Quantité
de travail socialement nécessaire et besoins sociaux
Trois
auteurs suédois ont affirmé que la double détermination de la
valeur continue dans cet ouvrage - la quantité du travail
socialement nécessaire déterminée par la productivité
moyenne du travail d'un secteur productif, et par les besoins
sociaux solvables à satisfaire par cette marchandise particulière
- résulterait d'une confusion de notre part. Seule la première
détermination serait valable. La seconde déterminerait
simplement des écarts des prix par rapport aux valeurs des
marchandises (Peter Dencik, Lars Herlitz, B.-A. Lundvall :
Marxismens politiske ekonomi - en introduktion, Zenitserien 6,
1969, p. 25).
Ces
critiques se trompent. Dans le chapitre 10 du tome 3 du Capital
Marx explique comment les deux déterminations de la « quantité
de travail socialement nécessaire » doivent être combinées.
La nécessité de cette combinaison provient du fait que la
valeur est une catégorie sociale. La formule « quantité de
travail socialement nécessaire » renvoie à une question : «
socialement nécessaire pour quoi faire? ». Evidemment pour
satisfaire un besoin solvable. Sans rapport avec ce besoin a
satisfaire, la notion de « productivité moyenne d'une branche
industrielle », de même que celle de « capacité de
production existante » est une notion vide de sens dans un régime
fondé sur la
production généralisée de marchandises, où les propriétaires
de celles-ci ne peuvent réaliser la plus-value et accumuler du
capital que s'ils vendent les marchandises produites.
De
ce point de vue, la « productivité moyenne » n'est ni une
donnée purement technique, ni une moyenne mathématique de la
capa- cité de production des entreprises divisée par le nombre
total de producteurs employés. Elle fluctue d'après les
rapports entre la production effective et la vente. Si les deux
tiers des mines de charbon
d’un pays connaissent la mévente, ne travaillent qu'à 50%
de leur capacité ou arrêtent même la production, la «
productivité moyenne de l'industrie charbonnière » sera fort
différente de ce qu'elle est lorsque tous les charbonnages
travaillent à plein rendement, même si entre temps aucune
modification technique n'est intervenue dans le travail de
cette industrie.
Marx
distingue trois cas : le cas où la valeur d'une marchandise est
déterminée par les entreprises travaillant à la moyenne
technique de productivité du secteur (équilibre structural
de l'offre et de la demande) ; celui où la valeur de cette marchandise
est déterminée par les entreprises travaillant à un niveau
de productivité au-dessus de la moyenne du secteur (offre dépassant
structurellement la demande) ; et celui où la valeur de la
marchandise est déterminée par les entreprises travaillant à
un niveau de productivité en dessous de la moyenne (demande dépassant
structurellement l'offre) (Karl Marx : Das Kapital, tome 3,
Marx-Engels, Werke, tome 25, Dietz-Verlag, Berlin, 1969, pp.
190-194). Dans le premier et dans le troisième cas, les
entreprises travaillant dans de meilleures conditions de
productivité toucheront un surprofit.
C'est
pourquoi Marx distingue la catégorie « valeur individuelle »
des marchandises de la catégorie « valeur de marché »
(Marktwert). Pour ne pas trop compliquer l'exposé contenu dans
cette brochure, qui n'est qu'une initiation a la théorie économique
marxiste, nous avons préféré ne pas utiliser le terme «
valeur de marché », tout en reproduisant aussi clairement que
possible le raisonnement de Marx.
La
masse totale de travail humain vivant, abstrait, simple à
intensité moyenne, dépensée au cours du processus de
production. Elle ne peut être ni accrue ni réduite par tout ce
qui se passe sur le marché, au cours du processus de circulation
des marchandises. Mais cette règle n'est valable que pour la
société dans son ensemble. Elle n'est pas valable pour chaque
secteur productif, ni a fortiori pour chaque entreprise. La
valeur de marché peut s'écarter de la « valeur individuelle
», de la masse de travail abstrait effectivement contenue
dans chaque marchandise (redistribution de la masse de la
valeur et de la plus-value à l'intérieur d'un secteur). Les
prix de production peuvent s'écarter de cette valeur de marché
(redistribution de la valeur et de la plus-value entre plusieurs
secteurs).
Les
besoins sociaux jouent un rôle important dans ces mécanismes
de redistribution de la valeur et de la plus-value. Une des
fonctions essentielles de la « loi de la valeur » consiste précisément
à rétablir à moyen terme un équilibre entre la distribution
des ressources matérielles de la société et la manière dont
elle divise sa demande solvable (dont elle hiérarchise et
quantifie ses besoins, dans les conditions de distribution
antagonistes propres à la société capitaliste), équilibre
qu'une production généralisée de marchandises ne peut
jamais réaliser a
priori, ni
directement.
E.
M.
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