classe ouvrière et avec un milieu
ouvrier idéologiquement et politiquement très diversifié,
c'est-à-dire avec les problèmes du pluralisme et de la
démocratie ouvrières.
(f) La rencontre, à partir des années 1860 mais surtout au
cours des années 1870, avec de nouveaux progrès des sciences
ethnologiques et naturelles - surtout à travers Darwin et
Morgan - ce qui permet a Marx et Engels d'affiner leur
conception du matérialisme historique.
(g) L'expérience de la Commune de Paris, qui fut sans doute la
plus importante expérience politique durant la vie de Marx et
d'Engels, celle qui contribua Ie plus à clarifier leur vision
à la fois de la question théorique-politique de l'Etat, et de
la question capitale des objectifs politiques de la révolution
prolétarienne: l'établissement et la forme de la dictature du
prolétariat.
(h) L'expérience - plus exclusivement propre à Engels -
de l'essor de la diversité et du potentiel d'unification des
partis ouvriers de masse dans de nombreux pays au cours des
années 1875-1895, et des nombreux problèmes stratégiques et
tactiques qu'elle souleva.
Si la plupart de ces rencontres furent fécondes et même
exaltantes pour les deux fondateurs du marxisme, si elles leur
permirent de mettre a l'épreuve et de parfaire beaucoup de
leurs conceptions politiques et de leurs hypothèses
théoriques, il n'en reste pas moins vrai qu'à de multiples
occasions, cette progression s'effectua à travers des conflits
d'idées et de personnes, dans lesquels ils se trouvaient
impliqués, souvent à contre-coeur. Cet aspect
"fractionnel" de l'activité de Marx et d'Engels à
été souvent dénoncé comme résultant de leurs défauts
personnels, voire de leur "autoritarisme" ou même de
leur "terrorisme intellectuel".
En réalité, toute l'histoire confirme que les idées et les
organisations ne peuvent progresser qu'à travers la
confrontation d'idées et de groupements, qui se différencient
devant des événements ou des problèmes nouveaux. Penser qu'il
puisse en être autrement, ce serait croire soit a l'absence de
diversité des individus et des intérêts sociaux, soit à
l'infaillibilité d'aucuns et à l'évidence de cette
infaillibilité aux yeux de tous les autres. Une fois écartées
ces deux hypothèses absurdes, les luttes de groupes et de
tendances sont inévitables en politique en général, et en
politique ouvrière en particulier.
Les conflits et les ruptures successives qui ont le plus
influencé l'évolution intellectuelle de Marx et d'Engels sont,
en ordre chronologique:
(a) Leur conflit avec les "jeunes hégéliens"
contemplatifs et fondamentalement libéraux ainsi qu'avec Moses
Hess, avec lesquels Marx et Engels rompent dans les années
1844-1845. Cette rupture est théoriquement exprimée dans
L'Idéologie allemande et les Thèses sur Feuerbach (1845),
véritable acte de naissance du marxisme. Elle s'appuie sur une
appropriation critique étendue des acquis de la philosophie
allemande et de l'historiographie sociologique française, mais
sur une appropriation seulement partielle des acquis de
l'économie politique anglaise.
(b) Le conflit avec le socialisme utopique de Proudhon et le
communisme insuffisamment mûri de Weitling, qui s'étend sur la
période 1846-1848. Il aboutit à la rédaction de la Misère de
la Philosophie (1846) et du Manifeste Communiste (1848). Il est
combiné avec des conflits de clarification - moins violents -
au sein de la Ligue des Communistes, qui s'étendent au-delà de
la révolution de 1848, jusqu'au début des années 1850.
(c) Le conflit - quelquefois sous forme d'appropriation
intellectuelle critique, quelquefois sous forme de
"dialogue intérieur" - avec les principaux
représentants de l'économie politique post-ricardienne
anglaise, Hodgkin, Ravestone et Gray, qui va déboucher sur la
rédaction des principaux ouvrages économiques de Marx: les
Grundrisse, Ie Capital et les Théories de la Plus-Value au
cours des deux décennies allant de 1857 jusqu'a la mort de
Marx.
(d) Le conflit avec Bakounine et ses partisans au sein de la
Ière Internationale (1865-1873), qui se prolonge quelque peu
après la défaite de la Commune de Paris.
(e) Le conflit avec les diverses tendances droitières au sein
de la social-démocratie allemande, d'abord les lassalliens,
puis les premiers représentants du gradualisme réformiste, qui
va du congrès d'unification de Gotha de 1875 jusqu'à la mort
de Marx, et qu'Engels prolongera lui-même tout au long des
années 1880, jusqu'a sa propre mort en 1895. Les principaux
produits de ces conflits sont la Critique du Programme de Gotha
(1875) de Marx et l'Anti-Dühring (1879) d'Engels.
La chronologie de ces conflits apparaît comme une chronologie
des principaux ouvrages de Marx et d'Engels. Seuls leurs écrits
politiques (comme Le Dix-Huit Brumaire de Louis Bonaparte, Les
Luttes de Classe en France, Révolution et Contre-Révolution en
Allemagne), leurs écrits journalistiques, et les Origines de la
Famille, de la Propriété Privée et de l'Etat, ainsi que la
Dialectique de la Nature d'Engels, manquent à cette liste.
Sauf un voyage effectué par Engels aux Etats-Unis vers la fin
de sa vie, l'expérience vécue des deux fondateurs du marxisme
fut purement européenne. Leur pensée est profondément
marquée par l'histoire sociale et intellectuelle propre de
l'Europe. De ce fait, on leur a souvent reproché leur
"euro-centrisme", voire leur particularisme allemand.
Ces reproches ne sont pas fondés. Certes, le marxisme est un
produit des contradictions venues à maturité de la société
bourgeoise qui se sont incontestablement d'abord affirmées en
Europe. Dans ce sens, il ne pouvait pas naître en Asie, en
Amérique ou en Afrique, qui ne connurent tout au long du 19e
siècle qu'un développement capitaliste rudimentaire.
Mais si le capitalisme est né en Europe, il avait dès le
départ une dimension internationale, voire mondiale, qui le
rendit dépendant de tout ce qui se passait sur d'autres
continents. L'impact violent, désagrégateur, destructeur,
inhumain que ce capitalisme a exercé sur les sociétés
préca-pitalistes d'Amérique, d'Asie et d'Afrique dépasse de
loin son impact similaire sur la société précapitaliste en
Europe occidentale, méridionale, centrale et orientale. Marx et
Engels étaient des savants trop rigoureux et des humanistes
trop passionnés pour ne pas s'en apercevoir, s'en indigner, et
se révolter contre ces crimes abominables.
La perception du "tiers-monde", de sa dégradation et
de sa révolte inévitable, est donc rapidement introduite dans
leurs écrits, même si elle n'occupe que peu de place dans
leurs écrits de jeunesse. Il suffit de rappeler leurs prises de
position résolues en faveur des Cipayes (Sepoys) indiens et des
Taï-ping chinois, en faveur de l'émancipation des esclaves en
général, pour rejeter l'accusation d'euro-centrisme. De même,
ils qualifièrent l'expédition franco-hispano-britannique au
Mexique "d'entreprise parmi les plus monstrueuses des
annales de l'histoire internationale" (article du
23/11/1861, MEW, vol. 15, p. 366). L'étude de plus en plus
poussée de l'histoire du "mode de production
asiatique", de l'ethnologie, des particularités des
civilisations et sociétés non-européennes, de la communauté
villageoise russe (mir), occupe une place croissante dans le
travail intellectuel de Marx et d'Engels au cours des deux
dernières décennies de leur vie, et marqué leur oeuvre - y
compris le Capital - de manière de plus en plus nette.
Simultanément, les sources internationales, l'activité
résolument internationaliste des deux amis, permet de rejeter
comme carrément calomniatrice l'accusation de nationalisme
allemand qui leur fut adressée. Les sources du marxisme
relèvent - sur le plan des idées - autant de l'Angleterre et
de la France que de l'Allemagne. L'expérience et l'activité
qui les situent dans la vie politique de leur temps s'est
déroulée en France, en Belgique, en Angleterre, dans les pays
de l'Empire austro-hongrois, autant qu'en Allemagne. Elle
concerne également la Pologne, l'Irlande, la Hongrie,
l'Espagne, la Suisse, voire les Etats-Unis et la Russie.
Quant à leur organisation, elle est dès le départ
internationale et non purement allemande. C'est vrai pour la
Ligue des Communistes. C'est vrai pour l'Association
Internationale des Travailleurs. Ce sera encore plus vrai pour
la social-démocratie internationale après 1885, débouchant
sur la IIe Internationale. Dans les pays où leurs partisans
commençaient à s'organiser, Marx et Engels ont oeuvré à ce
qu'ils étudient la formation sociale concrète du pays, à ce
qu'ils s'approprient les traditions de lutte locales et à ce
qu'ils traduisent leur programme dans la langue des
organisations ouvrières et contestaires existantes; c'est là
le sens général de leurs Lettres aux Américains, de 1848 à
1885.
Une des grandes réussites de leur vie politique, source
d'authentique et légitime fierté, a été la prise de position
de leurs camarades allemands, Bebel et Liebknecht, contre
l'annexion de l'Alsace-Lorraine par l'Allemagne en 1871, contre
la première paix de Versailles. Il en fut de même, auparavant,
de la prise de position de l'A.I.T., syndicats britanniques en
tête, contre l'attitude pro-sudiste du gouvernement britannique
au cours de la Guerre de Sécession aux Etats-Unis. Amener la
classe ouvrière de chaque pays à développer sa propre
politique étrangère, fondée sur ses intérêts de classe et
quelques grands principes qui s'en dégagent ("aucun peuple
ne peut être libre s'il en opprime un autre"), voilà une
ambition constante de leur vie politique. Elle se situe aux
antipodes de tout nationalisme, à commencer par un nationalisme
allemand.
Marx et Engels étaient sans doute le produit de leur époque.
Ils ne pouvaient en dépasser complètement toutes les limites
subjectives, déterminées par des expériences encore trop
fragmentaires de l'émancipation prolétarienne et humaine. Ils
n'étaient pas infaillibles. Ils ne pouvaient pas tout
comprendre, tout expliquer, tout prévoir, s'ils ont
incontestablement compris, expliqué, prévu l'essentiel. Ils
ont eu des défaillances.
Engels s'est trompé en traitant les petites nationalités
slaves en 1848-1849 comme des "peuples sans histoire",
incapables de constituer des Etats, voire des nations
réellement indépendantes. L'histoire lui à donné tort à ce
propos. Marx s'est trompé en applaudissant à l'annexion de la
Californie et d'autres territoires mexicains par les Etats-Unis
en 1845, caractérisant les Mexicains comme des paresseux
incapables d'exploiter les richesses naturelles de ces
territoires. Il a véhiculé à ce propos un préjugé raciste.
Dans les deux cas, une application judicieuse du matérialisme
historique aurait permis d'expliquer le comportement des uns et
des autres au cours des années 1845-1855 d'une manière bien
différente de celle utilisée par Marx et Engels. Elle aurait
permis d'expliquer la deuxième révolution mexicaine (la
Réforme), principalement dirigée par Benito Juarez, qui
succéda à la guerre entre les Etats-Unis et le Mexique jugée
par Marx. Elle aurait permis d'expliquer la naissance d'une
gauche tchèque et serbo-croate, antitsariste, démocratique, à
la fois farouchement nationale et socialiste, dont Engels avait
nié la possibilité. Dans ces deux cas, Marx et Engels ont
été insuffisamment marxistes. Il fallait interpréter avec des
critères de classe des phénomènes politiques apparemment
déroutants, comme Ie revirement des paysans et de
l'intelligentsia tchèque et croate au cours de la révolution
de 1848, comme l'apparente passivité de la paysannerie
mexicaine devant la conquête yankee.
De même, tout en ayant une perception aiguë de la double
oppression que les femmes subissent dans la société de classe,
et en prolongeant l'analyse des origines de cette oppression
jusqu'aux origines de l'avènement de cette société, Marx et
Engels n'ont pas pu embrasser tous les aspects de
l'émancipation féminine nécessaire qui n'émergèrent
progressivement qu'au 20e siècle.
Cela étant dit, le bilan global de l'activité tant théorique
que pratique des deux amis est plus qu'impressionnant. Leur
contribution personnelle au progrès des sciences sociales, à
l'émancipation prolétarienne et humaine se situe au sommet de
la réussite humaine. Sans eux, l'histoire du 19e et du 20e
siècle n'aurait pas été ce qu'elle a été.
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