Le débat économique qui s'est déroulé
à Cuba en 1963-1964 englobe une vingtaine d'articles, dont une
demi-douzaine ont été écrits par Che Guevara. Charles Bettelheim et
nous-mêmes avons apporté notre contribution, à la demande des
camarades cubains. Il serait sans aucun doute utile de réunir un jour
l'ensemble de ces articles, et de dresser un bilan à la lumière de la
théorie marxiste et de la pratique économique cubaine. Entre temps, il
est nécessaire de reconnaître que ce débat, encore mal connu en
occident, occupe une place particulière dans l'histoire de la pensée
marxiste, surtout de par les contributions du camarade Guevara.
L'originalité pratique de la Révolution cubaine a largement précédé
son apport original à la théorie marxiste contemporaine. Mais Che
Guevara a exprimé cet apport original non seulement dans le domaine de
la guerre de guérillas, mais également sur le terrain de la théorie
économique.
Quatre
questions cruciales
Le débat économique de 1963-1964 à Cuba se référait à
quatre questions principales, à côté de quelques questions
secondaires. Deux questions sont d'ordre pratique ; elles
touchent des problèmes de politique économique du gouvernement
révolutionnaire: l'organisation des entreprises industrielles;
et l'importance relative des stimulants matériels dans la
construction du socialisme. Les autres questions sont d'ordre théorique:
le rôle exact de la loi de la valeur dans la période de
transition du capitalisme au socialisme; la nature des moyens de
production étatisés dans cette période (production ou non de
marchandises? Représentent-ils une propriété sociale ou
sont-ils seulement en partie socialisés? Etc.)
Les rapports entre les questions pratiques et les questions théoriques
sautent aux yeux. L'unité dialectique entre la théorie et la
pratique, qui doit caractériser toute activité authentiquement
socialiste, révolutionnaire, s'accomplit à un niveau supérieur
dans la période de la transition du capitalisme au socialisme,
dans la période de construction du socialisme. Seule la théorie
marxiste considérée comme un tout peut guider la pratique dans
un terrain encore vierge, qu'aucune action humaine antérieure
n'a encore déffriché; mais ce n'est que l'expérience pratique
qui permet en définitive de choisir entre diverses hypothèses
théoriques qui ne peuvent, par elles-mêmes et indépendamment
de l'épreuve de la pratique, prétendre exprimer une
connaissance acquise.
L'unité de la théorie et de la pratique révolutionnaire se
trouve par conséquent constamment menacée par les risques
parallèles du pragmatisme et du dogmatisme. Une longue série
d'expériences socialistes effectives - du point de vue de la
pratique - seront absolument nécessaires avant que la théorie
puisse codifier de manière définitive les "lois économiques"
de la construction du socialisme. Nous ne pouvons les découvrir,
dans l'état actuel des expériences, qu'au travers de multiples
tentatives et de multiples erreurs, selon la méthode de
l'approximation successive. En conséquence, l'unité entre la
théorie et la pratique dans la période de transition doit nécessairement
inclure un degré déterminé d'autonomie de la théorie, sans
laquelle la pratique elle-même court le risque d'être mal éclairée
et mal guidée, entraînant une multiplication des risques de déviation
et d'erreur. L'un des effets du stalinisme - et non le moindre -
est précisément d'avoir abolit cette autonomie relative, sous
le prétexte de "l'efficacité", d'avoir dégradé la
théorie à un niveau de pragmatisme vulgaire et apologétique,
ce qui s'est traduit en définitive par une énorme perte
d'efficacité pratique.
Les participants au débat économique de 1963-1964 ne furent
pas tous conscients de ces relations dialectiques réciproques
entre la théorie et la pratique révolutionnaire. Mais l'on
peut affirmer sans hésiter qu'ils ont instinctivement cherché
à concilier l'impératif d'autonomie relative de la théorie et
celui de l'efficacité pratique immédiate. C'est cela qui donne
au débat une tonalité de sincérité et de sérieux digne d'éloge,
bien que dans certaines contributions on reconnaît les
balbutiements d'une pensée qui se cherche plus que l'expression
d'une pensée mûrie qui aurait déjà acquit la pleine
conscience de la réalité sociale d'où elle a surgit.
Le débat à Cuba et le débat économique à l'échelle de tout
le "camp socialiste"
Le débat économique de 1963-1964 à Cuba s'insère, d'autre
part, dans un débat beaucoup plus vaste qui se développe
aujourd'hui dans l'ensemble du mouvement ouvrier international
et plus particulièrement dans les pays qui ont abolit le
capitalisme. Ce débat concerne le "modèle économique"
le plus approprié à appliquer dans la construction du
socialisme. De plus, nous sommes face à deux impératifs parallèles
mais qui ne se superposent pas toujours: la volonté de
surmonter le marasme dans lequel s'est embourbé la "théorie
économique du socialisme" à l'époque stalinienne et la nécessité
de surmonter les formes de gestion de l'économie et des méthodes
de planification qui s'étaient transformés en autant de freins
pour la croissance des forces productives (1).
Par de nombreux aspects, le débat économique à Cuba a surgit
spontanément de la réalité cubaine; par d'autres, il semble
avoir été en partie "importé". Dans ce dernier cas,
il reflète moins le résultat d'une analyse minutieuse de la réalité
économique cubaine et des tâches du gouvernement révolutionnaire
que le désir de prendre en compte les résultats du débat
international et de transposer - parfois mécaniquement - sur le
sol cubain ce qui avait été proclamé comme des acquis par les
dirigeants d'URSS ou de certains pays d'Europe orientale. Ceci
s'applique en particulier au problème des "stimulants matériaux".
Le mérite de la contribution de Che Guevara réside dans le
fait d'avoir exprimé clairement la particularité de la révolution
cubaine, sans pour autant jamais tomber dans un pragmatisme
vulgaire. La révolution cubaine se distingue par le fait
qu'elle est parvenue à conquérir et à maintenir l'appui de la
grande majorité des masses populaire envers l'œuvre révolutionnaire.
Ses dirigeants ont choisi l'objectif primordial de conserver, à
toute occasion, ce soutien actif. La ligne de mobilisation des
masses afin de résoudre une série de tâches - rappelons
simplement celles de l'alphabétisation -, la ligne de
faire élire les cadres et jusqu'aux membres du parti par les mêmes
masses; la ligne de l'information constante des masses sur les
problèmes auxquels se confronte la révolution; l'énorme
sensibilité de Fidel Castro et de son équipe pour tout ce qui
préoccupe les masses (2); c'est tout cela qui constitue sans
aucun doute la particularité principale de cette révolution
suite à la destruction de l'ancien régime.
Il n'est pas très difficile de comprendre que cette
particularité résulte des conditions historiques spécifiques
dans lesquelles a triomphé la révolution, de son contexte géographique
exceptionnel et de ses racines socio-économiques propres. Il
n'est pas question ici d'approfondir ces aspects du problème.
Il suffit de retenir le fait et de souligner que les dirigeants
en sont particulièrement conscients.
Il existe cependant une contradiction entre cette "ligne
des masses" et la pratique quotidienne du gouvernement révolutionnaire
cubain. Le domaine de la gestion économique - et plus
clairement encore celui de la gestion de l'industrie - a été
solidement immunisé contre toute intervention directe des
masses. Ce n'est pas par hasard que le débat économique de
1963-1964 a entièrement surgit autour de cette gestion et que
différents camarades, en intervenant dans le débat, ont
indirectement posé le problème des relations entre les
entreprises et le comportement des masses. Le problème des
stimulants matériels et moraux y est directement relié.
L'autonomie financière des entreprises et le problème des
stimulants matériels
L'industrie nationalisée à Cuba était en grande partie
organisée selon le système des trusts (entreprises condolidées)
par branche d'industrie, très comparable au modèle
d'organisation de l'industrie soviétique pendant tout un temps.
Le financement de ces trusts se faisaient par budget, le contrôle
financier se faisant au niveau des ministères (de l'Industrie
et des Finances). La Banque ne jouait qu'un rôle d'intermédiaire
d'importance secondaire.
L'un des objectifs pratiques de la discussion économique de
1963-1964 était ainsi: soit en défense de ce système - ce qui
était le cas du camarade Guevara et de ceux qui appuyaient généralement
ses thèses -, soit dans le postulat de son remplacement par un
système d'autonomie financière des entreprises (qui débouchait
sur le principe de la rentabilité individuelle de ces dernières),
thèse défendue par Carlos Rafael Rodriguez et de nombreux
autres participants au débat.
La position du Che Guevara est apparue assez pragmatique dans ce
cas-ci. Il n'affirmait pas que la gestion centralisée était un
idéal en soi, un modèle à appliquer de toute façon et
toujours. Il a simplement défendu l'idée que l'industrie
cubaine d'alors pouvait être dirigée par cette méthode de la
manière la plus efficace. Les arguments qu'il a donné étaient
essentiellement les suivants: un nombre réduit d'entreprises
(moins que dans la seule ville de Moscou en URSS!); un nombre
plus réduit encore de cadres industriels et financiers; des
moyens de communication assez développés, très supérieurs à
ceux d'autres pays qui ont atteint un niveau de développement
des forces productives comparable à celui de Cuba; la nécessité
d'une économie plus stricte des ressources et du contrôle sur
ces dernières, etc.
La majorité des arguments d'ordre général qui lui furent
opposé n'avaient pas un rapport avec l'état des choses ainsi décrit.
A partir du moment où la décentralisation financière
impliquait l'accroissement du pouvoir des bureaucrates médiocres,
hésitants, incapables et inefficaces, la tendance à la
bureaucratisation augmente et l'efficacité de l'économie
diminue avec l'autonomie financière des entreprises. Du fait
que certains arguments en faveur de l'autonomie financière des
entreprises étaient fondés, on pouvait à partir de là en déduire
encore plus la nécessité d'une certaine décentralisation de
la gestion au moment où l'industrie cubaine atteindrait un
nombre et une complexité des entreprises beaucoup grande. Mais
l'on ne pouvait en déduire la nécessité de cette décentralisation
" hic et nunc".
Mais certains adversaires des thèses de Che Guevara ont lié la
question d'une plus grande efficacité de la gestion décentralisée
(et de l'autonomie financière qui en découlait) à celle des
stimulants matériels. Des entreprises qui sont obligées d'être
rentables sont des entreprises qui doivent soumettre toutes
leurs opérations à un calcul économique très strict, et qui
peuvent pour cela utiliser les stimulants matériels de manière
beaucoup plus ample, en intéressant directement les
travailleurs à l'accroissement de la productivité du travail,
dans l'amélioration de la rentabilité de l'entreprise (par
exemple en économisant sur les matières premières) et dans le
dépassement des objectifs du plan.
Par rapport à cela, la réponse de Che Guevara est
essentiellement pratique. Il ne rejette pas la nécessité d'un
calcul économique strict dans le cadre du plan, ni l'emploi de
stimulants matériels. Mais il subordonne cet emploi à deux
conditions. En premier lieu, il est nécessaire de choisir des
stimulants matériels qui n'affaiblissent pas la cohésion
interne de la classe ouvrière, qui n'entraînent pas de rivalité
entre les travailleurs. Pour cela, il préconise un système de
primes collectives (pour les équipes ou les entreprises, bien
plus qu'un système de primes individuelles). Ensuite, il
s'oppose à toute généralisation abusive des rétributions matérielles
car elles créent des effets désagrégateurs sur la conscience
des masses.
Guevara souhaite éviter que toute la société soit saturée
par un climat d'égoïsme et d'obsession pour l'enrichissement
individuel. Cette préoccupation s'inscrit dans la tradition de
Marx et surtout dans celle de Lénine qui, s'il comprenait que
l'emploi de stimulants matériels est inévitable dans la période
de transition du capitalisme au socialisme, soulignait en même
temps les risques de corruption et de démoralisation qui résultent
fatalement de l'utilisation de ces stimulants, et appelait le
parti et les masses à combattre vigoureusement ce danger.
Nous ignorons quelle solution a été donnée à Cuba au problème
de l'organisation de la gestion des entreprises, et il nous
semble de toute façon qu'on est très loin d'un "modèle
économique" définitif dans ce pays. Nous sommes toujours
partisans d'un système d'auto-gestion démocratiquement
centralisé, où le double péril de bureaucratisation - qui émane
d'une centralisation excessive tout autant que d'une utilisation
excessive des mécanismes du marché - peut être amplement
neutralisé par le transfert de la gestion aux mains des
travailleurs, sur les lieux de production, soumis à une
discipline stricte d'une autorité centrale directement issue
des conseils ouvriers.
Mais si Fidel Castro ne semble pas encore avoir tranché la
question de la gestion des entreprises (3), il s'est prononcé
d'une manière suffisamment claire en ce qui concerne le problème
des relations entre stimulants matériels et stimulants moraux,
en penchant en faveur des thèses du Che. Dans le discours qu'il
a prononcé le 28 septembre 1966, à l'occasion de sixième
anniversaire de la fondation des "Comités de défense de
la Révolution", et dans lequel il a annoncé qu'à partir
de 1970 la majorité du peuple cubain ne payerait plus de
loyers, il a lancé quelques piques contre ceux là qui n'ont
que de "l'argent dans la tête", qui ne comprennent
pas la nécessité de maintenir les masses soudées à la révolution
- un objectif qui doit avoir la priorité sur les considérations
de "calcul économique" -, qui ne comprennent pas la nécessité
primordiale de satisfaire certains besoins fondamentaux des
masses, et qui sous-estiment la valeur des stimulants moraux,
des conquêtes morales de la Révolution cubaine.
"Ces réalisations de la Révolution, ces idées relatives
aux loyers, à la santé, à l'éducation, à tout ce que désire
le peuple - sans avoir besoin d'argent, sans avoir besoin de ces
signes de tête, de ces paquets de billets - tendent à créer
progressivement dans le peuple une conscience sociale plus avancée,
tendent à créer dans le peuple un sentiment différent que
celui de la propriété, une attitude différente face aux biens
matériels, une attitude différente par rapport au travail
humain."
Nous ne sommes pas des utopistes. Nous ne pensons pas qu'il soit
possible de réaliser tout cela dès aujourd'hui. Nous ne
pensons pas que cette conscience puisse se créer en l'espace de
quelques années. Mais nous pensons que cette conscience ne se
créera jamais si nous ne menons pas une lutte incessante dans
cette direction, si nous ne progressons pas constamment dans
cette voie ".
Selon nous, cette position de Che Guevara et de Fidel Castro est
en accord avec la tradition et la théorie marxistes. Ceux qui
posent le postulat absolu du développement premier des forces
productives avant que puisse s'étendre la conscience
socialiste, pêchent par une pensée mécaniste similaire à
celles de ceux qui pensent pouvoir susciter immédiatement par
des moyens purement subjectifs (l'éducation, la propagande,
l'agitation, etc.) une telle conscience. Il y a une interaction
constante entre la création d'une infrastructure matérielle nécessaire
pour l'expansion de la conscience socialiste et le développement
de cette même conscience. C'est une utopie de croire qu'elle
pourrait surgir toute prête au moyen d'un effort de pure volonté
subjective, à partir d'une situation matérielle inadéquate.
Mais il est tout autant utopique de croire que cette conscience
socialiste puisse naître brusquement, comme par enchantement,
du seul fait que son infrastructure matérielle soit créé si
au même moment, le climat social reste dominé par les "
stimulants matériels " (le désir de chaque individu d'améliorer
son sort individuel).
Nature des moyens de production et loi de la valeur dans la société
de transition du capitalisme au socialisme
On peut mieux comprendre maintenant les relations entre ces
problèmes pratiques et les questions théoriques posées dans
le débat de 1963-1964. Selon nous, il est clair que les moyens
de production dans le secteur étatique ne sont pas des
marchandises, car la notion de marchandise implique celle de l'échange,
c'est à dire du changement de propriétaire. Une entreprise
d'Etat ne " vend " pas une machine à une autre
entreprise d'Etat, tout comme un département du trust Ford de
" vend " pas des carrosseries à son département de
montage. La nécessité d'une comptabilité stricte des dépenses,
même sous forme monétaire, n'a rien à voir avec cette
question. On touche ici un aspect fondamental de la théorie
marxiste : pour Marx, la nature marchande des produits du
travail et la forme de valeur d'échange qu'acquiert la logique
de sa circulation ne sont que des formes historiques passagères
- propres à une économie basée sur des producteurs
individuels, séparés les uns des autres - de la comptabilité
économique fondée sur le travail, qui est universel pour toute
société humaine (4).
Mais la pression en faveur d'une plus grande autonomie des
entreprises peut bien entendu trouver son expression idéologique
dans la thèse selon laquelle, à l'époque de la transition du
capitalisme au socialisme, les moyens de production continuent
à être des marchandises. De la même manière, la lutte pour
l'autonomie financière des entreprises peut également
s'exprimer idéologiquement par la thèse selon laquelle la
circulation des moyens de production à l'intérieur du secteur
d'Etat constitue une série d'opération d'échange dans le sens
réel du terme. Dans les deux cas, la volonté des directions
des entreprises de disposer librement de ces moyens de
production, de pouvoir en vendre ou acheter librement une partie
sur le marché, n'est pas étrangère à ce débat théorique,
en apparence byzantin.
Quant au rôle de la loi de la valeur dans la période de
transition du capitalisme au socialisme, le commandant Mora a défendu
l'idée selon laquelle, au cours de phase de développement
historique, la loi de la valeur continue à réguler la
production, bien qu'elle ne soit plus la seule à le faire. Son
action régulatrice opérerait ensemble avec celle du Plan et
par son intermédiaire. De plus, il a déduit de cette thèse
que la loi de la valeur " opère " dans les relations
entre entreprises étatiques.
A cela, Ernesto Che Guevara a répondu que, dans la période de
transition du capitalisme au socialisme, si les catégories
marchandes survivent dans la mesure où le développement
insuffisant des forces productives ne permet pas encore de
satisfaire les besoins fondamentaux des producteurs, cette
survivance n'implique pas que ce soit la loi de la valeur qui régule
la production. Elle est au contraire elle-même régulée par le
Plan, qui peut et doit utiliser le calcul en valeur, mais dont
la logique est en contradiction fonctionnelle avec la loi de la
valeur. Nous croyons que cette vision est en accord avec la théorie
marxiste, et nous avons exprimé un point de vue analogue dans
notre contribution au débat économique de 1963-1964 à Cuba.
Il existe ici aussi un évident entre le débat théorique et
les divergences sur la planification économique à Cuba. Ceux
qui confondent la survivance des catégories marchandes avec le
rôle régulateur de la loi de la valeur doivent nécessairement
attribuer un rôle majeur aux mécanismes du marché dans le
cadre de l'économie planifiée, non seulement dans ce qui
touche aux moyens de consommation - et cela se justifie
amplement à nos yeux - mais également, et surtout, en ce qui
concerne les moyens de production industriels. De là, d'autre
part, l'insistance avec laquelle il tentent d'introduire la loi
de la valeur dans les relations entre les entreprises étatiques.
Ce schéma entraîne de manière évidente la nécessité de
l'autonomie des entreprises en matière d'investissements,
confirmant ainsi à sa façon l'existence d'un antagonisme
historique entre les impératifs d'une planification réelle et
les impératifs d'une économie de marché (même si elle est
qualifiée de socialiste).
Ceux qui rejettent que la " loi de la valeur "
continue, directement ou indirectement, à réguler la
production dans la période de transition du capitalisme au
socialisme, ne nient d'aucune façon que les catégories
marchandes survivent inévitablement à cette époque. Ils ne
nient pas non plus que dans de nombreux domaines, les
planificateurs peuvent abandonner tranquillement aux mécanismes
de marché certains ajustements entre l'offre et la demande.
Mais ils comprennent le caractère fondamentalement
contradictoire entre le marché et le plan et accordent ainsi
une place prépondérante à l'établissement de prix
administrativement déterminés dans de nombreux domaines, que
ce soit pour assurer le développement de certains services
sociaux, ou que ce soit pour assurer certains impératifs du développement
national. C'est pour cela qu'ils soulignent que la loi de la
valeur est plus limitée que dans le mode de production
capitaliste, et que certains secteurs - et tout particulièrement
la circulation des moyens de production au sein du secteur
d'Etat - peuvent y échapper (5).
Les motivations politiques qui ont inspiré les options de
Guevara et de Fidel Castro sur ces questions sont évidentes :
avant tout la volonté d'éviter une démoralisation des masses
populaires cubaines, mais aussi une déception quant à l'œuvre
de revalorisation morale que la révolution a représenté à
leurs yeux. Mais quels que soient les mobiles, la discussion économique
de 1963-1964 à Cuba et ses prolongements actuels, s'inscrivent
pleinement dans le long processus au cours duquel l'humanité,
grâce à la construction du socialisme à l'échelle
internationale, découvrira les lois économiques qui président
l'expansion de la société sans classe.
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