Récemment a paru, aux éditions Maspero, le
livre de Paul Baron, « Economie politique de la croissance »,
et l'on annonce la parution du livre de Baran et Sweezy « Le
capital monopolistique ». Dans ces deux livres, le point
de départ des auteurs est ce qu'ils appellent le surplus, une
notion qui, tout en se revendiquant du marxisme, est différente
de celle de plus-value.
L'auteur américain
David Horowitz, à propos d'une critique de E. Mandel sur cette
notion, considère que celle-ci constitue un progrès par
rapport au marxisme. Répondant à l'article d'Horowitz, E.
Mandel se livre à une critique plus approfondie et montre que
Baran et Sweezy ont intro duit des éléments sérieux d'une révision
du marxisme. C'est ce dernier article, publié dans
L'International Socialist Review, que nous reproduisons ci-après.
Il montre entre autre, selon nous, le danger qui existe dans les
tentatives de vouloir faire accepter certains points de vue
marxistes, comme Baran et Sweezy s'efforçaient de le faire, en
recourant à un vocabulaire qui s'écarte de celui du marxisme.
L’opération ne peut le plus souvent manquer de se retourner
contre ceux qui la tentent.
****
La contestation de David Horowitz offre une
bonne occasion d'éprouver la validité de la théorie de la
valeur-travail en tant qu'instrument d'analyse et d'explication
du fonctionnement du capitalisme monopolistique contemporain. En
même temps cela nous permet d'approfondir et notre appréciation
et notre critique du livre de Baran et Sweezy.
Le concept de « surplus » est aujourd'hui
communément utilisé par les anthropologues et les spécialistes
des sociétés primitives, dans son sens le plus élémentaire,
à savoir la part de production sociale qui dépasse les besoins
immédiats de consommation de la société. Puisque la société
primitive dans laquelle le « surplus » apparaît pour la première
fois est une société sans classe, la consommation par les
producteurs (c'est-à-dire la reconstitution de la force de
travail des producteurs et la reproduction du nombre donné de
producteurs) et la consommation sociale sont largement équivalentes.
En ce sens, le « surplus économique » recouvre le même
concept socio-économique que le concept marxiste de surproduit,
cette partie du produit social qui est au-delà du « produit nécessaire
».
Sauf dans les sociétés primitives les plus
retardées, le « produit nécessaire » a cependant encore une
autre fonction à remplir, celle de reproduire les capacités
productives de la société. Il a aussi à garantir l'exact
remplacement de tous les moyens de production employés dans le
processus social de production.
Plus une société se développe, plus cette
deuxième fonction devient importante. Dans une société
capitaliste, le produit nécessaire inclut le capital constant
et le capital variable (C + v), c'est-à-dire la reproduction du
travail mort et du travail vivant nécessaire pour reprendre la
production au même niveau que durant le cycle précédent. Ceci
assure ce que Marx appelle la « reproduction simple ». Le
surproduit représente la différence entre la valeur du produit
social C + v + s et la valeur du produit nécessaire. Elle est
égale à « s », la plus-value. En fait la
plus-value est simplement la forme spécifique sous laquelle le
surproduit est approprié dans l'économie capitaliste.
Baran et Sweezy ne contestent pas cette définition.
Ils la répètent p. 8-10 de leur livre. Ils ajoutent que s'ils
préfèrent le terme « surplus » au terme « plus-value »,
c'est seulement parce que « la plupart des gens familiarisés
avec la théorie économique
marxiste » - contrairement à Marx lui-même -
identifient la plus-value à la « somme suivante :
profits + intérêts + rente » (p.10). Dans ce sens ils
semblent commencer par des définitions identiques à celles de
Marx et il semble que D.Horowitz ait tort de dire qu’ils ont
abandonné la théorie de la valeur-travail.
Cependant, lorsque les auteurs développent
leurs arguments, il devient de plus en plus apparent qu'ils s'écartent
sensiblement de la définition initiale. On a l’impression
qu’ils ont abandonné la théorie de la valeur-travail. Que
cela soit leur intention ou non, c’est à Sweezy lui-même de
clarifier la question.
LES AMORTISSEMENTS
Lorsqu'ils évaluent le « surplus », Baran
et Sweezy s'étendent avec beaucoup d'insistance sur la question
des amortissements. Ils affirment que « les amortissements en
excédent » (p. 99-100, 372-378) constituent un « surplus »
et ils s'empêtrent dans de multiples calculs de ce facteur.
Mais ils ne posent pas la question de la façon dont un marxiste
devrait la poser : quelle est la valeur du capital fixe réellement
employé dans le processus de production ?
Plusieurs arguments jouent contre eux et
contre la thèse de Joseph D. Philips sur « les amortissements
excessifs ». L'emploi d'un pourcentage d'investissement brut égal
à celui de l'Union soviétique est évidemment insoutenable
parce que le taux d'investissement net en Union soviétique est
bien supérieur à celui qui est en vigueur dans l'économie américaine.
Des amortissements excessifs ne sont pas la seule forme possible
d'évasion fiscale. Les profits sont même mieux cachés quand
on affecte les dépenses pour le renouvellement du capital aux
opérations courantes. Ceci est largement pratiqué par les
grandes entreprises.
Et enfin - et ceci est important - pour avoir
une appréciation correcte des valeurs réelles du capital fixe
employées dans la production courante, il faut commencer par
avoir une estimation correcte de la réelle valeur du capital.
Celle-ci est couramment même plus sous- estimée que ne le sont
les profits courants. Et comme le taux accéléré du développement
technologique tend à réduire la durée de vie des usines et
des machines, ce que Baran et Sweezy reconnaissent, la valeur du
capital fixe employée chaque année est très grande,
probablement plus grande et non plus petite que les
amortissements officiels le montrent.
En conséquence, on doit soustraire, et non
ajouter, les amortissements des recettes brutes si on veut établir
le « surplus » social. Ce calcul affaiblit considérablement
la démonstration statistique de Philips sur la « tendance du
surplus à augmenter ». Sans prendre en considérant les
amortissements, le surplus tel qu'il est défini par les auteurs
baisse à 33% du produit national brut en 1929, à 49,4%
en 1949, à 49,2% en
1959 et à 49,8% en
1961.
D'un autre côté, si on définit le «
surplus » comme le font au début les auteurs, comme « la différence
entre ce que la société produit et son coût de production »
(p. 9) et si on élimine l’intérêt et la rente du « coût
de production » on suit la théorie de la valeur-travail. Le «surplus»,
ou là « plus-value » est alors la différence entre la valeur
du produit social et la valeur consommée (sous la forme de
capital constant et de capital variable) pour la production de
ce produit.
Mais cette définition marxiste classique est
incompatible avec cette définition des plus négligées du
surplus, la « différence
entre la production globale nette et les salaires réels globaux
des travailleurs productifs » (p. 125). Cette définition
utilise la théorie de la valeur- travail dans sa deuxième
partie mais la renie dans sa première partie. La « production
nette globale », telle qu'elle est définie par la comptabilité
bourgeoise actuelle, inclut la redistribution de plus-value et
de nombreux revenus qui sont simplement un résultat de
l'inflation (par exemple, paiement des forces armées, des
anciens combattants, des fonctionnaires de l'Etat à travers le
déficit budgétaire, etc.). Nos auteurs oscillent ainsi entre
les calculs de valeur et les calculs de « demande globale
». Horowitz a raison lorsqu'il suppose qu'ils essayent de
combiner Marx avec Keynes. Il a tort quand il suppose que ceci
contribue à faire comprendre plus clairement les « lois du
mouvement » du capitalisme contemporain.
Horowitz base son rejet de la théorie
valeur-travail sur un vieil article écrit par Oscar Lange dans
les années ’30 (1). Cet article contient ce que nous considérons
être plusieurs erreurs tant en
théorie économique marxiste en général que sur la théorie
de la valeur-travail en particulier. Ce n'est pas ici le lieu
pour répondre longuement aux arguments de Lange. Mais nous
voulons mettre le doigt sur un de ses points fondamentaux, qui a
un lien direct avec notre critique du « Capitalisme
monopolistique ».
L'hypothèse de Lange suivant laquelle la théorie
marxiste de la valeur-travail n'est « rien de plus qu'une théorie
statique de l'équilibre économique général » (op. cit. p.
194) nous semble être complètement fausse. On pourrait le
soutenir à propos de l'application particulière de cette théorie
aux conditions de la simple production marchande. Mais il est
complètement faux de maintenir cette position lorsqu'on
applique la théorie de la valeur au capitalisme. Or, c'est à
cette application et non dans le cas spécial de l'équilibre
statique dans une société pré-capitaliste que Marx consacra
presque toutes ses études économiques de 1844 à sa mort.
Pour comprendre la nature dynamique de la théorie
de la valeur-travail utilisée par Marx, il suffit de comprendre
le but de Marx quand il perfectionne la théorie ricardienne de
la valeur-travail en élaborant la théorie de la plus-value. Il
veut expliquer le caractère essentiellement dynamique de
l'accumulation du capital : comment l'échange de « valeurs égales
» entre le travailleur et le capitaliste conduit à un
enrichissement constant du capitaliste. Il n'est pas
nécessaire de développer longuement comment Marx résout
le problème : distinction entre travail et force de travail, découverte
que le travailleur ne vend pas son « travail » mais sa force
de travail ; distinction entre la valeur d'échange de la force
de travail et sa valeur d'usage pour le capitaliste (il s'agit
de produire plus de valeur que sa propre valeur d'échange,
etc.).
La théorie de la valeur-travail ainsi rectifiée
par Marx introduit deux éléments dynamiques dans ce que Lange
appelle faussement une « théorie de l'équilibre économique général
» De par sa véritable nature, elle implique un processus de
croissance économique construit à l'intérieur du modèle.
Elle indique le double processus qui fournit la rationalité de
l'accumulation capitaliste: concurrence inter-capitaliste,
concurrence entre capitalistes et travailleurs (2).
Pour la même raison, il est impropre de
parler du modèle marxiste comme d'un modèle
«d'équilibre économique général ». En réalité,
c’est un modèle qui présente une unité dialectique entre équilibre
et déséquilibre, l’un entraînant nécessairement l’autre.
C’est la raison pour laquelle il est vain d’essayer de
« découvrir » la théorie marxiste des crises dans
les fameux schémas de reproduction du tome II du Capital parce
que ces schémas font effectivement abstraction de la « concurrence
capitaliste ». Et toute étude du cycle économique doit nécessairement
se placer dans l’étude de celle-ci, selon Marx lui-même (3).
Toutes les « lois du mouvement »
du mode de production capitaliste proviennent du processus
d’accumulation du capital basé sur la théorie de la
valeur-travail perfectionnée par Marx et expliquée par elle.
Ceci est particulièrement vrai pour la loi de la centralisation
et de la concentration du capital et la loi de l’augmentation
de la composition organique du capital, les deux résultant de
la concurrence intercapitaliste (« le gros poisson mange
le petit ») et de la nécessité d’augmenter la
plus-value relative, c’est à dire d’augmenter la
productivité du travail.
En vérité, la tentative de séparer les
activités de l’accumulation du capital de ces deux
explications rationnelles offertes par Marx, ou même de séparer
l’une de l’autre, doit amener à découvrir « quelque
besoin d’accumulation » mystique derrière la réalité
de l’investigation scientifique. Des auteurs engagés sur ce périlleux
chemin finissent, généralement, avec des sortes
d’explications tautologiques du style ; « les
capitalistes accumulent parce que ( !) c’est leur
mission, ou leur fonction, ou leur rôle, ou leur but
d’accumuler ». On se souvient de la définition
immortelle de Molière : « l’opium fait dormir
parce qu’il a des propriété dormitives ».
LA CONCURRENCE
INTERCAPITALISTE
Baran et Sweezy prétendent
énergiquement que l'accumulation du capital représente
encore pour les entreprises géantes d'aujourd'hui « la Loi et
les Prophètes ». Nous sommes parfaitement d'accord avec cela.
Mais ils n'expliquent pas de façon exhaustive pourquoi il en
est ainsi. Au contraire, ils ne font absolument pas intervenir
dans leur analyse la concurrence fondamentale qui existe entre
capitalistes et travailleurs. Cela apparaît seulement dans les
derniers chapitres relatifs au déplacement courant des
travailleurs par l'automation. En ce qui concerne la concurrence
inter-capitaliste, ils oscillent entre des positions erronées.
D'une part ils identifient la concurrence avec « la concurrence
sur les prix »; d'autre part, niant la prédominance de la
concurrence des prix, ils semblent dire que cette concurrence
existe mais dans un système «radicalement différent » du schéma
marxiste.
Il faut «faire un grand effort de
clarification. Il est vrai que, dans le tome III du Capital,
lorsque Marx développe sa théorie de la formation des « prix
de production » (l'égalisation du taux de profit résultant de
la circulation du capital entre les différentes branches de
l'industrie) la hausse et la baisse des prix constituent le mécanisme
à travers lequel l'égalisation du profit se fait. Mais si on réfléchit
un moment on voit que ce n'est qu'un mécanisme secondaire et
que le nœud du problème n'est pas là. Si, au lieu de réduire
les prix, on utilise une publicité agressive pour s'approprier
une plus grande partie du marché, le raisonnement entier reste
exactement le même que dans le tome III. Ce qui est important,
c'est qu'une firme réalise un taux de profit substantiellement
plus élevé et que ce taux supérieur attire alors le capital
des autres firmes (disons des autres monopoles) sur le même
terrain jusqu'à ce qu'il y ait égalisation. Dire que les
monopoles essaient d'éviter des risques excessifs veut dire précisément
dans ce cadre qu'ils évitent d'opérer des déviations trop
importantes de leur superprofit par rapport au superprofit
monopolistique « normal », parce que de telles déviations
attireraient inévitablement les autres capitaux.
Cependant, la faiblesse cruciale
du capitalisme monopolistique tient au fait que les
auteurs omettent de tenir compte de l'exploitation du travail
par le capital et en conséquence du besoin pour les
capitalistes d'augmenter la plus-value relative. Lorsqu'ils
parlent de la pauvreté aux Etats-Unis, Baran et Sweezy font
ressortir correctement que la disparition totale de l'armée de
réserve pendant la Deuxième guerre mondiale conduisit à «
l'amélioration des niveaux de vie des pauvres gens... ». Cela
entraîna à son tour une pression montante sur les salaires réels,
se manifestant au moment de la grande vague de grèves de l'après-guerre.
Ils continuent à soutenir (p. 287) que, dans les années 50, «
le chômage augmenta continuellement et que le caractère des
nouvelles techniques de l'après-guerre accentua de manière
aiguë le désavantage des ouvriers non qualifiés ou semi
qualifiés ». Il nous semble que les « nouvelles techniques de
la période d'après-guerre » ont créé cette tendance
montante du chômage, c'est-à-dire que l'économie américaine
entrait alors dans la période la plus dramatique du « déplacement
des travailleurs par les machines » dans toute son histoire.
Il ne peut plus y avoir de doute sur le fait
que ce mouvement fut un succès au-delà de toute prévision car
pendant plus de dix ans les salaires réels américains stagnèrent
pratiquement en comparaison avec leur rapide développement dans
tous les autres pays impérialistes, et que la grande hausse de
profits pendant cette période fut le résultat des
accroissements fantastiques de la plus-value ainsi produite.
En laissant de côté dans leur analyse du
capitalisme monopolistique la lutte continuelle de la classe
capitaliste pour maintenir et augmenter le taux d'exploitation
de la classe ouvrière, Baran et Sweezy placent toute leur
conception économique du fonctionnement actuel du système
capitaliste hors de la réalité des forces sociales en présence,
c'est-à-dire hors du domaine de la lutte des classes.
Il n'est donc pas étonnant qu'ils finissent
par dénier toute valeur au potentiel anticapitaliste de la
classe ouvrière américaine. Ils mettent, déjà cette négation
dans les prémisses de l'argumentation. On est en face d'une pétition
de principe classique sur la concurrence inter-capitaliste,
ainsi qu'il a été dit précédemment, l'argumentation de Baran
et Sweezy est pour le moins vague. Ils reconnaissent la nécessité
pour les entreprises de réduire les coûts. Ils reconnaissent
la nécessité pour celles-ci d'augmenter leurs profits afin de
développer l'accumulation du capital. Ils reconnaissent aussi
la nature férocement compétitive de la « jungle monopoliste
» pour, ne pas parler de la dure concurrence qui existe entre
les secteurs monopolistes et les secteurs non monopolistes de l'économie.
Malgré tout, ils repoussent la conclusion évidente, à savoir
que l'explication la plus rationnelle de cette accumulation
reste la concurrence, exactement comme dans le modèle marxiste.
Et cela laisse un vide béant dans leur analyse.
L'ANALYSE DE LA VALEUR
La raison de cette faiblesse est facile à découvrir.
La théorie de la valeur travail implique qu'en termes de
valeur, la masse totale de plus-value qui doit être distribuée
chaque année est une quantité donnée. Elle dépend de la
valeur du capital variable et du taux de plus-value. La
concurrence sur les prix ne peut pas changer cette quantité
(sauf quand elle influence la division du revenu nouvellement créé
entre travailleurs et capitalistes, c'est-à-dire quand elle
hausse ou baisse les salaires réels et ainsi augmente ou réduit
le taux de plus-value).
Une fois qu'on a saisi cette simple vérité
fondamentale, on comprend que l'élimination de la libre
concurrence par les monopoles n'altère pas radicalement le
problème en termes de valeur. Cela veut dire que la
distribution d'une quantité donnée de plus-value évolue en
faveur des monopoles et à la défaveur des secteurs non
monopolistes. Cela peut vouloir dire (mais il faut le démontrer) que le taux
moyen de plus-value a augmenté. Mais cela ne modifie aucunement
les rapports essentiels qui expliquent la création de la
plus-value.
En quittant le terrain de la production de
valeur pour celui de la demande globale monétaire, Baran et
Sweezy obscurcissent les simples relations fondamentales. Ils
parlent vaguement d'un « surplus qui serait absorbé » lorsque
les machines et les hommes inactifs sont mis au travail. Mais ce
qui n'a pas été produit ne peut être absorbé. Quand les
machines sont inoccupées on n'a pas un « surplus inabsorbé »,
c'est-à-dire de la plus-value non dépensée ou des
marchandises invendues. On a un capital oisif, ce qui est tout
à fait différent. Et le « surplus » (plus-value) n'est pas
« absorbé » mais produit, c'est-à-dire que sa quantité
augmente en résultat de l'augmentation du capital variable.
Abandonnant le terrain solide du calcul en
valeur pour le terrain glissant de la « demande globale »,
Baran et Sweezy montrent souvent une stupéfiante incapacité à
distinguer les comportements micro-économiques d'une firme, du
résultat macro-économique de ce comportement généralisé.
Ils déclarent correctement que la société monopolistique
moderne tend à « maximiser les profits » au moins autant que
son ancêtre concurrentiel le faisait. Mais ils semblent oublier
que le taux moyen de profit est précisément le résultat
macro-économique de ce comportement des firmes individuelles.
Cela découle directement du fait que la plus-value qui peut être
distribuée entre les différentes firmes est une quantité donnée
limitée chaque année.
Si une entreprise monopolistique réussit à
gagner une partie excessive de la plus-value totale, les autres
entreprises se précipitent dans le même genre d'affaires. Les
exemples de l'aluminium, des machines à calculer électroniques,
des machines à reproduire, des produits pétrochimiques,
simplement pour signaler quelques industries en extension durant
les trois dernières décennies, confirment clairement ce qui se
passe réellement. On arrive donc à la conclusion que, sous le
capitalisme monopolistique tout comme sous le « modèle
concurrentiel », la maximalisation du profit par les firmes
individuelles conduit à la tendance à l'égalisation du taux
de profit. La seule distinction qu'il faut faire est que sous le
capitalisme monopolistique deux taux moyens différents tendent
à se développer, un pour le secteur monopolistique, l'autre
pour le secteur compétitif (4).
Nous pouvons dès lors conclure que Baran et
Sweezy ont été incapables de prouver que le modèle marxiste
était fondé sur quelque trait spécifique lié à la
concurrence autour des prix ou que l'accumulation du capital
sous le capitalisme monopolistique se déroule suivant des
lignes qualitativement différentes de celles du capitalisme
concurrentiel. Sous le capitalisme monopolistique comme sous le
capitalisme concurrentiel les deux forces fondamentales
expliquant l'accumulation du capital restent la concurrence
inter-capitaliste (pour s'approprier une plus grande partie de
plus-value) et la concurrence entre capitalistes et travailleurs
(pour augmenter le taux de plus-value).
Dans le modèle de Marx, la baisse
tendancielle du taux de profit provient de deux causes. D'abord,
étant donné que seul le travail humain produit de la
plus-value, seulement une partie du capital, le capital
variable, correspond à la production de plus-value. Si le
capital variable a tendance à être une plus petite partie dans
le capital total, il y aura une forte tendance à la baisse du
rapport s / C + v. Deuxièmement, cette tendance peut être
neutralisée seulement si en même temps le taux de plus-value s
/ V augmente.
Mais historiquement il est peu probable que le
taux de plus-value varié dans la même proportion que
l'augmentation de la composition organique du capital. Et à
long terme, c'est impossible, parce que la composition organique
du capital peut augmenter indéfiniment (la limite étant
l'automation complète, c'est-à-dire l'exclusion du processus dé
production de tout travail humain), le taux de plus-value ne
peut augmenter indéfiniment parce que cela implique-rait que les salaires des
travailleurs en-gagés dans la production tendent vers zéro.
Baran et Sweezy prétendent que la baisse
tendancielle du taux de profit est en quelque sorte liée au «
modèle concurrentiel » de Marx et n'opérerait plus sous le règne
du capitalisme monopolistique. Mais ils ne portent pas la
moindre attention aux deux fractions fondamentales dont résulte
la baisse du taux de profit, la composition organique du capital
et le taux de plus-value.
En liaison avec la composition organique du
capital, les auteurs du Capitalisme monopolistique ne font
aucune estimation générale. D'une part, ils disent que « sous
le capitalisme monopolistique la vitesse à laquelle les
nouvelles techniques remplaceront les vieilles Sera plus lente
que Ta théorie économique traditionnelle
l'aurait laissé supposer... Le progrès technologique
tend a déterminer la foi me prise par l'investissement à un
moment donné plutôt que sa quantité » (p. 95-97). Mais
quelques pages plus loin, ils écrivent : « La décennie
1952-1962 fut une des décennies de pro-grès technologique
rapide et probablement accéléré » (p. 102). Les chiffres
qu'ils citent confirment la thèse suivant laquelle les
investissements de capital fixe croissent plus vite que les
salaires.
En 1953, les dépenses pour la recherche et le
développement et les dépenses pour les plans d'équipement des
entreprises non financières se sont élevées à 27,4 milliards
de dollars, alors qu'elles se sont élevées à 44 milliards en
1962 (et depuis elles ont augmenté d'un chiffre double de celui
de 1953 !). Les salaires payés dans les mêmes entreprises
n'ont pas augmenté de 100
entre 1953 et 1966 (5).
LE PROGRES TECHNOLOGIQUE
Tout d'abord Baran et Sweezy affirment que les
seules révolutions technologiques qui aient provoqué des démarrages
fantastiques dans les investissements productifs étaient celles
relatives à la machine à vapeur, aux trains et à
l'automobile. Mais, plus loin, ils admettent que la révolution
technologique liée à la mécanisation, l'automation et la
cybernétique a réduit le nombre des ouvriers spécialisés
dans l'économie américaine de treize millions en 1950 à moins
de quatre millions en 1962 et que, selon de nombreux auteurs,
cette révolution technologique n'en est encore qu'à son début
! Il est certain qu'un déplacement des travailleurs par les
machines à ce que Baran et Sweezy appellent cette « vitesse
fantastique », montre une tendance à l'accroissement de la
composition organique du capital, non ?
Il n'y a pas de doute pour nous que, commençant
à la fin des années
50 (c'est-à-dire avec la hausse constante du taux de chômage),
une hausse significative du taux de plus-value s'est cristallisée
dans « l'explosion de profit » de plus de 50% entre 1960 et
1965. Mais que cette hausse puisse continuer à déplacer de
plus en plus de travailleurs productifs seuls créateurs de
plus-value, à une vitesse équivalente à la croissance de la
composition organique du capital est douteux. L'automation
continuera à déplacer de plus en plus de travailleurs
productifs. Il se peut bien que les salaires des travailleurs
productifs représentent une part de plus en plus faible du
nouveau revenu créé
dans l'industrie, mais ils ne baisseront pas suffisamment
rapidement pour compenser la croissance de la composition
organique du capital. Aussi il n'y a pas de raison d'affirmer
que la baisse tendancielle du taux de profit sera historiquement
renversée.
On en a une preuve frappante que,
curieusement, Baran et Sweezy citent, sans en tirer les
conclusions nécessaires. Pages 196-197, ils indiquent qu'entre
1946 et 1963 les investissements faits directement à l'étranger
par les entreprises américaines se multiplièrent par
cinq parce que le taux du rendement des investissements à l'étranger
était bien supérieur à celui aux Etats-Unis. Evidemment, la
composition organique du capital est inférieure et le degré de
contrôle du marché par le capitalisme monopolistique est inférieur
dans ces pays à ce qu'ils sont aux Etats-Unis. N'est-il pas
raisonnable alors de conclure que, plus ils deviendront « américanisés
», plus le taux tendra à baisser ? Aux Etats-Unis, le nouveau
progrès technologique va avoir pour conséquence une nouvelle baisse significative du taux
de profit en comparaison avec le niveau actuel.
L'insistance de Baran et Sweezy sur la hausse
continuelle du « surplus » est fondée sur un raisonnement très
simple. Sous le capitalisme monopolistique, les coûts baissent,
les prix montent
en même temps que les profits, le surplus doit donc
augmenter (p. 79). Mais de nouveau ici le fait de faire les calculs sur les prix
au lieu de procéder à l'analyse en valeur obscurcit les problèmes
macro-économiques en cause.
« Sous le capitalisme monopolistique, les
patrons peuvent transmettre et transmettent les coûts plus élevés
du travail sous forme de prix plus élevés », écrivent Baran
et Sweezy (p. 77). Mais, si l'on y réfléchit un moment, on
voit que de telles affirmations négligées,
aussi utiles
qu'elles puissent être pour l'agitation, ne signifient pas
grand-chose en (
termes de rapports économiques réels. Parce que si les patrons
« transmettent » les
coûts identiquement plus élevés du travail de la même manière
à tous les consommateurs, les prix de toutes les marchandises
augmentent dans les mêmes proportions, et loin de voir le «
surplus » augmenter on voit les rapports entre salaires et
plus-value entre les parts de plus-value allouées à chaque
firme, rester exactement les mêmes que précédemment. Si ce «
transfert » peut être fait seulement par les monopoles, il y a
de fortes chances pour que les salaires réels aient
effectivement augmenté et que les gains les plus importants des
monopoles aient été faits au détriment des secteurs non
monopolistes de la classe capitaliste qui ont été incapables
de faire monter leurs prix dans les mêmes proportions.
Dans ce cas de nouveau, le « surplus » n'a pas été
augmenté mais seulement redistribué et même probablement légèrement
réduit à la défaveur d'une partie de la classe capitaliste.
Et si les prix des biens de consommation augmentent
effectivement plus que les salaires, alors il y a baisse de
salaire réel et évidemment augmentation du « surplus », mais
pas à travers un dispositif « nouveau » spécial mais par les
vieilles méthodes capitalistes de baisse des salaires.
L'origine de la théorie de Baran et Sweezy
sur la tendance du « surplus » à augmenter est facile à
voir. Il s'agit d'une part d'une généralisation incorrecte
d'une situation conjoncturelle la montée abrupte des profits
capitalistes a la fin des années 50 et dans la première moitié
des années 60 ; c'est, d'autre part, un résultat de l'emploi
tendancieux du terme « surplus » au point d'en faire le
synonyme de « demande globale ». Un tel raisonnement élimine
simplement le problème de l'inflation et fait qu'on compte dans
certains cas le même revenu deux ou trois fois.
Ici nous voyons clairement que, contrairement
à l'affirmation de Horowitz l'une des principales raisons qui
fait que Baran et Sweezy s'égarent, c'est leur tentative de
combiner Marx et Keynes Marx montre clairement que, sur la base
de la théorie de la valeur-travail, tout revenu créé en société
capitaliste (exception faite du revenu de petits propriétaires
de moyens de production qui n'exploitent pas le travail salarié)
peut avoir seulement deux sources, ou bien le capital variable
ou bien la plus-value. Quand des capitalistes exploitent leur
plus-value à acheter directement des services individuels des
femmes de ménage de professeurs privés, d'ecclésiastiques,
etc., ils ne créent pas de revenu nouveau. Ils distribuent
simplement une partie de la plus-value. Il n'est pas important
de savoir combien de fois cette plus-value circule dans une année.
C'est toujours la même plus-value
qui est redistribuée.
Les maires des petites villes dans lesquelles
les industries ont disparu savent cela à travers une triste expérience.
Si on élimine les salaires initiaux et la plus-value, tous les
revenus des services disparaissent comme par magie ! Mais si on
calcule la « demande globale » de la manière dont elle est définie
à l'heure actuelle aux Etats-Unis on a l'impression que le
revenu de tous les services est simplement ajouté aux profits
des firmes industrielles et on arrive aisé-ment à des calculs
dans lesquels une partie du « surplus » est deux ou trois fois
plus grande que dans la réalité (6).
L'INTENSIFICATION DES
VENTES
On peut voir un bon exemple de cela dans le
problème de l'intensification des ventes. Les coûts de vente
n'ajoutent rien à la valeur produite mais sont un exemple de ce
que Marx appelle « les dépenses de circulation... financées
par une quantité donnée de plus-value ». Effectivement, Baran
et Sweezy citent ce passage du Capital à la page 112 de leur
livre. Cependant ils ne considèrent pas seulement le développement
des efforts en vue de la vente comme un moyen « d'absorber le
surplus » (de la plus-value absorbant de la plus-value). Ils
voient même là-dedans un moyen pour les capitalistes
d'augmenter leurs profits, parce qu'une partie de la dépense
Initiale sera « payée par les travailleurs » au travers de
l'augmentation des prix des biens de consommation ! Ils n'ont
pas l'air de comprendre que la dépense entière a été payée
tout d'abord par les capitalistes et qu'on ne peut pas
l'additionner trois fois ; d'abord comme plus-value (profits
capitalistes); ensuite comme dépenses de publicité (part des
profits utilisée pour intensifier les ventes); et finalement
comme profits capitalistes additionnels (partie des frais nécessaires
pour intensifier les ventes récupérée sur les salaires des
travailleurs).
Ici de nouveau il est facile de trouver la
raison de la confusion de Baran et Sweezy. Car «
l'intensification des ventes » dont ils parlent (qui n'est pas
une partie des coûts de distribution dont parle Marx) est en réalité
financée par le capital et non par la plus-value courante. Dans
la mesure où le capitalisme monopolistique est caractérisé
par des quantités énormes de capitaux excédentaires,
l'intensification des ventes (de la même façon que les
industries de «services») offre un débouché bienvenu pour ce
capital. Dans la mesure où des travailleurs
supplémentaires sont
employés, et qu'ils achètent des marchandises avec leurs
salaires et leurs traitements, «l'intensification des ventes»
peut indirectement déclencher la
«réalisation» croissante de plus-value, à partir
d'une dépense accrue de capital. Mais ajouter ce capital
(provenant de la
plus-value de l'année précédente) à la plus-value en cours
constitue une erreur évidente dans la mesure où il s'agit de
calcul de valeurs.
L'insistance que Baran et Sweezy manifestent
sur le capital inactif et inutilisé constitue un élément
juste et important dans leur livre. Il s'agit là d'un trait spécifique
du capitalisme monopolistique, provenant justement du
ralentissement de la concurrence des prix et de la concentration
du capital dans les secteurs monopolistiques. Il augmente dans
la mesure où précisément le taux moyen de profit tend à être
plus élevé dans les secteurs monopolistiques que dans les
secteurs non monopolistiques. Cela pose la question fondamentale
de l'utilisation du capital excédentaire que Baran et Sweezy
ont éclairci dans de nombreux domaines. En vérité, les
monopoles font des profits plus élevés, mais ils sont
incapables de les réinvestir tous sans mettre en danger ce taux
même de superprofit !
Cela constitue, soit dit en passant, la
principale, raison qui oblige le capital monopolistique à
investir de plus en plus dans les armements et, en liaison avec
une tentative de neutraliser la baisse tendancielle du taux de
profit, une des principales raisons qui expliquent le volume
croissant des exportations de capitaux par l'impérialisme américain.
Sans ajouter ces deux éléments à l'analyse on ne peut
expliquer d'une façon suffisamment profonde que l'intervention
de l’impérialisme américain dans les deux guerres mondiales
et sa tentative actuelle de « rendre le monde libre sûr pour
le capitalisme » sont inhérentes au système.
Mais ajouter le capital excédentaire au
surproduit ne clarifie pas la question Si les auteurs avaient
appliqué la théorie de la valeur-travail à cette question,
ils au-raient immédiatement noté et les rap-ports et les différences
entre les deux problèmes fondamentaux
auxquels doit faire face le capitalisme monopolistique
vieillissant ; l'investissement de capital excédentaire et les
difficultés croissantes dans la réalisation de la plus-value.
Dans une économie essentiellement sous-développée, cette différence
est négligeable. Dans ce cas, le surproduit social ne se
compose pas de biens industriels qui doivent être vendus ; en même
temps la classe dirigeante n'est pas essentiellement branchée
sur les investissements en capitaux productifs. Ce surproduit
social prend essentiellement la forme de rente foncière, revenu
de la bourgeoisie compradore, et profits des trusts étrangers,
dont aucun ne se réinvestit dans le pays. Mettre ces revenus
ensemble, les appeler « surplus » et montrer que la
mobilisation de ce surplus pour des investissements productifs
à travers la planification et l'industrialisation développerait
rapidement l'économie est légitime. C'est pourquoi le concept
de « surplus » est opératoire quand Baran l'applique aux pays
sous-développés.
Mais dans un pays impérialiste industrialisé,
la situation est totalement différente. Le surproduit social
prend essentiellement la forme de biens industriels qui doivent
être vendus pour que la plus-value se réalise effectivement.
Ce processus rencontre des difficultés croissantes. D'une part,
dans les conditions du capitalisme monopolistique il y a de
grandes réserves de capital disponibles - résultat de la réalisation
antérieure de la plus-value - qui ont de plus en plus de
difficultés à se réinvestir de façon profitable, et les
usines correspondant au capital investi travaillent généralement
bien en-dessous du niveau optimum de capacité. Ces problèmes
jumeaux montrent tous deux l'irrationalité du système. Et on
ne peut plus grouper dans une nouvelle catégorie de « surplus
» réalisation de plus-value et investissement d'excédent de
capital.
Ils sont même rendus plus obscurs quand on
passe de l'analyse de la production de valeur et de sa réalisation,
à l'analyse de la demande globale et qu'on ajoute alors
l'importante quantité de pouvoir d'achat d'origine
inflationniste injecté dans le système depuis la deuxième
guerre mondiale. Baran et Sweezy eux-mêmes déclarent qu'il
faut expliquer le boom d'après 1945 aux Etats-Unis par une «
deuxième grande vague d'automobilisation et de suburbanisation,
alimentée par un développement fantastique des hypothèques et
du crédit » (p. 224). Si on ajoute la non moins fantastique
croissance de la dette publique depuis 1940, on obtient
l'image non d'une « augmentation du surplus » mais des
difficultés croissantes de réalisation de la plus-value, ce
qui tôt ou tard fera s'écrouler la pyramide. Sûrement Sweezy
sera d'accord avec nous sur le fait que le pouvoir d'achat, de
type inflationniste, injecté dans le système peut, du point de
vue de la production et de la réalisation de la valeur, entraîner
à long terme l'une de ces deux choses ; ou bien il y aura
redistribution de la plus-value en faveur de certains secteurs
de la classe capitaliste et au désavantage des autres, ou bien
il y aura une augmentation de la plus-value aux dépens des
salaires. Et cette seconde « solution » ne pourrait
qu'exacerber le problème de la réalisation de la plus-value.
Mais là nous arrivons de nouveau aux problèmes
de l'inflation aux Etats-Unis et de sa répercussion sur la
lutte des classes dans le pays et sur le système monétaire
international. Ces
questions nécessitent d'autres explications. H s'agit là
certainement d'un des principaux problèmes posés par le
capitalisme monopolistique, ce dont aussi bien les économistes
bourgeois que les marxistes sont très conscients.
Notes:
1) Oscar Lange. «
Marxian Economics and Modem économic theorv », Review of
economic Studies, juin 1935.
2) Soit dit en passant, dans l'article
ci-dessus nommé Lange élimine complètement la concurrence
inter-capitaliste et fait l'hypothèse que le progrès technique
est Indépendant d'une telle concurrence, Introduisant dès lors
un élément d'évolution. C'est une sérieuse erreur d'interprétation
du marxisme.
3) Dans son plan général pour le Capital,
Marx exclut explicitement les crises de la partie Intitulée «
le capital en général, et les Inclut dans la partie appelée
« les différents capitaux » c'est-à-dire la concurrence.
4) Dans mon « Traité d'économie
marxiste » (vol. II. p. 46-51), j'ai essayé d'offrir
quelques preuves statistiques de cette proposition. Il est clair
que Baran et Sweezy sous-estiment
sérieusement l'importance de la concurrence sous le
capitalisme monopoliste, concurrence à la fols nationale et
internationale. Quand ils citent d’un ton approbateur la liste
de Galbraith des marchandises qui seront, dans la prochaine génération,
achetées chez les mêmes entreprises qu'il y a plusieurs
dizaines d'années, ils doivent laisser de coté des
marchandises aussi Importante que le charbon, les avions, les
ordinateurs les plastiques et autre produits chimiques, les
appareils de télévision, les machines de, bureau, et même l'énergie
électrique de l’acier, pour lesquels l'affirmation est
partiellement ou complètement incorrecte.
5) A un moment de leur raisonnement, Baran et
Sweezy semblent Impliquer, ce qui est vrai dans un sens très
abstrait. que la hausse de la composition organique du capital
est Impossible. Ils écrivent (p. 81) que c'est un « non-sens
» que de s'imaginer que la production capitaliste implique «
la production d'un volume de plus en plus grand de biens de
production dans le seul but de produire un volume encore plus
Important de bien de production dans l'avenir. La consommation
serait en proportion décroissante dans la production et la
croissance du capital existant n'aurait aucune relation avec
l'expansion réelle et potentielle de la consommation ». Deux
mots sont ici sources de confusion : « seul but » et « aucune
relation ».
Il nous semble prouvé que de plus en plus des
biens de production son produits dans le but d'augmenter encore
plus la quantité de biens de production, bien que ceci ne soit
évidemment pas leur seul but. Leur but est aussi de produire à
des coûts Inférieurs des biens de consommation. Et il semble
aussi prouvé que la consommation est en proportion décroissante
dans la production, bien que cela n'implique pas qu'il n'y ait
aucune relation entre le capital existant et la production dernière
de biens de consommation. Les statistiques historiques américaines
montrent que les biens durables sont en proportion croissante
dans la production courante Et nier cette possibilité, c'est
nier non seulement l'augmentation de la composition organique
.du capital dans les conditions du capitalisme monopolistique ;
cela revient à nier une telle augmentation pour le capitalisme
du XIXe siècle aussi bien !
6) Le capital Investi dans le commerce et dans
une série de services aussi bien que dans le transport des
Individus n'entraîne pas la création d'une plus-value
additionnelle par embauche de la force de travail dans les
secteurs productifs de l'économie. Mais pour calculer la somme
totale de plus-value produite, on ne peut simplement additionner
les profits de toutes les firmes. Certains sont clairement, non
le résultat de la distribution mais de la redistribution de la
plus-value, par exemple quand des services sont rendus en échange
de profits d'autres firmes (pour citer seulement un exemple: les
services des firmes de courtages appelées à réinvestir les
nouveaux profits réalisés).
7) cfr. « Economie politique de la
croissance. Paul Baran. 1969.
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