Pour
aborder la question des partis, de la construction d'un parti
politique et de la nécessité du parti révolutionnaire
d'avant-garde, il faut partir des particularités de la révolution
socialiste (ou si vous n'aimez pas le mot "révolution,"
une transformation socialiste de la société bourgeoise). La révolution
socialiste est la première révolution dans l'histoire de
l'humanité qui tente de remodeler la société d'une manière
consciente, d'après un projet établi à l'avance. Ce dernier
n'entre naturellement pas dans tous les détails, qui dépendent
des conditions concrètes et de l'infrastructure matérielle
changeante de la société.
Mais
au minimum, cela suppose un projet sur le type de société sans
classe à instaurer et comment nous pouvons y arriver. C'est également
la première révolution dans l'histoire qui a besoin d'un
niveau élevé d'activité et d'auto-organisation de la
population laborieuse dans son ensemble, c'est-à-dire, de la
majorité écrasante des hommes et des femmes de la société.
C'est à partir de ces deux caractéristiques-clés et
principales d'une révolution socialiste que nous pouvons immédiatement
tirer une série de conclusions.
Il
ne peut pas y avoir de révolution socialiste spontanée. Vous
ne pouvez pas faire une révolution socialiste sans essayer
vraiment de la faire. Et vous ne pouvez pas avoir une révolution
socialiste dirigée à partir du haut, par un certain chef ou un
groupe omniscient de chefs. Vous avez besoin des deux ingrédients
de la révolution socialiste: le niveau le plus élevé de
conscience possible, et le niveau le plus élevé
d'auto-organisation et d'auto-activité par les secteurs les
plus larges de la population. Tous les problèmes des relations
entre une organisation d'avant-garde et les masses proviennent
de cette contradiction de base.
Si
nous regardons le monde tel qu'il est réellement; le développement
réel dans la société bourgeoise pendant les cent cinquante
dernières années (plus ou moins depuis l'origine du mouvement
ouvrier moderne), nous constatons sans cesse cette
contradiction. Elle nous aide à surmonter un vieux débat
essentiel au sujet de la classe ouvrière et du mouvement
ouvrier et de voir qui a raison aujourd'hui. La classe ouvrière
est-elle un instrument pour le changement social révolutionnaire?
La classe ouvrière est-elle intégrée dans la société
bourgeoise? Quel a été son véritable rôle pendant les cent
cinquante dernières années? Qu'est ce qu'un tel bilan
historique nous indique-t-il par rapport à ces questions ?
La
seule conclusion que vous pouvez tirer des événements
historiques réels est que généralement, dans la vie
quotidienne, c'est la conscience "trade-unioniste"
(comme l'a appelé Lénine) qui domine dans la classe ouvrière.
Je l'appellerais "conscience élémentaire de classe de la
classe ouvrière". Cette conscience ne mène pas à la révolte
permanente et quotidienne contre le capitalisme, mais, comme
Marx l'a précisé de nombreuses fois, elle est absolument
essentielle et nécessaire pour qu'une révolte anticapitaliste
des travailleurs puisse se produire. Si les ouvriers ne
combattent pas pour des salaires plus élevés, s'ils ne
combattent pas pour une réduction du temps de travail, s'ils ne
combattent pas pour, disons-le d'une manière provocatrice, des
solutions économiques quotidiennes, alors ils deviennent des
esclaves démoralisés. Avec des esclaves démoralisés, vous
n'allez jamais faire une révolution socialiste, ou même acquérir
la solidarité élémentaire de classe. Ils doivent donc nécessairement
combattre pour des revendications immédiates. Mais le combat
pour ces revendications immédiates ne les mène pas
automatiquement ni spontanément à remettre en question
l'existence de la société bourgeoise elle-même.
Par
contre, l'histoire nous enseigne également que, périodiquement,
les ouvriers se révoltent bel et bien contre la société
bourgeoise, pas par cent, cinq cents, ou mille, mais par
millions. L'histoire du 20ème siècle est l'histoire des révolutions
sociales. Quiconque nie cela devrait relire ses livres
d'histoire encore. Il y a eu à peine une seule année depuis
1917, et dans un certain sens depuis 1905, sans révolution
quelque part dans le monde à laquelle les travailleurs ont
participé d'une manière plus ou moins importante.
Il
est vrai qu'ils n'ont pas toujours constitué la majorité des
combattants de la révolution. Mais cela ne peut plus être le
cas car la classe des travailleurs constitue la majorité de la
société dans pratiquement tous les pays importants du monde.
Le fat que les travailleurs se révoltent périodiquement contre
la société bourgeoise est certifié par la statistique des
vingt dernières années en Europe. Les travailleurs ont défié
le capitalisme en 1960-61 en Belgique, en 1968 en France, en
1968-69 en Italie, en 1974-75 au Portugal et partiellement en
Espagne en 1975-76. C'est là quelque chose qui donne une image
totalement différente d'une classe qui serait de manière
permanente passive, intégrée et "embourgeoisée".
Plus de 45 millions d'ouvriers ont activement participé à ces
luttes.
La
conclusion que l'on peut tirer de ces caractéristiques est
qu'il y a un développement inégal d'activité de classe et un
développement inégal de la conscience de classe dans le prolétariat.
Les ouvriers ne frappent pas chaque jour, ils ne peuvent pas le
faire du fait de la place qu'ils occupent dans le fonctionnement
de l'économie capitaliste. Le fait qu'ils ne peuvent survivre
qu'en vendant leur force de travail rend cela impossible. Ils
seraient vite affamés s'ils se révoltaient chaque jour. Et ils
ne peuvent certainement pas faire la révolution tous les jours,
chaque année, ou même tous les cinq ans, pour des raisons économiques,
sociales, culturelles, politiques et psychologiques que je n'ai
pas temps d'expliquer plus longuement. Il y a donc un développement
cyclique de la combativité et de l'activité de classe qui est
partiellement déterminée par une logique interne. Si vous vous
battez pendant de nombreuses années pour aboutir à des défaites
graves, alors vous ne recommencerez pas à vous battre au même
niveau ou à un niveau plus élevé après la défaite. Il
faudra du temps afin récupérer; dix ans, quinze ans, ou même
vingt ans.
L'inverse
est également vrai, heureusement. Si vous vous battez pendant
plusieurs années avec succès, des succès même moyens, vous
vous donnez l'élan nécessaire afin de vous battre à une échelle
plus large et à un niveau plus élevé par la suite. Il y a
donc un mouvement cyclique dans l'histoire de la lutte des
classes internationale que nous pourrions décrire plus en détail.
Très
étroitement combiné au développement inégal de la combativité
de classe se trouve le développement inégal de la conscience
de classe, mais ce dernier n'est pas nécessairement une conséquence
mécanique du premier. Il peut y avoir un haut niveau d'activité
de classe avec un niveau relativement bas de conscience de
classe. Et l'opposé est également possible. Il peut y avoir
des niveaux de conscience de classe relativement hauts accompagnés
d'un niveau inférieur de combativité de classe. Je parle, bien
sûr, de la conscience de classe de larges masses, de millions
de personnes et pas la conscience de classe de petites couches
d'avant-garde.
Sur
base de ces distinctions conceptuelles élémentaires, nous
pouvons automatiquement en conclure la nécessité d'une
formation d'avant-garde. Une organisation d'avant-garde est nécessaire
afin de surmonter le fossé provoqué par le développement inégal
entre la combativité et la conscience de classe. Si les
travailleurs étaient tout le temps au point le plus haut de
combativité et de conscience de classe, une telle organisation
ne serait plus nécessaire. Mais, malheureusement, ils ne le
sont pas et ne peuvent l'être à tout moment sous le
capitalisme. Il est donc nécessaire qu'un groupe de personnes
incarne de manière permanente un haut niveau de combativité,
d'activité et de conscience de classe.
Après
que chaque vague montante de lutte et de conscience de classe,
quand un revirement s'opère et que l'activité réelle des
masses connaît un déclin, la conscience retombe à un niveau
inférieur et l'activité tombe presque à zéro. La première
fonction d'une organisation d'avant-garde révolutionnaire doit
être de maintenir et d'entretenir la continuité de la lutte
d'un point de vue théorique, programmatique, et des acquis
politiques et organisationnels de la phase précédente
ascendante de haute activité et de haute conscience de classe
du prolétariat. Cette organisation sert alors comme la mémoire
permanente de la classe et du mouvement ouvrier, une mémoire
qui est codifiée, d'une façon ou d'une autre, dans un
programme avec lequel vous pouvez instruire la nouvelle génération
afin qu'elle ne recommence pas à partir de zéro.
Cette
première fonction consiste à assurer une continuité avec les
leçons tirées de l'expérience historique accumulée ; le
programme socialiste n'est rien d'autre que cela : la somme des
leçons tirées de toutes les expériences de luttes des
classes, révolutions et contre-révolutions des cent cinquante
dernières années. Très peu de personnes sont capables d'élaborer
cela et personne, absolument personne, ne peut le faire seul. Il
est donc nécessaire qu'une organisation tant nationale
qu'internationale (étant donné la nature mondiale de ces expériences)
soit capable de constamment évaluer cette somme d'expériences
historiques et actuelles de la lutte des classes et des révolutions,
de l'enrichir par de nouvelles leçons sortant de nouvelles révolutions,
de la rendre de plus en plus adaptées aux besoins de la lutte
des classes et des révolutions du présent.
Il
y a une seconde dimension à cela. C'est la dimension
organisationnelle, qui n'est pas vraiment seulement
organisationnelle, mais est, en réalité, également politique.
Nous touchons ici à la question célèbre de la centralisation.
Les marxistes-révolutionnaires sont favorables au centralisme démocratique.
Mais le mot " centralisation " ne doit pas être prit
en premier lieu dans sa dimension organisationnelle et encore
moins, quoiqu'on en dise dans un sens " administratif
". Car c'est une question avant tout politique. Que
signifie "le centralisme"? Cela signifie la
centralisation d'expériences, la centralisation des
connaissances, la centralisation des conclusions tirées) de la
combativité réelle. Il y ici à nouveau un danger énorme pour
le prolétariat et le mouvement ouvrier s'il n'y a pas une telle
centralisation d'expériences: c'est le danger de la
"sectorialisation" et de la fragmentation, qui ne
permet à personne de tirer des conclusions adéquates pour
l'action.
Si
des militantes femmes ne s'engagent seulement que dans des
luttes féministes, si des militants jeunes ne s'engagent
seulement que dans des luttes des jeunes, si des étudiants ne
s'engagent seulement que dans des luttes d'étudiants, si des
travailleurs immigrés ne s'engagent seulement que dans des
luttes de travailleurs immigrés, si des nationalités opprimées
ne s'engagent seulement que dans des luttes de nationalités
opprimées, si des militants politiques ne s'engagent seulement
que dans les campagnes électorales ou dans la publication de
journaux et si chacun d'entre eux fonctionne séparément l'un
de l'autre, ils vont seulement agir sur la base limitée et
fragmentée de leur expérience et ils ne peuvent donc tirer de
conclusions correctes que de leur propre expérience. Une telle
expérience de lutte fragmentée ne peut engendrer qu'une
conscience partielle car ils ne voient seulement qu'une partie
de l'image toute entière. Ils ne peuvent pas avoir, en général,
une vue correcte de la réalité globale parce qu'ils voient
seulement une partie fragmentée de cette réalité.
La
même chose est vraie, bien sûr, d'un point de vue
international. Si vous vous concentrez seulement sur l'Europe de
l'Est, vous avez une vue partielle de la réalité du monde. Si
vous vous concentrez seulement sur les pays sous-développés,
semi-coloniaux, dépendants, vous avez une vue partielle de la réalité
du monde, si vous vous concentrez seulement sur les pays impérialistes,
vous avez une vue partielle de la réalité du monde. Ce n'est
seulement que si vous rassemblez l'expérience des luttes concrètes
conduites par les masses dans les trois secteurs du monde (aussi
appelé les trois secteurs de la révolution mondiale), que vous
aurez une vue générale sur la réalité du monde.
C'est
là le plus grand avantage de la Quatrième Internationale,
parce qu'il s'agit d'une organisation internationale qui a des
camarades qui se battent concrètement et non seulement dans
l'analyse théorique, dans les trois secteurs du monde. Cet
avantage n'est pas dû à une intelligence supérieure des
dirigeants de la Quatrième Internationale. C'est seulement la
conséquence de cette centralisation élémentaire d'expériences
concrète de luttes à une échelle globale, accompagnée d'un
programme historique correct.
C’est
de cela qu’il s’agit avec la centralisation. Cette dernière
signifie que, je ne dis pas les meilleurs car ce serait une exagération,
mais les bons combattants dans les syndicats, les bons
combattants parmi les travailleurs et les chômeurs, parmi les
femmes, les jeunes et les étudiants, les anti-impérialistes,
les bons combattants dans chacun des trois secteurs du monde, se
rassemblent afin de centraliser leurs expériences, pour
comparer les leçons de leurs luttes à l’échelle nationale
et internationale. Cela permet de tirer des conclusions
relevantes, d’examiner et de réexaminer de manière critique
chaque étape du programme et de la ligne politique à la lumière
des leçons que l’ont peut tirer de ces expériences afin
d’avoir une vue globale de la société, du monde, de sa
dynamique, de nos aspirations socialistes et de comment les
atteindre. C’est ce que nous appelons un programme juste, une
stratégie et une tactique correctes. Du fait du développement
inégal de la conscience de classe et des niveaux inégaux et
discontinus de l’activité de classe, cela ne peut être réalisé
par la masse des travailleurs dans sa totalité. Croire le
contraire serait une utopie.
Seules
les personnes les plus actives d’une manière plus permanente
et continue peuvent obtenir ce résultat. Ceux qui possèdent
cette qualité continuent à lutter même quand, périodiquement,
les masses cessent de lutter, ils continuent à développer leur
conscience de classe, à élaborer des politiques et des théories
et tentent constamment d’intervenir dans la société.
Quiconque s’oppose à ce droit s’oppose au plus élémentaire
des droits humains. Ce « mérite », même s’il est
limité, apporte une série de qualités concrètes et pratiques
sur lesquelles repose la justification d’une organisation
d’avant-garde.
Comme
je j’ai déjà dit, il existe une véritable contradiction
entre l’organisation d’avant-garde et les masses. Il existe
une véritable tension dialectique - si tant est que l’ont
puisse l’appeler ainsi - à laquelle nous devons répondre.
Avant toute chose, j’utilise les termes « Organisations
d’avant-garde », et non « Partis d’avant-garde ».
Il s’agit d’une différence conceptuelle sur laquelle je
veux insister. Je ne crois pas aux partis auto-proclamés. Je ne
crois pas en cinquante ou cent personnes qui, en pleine rue, se
frappent la poitrine en hurlant « nous sommes le parti
d’avant-garde ! ». Ils le sont sans doute dans
leurs esprits, mais si le reste de la société n’en n’a pas
grand chose à faire, ils peuvent encore rester longtemps à
crier ainsi dans la rue sans obtenir le moindre résultat dans
la vie pratique ou, pire encore, ils tenteront d’imposer leurs
convictions sur les masses au travers de la violence. Une
organisation d’avant-garde est quelque chose de permanent. Un
parti d’avant-garde doit être construit à travers un long
processus. Un des caractéristiques de son existence est qu’un
parti doit être reconnu comme avant-garde par au moins une
minorité substantielle de la classe elle-même. On ne peut pas
avoir un parti d’avant-garde si l’on n’a pas de partisans
dans la classe.
Une
organisation d’avant-garde se transforme en parti lorsqu’une
minorité substantielle de la classe, des travailleurs, des
jeunes révolutionnaires, des femmes révolutionnaires, etc. le
reconnaissent comme leur parti d’avant-garde (autrement dit
qu’ils le suivent dans ses actions). Qu’ils soient dix ou
quinze pour cent, cela n’a pas d’importance, mais cela doit
être un secteur réel de la société. Si tel n’est pas le
cas, alors il ne peut y avoir de véritable parti, il n’y a
qu’a que le semence pour un futur parti. Ce qu’il adviendra
de cette semence, seule l’histoire pourra le démontrer. Il
reste une question ouverte, dont la réponse n’a pas encore été
apportée par l’histoire. Es-ce qu’il est nécessaire
qu’il existe une lutte permanente afin de transformer cette
organisation d’avant-garde en un véritable parti révolutionnaire
d’avant-garde, enraciné dans la classe, présent dans les
luttes de la classe ouvrière, et accepté comme tel par au
moins une fraction véritable de la classe ?
Nous
devons introduire ici un nouveau concept. Nous avons dit précédemment
que la classe n’est pas active de manière permanente,
qu’elle ne se maintient pas à un haut niveau de conscience de
classe de manière permanente. Je dois ici introduire une
distinction. La masse de la classe n’est pas homogène, non
seulement parce qu’il y a des individus qui appartiennent à
différents groupes politiques, ayant différents niveaux de
conscience, sous l’influence de différentes idéologies
bourgeoises, mais parce qu’il y a également une différenciation
qui s’opère au sein de sa structure massive. Il existe un
processus de différenciation sociale et politique qui s’opère
de manière permanente au sein de la classe véritable. Il y a
une distillation masse-avant-garde qui s’opère dans la classe
ouvrière pendant certaines périodes. Lénine a beaucoup écrit
à ce sujet ; tout comme Trotsky et Rosa Luxemburg. Ceux
qui ont l’ambition de construire activement l’organisation révolutionnaire,
et c’est mon cas, peuvent donner des noms, des adresses et des
numéros de téléphone de ces travailleurs d’avant-garde dans
leur propre pays. Il ne s’agit pas d’une question mystérieuse.
C’est un problème pratique. Qui sont ces travailleurs
d’avant-garde en Belgique, en France, en Italie, au Portugal,
en Espagne, en Allemagne occidentale ? Ce sont ceux qui
dirigent les grèves, qui organisent l’opposition militante
dans les syndicats, ceux qui préparent les luttes massives, qui
se différencient de l’appareil bureaucratique traditionnel.
La
différenciation est toute autant sociale que politique, bien
que l’on puisse discuter du poids exact de chaque élément et
que cela change dans chaque situation. Mais il y a de véritables
strates. Les dimensions de ces strates varie en fonctions des
différentes périodes. La « Obleute Revolutionnaire »
comme ils sont connus en Allemagne, les syndicats et les grandes
entreprises de Berlin qui dirigeaient la révolution de Novembre
1918 et ont construit le Parti socialiste indépendant pour
ensuite s’unir au Parti communiste au cours du congrès
d’unification de Halle, était une strate, une couche concrète
de la société allemande, non seulement à Berlin, mais également
dans d’autres régions industrielles du pays. Tout le monde
les connaissait, il ne s’agissait pas d’une quantité
inconnue. Ils étaient des dizaines de milliers de personnes. Si
nous observons l’avant-garde de la classe ouvrière quinze ans
plus tard, autour de 1930-1933, cette strate avait numériquement
fortement diminué mais elle existait encore.
Si
nous étudions la Russie, nous constatons la même chose. En
1905, tout le monde connaissait ces personnes. C’était ceux
qui menaient les grèves, les luttes de classes contre le Tsar.
Dans leur majorité, ils étaient en dehors de la Social-démocratie
d’avant 1905 et s’en sont rapproché pendant la révolution
de 1905-1906 pour ensuite s’en séparer partiellement (tant
des Bolchéviques et que des Menchéviques) pendant la période
de réaction. Ils sont à nouveau entré en politique et ont
connu une croissance numérique en 1912 et avec le début de la
révolution de Février 1917, la majorité étant absorbé par
le parti Bolchévique en avril 1917 après que ce dernier ait
adopté la ligne claire de « Tout le pouvoir aux Soviets »,
autrement dit, la dictature du prolétariat.
On
peut discuter si les Bolchéviques se sont transformé en un
parti d’avant-garde, dans le véritable sens du terme, en
1912-1913 ou seulement en 1917. Je pense personnellement que ce
fut en 1912-1913 car il aurait été très difficile pour eux de
croître si rapidement au cours du printemps 1917. Mais il ne
s’agit que d’un point d’analyse historique. La véritable
notion à retenir est que la fusion dans la vie réelle entre
cette couche d’avant-garde de la classe ouvrière, les véritables
leaders des luttes des travailleurs au niveau des entreprises et
des quartiers, des luttes des femmes, des jeunes, etc. et
l’organisation d’avant-garde politique. Lorsque la fusion a
eu lieu, du moins partiellement, on a un véritable parti
d’avant-garde, reconnu comme tel par une minorité
significative de la classe. Il est alors probable qu’il ne
devienne seulement majoritaire que pendant la crise révolutionnaire
elle-même, à la condition qu’il suive une ligne politique
correcte. S’il n’y a pas de fusion, on a seulement la
semence pour un futur parti d’avant-garde, c’est à dire une
organisation d’avant-garde qui est la pré-condition pour une
telle fusion à une étape postérieure.
Ceci
nous amène à une troisième dimension : l’organisation
de la classe. Cette dernière passe par différentes formes à
différents moments de la lutte de classes. Les organisations
les plus élémentaires sont les syndicats. Il y a ensuite les
différents partis politiques aux différents niveaux de
conscience ; les partis ouvriers-bourgeois, indépendants
et les partis révolutionnaires de travailleurs. Ce n’est
seulement que dans le contexte d’une crise révolutionnaire
que nous avons les niveaux d’organisation les plus élevés,
ceux de type soviétique, les comités de travailleurs, les
comités de citoyens, appelons-les comme on veut, les comités
populaires. Pourquoi sont-ils les plus élevés ? Parce
qu’ils englobent la grande majorité des travailleurs qui, général
et en dehors des périodes révolutionnaires, ne s’engagent ni dans les partis, ni dans les syndicats.
Les organisations directement issues de la classe elle-même,
comme les comités de travailleurs, représentent la forme la
plus élevée non pas parce que j’ai une prédilection théorique,
ni idéologique ou sentimentale envers elles – bien que ce
soit le cas – mais pour une raison objective et fort simple :
ce sont elles qui organisent un pourcentage beaucoup plus élevé
des travailleurs et des masses exploitées. Dans des conditions
normales, lorsqu’elles ne sont pas freinées par les appareils
bureaucratiques, elles doivent organiser entre 90 et 95% des
masses exploitées, ce qui ne se rencontre jamais dans un
syndicat ou dans un parti politique. C’est pour cela
qu’elles constituent la forme la plus élevé
d’auto-organisation.
Il
n’y a absolument pas de contradiction entre les organisations
séparées de militants révolutionnaires d’avant-garde et
leur participation dans des organisations de masse de la classe
ouvrière. Au contraire, l’histoire confirmé généralement
que, quel que soit le niveau d’organisation et de conscience
des organisations d’avant-garde, ce qui est le plus
constructif est de travailler au sein des organisations de masse
de la classe ouvrière. Ceci signifie qu’il faut éviter les dérives
théoriques du sectarisme, qu’il faut respecter la démocratie
des travailleurs, la démocratie socialiste, celle des soviets
ou des comités de travailleurs, des comités populaires, et
ce de manière ferme et méticuleuse. Ceci étant dit, il n’y
a donc aucune contradiction. A nouveau, le seul droit que l’on
peut exercer au sein des syndicats, au sein des partis de masse,
au sein des soviets, est celui d’être le plus engagé, le
plus énergique, le plus courageux, le plus lucide, le plus
passionné à construire les syndicats, les partis de masse, les
soviets, un défenseur des intérêts de la classe ouvrière qui
ne s’attribue par pour autant à soi-même un quelconque
privilège vis-à-vis des autres travailleurs, excepté le droit
de tenter de le convaincre.
Notre
position en faveur de la démocratie dans la classe ouvrière,
pour la démocratie socialiste, pour le pluralisme socialiste,
repose sur la compréhension programmatique qu’il n’y a pas
de contradictions entre les intérêts des communistes, des
militants d’avant-garde, la classe ouvrière et le mouvement
ouvrier dans son ensemble. Il n’y aucune condition dans
lesquelles nous subordonnons les intérêts de la classe aux intérêts
d’une quelconque secte, chapelle ou organisation séparée.
Nous ne pensons pas que le programme marxiste, qui incarne la
continuité de l’expérience des luttes de classes et des
révolutions authentiques des cent cinquante années dernières
années, soit un livre fermé. Pensez cela revient à croire
qu’un marxiste révolutionnaire est un pantin qui récite sa
leçon de mémoire et qui n’attend des résultats qu’après
avoir encodé toutes les données dans un ordinateur. Selon
nous, le marxisme est toujours ouvert parce qu’il y a toujours
de nouvelles expériences, de nouveaux faits, y compris des
faits du passé, qui doivent êtres intégrés dans le corpus du
socialisme scientifique. Le marxisme est toujours ouvert,
toujours critique, toujours authentique.
Ce
n’est pas par hasard que lorsque Marx fut appelé à répondre
à la question d’un jeux « Quelle est ton dicton préféré ? »,
il a répondu « De omnibus est dubitatum » (« il
faut douter de tout »). C’est l’attitude opposée que
l’on attribue généralement à Marx, construisant ainsi une
religion sans Dieu. L’état d’esprit de douter de tout, de
remettre en question ses propres théories, est contraire à
toute religion ou dogme.
Les
marxistes pensent qu’il n’y a pas de vérité éternelle, et
qu’il n’existe personne qui puisse tout savoir. La seconde
strophe de notre hymne commence par des paroles merveilleuses :
-
Il
n'y a pas de sauveur suprême
-
Ni
dieu, ni César, ni tribun,
-
Producteur
sauvons-nous nous-mêmes
-
Décrétons
le salut commun
Seule
la masse entière des producteurs peut s’émanciper elle-même.
Il n’y a pas de Dieu, ni César, ni Tribun (ni secrétaire général,
ni comité central etc.) qui puisse se substituer aux efforts
collectifs de la classe. C’est pour cela que nous tentons
simultanément de construire des organisations d’avant-garde
et des organisations de masse.
On
ne peut pas tromper la classe ouvrière ou l’amener à faire
quelque chose qu’elle ne veux pas faire. Il faut convaincre la
classe ouvrière. Il faut l’aider à comprendre collectivement
et massivement la nécessité d’une transformation socialiste
de la société, d’une révolution socialiste. Telle est la
relation dialectique entre le parti d’avant-garde et la propre
organisation de masse de la classe ouvrière. Et c’est pour
cela que, selon nous, le pluralisme socialiste, le débat, même
lorsqu’il prend la forme peu souhaitable et heureuse du
fractionnalisme et de l’altercation polémique, qui heurtent
tout militant sérieux (car en général c’est une perte de
temps), est un prix qu’il faut payer afin de maintenir ce
processus d’autocritique. Vu que personne ne détient la vérité
absolue, si chaque situation est examinée et réexaminée de
manière critique par rapport à de nouvelles expériences de la
lutte des classes et de nouvelles révolutions, alors la
critique est nécessaire, il est nécessaire de confronter de
nouvelles propositions, de nouvelles variantes. Il ne s’agit
pas d’un luxe ou d’une forme abstraite de démocratie des
travailleurs. Non ! C’est une précondition absolument
essentielle afin de pouvoir rendre victorieuse une révolution
qui amènera à une société sans classes.
La
révolution n’est pas un objectif en soi. La révolution est
un instrument, tout comme le parti. L’objectif est de
construire une société sans classes. Tout ce que nous faisons,
même à court terme comme de diriger les masses dans leurs
luttes quotidiennes, ne doit jamais être fait de telle manière
que cela s’oppose avec l’objectif à long terme, qui est
l’objectif de l’auto-émancipation de la classe ouvrière,
l’auto-émancipation des exploités, de la construction
d’une société sans classes, sans exploitation, sans
oppression, sans violence entre les hommes et les femmes. La démocratie
socialiste n’est pas un luxe mais bien un absolu, une nécessité
afin de renverser le capitalisme et de construire le socialisme.
Permettez-moi
de donner deux exemples :
Prenons
en considération les aspects fonctionnels de la démocratie
socialiste dans les société post-capitalistes
d’aujourd’hui (les sociétés d’Europe de l’est,
l’URSS, la Chine, le Vietnam et Cuba). Sans démocratie
pluraliste, on ne peut trouver de solutions correctes aux problèmes
élémentaires de la planification socialiste. Aucun parti ne
peut se substituer à la masse du peuple pour déterminer ce que
veut la masse du peuple comme priorité de consommation, pour la
répartition entre les fonds octroyés à la consommation et
ceux destiné à l’investissement, entre la consommation
individuelle et collective, entre les fonds productifs et
improductifs d’investissement, etc. Personne ne peut réussir
cela. Encore une fois, croire le contraire serait utopique.
Si
la masse des gens n’accepte pas ton choix de priorités, aucun
pouvoir sur terre, pas même la terreur stalinienne, ne peut
obliger les masses à faire la seul chose décisive qui est nécessaire
pour construire le socialisme : la participation créative,
constructive et convaincue dans le processus productif.
Il
y a
une forme d’opposition que la bureaucratie n’est pas
parvenue à détruire. Elle se renforce de plus en plus :
c’est l’opposition qui s’exprime par un désintérêt
total envers ce qui se passe avec la production. Tout le monde
connaît la blague célèbre qui circule en Allemagne de l’Est : Un
journaliste arrive dans une usine et demande au directeur :
« Camarade directeur, combien d’ouvriers travaillent
dans votre usine ? Réponse : « Oh, au moins la
moitié ». Telle est la réalité dans tous les pays
bureaucratiques dénommés « socialistes ». Aucune
terreur ne peut en finir avec cela. Seule la démocratie
socialiste peut la vaincre, seul le peuvent le pluralisme et la
possibilité pour la masse des producteurs et des consommateurs
de choisir entre différentes options du plan qui reprend
l’ensemble de leurs intérêts tels qu’eux-mêmes
l’entendent.
La
démocratie socialiste n’est pas un luxe et ne peut pas être
limité aux pays industrialisés. Elle est aussi vitale pour des
pays comme la Chine ou le Vietnam. C’est la seule manière de
corriger rapidement les effets désastreux d’une politique
erronée. Sans pluralisme, sans un ample débat public,
sans opposition légale, tout correctif nécessiterait 15, 20 ou
même 30 ans pour se réaliser. Nous avons vu dans l’histoire
le prix terrible que doit payer la classe ouvrière lorsque
l’on tarde trop à corriger une erreur. Les erreurs en soi inévitables.
Comme l’a dit le camarade Lénine, « La véritable clé
pour un révolutionnaire n’est pas de ne jamais commettre
d’erreurs, mais bien comment il les corrige ».
Sans démocratie interne dans le parti, sans droit de
manifestation, sans débat public libre, il y a d’énormes
obstacles afin de corriger les erreurs et l’on payera un prix
très élevé pour cela. C’est pour cela que nous sommes en
faveur du droit de tendance, à la pleine démocratie interne et
à la non-prohibition des fractions ou des partis.
Je
ne dis pas le « droit » aux fractions, car ce serait
une fausse formulation. Les fractions sont un signe de maladie
dans le parti. Dans un parti sain, il n’y a pas de fractions.
Un parti sain d’un point de vue de ligne politique, et de régime
interne de parti. Mais le droit à ne pas être expulsé du
parti, en cas de constitution d’une fraction est un moindre
mal par rapport à celui d’être expulsé et d’étouffer la
vie interne du parti au travers de débats internes
excessivement prohibés.
Ce
n’est pas une question facile, tout spécialement pour un
parti du prolétariat. Lorsque qu’une organisation
d’avant-garde plonge ses racines dans la classe ouvrière, le
nombre d’étudiants et d’autres non-prolétaire est bien
moindre (je ne dis pas qu’il est mauvais d’avoir des étudiants
ou des intellectuels, ils sont nécessaires mais ne doivent pas
être majoritaires dans une organisation d’avant-garde). Plus
le nombre de travailleurs est important dans l’organisation,
plus cette dernière sera implantée dans la classe ouvrière et
plus les probabilités de se lier aux problèmes concrets de la
classe est important. Dans ce cadre, on doit poser la question
de la nature fonctionnelle de l’organisation d’avant-garde
pour la lutte de classes, pour la révolution et pour construire
le socialisme. Il ne faut jamais oublier qu’il existe une
stricte inter-relation dialectique entre les trois. Dans le cas
contraire, nous nous dévions du chemin et n’accomplissons pas
le rôle historique que nous devons jouer : aider les
masses, les exploités et les opprimés du monde à construire
une société sans classes, une fédération mondiale
socialiste.
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