L'idée
d'un programme de transition est aussi vieille que le mouvement communiste
contemporain. Elle surgit de la constatation de la contradiction fondamentale de
notre époque: la contradiction entre la maturité des conditions objectives nécessaires
à la victoire de la révolution socialiste (et dans les conditions objectives,
il faut inclure également les grands mouvements des masses prolétariennes qui
mettent périodiquement à l'ordre du jour immédiat la conquête du pouvoir par
le prolétariat) et l'immaturité des conditions subjectives nécessaires à
cette victoire: le niveau de conscience du prolétariat et de sa direction.
La
fonction du programme de transition consiste à dépasser les deux insuffisances
du « facteur subjectif ». Des luttes d'un type déterminé - déclenchées par
des revendications déterminées et organisées de façon déterminée -
permettant aux masses, à travers leur propre expérience, d'arriver à la compréhension
de la nécessité du renversement immédiat du capitalisme.
Le
noyau du parti révolutionnaire (incarnant la continuité du marxisme révolutionnaire,
c'est-à-dire l'ensemble des positions programmatiques, malgré les déformations
bureaucratiques et révisionnistes de ce programme, d'abord par la bureaucratie
social-démocrate et syndicale, ensuite par la bureaucratie stalinienne) se
transforme en parti révolutionnaire de masse à mesure que la conscience de
classe communiste, que la compréhension de la nécessité du renversement révolutionnaire
du capitalisme s'étendent à des couches toujours plus larges des masses
laborieuses,
L'initiative,
l'action, le rôle dirigeant de ce parti sont nécessaires pour que se réalise
ce processus, Mais, de la même façon, ce processus présuppose l'élévation réelle
de la conscience de classe d'une avant-garde toujours plus massive du prolétariat.
Pour cette raison, les luttes de masse ne sont pas, en elles-mêmes ni
automatiquement génératrices d'une solution à la crise historique de notre époque,
la crise de la conscience et de la direction prolétariennes. Les luttes les
plus massives pour des revendications immédiates n'engendrent pas nécessairement
une conscience anticapitaliste.
C'est
la raison pour laquelle la dichotomie de la social-démocratie classique
(reprise aujourd'hui par les partis communistes, aussi bien pro-Moscou que pro-Pékin)
entre le «programme minimum» et le «programme maximum» - dichotomie entre
les luttes pour les revendications immédiates et la simple propagande du
programme maximum - ne permet pas de résoudre cette contradiction. Pour la même
raison, le simple renforcement des organisations de masse traditionnelles -
surtout les syndicats - ne conduit pas en soi à une solution de la crise de la
direction ouvrière.
Il
faut des luttes pour des objectifs transitoires (c'est-à-dire apparaissant aux
travailleurs comme nécessaires à la solution de leurs problèmes, mais irréalisables
dans le cadre du fonctionnement normal du régime capitaliste, c'est-à-dire débouchant
sur une situation pré-révolutionnaire, voire sur la création d'organismes de
dualité de pouvoir) pour permettre à la conscience de classe de faire un saut
qualitatif en avant. De même. il faut, à côté des syndicats et des partis,
des organismes démocratiques d'auto-organisation des luttes ouvrières, véritables
embryons de soviets, pour transformer, tant dans la pratique que dans la
conscience des masses, ce qui n'est encore qu'escarmouches - même si elles sont
dures et massives - entre le Capital et le Travail, en un assaut général du
prolétariat contre l'État bourgeois et contre les rapports de production
capitalistes.
L'Internationale
communiste, assimilant les leçons principales des révolutions russes de 1905
et de 1917 et des grandes explosions révolutionnaires après la Première
Guerre mondiale, s'était engagée, dès son IIIe Congrès, dans la voie de la
formulation d'un programme de transition et en avait exprimé clairement la nécessité
dans une résolution adoptée à son IIe Congrès. Trotsky n'a fait que
poursuivre cette tradition léniniste en élaborant, pour la conférence de
fondation de la IVe Internationale en 1938, le Programme de transition qui est
resté le sien jusqu'à aujourd'hui.
Ce
programme représente avant tout une analyse globale de la situation historique,
née de l'époque de déclin du capitalisme ainsi qu'une méthode pour résoudre
des contradictions fondamentales de notre époque. S'en tenir, à chaque
instant, à la lettre de chaque paragraphe de ce texte, vouloir lancer les
masses dans la lutte contre le chômage ou contre le fascisme, y compris dans
des situations con joncturelles passagères dans lesquelles ces phénomènes ne
sont absolument pas présents dans les préoccupations immédiates de ces
masses, c'est aller à l'évidence contre l'esprit du Programme de transition.
Comprendre
en quoi les contradictions du capitalisme sont irréductibles et insolubles sans
le renversement de ce régime, tel est le point de départ essentiel. Comprendre
que les masses se lancent périodiquement dans des combats de grande envergure
contre les manifestations concrètes de ces contradictions -qui diffèrent forcément
selon le pays et selon la période -telle est la deuxième constatation
fondamentale. Et l'objectif: insérer les organisations révolutionnaires dans
ces combats de façon à pouvoir les transformer en assauts victorieux contre le
régime capitaliste.
Tout
le reste est tactique et analyse de situations particulières. Pour le Programme
de transition, comme pour le léninisme en général, la vieille formule de Lénine
conserve tout son sens: l'art de la politique révolutionnaire part toujours de
l'analyse concrète d'une situation concrète. Mais la différence entre le léninisme,
d'un côté, et le centrisme ou l'opportunisme sans principe, de l'autre,
consiste en ce que cette analyse n'a jamais comme objectif de conduire les révolutionnaires
à s'adapter à une situation de fait. Au contraire, elle doit les armer
davantage pour transformer cette situation dans un sens précis: celle qui
permet au prolétariat l'accomplissement de ses tâches historiques.
Il
n'y a aucune contradiction entre le fait de défendre énergiquement - d'abord
par la propagande, ensuite par l'agitation et dans l'action- un programme de
transition face aux masses travailleuses et la nécessité de défendre chaque
revendication immédiate, aussi minime soit-elle, à partir du moment où elle
est nécessaire pour la défense des intérêts du prolétariat et des autres
couches travailleuses et exploitées de la population. Les marxistes-révolutionnaires
ont le devoir de participer à toutes les luttes, de défendre non seulement les
revendications économiques, mais aussi les revendications démocratiques des
masses, de même qu'ils ont le devoir de renforcer les organisations de masse
comme les syndicats.
Mais
à la différence des réformistes d'hier et d'aujourd'hui, ils ne se contentent
pas de reprendre les revendications surgies du prolétariat lui-même, pas plus
qu'ils ne conçoivent comme leur mission essentielle une surenchère sur ces
revendications (15 % d'augmentation de salaire au lieu de 1 2 % réclamés par
les syndicats; semaine de 35 heures au lieu de la semaine de 40 heures réclamée
par les organisations de masse). Les marxistes-révolutionnaires, s'efforçant
d'injecter la propagande - et l'agitation, si possible - pour des revendications
transitoires dans les luttes, jouent le véritable rôle d'avant-garde
historique. Ils rendent le mouvement spontané conscient des seuls objectifs qui
offrent des solutions durables et non passagères aux maux provoqués par le régime
capitaliste. Ils représentent le futur dans le présent et orientent le
mouvement de masse vers ses objectifs historiques définitifs.
Plusieurs
des points de notre programme de transition sont aujourd'hui vivants dans une
large avant-garde de masse de nombreux pays impérialistes (pour ne pas parler
des pays semi-coloniaux et des États ouvriers bureaucratisés). L'échelle
mobile des salaires et le contrôle ouvrier sont les exemples les plus
significatifs. Mais, de la même façon que le marxisme en général, le
programme de transition ne peut pas être assimilé ni «réalisé» morceau par
morceau.
Il
constitue un tout cohérent, qui a précisément pour fonction de conduire le
prolétariat à mettre en question et renverser la société bourgeoise dans son
ensemble. La construction des sections de la IVe Internationale depuis 1968 est
la meilleure démonstration que la conscience de cette nécessité augmente dans
une avant-garde toujours plus large dans tous les pays du monde.
Remarque:
La présente introduction est contenue dans l'édition espagnole du Programme de
transition publiée par la LCR-ETA VI en janvier 1973, Il ne s'agit pas du texte
original, écrit en français, mais d'une traduction à partir du texte
espagnol.
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