L'intégration du syndicat dans l'Etat
bourgeois et dans les structures néo-capitalistes, c'est sa
transformation à moyen terme en un syndicalisme d'Etat,
c'est-à-dire la mort du syndicalisme. La résistance à cette
intégration n'est possible et efficace que si elle est portée
par une doctrine qui comprend et explique la réalité du
capitalisme - y compris du capitalisme contemporain,
l'opposition fondamentale d'intérêts entre le Capital et le
Travail, et qui se pose comme but non seulement l'augmentation
des salaires mais l'abolition du salariat, le renversement du
régime capitaliste et de l'exploitation ou l'oppression de
l'homme par l'homme.
Ces buts sont proclamés dans la "déclaration de principes" de la
F.G.T.B. des 28-29 avril 1945. Ils restent valables, aujourd'hui
comme hier. C'est d'eux que doit s'inspirer le congrès
doctrinaire de fin 1970 pour déterminer une orientation
syndicale dans les années à venir. Et comme le proclame la "
Déclaration de principe " de la F.G.T.B.: "Dans un esprit
d'indépendance absolue vis-à-vis des partis politiques, et
respectueux de toutes les opinions tant politiques que
philosophiques, elle s'affirme vouloir réaliser ses buts par ses
propres moyens et en faisant appel à l'action directe des
travailleurs eux-mêmes."
Comment préparer, animer, organiser cette action directe, pour
qu'elle acquière le maximum d'efficacité, non seulement dans les
combats de tous les jours, mais aussi et surtout pendant les
grandes explosions périodiques qui ébranlent jusque dans ses
fondements le règne de la bourgeoisie: voilà quelle devrait être
la préoccupation principale du congrès de la F.G.T.B.
Le but et les moyens
Les marxistes révolutionnaires affirment que l'action syndicale
est indispensable, mais est, en elle-même, insuffisante pour
réaliser le renversement du régime capitaliste. L'emprise de
celui-ci sur la société et sur les esprits des masses populaires
est telle qu'on ne peut espérer ni son démantèlement graduel (l'illusion
des réformistes et des électoralistes), au moyen de "bonnes lois",
ni son élimination au moyen d'un " coup d'éclat ", le " grand
soir " (l'illusion des syndicalistes révolutionnaires et des
spontanéistes).
Les premiers ferment les yeux devant l'incomparable capacité de
la bourgeoisie d'intégrer et de "digérer" toutes les réformes
dans son régime, aussi longtemps qu'elle conserve la domination
sur l'essentiel: les grands moyens de production et l'appareil
d'Etat. Les seconds ne saisissent pas toute la complexité de
l'économie contemporaine et toute la puissance de l'appareil
moderne de répression. Les travailleurs ne peuvent s'approprier
les entreprises et démanteler cet appareil d'Etat, qu'en
disposant d'une organisation mise au point par de nombreuses
expériences, d'un niveau de conscience acquis par de nombreux
combats anticapitalistes, et de structures nouvelles créées par
les masses laborieuses elles-mêmes pour remplacer les structures
vermoulues du capitalisme en déclin.
Nous sommes convaincus que cette capacité de mener à bien la
lutte pour le renversement du règne du Capital et pour
l'instauration d'un Etat de type nouveau, fondé sur les conseils
des travailleurs, ne sera acquise par les masses laborieuses
qu'au fur et à mesure que surgissent de leurs luttes des
éléments d'avant-garde conscients, organisés en un parti
révolutionnaire et une Internationale révolutionnaire, capables
de conserver la continuité de l'expérience de lutte pendant les
phases de repli des masses qui succèdent inévitablement aux
phases de pointe, capables de combattre inlassablement
l'influence de l'idéologie bourgeoise au sein des travailleurs
et d'élever le niveau de leur conscience de classe.
Le combat pour une telle direction révolutionnaire nouvelle de
la classe ouvrière, qui rompt radicalement avec la théorie et la
pratique réformistes du P.S.B. et du M.O.C., avec la théorie et
la pratique néo-réformistes du P.C. au cours des dernières
décennies, est un élément indispensable du combat pour le
socialisme en Belgique. C'est en s'efforçant de construire un
tel parti révolutionnaire que les militants ouvriers/syndicaux,
étudiants les plus conscients, dépasseront les limites de leurs
expériences immédiates de lutte, surmonteront les effets de la
division et de la parcellisation du travail sur leur propre
niveau de conscience, et acquerront petit à petit, au delà de
l'influence déjà acquise dans leur propre milieu de travail,
l'indispensable autorité politique au sein de l'ensemble de la
classe des travailleurs pour pouvoir, lors d'une prochaine grève
générale, faire surgir de partout, dans les usines, les ateliers
et les bureaux, les comités de grève élus par l'ensemble des
grévistes, se fédérant à l'échelle locale, régionale et
nationale, qui seront l'embryon du pouvoir des travailleurs en
gestation, dans le monde capitaliste qui se meurt lentement.
Mais la pratique syndicale qui vise à réveiller et étendre
l'activité des travailleurs sur les lieux de travail ne
correspond pas nécessairement à cet objectif révolutionnaire que
nous poursuivons au grand jour. Elle constitue le lieu de
rencontre de tous ceux qui sont sincèrement attachés à la
vitalité et à la consolidation de la force syndicale, de tous
ceux pour lesquels la critique d'une démocratie parlementaire
bourgeoise visiblement enrayée n'est pas un simple slogan de
démocratie parlementaire, ou, pis encore, un tremplin
d'aventuriers avides d'"Etat fort" au service du Capital.
C'est donc à la réflexion de l'ensemble des syndicalistes que
nous soumettons notre contre-projet d'orientation de la F.G.T.B.,
opposé à celui de Janne et Spitaels.
La phase de l'équilibre instable entre le syndicalisme "intégré"
et le syndicalisme debout touche à sa fin. Il faut choisir
aujourd'hui: ou bien une acceptation franche et délibérée d'une
intégration beaucoup plus avancée dans l'Etat bourgeois et dans
les structures du néo-capitalisme, avec tout ce que cela
implique; ou bien un redressement dans le sens du syndicalisme
de combat, qui implique un cours vers des combats
anticapitalistes réels, et vers une activité syndicale beaucoup
plus large des travailleurs sur les lieux de travail.
Les chausse-trapes des compromis pourris et des ambiguïtés
Il est fort probable que les rapports Janne-Spitaels se
heurteront à l'hostilité d'une partie importante des
syndicalistes. Les réactions de "Combat", l'organe des
métallurgistes liégeois, sont fort significatives à ce propos (voir
le numéro du 21 mai 1970). Le danger est donc moins que les
idées technocratiques et "néo-socialistes" de Janne et de
Spitaels passent comme une lettre à la poste. Il réside plutôt
dans la tentation, si naturelle au sein de l'appareil syndical
en grande partie d'inspiration P.S.Biste, d'élaborer des "motions
de synthèse" qui ménageront la chèvre et le chou.
Derrière le paravent d'un immobilisme doctrinal apparent des
projets sur le maintien de l'ordre. A Zwartberg, pour la
première fois, des grévistes furent tués sous un ministre "socialiste"
de l'Intérieur. Toute cette expérience lamentable ne pouvait
aboutir qu'à un seul résultat: une énorme vague de
démoralisation, de désarroi et de passivité s'abattît sur le
monde du travail. Les partis se réclamant du mouvement ouvrier
perdirent un quart de leurs effectifs électoraux.
Le deuxième exemple est tout aussi instructif. Au lendemain de
la grande grève de décembre 1960-janvier 1961, André Renard
sentit la vague de fond de radicalisation qui parcourut la
classe ouvrière wallonne. Des dizaines sinon des centaines de
milliers de travailleurs wallons étaient prêts, à ce moment, à
dépasser le réformisme traditionnel. C'était la grande chance du
socialisme révolutionnaire qui, pour la première fois depuis la
fondation du P.O.B., avait la possibilité d'acquérir l'hégémonie
politique sur les travailleurs wallons.
Parce qu'il comprit que cette poussée ne pouvait être contenue
dans des canaux purement syndicaux ; parce qu'il refusa de créer
le parti de masse socialiste de gauche qu'il était possible de
créer en ce moment-là, André Renard fonda le M.P.W. Son but
initial était clair et progressiste: aller plus loin que le
P.S.B. dans le sens du combat anticapitaliste ; assurer qu'une
grève générale ultérieure aboutisse au renversement du régime
capitaliste, du moins en Wallonie, où les rapports de forcé;
semblèrent favorables à la réalisation de cet objectif. La base
programmatique du M.P.W. "fédéralisme et réformes de structure
anticapitalistes" était inspirée de cette préoccupation de
l'aile marchante des grévistes de 1960-61.
Mais au fur et à mesure que le temps passait, et surtout après
sa mort d'André Renard et après la fin de la bataille contre les
projets sur le maintien de l'ordre (ou l'erreur capitale était
commise de ne pas transporter la lutte dans les entreprises, et
de se contenter de compter les mandats dans les congrès et
assemblées F.G.T.B. et P.S.B.), une modification, d'abord
subtile, puis de plus en plus nette, se produisit dans
l'articulation de ces deux objectifs. Au lieu d'être le moyen de
réaliser les réformes de structure anticapitalistes,
c'est-à-dire de renverser le capitalisme, le fédéralisme
devenait un but en soi. Au lieu d'être conçu comme un instrument
de lutte de classe contre la grande bourgeoisie et son Etat
unitaire, ce même fédéralisme était ravalé se contente de
rappeler les positions des congrès extraordinaires d'octobre
1954 et d'octobre 1956 sur les réformes de structure, sans
rappeler ce qu'elles sont devenues en pratique - la dégradation
de la pratique syndicale, d'une pratique axée sur l'action des
masses vers une pratique de collaboration de classes, utilisant
"la piétaille" tout au plus comme une "masse de manœuvre" ou un
"moyen de pression", risque de s'accentuer. A ce propos, deux
exemples sont révélateurs.
Le rapport présenté au congrès d'octobre 1956 de la F.G.T.B., et
approuvé par ce congrès, aboutissait à la revendication de
réformes de structure, dont le transfert du domaine des holdings
à la nation était la revendication clé. Le rapport utilisait,
dans ce contexte précis, le terme de "contrôle". L'opposition
des Simonet et des Henri Janne contre "l'extrémisme de Mandel"
fit échouer toute tentative de présenter un programme d'action
cohérent, pour la réalisation de cet objectif.
Le reste est connu. Il y eut la grève générale de 1960-1961. Il
y eut la rentrée du P.S.B. au gouvernement. En jouant sur
l'ambiguïté du terme "contrôle des holdings", on remplaça en
réalité le démantèlement du pouvoir économique du Grand Capital
par un simple contrôle comptable - qui ne fut d'ailleurs même
pas réalisé. Les "réformes de structure" appliquées par le
gouvernement Lefèvre-Spaak étaient des réformes néo-capitalistes.
Elles avaient pour but de rationaliser, donc de renforcer
l'économie capitaliste, non de renverser le pouvoir des
holdings. Cette abdication doctrinale honteuse, là bourgeoisie
ne s'en montra guère reconnaissante. Elle exigea même un prix
supplémentaire: le vote au niveau d'une "réforme des
institutions", voire d'une "révision constitutionnelle", qu'on
pourrait réaliser en alliance avec une aile "régionaliste" de la
bourgeoisie. Au lieu d'être farouchement hostile à la
collaboration ministérielle avec la bourgeoisie, on ne
subordonna plus celle-ci qu'à quelques concessions, de plus en
plus anodines, dans le domaine "communautaire".
Ainsi, le fédéralisme lui-même se trouva éliminé de la lutte
quotidienne comme les réformes de structure anticapitalistes
l'avaient été auparavant. Certains finirent même pour adopter
une position en retrait par rapport à celle du vieux P.S.B.,
s'intégrant encore davantage dans la collaboration avec la
bourgeoisie pour suivre l'exemple de l'illustre Perin.
L'électoralisme - qui avait été dénoncé comme la source de tous
les maux il y a dix ans - fut brusquement redécouvert comme le
née plus ultra de la sagesse politique.
Ces deux exemples devraient amener les syndicalistes à s'opposer
à toute ambiguïté et à toute confusion sur les notions de base.
Ce n'est pas en collaborant avec la bourgeoisie qu'on sapera le
pouvoir de celle-ci ; plus d'un demi-siècle d'expérience de
collaboration gouvernementale P.S.Biste en témoigne! Ce n'est
pas en multipliant les instances "paritaires" et "tripartites"
qu'on démantèlera le pouvoir du Grand Capital. Ce n'est pas en
démobilisant systématiquement la lutte des syndiqués contre le
patronat qu'on accroîtra leur participation à la vie syndicale.
C'est donc un véritable choix entre deux orientations
diamétralement opposées qu'il faut faire.
Pour élever le niveau de conscience des travailleurs, pour
stimuler leur combativité, pour leur permettre d'acquérir
l'expérience de lutte nécessaire afin de pouvoir résoudre le
problème de l'exercice direct du pouvoir, nous croyons que le
combat pour les réformes de structure anticapitalistes reste une
étape indispensable. Nous comprenons ce combat en tant que
combat pour des revendications transitoires, prises en bloc, non
intégrables dans le régime capitaliste. C'est de la mobilisation
des masses, dans l'action directe, pour ces objectifs; et dans
leur organisation sur les lieux de travail en vue de conduire
cette lutte que naîtra la force capable de renverser le régime
capitaliste, d'ouvrir la voie vers une Belgique fédérale
socialiste et d'entamer la construction d'une société qui
permettra d'abolir le salariat.
A cette fin, nous proposons une plate-forme en huit points pour
le syndicalisme de combat:
1 - La nationalisation des banques et de toutes les institutions
de crédit.
Se souvient-on encore de l'appel dans ce sens, lancé il n'y a
guère par Georges Debunne? II se justifie amplement. Les banques
sont devenues un véritable Etat dans l'Etat. Elles sont les
grands pourvoyeurs de l'inflation. Elles disposent d'un droit
souverain de "battre monnaie", puisque la monnaie scripturale
qu'elles créent par le truchement des crédits bancaires joue
aujourd'hui un rôle plus important dans la vie économique que
les billets émis par la Banque Nationale. Vivant en symbiose
étroite avec les groupes financiers et les holdings, elles
exercent une influence prépondérante sur la plupart des
entreprises.
La nationalisation des banques et des institutions de crédit
serait un leurre - comme l'a démontré l'exemple français en
1944-45 - si elle n'était pas accompagnée de deux clauses
essentielles. Les anciens actionnaires et les représentants des
groupes financiers devraient être impitoyablement tenus à
l'écart des conseils d'administration et des instances
dirigeantes des banques nationalisées. La nationalisation
devrait s'effectuer sans indemnités ni rachat, sauf pour les
tout petits actionnaires. 2 - Le transfert du domaine des
holdings à la nation.
L'emprise des groupes financiers belges et étrangers sur
l'économie ne peut être brisée, aussi longtemps que ceux-ci
contrôlent les principales entreprises du pays, et disposent des
moyens financiers pour reprendre en main ou étendre leur
influence sur des entreprises, qu'on leur enlèverait par de
simples artifices juridiques (cf. le maintien de cette emprise
après l'abolition de la banque mixte" en 1934-35).
Le meilleur moyen d'éliminer effectivement cette emprise, c'est
de nationaliser les branches d'industries où l'influence des
groupes financiers est prépondérante (tous les secteurs
d'énergie, sidérurgie, chimie, verre, construction électrique,
grands magasins, etc.) ; d'effectuer cette nationalisation sans
indemnités ni rachat, sauf pour les tout petits actionnaires; et
d'établir un régime de contrôle ouvrier dans les entreprises
nationalisées, étape vers la gestion des entreprises par les
travailleurs. 3 - La planification socialiste de l'économie.
Une planification socialiste se distingue d'une "programmation
économique" néo-capitaliste par trois traits fondamentaux. Elle
est impérative, c'est-à-dire qu'elle peut décider souverainement
des grands projets d'investissement. Elle est axée sur la
réalisation de besoins prioritaires, démocratiquement déterminés
par les masses laborieuses elles-mêmes, et non sur l'impératif
du profit. Elle ne se contente pas de modifier la consommation
et la répartition du revenu national, mais modifie encore les
rapports de production, c'est-à-dire stimule la mise en place
d'un système planifié d'autogestion ouvrière.
La lutte pour une planification socialiste et démocratique de
l'économie, en tant que revendication transitoire, impliquerait
donc: l'arrêt de tout subside aux entreprises privées;
l'élaboration d'un plan de modernisation et de développement
économique, axé sur la réalisation et le maintien du plein
emploi sur place des travailleurs, et sur la détermination de
besoins prioritaires de la population, déterminés à travers des
comités populaires établis dans les communes et les régions, et
par les conseils des travailleurs dans les entreprises, et
ratifié par un grand congrès national de ces comités; la
concentration de tous les investissements et crédits publics
dans la création d'entreprises publiques nouvelles, gérées sous
contrôle ouvrier, en commun accord avec les secteurs
nationalisés de l'industrie et le crédit nationalisé, sous un
Plan ratifié par les masses laborieuses.
4 - L'épanouissement et la démocratisation de la consommation
publique.
Parmi les priorités à retenir par une telle planification
socialiste et démocratique, il faudrait certainement classer:
* la réalisation intégrale d'une médecine gratuite, égale pour
tous, et de haute qualité;
* une véritable démocratisation de l'enseignement, qui s'efforce
dès l'école maternelle à réaliser systématiquement l'égalité des
chances de tous les enfants, en combattant toutes les formes de
sélection et de présélection émanant du milieu familial, local,
social, de la structure de l'enseignement même, etc.;
* une véritable émancipation de la femme par la réalisation
immédiate du principe "à travail égal, salaire égal", par la
multiplication des crèches de qualité, par une popularisation de
services de contrôle des naissances, par la création de services
publics en matière de chauffage, de blanchissage, de préparation
des repas, etc.;
* l'établissement d'un réseau moderne de transports publics
urbains et interurbains, décongestionnant les voies de
communication et réalisant le principe de gratuité dans le cadre
des transports urbains;
* la régie publique des terrains à bâtir, la suppression de la
spéculation foncière et la modernisation de la construction, qui
devraient permettre de fournir à chaque ménage populaire un
logement de confort moderne en l'espace de quinze ans;
* une démocratisation générale des services publics par
l'établissement d'un système de gestion mixte de ces services,
par des représentants élus des agents des services publics et
des usagers.
5 - Le choix du contrôle ouvrier en tant qu'axe principal de
propagande et d'agitation syndicales.
La "démocratisation économique" reste du bavardage pur et simple,
aussi longtemps qu'on se contente de réclamer pour quelques
mandataires politiques et syndicaux des postes dans des
organismes mixtes "paritaires" ou "tripartites". L'exemple du
"Comité de contrôle de l'électricité et du gaz", pour ne pas
citer celui du "Comité de concertation de la sidérurgie", a
démontré que pareille "démocratie" peut parfaitement coïncider
avec une exploitation accrue des consommateurs, le maintien des
surprofits capitalistes de monopole, le déclin de l'emploi, et
la poursuite accélérée de la rationalisation capitaliste.
On ne fera des pas en direction d'une démocratisation réelle de
la vie économique- et des entreprises que si l'on commence par
accorder aux organismes élus par les travailleurs, au niveau des
entreprises, des branches d'industrie, des bassins industriels
et de l'économie nationale dans son ensemble, un droit de regard
et de veto décisif sur tout ce qui concerne directement la vie
de tous les jours des travailleurs : ouverture des livres de
comptes ; suppression du secret bancaire; inventaire général des
richesses des entreprises; calcul contradictoire de la
productivité physique et du prix de revient ; droit de veto des
travailleurs sur les licenciements et les modifications de
l'organisation du travail, etc.
Une campagne d'éducation et d'action développée systématiquement
sur ce thème permettra de réanimer puissamment l'activité
syndicale à la base, et constitue la seule solution de rechange
fondamentale à une orientation d'intégration progressive dans le
néo-capitalisme.
6 - La pratique de la démocratie syndicale fondée sur les
assemblées générales dans les grandes entreprises, les
assemblées générales locales et régionales dans les autres
secteurs.
La démocratie syndicale ne peut être assurée qu'au moyen d'une
participation active et large des affiliés aux affaires du
syndicat. Il faut en finir avec l'habitude qui consiste à placer
dans les mains de "leaders professionnels" des droits de
décision de fait, en matière d'orientation syndicale. Ni des
"assemblées d'information", ni des cours de formation" - quelque
utiles qu'ils soient par ailleurs- ne peuvent assurer cette
participation; celle-ci ne peut naître que d'une pratique qui
associe les affiliés aux décisions qui les intéressent
directement. Cela veut dire: retour aux assemblées générales
régulières sur les lieux de travail, dans les grandes
entreprises ; discussion et ratification des cahiers de
revendications dans de telles assemblées; au lieu de référendums
passifs, qui atomisent la force des travailleurs, consultation
obligatoire d'assemblées générales de syndiqués sur
l'opportunité d'accepter ou de rejeter les accords négociés avec
le patronat; pouvoir de décision sur l'arrêt des grèves dans les
mains d'assemblées générales de grévistes.
7 - Coup d'arrêt à l'intégration des syndicats dans le
néo-capitalisme.
Il faut mettre fin à la pratique de la programmation sociale.
Les accords paritaires doivent être limités au maximum à un an,
et comporter des clauses de dénonciation avant terme. Le
mouvement syndical doit conserver les mains libres pour
exploiter toute situation favorable à la réalisation de se^
objectifs. Il doit se retirer de tous les organismes de
concertation, qui présupposent un intérêt commun de
"rentabilité" et de rationalisation des entreprises. Il doit
servir de base de concentration des forces laborieuses, et
poursuivre à cette fin une politique d'unité d'action avec la
C.S.C., mais en maintenant toute son indépendance par rapport
aux partis politiques, en combattant clairement pour la doctrine
de lutte de classe, en proposant ouvertement une plate-forme de
syndicalisme de combat esquissée ici, en structurant cette unité
d'action par des assemblées communes dans les entreprises et
dans les localités d'affiliés F.G.T.B. et C.S.C. et de
travailleurs non syndiqués, où tous auront la possibilité de
s'exprimer librement.
8 - Pour une véritable action syndicale internationale.
Confronté de plus en plus avec des sociétés multinationales, le
syndicalisme a un avenir bouché devant lui s'il n'apprend pas à
opposer l'internationalisme des travailleurs à
l'internationalisme du Capital. Ce ne sont pas les contacts au
sommet dans le cadre de la C.E.E. qui ont réussi jusqu'ici à
promouvoir une véritable prise de conscience internationaliste
parmi les travailleurs. Pour y parvenir il faut:
* multiplier les contacts et les rencontres entre délégations
syndicales et groupes de travailleurs d'une même branche
d'industrie, à commencer par ceux qui travaillent pour un même
trust International;
* établir une unité d'action syndicale sans exclusive aucune sur
le plan européen, embrassant tant les syndicats affiliés à la
C.I.S.L. que les syndicats chrétiens et la C.G.T. et la C.G.I.L,
affiliés à la F.S.M.;
* élaborer des cahiers de revendications communs entre
travailleurs des diverses usines contrôlées par le même groupe
financier international, et organiser des grèves à l'échelle
européenne;
* défendre sans restriction les droits syndicaux et l'égalité de
traitement des travailleurs immigrés, et conquérir pour eux
l'exercice des droits politiques;
* préparer un grand congrès du Travail, qui opposera le
programme des Etats-Unis Socialistes d'Europe à l'alternative
néo-capitaliste: ou bien une Europe contrôlée par les trusts
américains, ou bien une Europe contrôlée par les trusts
européens;
* manifester une solidarité agissante avec toute grève
importante dans un pays européen, et empêcher tout effort direct
ou indirect de briser les effets économiques de cette grève par
des déplacements internationaux de commandes et de marchandises;
* manifester une solidarité agissante avec les mouvements de
libération des peuples dits "du Tiers-Monde", à la place de la
philanthropie hypocrite de "l'aide aux pays sous-développés",
qui ne profite qu'aux trusts occidentaux et aux classes
possédantes des pays semi-coloniaux.
Nous estimons qu'une telle plate-forme du syndicalisme de combat
débouche logiquement sur l'idée de la conquête du pouvoir
politique par les travailleurs. Mais nous n'entendons pas faire
de l'acceptation de cette conception un préalable au Combat
commun avec les ouvriers sociaux-démocrates ou
démocrates-chrétiens qui conservent aujourd'hui des illusions
réformistes. C'est précisément à travers l'expérience commune de
combat pour un tel programme que la validité des thèses
réformistes et révolutionnaires se clarifiera, pour la majorité
des travailleurs, dans l'action.
Seule l'action directe est en tout cas capable de réaliser un
tel programme. Le principe de cette action directe est inscrit
solennellement dans la déclaration de principes de la F.G.T.B.
Si le congrès de décembre 1970 de la F.G.T.B. décide de lancer
une vaste campagne d'éducation, d'information et de propagande
autour des idées du syndicalisme de combat - avant tout l'idée
du contrôle ouvrier; si cette campagne prend racine dans les
masses grâce à la multiplication des assemblées générales de
base, grâce à l'utilisation des mille et un incidents de la vie
quotidienne, de chacune des préoccupations montées spontanément
de la masse, pour frapper toujours sur le même clou: alors il ne
faudra, pas attendre longtemps avant que ne se présente
l'occasion de passer à l'agitation et à la mobilisation. Alors,
tous ensemble, un million et demi de salariés-appointés
syndiqués prépareront une grève générale de durée illimitée qui,
organisant ses propres comités et ses propres organes de
pouvoir, deviendra invincible, et achèvera le travail commencé
par les pionniers de juillet 1936, des combats de la Libération,
de 1950, et de la grande grève de 1960-61. |