Ils
avaient l'air épanoui sur la photo de familLe, les ministres
des Finances des dix pays impérialistes les plus riches du
monde. Après quatre mois de désordre monétaire et
d'incertitude quant à l'avenir du système monétaire
international, voici que l'économie capitaliste mondiale est
finalement doté de nouveaux barèmes de taux de change fixes
entre toutes les monnaies impérialistes.
Un
puissant vent de panique a dû souffler dans les conseils
d'administration et les ministères, pour que les principaux intéressés
se montrent satisfaits d'un compromis aussi misérable que celui
atteint à Washington. En effet, s'il y a réaménagement des
taux de change, aucune des causes fondamentales de la crise monétaire
ne s'est trouvée éliminée.
Un
compromis qui reflète les rapports de forces modifiés
Le
15 août 1971, il y eut un diktat de Nixon. Le 18 décembre,
c'est un véritable compromis qui a été conclu, après de
laborieuses négociations. « Ni vainqueurs ni vaincus», a
proclamé le même Nixon. Ce compromis reflète la modification
des rapports de force inter-impérialistes survenue au cours de
la décennie passée.
Le
grand capital américain obtient une réévaluation générale
de toutes les monnaies impérialistes par rapport au dollar. Si
certaines de ces réévaluations sont importantes (15,5 % pour
le yen, 12,5 % pour le deutsche mark), elles sont en général
inférieures à ce que l'administration Nixon avait escompté.
Elles favorisent les exportations de marchandises américaines,
mais elles vont réduire les exportations de capitaux américains,
et surtout faciliter les exportations de capitaux européens et
japonais aux Etats-Unis.
Par
contre, malgré toutes les promesses et forfanteries de Nixon,
le dollar est bel et bien dévalué, et par rapport à l'or et
par rapport à toutes les devises qui ne suivront pas sa dévaluation.
Cette dévaluation réduira la confiance (déjà ébranlée) des
banquiers du monde entier dans la stabilité du dollar (quelques
gouvernements d'Europe orientale subiront une perte du fait
qu'ils ont imprudemment converti leurs réserves en dollars,
comme le gouvernement chinois a subi une perte lorsque, tout
aussi imprudemment, il avait placé ses réserves en francs français
avant la dévaluation du franc). Et selon le nombre des pays
semi-coloniaux qui dévalueront également leurs devises, la dévaluation
du dollar renchérira plus ou moins les importations de matières
premières et de produits de l'industrie légère en provenance
de ces pays.
La
crise monétaire persiste
Le
système monétaire international reste en crise. Les deux
causes principales de cette crise ne sont point éliminées. Le
dollar reste inconvertible par rapport à l'or. Si les banques
centrales capitalistes continuent à bouder le dollar comme
monnaie de réserve — et comment ne le feraient-elles pas, au
lendemain d'une dévaluation en bonne et due forme! — l'économie
capitaliste internationale se trouve ainsi privée d'une monnaie
de change internationale.
D'autre
part, l'inflation américaine continue de plus belle, vu que
l'administration Nixon veut à tout prix éviter que la récession
ne se transforme en crise économique grave. Le déficit de la
balance des paiement américaine persistera donc lui aussi, même
s'il est quelque peu modéré.
II
faut préciser à ce propos que la surcharge de 10 % sur les
importations, imposée par Nixon le 15 aout, s'est averée de
peu de poids pour freiner les importations aux Etats-Unis, attirées
par l'abondance de liquidités. Il en a résulté un renchérissement
général des prix, répercussion d'une augmentation des
importations. Certaines de celles-ci, notamment dans le domaine
des machines, sont d'ailleurs irremplacables pour le moment,
parce que l'industrie américaine de construction des machines
ne produit pas (ou plus) une série de pièces d'équipement
fabriquées en Allemagne et au Japon notamment.
Pour
sortir de l'impasse, la solution la plus raisonnable, du point
de vue capitaliste, serait d'épauler l'or par une monnaie de réserve
internationale qui serait complètement détachée de l'économie
nationale d'un quelconque pays capitaliste: une monnaie des
banques centrales, administrées par une banque centrale des
banques centrales, d'après des critères strictement objectifs.
Mais il s'agit là d'une utopie totale. La réalisation de ce
projet présuppose l'existence d'un gouvernement mondial
capitaliste indépendant par rapport aux grandes puissances impérialistes,
c'est-à-dire la disparition de la concurrence inter-impérialiste.
Or, c'est précisément l'exacerbation de cette concurrence qui
s'est manifestée dès le début de la crise du système
monetaire.
A
défaut d'une solution globale, tout ce que les puissances impérialistes
peuvent espérer, ce sera un lent élargissement du système des
Droits de Tirage Speciaux (le papier-or distribué selon la
morale que les pays les plus riches recevront la part du lion).
En outre, les pays impérialistes du Marché Commun (renforcé
par la Grande-Bretagne, qui n'a cessé de s'aligner sur les Six
pendant la crise monétaire) chercheront à créer une monnaie
commune qui, toute chose restant égale ailleurs, pourrait
s'ajouter au dollar comme monnaie de réserve internationale,
voire se substituer à lui. Mais ceci n'est ni pour demain, ni
pour après-demain.
Crise
monétaire et récession économique
Les
capitalistes d'Europe et du Japon n'ont pas osé scier la
branche sur laquelle ils étaient perchés : riposter au diktat
de Nixon par des mesures massives de rétorsion c'était courir
le risque d'une réaction en chaîne qui, par le rétrécissement
du commerce mondial et l'aggravation de la récession américaine,
aurait fini par frapper douloureusement leurs propres débouchés.
Aujourd'hui,
devant le compromis de Washington, ils font bonne mine à
mauvais jeu, à l'exception des industriels allemands. Pour
ceux-ci, c'est la troisième réévaluation en peu de temps. Ils
craignent une invasion massive de produits américains bon marché
vers l'Allemagne et un déclin relatif des exportations
allemandes.
«
France-Soir » titre triomphalement: « Crise et chómage évités
». La démagogie étonne, même de la part d'un quotidien de ce
genre. Loin d'être évité, le chómage atteint un niveau
record depuis plus de vingt ans en France, et ce avant même que
la récession n'ait éclaté. Quant à cette récession (c'est-à-dire
la crise), elle menace la France non en fonction de la crise monétaire
mais en fonction de la récession ouest-allemande qui monte. Il
n'y a pas le moindre signe qu'au lendemain du 18 décembre, la récession
ouest-allemande ait été résorbée. Tout indique qu'elle va s'étendre
- pendant l'hiver - et le printemps prochain.
C'est
que la détérioration de la situation économique
internationale du capitalisme n'est pas la conséquence de la
crise monétaire mais a précédé celle-ci et en a en partie
accéléré l'éclatement. Les causes de la récession actuelle
sont plus profondes: le ralentissement de l'innovation
technologique; la capacité excédentaire qui existe dans des
branches clé comme la sidérurgie, l'automobile, la pétrochimie,
les textiles synthétiques, la construction navale, sans doute
aussi l'électronique; la chute du taux moyen de profit et le
ralentissement des investissements qui en découle; l'écart
croissant entre la capacité de production et le pouvoir
d'achat, qui est comblé par un endettement de plus en plus
massif des ménages et des entreprises.
Bref,
ce sont toutes les contradictions classiques du capitalisme qui
réapparaissent, dont les manipulations monétaires et financières
peuvent tout au plus modérer les manifestations immédiates,
mais qu'elles ne peuvent ni éliminer ni rendre à la longue
plus bénignes.
Dans
ces conditions, les deux prévisions formulées au lendemain du
15 août 1971 restent entièrement valables.
D'une
part, la bourgeoisie internationale s'efforcera de faire payer
les dégâts par les travailleurs. L'offensive contre l'emploi
et les salaires réels se généralise. La riposte vigoureuse
des métallos ouest-allemands démontre que cette offensive
n'est nullement assurée d'un succes certain. D'autre part, la
concurrence internationale s'accentue et, sape les bases de
toute entente, fût-elle monétaire. Le système de
Bretton-Woods a vécu vingt-cinq ans, dont cinq années
d'agonie. Le système né à Washington ne survivra pas une décennie.
Sa décomposition risque de se produire dès la prochaine récession
ou la prochaine explosion sociale dans un pays impérialiste
important.
|