La liberté d'action syndicale
constituera principale conquête de la classe ouvrière dans le cadre de
la société bourgeoise, celle dont l'application a empêché la dégradation
des travailleurs au niveau d'une masse atomisée d'individus impuissants
devant la toute-puissance économique et politique d'un patronat
profitant de toutes les " lois du marché ". Elle a été
arrachée à une époque où la bourgeoisie avait suffisamment confiance
en elle-même, en la stabilité de son pouvoir et l'avenir de son régime
pour accepter le pari que la lutte pour des augmentations des salaires
ne mettrait pas en question mais consoliderait au contraire le régime
du salariat.
A "l'âge d'or" de
l'impérialisme, dans la période 1890-1914, la montée du
mouvement syndical dans tous les pays impérialistes reflétait
en outre la capacité de la bourgeoisie impérialiste d'accorder
des concessions réelles à la classe ouvrière, notamment grâce
à l'afflux de sur-profits coloniaux extorqués aux prolétaires
et paysans pauvres des pays coloniaux et semi-coloniaux.
Cette situation classique du syndicalisme se trouve modifiée
avec le début de l'ère de déclin du capitalisme (l'éclatement
de la première guerre mondiale). D'abord, pendant des phases
prolongées, la crise du régime est telle que la base matérielle
pour accorder de nouvelles réformes aux travailleurs se
restreint de plus en plus. L'accumulation du capital, dans ces
phases, ne peut être durablement relancée que par un
abaissement du niveau de vie de la classe ouvrière, même dans
les pays impérialistes, ce qui explique la poussée vers des régimes
fascistes ou semi-fascistes impliquant une destruction totale du
syndicalisme libre.
Ensuite, à d'autres moments, la croissance économique se
poursuit, quelque fois même à un rythme accéléré, mais ce
au prix d'une inflation permanente, d'un gaspillage important de
ressources matérielles (production d'armements !), d'une
surexploitation de la classe ouvrière (accélération des
cadences), d'un refus de satisfaire les nouveaux besoins suscités
par la croissance des forces productives elle-même (sous-développement
de l'équipement social et des besoins sociaux).
Dans ces conditions, le système ne se maintient en équilibre
fort instable que grâce à une intervention de plus en plus
poussée de l'Etat dans l'économie capitaliste, grâce à la
multiplication des mécanismes de garantie étatique des profits
capitalistes (avant tout aux sur-profits monopolistiques).
Ceci implique notamment une tendance à la planification économique
à moyen terme au sein des grands trusts monopolistiques et une
tendance à la programmation économique a. moyen terme au sein
des Etats bourgeois, qui imposent toutes deux de sévères
contraintes à la liberté de négociation des salaires. Ces
contraintes sont encore renforcées par la prétention des
gouvernements bourgeois de " combattre l'inflation "
à l'aide d'une " politique des revenus " qui implique
en réalité la seule et unique " police des salaires
", c'est à dire une tentative systématique de restreindre
la liberté du mouvement syndical d'arracher les augmentations
de 'salaire rendues possibles par une conjoncture relativement
favorable aux vendeurs de la force de travail.
Ainsi, sous les deux formes de pouvoir bourgeois dont
"alternance marque la phase de déclin du capitalisme, la
forme dictatoriale et la forme de démocratie parlementaire décadente,
les libertés syndicales sont menacées. Elles sont menacées de
destruction complète lorsque la dictature prend la forme du
fascisme ou du semi-fascisme. Elles sont restreintes de manière
plus ou moins prononcée même lorsque la base matérielle pour
une survie de la démocratie parlementaire bourgeoise subsiste.
La survie du capitalisme et la survie de la liberté syndicale
s'excluent de plus en plus mutuellement. Telle est la conclusion
première qu'il faut formuler. Il s'agit de l'application
particulière d'une règle beaucoup plus générale : la survie
du régime capitaliste en pleine crise structurelle menace de
plus en plus nettement l'ensemble des libertés démocratiques
partielles, arrachées par les masses dans la phase de montée
et d'apogée de ce régime.
Le syndicalisme libre est une association libre entre salariés
ou appointés (vendeurs de la force de travail) pour négocier
collectivement le prix de la force de travail et les conditions
de consommation par le capital. C'est donc une organisation de défense
des intérêts des salaries et d'eux seuls. On peut dire en gros
que le capitalisme, même prospère et fort, ne peut tolérer un
syndicalisme libre de ce genre que lorsqu'il s'agit d'un
syndicalisme minoritaire ou relativement faible (par exemple
cantonné dans les seuls secteurs des travailleurs très qualifiés).
Lorsqu'il s'agit au contraire d'un syndicalisme de masse,
majoritaire dans tous les secteurs de la classe ouvrière et
dans tous les secteurs de la vie économique et sociale où
existe le travail salarié, sa manifestation comme organisation
au seul service de ses membres entre en conflit croissant avec
la survie même de l'exploitation capitaliste, c'est à dire du
régime. L'opposition d'intérêts irréconciliables entre le
Capital (y compris son Etat) et le Travail aura alors tendance a
se manifester quotidiennement, à tous les niveaux de la vie
sociale, car la classe ouvrière ne peut pas ne pas puiser un
sentiment de confiance croissante en elle-même ainsi que de
force de classe, d'un tel accroissement de sa puissance organisée.
Elle ne peut pas ne pas faire peser ce sentiment sur tous les
rapports d'exploitation, d'oppression et d'inégalité qui
caractérisent la société bourgeoise dans chacune de ses sphères.
C'est pourquoi l'incompatibilité croissante entre un
syndicalisme puissant, majoritaire au sein de la classe, et la
survie du régime capitaliste, même dans des conditions économiques
relativement favorables pour la bourgeoisie, se manifeste à l'époque
de déclin du capitalisme par une tendance constante à
restreindre la démocratie syndicale, à restreindre le caractère
libre du syndicalisme. Les pratiques de collaboration et de
conciliation de classes de la part des bureaucraties syndicales
ne correspondent pas seulement à une " déviation idéologique
" de la part des réformistes et des néo-réformistes,
reflétant en dernière analyse les privilèges matériels
conquis par ces bureaucraties au sein des institutions de la démocratie
parlementaire bourgeoise. Elles constituent des conditions sine
qua non pour maintenir un minimum de stabilité et de continuité
des institutions bourgeoises.
Par le truchement de mille formes d'accords de conciliation et
de collaboration de classes ; par la création de multiples
variantes d'organismes de " concertation " bi-partite
(patronat-syndicats) ou tri-partite (patronat-syndicat-Etat), la
bureaucratie syndicale agit comme un frein de l'action des
salariés et des syndiqués, comme frein de la liberté d'action
syndicale. Elle ne peut le faire qu'en étouffant la démocratie
syndicale, qu'en restreignant de manière de plus en plus sévère
le droit des syndiqués de déterminer librement l'attitude du
syndicat devant chaque " fait nouveau " de la
situation économique et sociale.
L'intégration croissante des bureaucraties syndicales dans
l'Etat bourgeois implique fatalement la restriction de la démocratie
syndicale et de la liberté d'action syndicale, sape fatalement
les libertés syndicales ; telle est la deuxième conclusion
qu'il faut dégager. Les syndicats ne peuvent pas fonctionner à
la fois comme organes de défense sans restriction des intérêts
de leurs membres, et comme organismes de conciliation entre les
intérêts du Capital et ceux du Travail (ou en tant que
courroies de transmission de " l'arbitrage )> que l'Etat
bourgeois effectue entre ces deux groupes d'intérêts irréconciliables).
Ils ne peuvent jouer le deuxième rôle qu'en dénaturant et en
délaissant de plus en plus le premier.
De cette analyse se dégage clairement l'attitude des révolutionnaires
à l'égard de l'avenir du syndicalisme. Ils refusent d'accepter
la thèse défaitiste des ultra-gauches selon laquelle la dégradation
et la disparition du syndicalisme de combat, et donc l'intégration
définitive des syndicats dans l'Etat bourgeois, seraient inévitables.
Ces tendances, qui existent et qui se manifestent puissamment,
ne peuvent triompher que pour autant que la classe ouvrière
assiste passive, et durablement, à la perte du seul outil dont
elle dispose pour défendre ses intérêts matériels quotidiens
contre le Capital de manière efficace, c'est à dire de manière
massivement organisée.
L'expérience démontre qu'une telle hypothèse fataliste à l'égard
de notre propre classe est sans fondement. La réalité matérielle,
l'intérêt économique, la prise de conscience périodique de
cet intérêt sont à la longue plus puissants que toutes les
manipulations ou répressions bureaucratiques.
La révolte périodique et massive des travailleurs, y compris
de la masse des syndiqués, contre les restrictions croissantes
aux libertés syndicales et contre les tentatives de dénaturer
les syndicat d'organes de défense des intérêts des
travailleurs en organes de transmission de la politique économique
et sociale de l'Etat bourgeois, est absolument inévitable ;
telle est la troisième conclusion qui se dégage de l'analyse.
Le devoir des révolutionnaires c'est de prendre hardiment la tête
de cette révolte, de formuler les propositions les plus cohérentes
et les plus énergiques de défense des libertés syndicales et
de retour au syndicalisme de combat, de combattre pour le rétablissement
et l'élargissement de la démocratie syndicale en tant
qu'instrument indispensable pour renforcer le syndicat, sa base
de masse et sa force de frappe contre le patronat et contre
l'Etat bourgeois.
La riposte efficace aux atteintes à la liberté syndicale, la
lutte pour un syndicalisme de combat, au service exclusif des
salariés, le combat pour la démocratie syndicale (qui peut
inclure la recherche de formes d'organisation et de statuts
nouveaux permettant de mieux garantir le contrôle des syndiqués
sur les syndicats) : voilà trois devoirs des révolutionnaires
à l'époque présente qui se dégagent de l'analyse de la place
des syndicats dans la société du capitalisme en déclin.
I. CONTRE DES CONTRATS A LONGUE DUREE
ET CONTRE LES CLAUSES DE " PAIX SOCIALE "
Les pratiques de la "programmation économique et sociale
"impliquent une pression constante de la part des grands
trusts et des gouvernements bourgeois en faveur d'une
"programmation des salaires" et des "frais
salariaux". De là la tendance du patronat et de l'Etat
bourgeois à vouloir imposer aux syndicats des durées de plus
en plus longues des contrats collectifs, des
clauses obligeant les syndicats à "respecter la paix
sociale" (c'est à dire à s'abstenir de toute action
revendicative, de toute cessation de travail organisée, de
toute reconnaissance de grève) durant la durée de ce contrat.
Pareilles clauses sont contraires à la nature même du
syndicalisme libre. Même dans le droit bourgeois courant, tout
contrat comporte toujours une clause précisant les conditions
dans lesquelles il pourrait être révoqué. Aucun commerçant
ou industriel capitaliste n'accepterait de signer un contrat ne
permettant sous aucune condition sa résiliation. Imposer
pareils contrats au mouvement syndical signifie l'obliger à étouffer
sa raison d'être et la liberté fondamentale de ses membres.
Un syndicat qui serait obligé de refuser la reconnaissance
d'une grève déclenchée par la majorité de ses membres serait
non seulement profondément anti-démocratique, mais il serait même
obligé de commettre un véritable abus de confiance financier
en refusant à ses membres l'accès aux fonds de résistance qui
leur appartiennent.
Pour défendre les libertés syndicales, il faut donc combattre
toute tendance à la longue durée des contrats collectifs,
refuser toute clause de " paix sociale à respecter,"
inscrite dans ces contrats. Les syndiqués doivent être libres
de résilier tout contrat collectif comme n'importe quel
autre contrat commercial. Dès qu'une telle résiliation a eu
lieu, ils doivent avoir le droit d'utiliser toute la force
organisée du syndicat, y compris la force financière, pour la
défense de leurs intérêts, y compris pour financer une grève.
On objecte quelque fois qu'une telle attitude irait à rencontre
de l'intérêt porté traditionnellement par le mouvement
ouvrier à la planification économique, à la lutte contre
"l'anarchie capitaliste". Il s'agit en réalité d'un
argument de sophiste. Les travailleurs combattent l'anarchie
capitaliste dont lis souffrent les conséquences, en cherchant
à lui substituer la planification socialiste qui permet de
mettre l'économie au service de la satisfaction des besoins des
masses laborieuses. Mais ceci suppose l'abolition de la propriété
privée des moyens de production, l'abolition de l'économie
capitaliste, l'abolition de la concurrence, le pouvoir économique
et politique exercé par les travailleurs organisés en
conseils.
La "programmation économique" capitaliste n'est
qu'une technique pour atténuer les effets de l'anarchie
capitaliste sans pouvoir la supprimer, n'est qu'une technique
pour mieux faire fonctionner l'exploitation du Travail par le
Capital. Elle reste fondée sur le régime du profit et de
l'appropriation privée. Il n'y a aucune raison pour que les
travailleurs lui sacrifient la défense de leurs intérêts
propres, alors que les patrons l'utilisent justement pour
pousser de manière mieux organisée la défense de leurs intérêts
à eux.
II.- CONTRE TOUTE LIMITATION AU DROIT
DE GREVE CONTRE LES PENALISATIONS FINANCIERES DES SYNDICATS
Le refus de toute clause de "paix sociale" inscrite
dans un contrat de salaires implique le rejet de toute législation
qui "réglemente" et donc limite l'exercice du droit
de grève.
Le droit de grève est le seul droit matériel effectif dont
jouit la classe ouvrière dans le cadre du régime capitaliste.
Ce qui distingue l'ouvrier salarié d'un esclave, c'est qu'il
peut refuser de travailler à des conditions ou pour des
salaires qu'il juge inacceptables. On ne peut reconnaître ce
droit élémentaire à un ouvrier individuel et le nier aux
ouvriers pris dans leur ensemble. Toute législation tendant à
réglementer et donc à limiter l'exercice du droit de grève
doit être dénoncée pour ce qu'elle est: une atteinte au droit
des travailleurs de cesser le travail quand les conditions leur
paraissent inacceptables, c'est à dire un pas vers
l'instauration du travail forcé.
La réglementation qui prévoit la "mobilisation
civile" de nombreuses couches de travailleurs, c'est à
dire l'obligation de travailler même à des salaires qu'ils
trouvent inacceptables, dans des "moments de crise", dévoile
de manière frappante cette évolution du régime capitaliste.
Elle démasque aussi une fois de plus la nature de l'Etat
bourgeois comme serviteur des intérêts d'une classe contre une
autre. Quel est donc l'Etat bourgeois qui, après la récente
crise du pétrole, inscrirait dans ses lois une obligation pour
les patrons de fournir et de vendre des produits à des prix
immuables en ces moments de "trouble économique" dans
le seul "intérêt général" indépendamment des prix
de revient, des coûts et des prévisions de profit ? Pourquoi
pourrait-on obliger les détenteurs d'une seule marchandise, la
force de travail, à la vendre, indépendamment des conditions
brusquement changées (notamment par l'inflation !) de
reproduction ?
Le rejet de toute réglementation et limitation de l'exercice du
droit de grève implique notamment:
- Le rejet de toutes les procédures
imposant aux travailleurs des "périodes
d'attente" ou de "conciliation obligatoire"
avant qu'une décision d'arrêter le travail ne puisse être
appliquée. La grève est une arme de lutte. Nier aux
travailleurs le droit à l'effet de surprise, c'est
affaiblir considérablement l'effet de cette arme, c'est
n'accepter son emploi qu'après avoir permis aux patrons de
prendre les dispositions préalables pour neutraliser au
maximum les effets économiques de la grève. C'est comme si
on décrétait qu'aucune entreprise industrielle et aucun
magasin n'aurait le droit d'augmenter un quelconque de ses
prix sans un préavis de quatre semaines donné aux clients,
communiqué dans les journaux et clairement affiché dans
les vitrines!
- Le refus d'accepter toute législation
qui impose aux syndicats des amendes financières pour
exercice " abusif " du droit de grève, "
rupture de la paix sociale " ou autre exercice de la
liberté syndicale. De tells règlements existent dans les
pays Scandinaves et en République Fédérale Allemande. Ils
s'infiltrent petit à petit dans les pays du Bénélux. Le
gouvernement conservateur a essayé de les introduire en
Grande-Bretagne. Elles représentent une menace très grave
contre la liberté syndicale, puisqu'elles hypothèquent une
des armes principales du syndicat : son fond de résistance
financier.
III.-
CONTRE L'ARBITRAGE OBLIGATOIRE ET L'IMMIXTION DE L'ETAT DANS LE
REGLEMENT INTERIEUR DES SYNDICATS
Une des techniques habituelles utilisées par l'Etat à l'époque
de déclin capitaliste pour réduire la liberté d'action
syndicale, c'est l'instauration d'un régime d'arbitrage
obligatoire. Il s'agit d'un moyen évident en vue de décourager
l'utilisation de l'arme de la grève. La période durant
laquelle l'arbitrage et la conciliation jouent doit démobiliser
les travailleurs et permettre aux patrons et à l'Etat de
prendre toutes les dispositions nécessaires pour estomper
l'efficacité de la grève. En fin de compte, si l'arbitrage échoue,
l'arbitrage obligatoire imposera aux " partenaires sociaux
" une solution qui, dans 99 cas sur 10° , sera contraire
aux intérêts des travailleurs.
Il est évident que l'arbitrage obligatoire porte une atteinte
fondamentale à l'exercice libre du droit de grève, puisque les
syndicats sont tenus de l'appliquer, même si la majorité de
leurs membres réclament la grève. Il faut donc refuser de
l'admettre, quelles que soient les conditions dans lesquelles la
bourgeoisie et ses agents cherchent à le rendre plus appétissant.
Jouent dans le même sens que l'arbitrage obligatoire toutes les
pratiques et tous les règlements qui permettent à l'Etat de
s'immiscer dans les affaires internes du syndicat :
- la pratique qui consiste à
faire organiser par l'Etat - ou tout autre personne extérieure
au syndicat - la consultation des membres du syndicat qui
doit démontrer si la majorité de ses membres sont pour le
déclenchement ou la poursuite de la grève ;
- la pratique qui consiste à
faire réglementer par l'Etat les modalités de cette
consultation: par référendum écrit et secret ou par
l'assemblée générale ; à ia majorité simple ou à la
majorité des deux tiers sous le contrôle des seuls syndiqués,
ou sous le contrôle "d'huissiers" ou d'autres
représentants de l'Etat bourgeois, etc.
Toutes ces pratiques sont
contraires à la liberté et à la démocratie syndicale. Elles
ne servent qu'un seul but : empêcher les travailleurs
d'utiliser l'arme de la grève comme bon leur semble, les empêcher
d'utiliser l'organisation syndicale pour la défense exclusive
de leurs propres intérêts, freiner la combativité ouvrière,
freiner et estomper le développement de la conscience de
classe. Il faut donc empêcher l'Etat d'introduire de telles
dispositions légales, là où elles n'existent pas encore,
lutter pour leur abrogation là où elles ont déjà été
introduites et de toute façon refuser de s'y plier.
Le syndicat est au service des syndiqués. Personne d'autre n'a
le droit de s'immiscer dans ses affaires intérieures. Le
cynisme et la partialité des serviteurs de l'Etat bourgeois éclatent
d'une manière particulière quand on examine par ailleurs le
type de " règlement intérieur " qu'ils s'efforcent
d'imposer aux syndicats en matière de grève et de conclusion
d'accords salariaux. Ainsi, lorsque la législation bourgeoise
impose une majorité de 66,6 de syndiqués pour que le
vote sur le déclenchement de la grève soit valable, elle
impose souvent en même temps qu'il suffit de 50,1 des
voix, voire de 32,3 des syndiqués, pour qu'un accord négocié
par la direction syndicale devienne valable. Comble du cynisme :
dans certains pays, la bourgeoisie cherche à imposer un référendum
obligatoire sur le déclenchement d'une grève, mais en même
temps refuse d'admettre un référendum sur le résultat d'une négociation
salariale.
On ne pourrait avouer plus clairement que tous ces règlements
n'ont pour but que de rendre plus difficile le déclenchement de
luttes ouvrières, c'est à dire de servir les intérêts du
patronat.
IV.- CONTRE LES ATTEINTES AU FONCTIONNEMENT DES PIQUETS DE GREVE
La liberté syndicale, le libre exercice du droit de grève, ne
peuvent être opératoires que si la majorité des travailleurs
dispose des moyens efficaces pour amener l'ensemble des
compagnons de travail à cesser le travail simultanément.
Certes, la persuasion, la prise de conscience de l'intérêt
commun, sont à ce propos les moyens les plus efficaces.
Mais les travailleurs d'une entreprise ou d'une branche
d'industrie ne se trouvent pas tous simultanément au même
niveau de conscience. Le patronat et l'Etat bourgeois peuvent
jouer sur diverses divisions qui subsistent au sein de la classe
ouvrière : différences de conviction politiques ou
philosophiques, différences ethniques ou raciales, différences
de sexe ou d'âge, différences régionales, différences de
qualification, d'origine sociale, de situation familiale, etc.
C'est pourquoi, au-delà de la persuasion orale ou littéraire,
et de l'acceptation volontaire d'une décision majoritaire prise
démocratiquement en assemblée, le
mouvement syndical et l'action ouvrière sont obliges d'avoir
recours à la persuasion par l'action. Le piquet de grève
symbolise la force de la décision majoritaire et manifeste de
manière pratique et tangible ce que cela veut dire pour une
minorité de briseurs de grève de s'opposer à la décision de
la majorité de leurs compagnons de travail, le piquet de grève
est indispensable pour rendre efficace l'arrêt total de
travail.
Au cours des dernières années, les travailleurs en lutte ont démontré
clairement qu'ils sont conscients de l'utilisation multiforme de
l'arme du piquet de grève : contrôle non seulement des accès
de l'entreprise, mais de l'accès d'artères de circulation
clefs ; arrêt non seulement de la pénétration des jaunes dans
l'entreprise mais aussi de marchandises pouvant effacer l'effet
économique de la grève ; barrages de rues pour arrêter la
circulation de jaunes ou de "marchandises noires" ;
ripostes contre les menaces de lock-out et de violences policières,
etc. La remontée impérieuse des luttes ouvrières depuis mai
68 en France a été accompagnée du phénomène significatif
des piquets de grève massifs, auxquels participent des milliers
de travailleurs, dont le piquet de la centrale électrique de
Saitley, à Birmingham, durant la grève des mineurs de 1972 en
Grande-Bretagne, et le piquet lors de la dernière grève de la
FIAT de Turin, sont quelques uns des exemples les plus
spectaculaires.
La bourgeoisie en est parfaitement consciente. Elle essaye de
limiter à l'extrême, voire d'interdire carrément l'emploi de
piquets de grève, par le vote de diverses lois anti-grèves. Ce
fut déjà le cas de la Belgique lors de la grève générale de
1960-61. C'est le cas de la loi anti-casseurs en France. Ce fut
également le cas de l'Industrial Relations Act en Angleterre.
Les travailleurs et les syndicats doivent s'opposer résolument
à toutes les lois scélérates de cette espèce. Le droit de grève,
sans droit de constituer et de faire agir librement des piquets
de grève, est un couteau sans tranchant, un droit remis en
question, sapé et déjà à moitié estompé. La défense de la
liberté syndicale passé par la défense résolue des piquets
de grève et de leur action.
L'action répressive de l'Etat bourgeois visant surtout les
piquets de grève volants, va dans la direction d'une répression
pénale de plus en plus nette des " meneurs " et
participants les plus actifs à ces piquets, comme ce fut le cas
lors de l'emprisonnement des ouvriers du bâtiment anglais de
Shrewsbury, condamnes à des peines de prison pour avoir
participé à des piquets de grève. C'est une question vitale
pour la classe ouvrière et pour le mouvement syndical que
d'arracher à la justice bourgeoise tous les camarades condamnés
pour participation à des piquets et d'abolir toute législation
permettant de telles condamnations.
Vl- CONTRE LE LICENCIEMENT DE DELEGUES
ET DE MILITANTS OUVRIERS COMBATIFS
La remontée des luttes ouvrières a provoqué, dans une première
phase, une opposition croissante entre le cours conciliateur et
de collaboration de classe de l'appareil syndical d'une part, et
l'activité croissante de plus en plus radicalisée d'une partie
des militants de base (délégués, shop stewards, etc.) d'autre
part. Consciente du rôle-clef de cette avant-garde ouvrière au
sein des entreprises et des syndicats, la bourgeoisie s'efforce
de concentrer sur celle-ci tout son courroux et toute sa force répressive.
Le licenciement de délégués syndicaux de base ou d'ouvriers
combatifs : voilà la pratique la plus largement employée à
cette fin.
L'emploi de l'arme de solidarité la plus large à l'égard de
camarades frappés est un devoir élémentaire pour le mouvement
ouvrier. Pareille solidarité efficace est une condition
essentielle pour défendre la liberté et l'intégrité du
syndicat. La force syndicale doit s'estomper, voire se désintégrer,
si le patron peut impunément licencier les militants syndicaux
les plus en vue, ceux qui ont été placés à la pointe du
combat par le vote et l'appui de leurs camarades de travail.
Dans ces conditions, tous les autres travailleurs y regarderont
à deux fois avant de s'engager à fond dans la lutte syndicale.
C'est pourquoi les travailleurs doivent s'efforcer par tous les
moyens d'arracher par l'action de solidarité la plus large et
la plus résolue la réintégration des militants ouvriers
licenciés par le patron. L'exemple récent des travailleurs de
l'industrie du verre de Charleroi, posant au patron d'une petite
entreprise (Multipane) l'ultimatum de réintégration d'un
militant, sinon toutes les usines de la branche entreraient en
grève et seraient occupées, puis l'application effective de
cette grève avec occupation est un exemple à
populariser et suivre partout.
VI.- CONTRE LES BANDES ARMEES DU
CAPITAL LES "MILICES PATRONALES" PRIVEES ET LA
RESTRICTION DE LA LIBERTE D'ACTION SYNDICALE AU SEIN DES
ENTREPRISES
Devant la reprise de la combativité ouvrière en Europe
capitaliste, la bourgeoisie n'a pas seulement recours à des
efforts de canalisation réformistes et néo-réformistes. Elle
n'hésite point à utiliser des armes plus ouvertement
violentes. Ainsi, en France, le patronat, surtout celui de
certaines entreprises automobiles (Citroën, Simca), crée des
syndicats jaunes CFT et constitue des bandes armées de "
cogneurs ", qui doivent imposer la loi patronats
entreprises. Menaces de coups et coups ; destruction de matériel
d propagande ;ratonnade de distributeurs de tracts ou de représentants
de syndicats libres ; tentatives de faire pénétrer les jaunes
à l'usine, ne sont que les formes d'action les plus anodines de
ces milices patronales au service de la " défense de la
propriété privée ".
En France et en Italie, on est passé rapidement de ces formes
élémentaires de violence anti-ouvrière à des formes "
ponctuelles " beaucoup plus avancées : agressions à main
armée, enlèvement de militants ouvriers, viols, attentats à
la bombe, assassinats en bonne et due forme. Aujourd'hui encore
exceptionnelles, ces agressions anti-ouvrières pourraient
devenir systématiques dès que la crise sociale s'aggrave.
Toute politique qui consiste à faire confiance à la police et
à la justice bourgeoise pour défendre les libertés et les
organisations ouvrière contre ces bandes armées du capital
conduirait à la catastrophe. L'Etat, la police, la justice de
la bourgeoisie, ne sont pas " neutres " quand des
milices patronales s'affrontent avec les travailleurs Leur
loyauté de classe va du côté patronal, leur haine de classe
se dirige contre les militants ouvriers. En outre, les milices
patronales privées sont directement liées à la police
bourgeoise, soit par l'intermédiaire de services secrets et de
polices " parallèles", soit par la participation
quasi-ouverte de membres de la police en leur sein.
Le mouvement ouvrier doit donc imposer le plein exercice de la
liberté syndicale au sein des entreprises. Il doit écraser
dans l'œuf toute tentative d'entraver la libre distribution de
tracts et de circulaires des syndicats ou de toute organisation
ouvrière, la libre circulation des délégués dans toute
l'usine, la tenue d'assemblées syndicales sur les lieux de
travail. Contre la violence des milices patronales, il doit se défendre
par la constitution des groupes d'auto-défense qui protègent
assemblées, activités et locaux des syndicats et des
organisations ouvrières quelles qu'elles soient.
VII- LES LIBERTES SYNDICALES ET OUVRIERES NE SE DEFENDENT
QU'INTEGRALEMENT.
La défense résolue des libertés
syndicales contre toute tentative de la bourgeoisie et de l'Etat
bourgeois d'empiéter sur elles n'a rien à voir avec des vues
"ouvriéristes" ou "économicistes" étroites,
qui cherchent à séparer la défense de l'activité syndicale
de la défense des organisations ouvrières dites "
minoritaires " parce que révolutionnaires, ou accusées d'être
"gauchistes". Au contraire: l'expérience enseigne
toujours de nouveau qu'une classe ouvrière et qu'un mouvement
syndical qui hésitent à défendre les libertés ouvrières
dans leur ensemble, se trouvent dès le départ fortement
handicapés lorsqu'il s'agit de defender le droit de grève et
la liberté syndicale.
Appliquant la " tactique du salami ", la bourgeoisie
cherche à 'diviser son adversaire de classe et à présenter
les choses comme si sa politique répressive ne visait que les
" fauteurs de troubles " et autres " minorités
irresponsables ". Elle se garde bien d'attaquer, dès
l'initiation de son cours répressif, le mouvement ouvrier
organisé dans son ensemble. Agissant de la sorte, elle cherche
à découvrir les failles dans le dispositif ouvrier, à diviser
l'adversaire, à affaiblir la capacité de riposte des masses,
qui est en bonne partie fonction de la présence en son sein d'éléments
plus expérimentés, plus lucides et plus courageux, dont une
bonne partie fait justement partie des différentes
organisations ou couches d'avant-garde.
L'interdiction des groupes d'extrême-gauche, les saisies de
journaux ou de tracts révolutionnaires, la poursuite de
militants révolutionnaires devant les tribunaux ou leur
emprisonnement, tout cela doit préparer le terrain pour sévir
contre les délégués d'usines, les délégués syndicaux de
base, les dirigeants des piquets de grève, les dirigeants
ouvriers combatifs au sein des entreprises. Ce sont ces éléments-là
qui sont fondamentalement visés par l'orientation répressive
de la bourgeoisie. A travers eux, c'est la combativité ouvrière
dans son ensemble, c'est la force de frappe du mouvement
syndical tout entier, qui doivent être brisées.
D'ailleurs les projets de législation anti-grève les plus
virulents, comme l'IRA anglais, prévoyaient déjà des entraves
à la liberté de la presse, notamment par l'interdiction d'une
agitation en faveur de " grèves sauvages ". Toute législation
antisyndicale et antigrève doit, dans sa logique, attaquer
l'ensemble des libertés ouvrières qui subsistent en régime de
démocratie parlementaire bourgeoise décadente. De la même
manière, toute restriction des libertés ouvrières pour des
organisations révolutionnaires inclut le risque d'une extension
potentielle de pareilles mesures et interdictions à l'ensemble
du mouvement ouvrier, y compris le mouvement syndical.
C'est pourquoi les révolutionnaires doivent propager la
pratique de la solidarité de classe la plus large au sein du
mouvement ouvrier. Le principe fondamental : " un pour
tous, tous pour un " doit être intégralement appliqué.
Toute atteinte à la liberté d'action d'une quelconque
organisation ouvrière doit provoquer la riposte d'ensemble de
tout le mouvement ouvrier organisé. Aucune atteinte à la
liberté d'association, à la liberté de manifestation, ne peut
être tolérée, si l'on veut défendre l'intégrité du droit
de grève et des libertés syndicales. Le Front Unique le plus
large pour la défense des libertés ouvrières dans leur
ensemble, voilà aussi une condition pour la défense efficace
des libertés syndicales.
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