Le
capital dans la société précapitaliste
Entre
la société primitive qui est encore fondée sur une économie
naturelle, dans laquelle on ne produit que des valeurs d'usage
destinées à être consommées par les producteurs eux-mêmes,
et la société capitaliste, s'intercale une période de
l'histoire de l'humanité qui recouvre, au fond, toutes les
civilisations humaines qui se sont arrêtées au bord du
capitalisme. Le marxisme la définit comme la société de la petite
production marchande. C'est donc une société qui connaît
déjà la production de marchandises, de biens destinés non pas
à la consommation directe des producteurs mais destinés à
être échangés sur le marché, mais dans laquelle cette
production marchande ne s'est pas encore généralisée comme
dans la société capitaliste.
Dans
une société fondée sur la petite production marchande, il y a
deux sortes d'opérations économiques qui s'effectuent. Les
paysans et les artisans qui vont au marché avec les produits de
leur travail veulent vendre ces marchandises, dont ils ne
peuvent pas directement utiliser la valeur d'usage, afin
d'obtenir de l'argent, des moyens d'échange pour acquérir
d'autres marchandises dont la valeur d'usage leur fait défaut
ou est pour eux plus importante que la valeur d'usage des
marchandises dont ils sont propriétaires.
Le
paysan se rend au marché avec du blé, il vend du blé pour de
l'argent et avec cet argent il achète par exemple du drap.
L'artisan vient au marché avec du drap, il vend son drap pour
de l'argent, et avec cet argent il achète par exemple du blé.
Il
s'agit donc de l'opération : vendre pour acheter, Marchandise
- Argent - Marchandise, M - A - M, qui se caractérise par un
fait essentiel : dans cette formule, la valeur des deux extrêmes
est, par définition, exactement la même.
Mais
dans la petite production marchande apparaît, à côté de
l'artisan, un autre personnage qui effectue une opération économique
différente. Au lieu de vendre pour acheter, il va acheter
pour vendre. C'est un homme qui se rend au marché sans
avoir en main une marchandise, c'est un propriétaire d'argent.
L'argent vous ne pouvez pas le vendre; mais vous pouvez
l'utiliser pour acheter, et c'est ce qu'il fait : acheter
pour vendre, afin de revendre : A - M - A'.
Il
y a une différence fondamentale entre cette deuxième opération
et la première. C'est que cette deuxième opération n'a pas de
sens si au bout de l'opération, nous sommes devant exactement
la même valeur qu'au début. Personne n'achète une marchandise
pour la revendre exactement au même prix auquel il l'avait
achetée. L'opération : « acheter pour vendre » n'a de sens
que si la vente procure un supplément de valeur, une
plus-value. C'est pourquoi nous disons donc ici que par définition
A' est plus grand que A et qu'il est composé de A + a, a étant
la plus-value, l'accroissement de valeur de A.
Nous
définirons maintenant le capital comme une valeur qui
s'accroît d'une plus-value, que cela se passe au cours de
la circulation des marchandises comme dans l'exemple que nous
venons de choisir, ou que cela se passe dans la production,
comme c'est le cas dans le régime capitaliste. Le capital est
donc toute valeur qui s'accroît d'une plus-value, et ce capital
n'existe pas seulement dans la société capitaliste, il existe
aussi dans la société fondée sur la petite production marchande.
Il faut donc distinguer très nettement l'existence du capital
et l'existence du mode de production capitaliste, de
la société capitaliste. Le capital est beaucoup plus ancien
que le mode de production capitaliste. Le capital existe vraisemblablement
depuis près de 3 000 ans, tandis que le mode de production
capitaliste n'a qu'à peine 200 ans.
Quelle
est la forme du capital dans la société précapitaliste ?
C'est essentiellement un capital usurier et un capital marchand
ou commercial. Le passage de la société précapitaliste à la
société capitaliste, c'est la pénétration du capital dans la
sphère de la production. Le mode de production capitaliste est
le premier mode de production, la première forme d'organisation
sociale, dans lesquels le capital ne joue plus seulement le rôle
d'intermédiaire et d'exploiteur de formes de production non
capitalistes, qui restent fondées sur la petite production
marchande, mais dans lesquels le capital s'est approprié les
moyens de production et a pénétré dans la production
proprement dite.
Les
origines du mode de production capitaliste
Quelles
sont les origines du mode de production capitaliste ? Quelles
sont les origines de la société capitaliste telle qu'elle se développe
depuis 200 ans ?
C'est
d'abord la séparation des producteurs d'avec leurs moyens de
production. C'est ensuite la constitution de ces moyens de
production comme monopole entre les mains d'une seule classe
sociale, la classe bourgeoise. Et c'est enfin l'apparition d'une
autre classe sociale qui, elle, étant séparée de ses moyens
de production, n'a plus d'autres ressources pour subsister que
la vente de sa force de travail à la classe qui a monopolisé
les moyens de production.
Reprenons
chacune de ces origines du mode de production capitaliste, qui
sont en même temps les caractéristiques fondamentales du régime
capitaliste lui-même.
Première
caractéristique : séparation du producteur d'avec ses
moyens de production. C'est la condition d'existence
fondamentale du régime capitaliste, celle qui est la moins bien
comprise. Prenons un exemple qui peut paraître paradoxal, celui
de la société du haut moyen âge, caractérisée par le
servage.
Nous
savons que la masse des producteurs-paysans y sont des serfs
attachés à la glèbe. Mais quand on dit que le serf est attaché
à la glèbe, on implique que la glèbe est aussi attachée au
serf, on est en présence d'une classe sociale qui a toujours
une base pour subvenir à ses besoins, car le serf disposait
d'une étendue de terre suffisante pour que le travail de deux
bras, même avec les instruments les plus rudimentaires, puisse
subvenir aux besoins d'un ménage. On n'est pas en présence
de gens condamnés à mourir de faim s'ils ne vendent pas leur
force de travail. Dans une telle société, il n'y a donc pas
d'obligation économique d'aller louer ses bras, d'aller
vendre sa force de travail à un capitaliste.
En
d'autres termes : dans une société de ce genre, le régime
capitaliste ne peut pas se développer. Il y a d'ailleurs une
application moderne de cette vérité générale, à savoir la
manière dont les colonialistes ont introduit le capitalisme
dans les pays d'Afrique au XIXe et au début du XXe
siècle.
Quelles
étaient les conditions d'existence des habitants de tous les
pays africains ? Ils pratiquaient l'élevage, la culture du
sol, rudimentaire ou non selon la région, mais caractérisée
de toute manière par une abondance relative de terres. Il n'y
avait pas de pénurie de terres en Afrique ; il y avait au
contraire une population qui, par rapport à l'étendue de
terre, disposait de réserves pratiquement illimitées. Bien sûr,
sur ces terres, avec des moyens d'agriculture très primitifs,
la récolte est médiocre, le niveau de vie est extrêmement
bas, etc. Néanmoins, il n'y a pas de force matérielle qui
pousse cette population à aller travailler dans les mines, sur
des fermes ou dans des usines d'un colon blanc. En d'autres
termes : si on ne changeait pas le régime foncier en Afrique
Equatoriale, en Afrique Noire, il n'y avait pas de possibilités
d'y introduire le mode de production capitaliste. Pour pouvoir
introduire ce mode de production, on a dû, par une contrainte
extra-économique, couper radicalement et brutalement la masse
de la population noire de ses moyens de subsistance normaux.
C'est-à-dire on a dû transformer une grande partie des
terres du jour au lendemain en terres domaniales, propriété de
l'Etat colonisateur, ou en propriété privée de sociétés
capitalistes. On a dû parquer la population noire dans des
domaines, dans des réserves comme on les a appelées
cyniquement, sur une étendue de terre qui était insuffisante
pour nourrir tous ses habitants. Et on a encore dû imposer
une capitation, c'est-à-dire un impôt en argent par tête
d'habitant, alors que l'agriculture primitive ne débouchait
pas sur des revenus monétaires.
Par
ces différentes pressions extra-économiques, on a donc créé
une obligation pour l'Africain d'aller travailler comme salarié,
ne fût-ce que deux, trois mois par an, pour toucher en échange
de ce travail de quoi payer l'impôt et de quoi acheter le petit
supplément de nourriture sans lequel la subsistance n'était
plus possible, étant donné l'insuffisance des terres qui
resteront à sa disposition.
Dans
des pays comme l'Afrique du Sud, comme les Rodhésies, comme en
partie le Congo ex-belge, où le mode de production capitaliste
a été introduit sur l'échelle la plus large, ces méthodes
ont été appliquées sur la même échelle et on a déraciné,
expulsé, poussé hors de leur mode de travail et de vie
traditionnels une grande partie de la population noire.
Mentionnons
en passant l'hypocrisie idéologique qui a accompagné ce
mouvement, les plaintes des sociétés capitalistes et des
administrateurs blancs selon lesquels les Noirs seraient des fainéants,
puisqu'ils ne voulaient pas travailler, même lorsqu'on leur
donnait la possibilité de gagner 10 fois plus dans la mine ou
dans l'usine qu'ils ne gagnaient traditionnellement sur leurs
terres. Ces mêmes plaintes on les avait entendues à l'égard
des ouvriers indiens, chinois ou arabes 50 ou 70 ans plus tôt.
On les a aussi entendues, - ce qui prouve bien l'égalité
fondamentale de toutes les races humaines - par rapport aux
ouvriers européens, français, belges, anglais, allemands, au
XVIIe ou au XVIIIe siècle. Il s'agit simplement
de cette constante que voici : normalement de par sa
constitution physique et nerveuse, aucun homme n'aime être
enfermé 8, 9, 10 ou 12 heures par jour dans une usine, dans une
manufacture ou une mine ; il faut vraiment une force, une
pression tout à fait anormales et exceptionnelles pour
prendre un homme qui n'est pas habitué à ce travail de forçat
et pour l'obliger à l'effectuer.
Deuxième
origine, deuxième caractéristique, du mode de production
capitaliste : la concentration des moyens de production sous
forme de monopole entre les mains d'une seule classe sociale, la
classe bourgeoise. Cette concentration est pratiquement
impossible s'il n'y a pas une révolution constante des moyens
de production, si ceux-ci ne deviennent pas de plus en plus complexes
et de plus en plus chers, du moins quand il s'agit des moyens de
production minimum pour pouvoir commencer une grande entreprise
(frais de premier établissement).
Dans
les corporations et les métiers du moyen âge, il y avait une
grande stabilité des moyens de production ; les métiers à
tisser étaient transmis de père en fils, de génération en génération.
La valeur de ces métiers à tisser était relativement réduite,
c'est-à-dire tout compagnon pouvait espérer acquérir la
contre-valeur de ces métiers, après un certain nombre d'années
de travail. La possibilité de constituer un monopole s'est présentée
avec la révolution industrielle, qui a déclenché un développement
ininterrompu, de plus en plus complexe, du machinisme, ce qui
implique qu'il fallait des capitaux de plus en plus importants
pour pouvoir commencer une nouvelle entreprise.
A
partir de ce moment-là, on peut dire que l'accès à la propriété
des moyens de production devient impossible à l'immense majorité
des salariés et des appointés, et que la propriété des
moyens de production est devenue un monopole entre les mains
d'une classe sociale, celle qui dispose des capitaux, des réserves
de capitaux et qui peut accumuler de nouveaux capitaux pour la
seule raison qu'elle en possède déjà. La classe qui ne possède
pas de capitaux est-elle condamnée de ce fait même à rester
toujours dans ce même état de dénuement, dans la même
obligation de travailler pour le compte d'autrui ?
Troisième
origine, troisième caractéristique du capitalisme :
l'apparition d'une classe sociale qui, n'ayant pas d'autres
biens que ses propres bras, n'a pas d'autres moyens de subvenir
à ses besoins que la vente de sa force de travail, mais qui est
en même temps libre de la vendre et qui la vend donc aux
capitalistes propriétaires des moyens de production. C'est
l'apparition du prolétariat moderne.
Nous
avons ici trois éléments qui se combinent. Le prolétariat,
c'est le travailleur libre ; c'est à la fois un pas en avant et
un pas en arrière par rapport aux serfs du moyen âge : un
pas en avant, parce que le serf n'était pas libre (le serf
lui-même était un pas en avant par rapport à l'esclave), ne
pouvait pas se déplacer librement ; un pas en arrière, parce
que contrairement au serf, le prolétaire est également «
libre », c'est-à-dire privé de tout accès aux moyens de
production.
Origines
et définition du prolétariat moderne
Parmi
les ancêtres directs du prolétariat moderne, il faut
mentionner la population déracinée du moyen âge, c'est-à-dire
la population qui n'était plus attachée à la glèbe, ni
incorporée dans les métiers, les corporations et les guildes
des communes, qui était donc une population errante, sans
racines, et qui commençait à louer ses bras à la journée ou
même à l'heure. Il y a eu pas mal de villes du moyen âge,
notamment Florence, Venise et Bruges, où un « marché du travail
» apparaît à partir du XIIIe, XIVe ou
XVe siècle, c'est-à-dire qu'il y a un coin de la
ville où tous les matins se rassemblent les gens pauvres qui ne
font pas partie d'un métier, qui ne sont pas compagnons
d'artisan, et qui n'ont pas de moyens de subsistance, et qui
attendent que quelques marchands ou entrepreneurs, louent
leurs services pour une heure, pour une demi-journée, pour une
journée, etc.
Une
autre origine du prolétariat moderne, plus proche de nous,
c'est ce qu'on a appelé la dissolution des suites féodales,
donc la longue et lente décadence de la noblesse féodale qui
commence à partir du XIIIe, XIVe siècle
et qui se termine lors de la révolution bourgeoise, en France
vers la fin du XVIIIe siècle. Pendant le haut moyen
âge, il y a quelquefois 50, 60, 100 ménages ou plus qui vivent
directement du seigneur féodal. Le nombre de ces serviteurs
individuels commence à se réduire, notamment au cours du XVIe
siècle, qui est marqué par une très forte hausse des prix, et
donc un très fort appauvrissement de toutes les classes
sociales qui ont des revenus monétaires fixes, donc également
la noblesse féodale en Europe occidentale qui avait en général
converti la rente en nature en rente en argent. Un des résultats
de cet appauvrissement, ce fut le licenciement massif d'une
grande partie des suites féodales. Il y eut ainsi des
milliers d'anciens valets, d'anciens serviteurs, d'anciens
clercs de nobles, qui erraient le long des chemins, qui
devenaient mendiants, etc.
Une
troisième origine du prolétariat moderne, c'est l'expulsion de
leurs terres d'une partie des anciens paysans, par suite de la
transformation des terres labourables en prairies. Le grand
socialiste utopique anglais Thomas More a eu, dès le XVIe
siècle, cette formule magnifique : « Les moutons ont mangé
les hommes » ; c'est-à-dire que la transformation des champs
en prairies pour l'élevage des moutons, liée au développement
de l'industrie lainière, a chassé de leurs terres et condamné
à la famine des milliers et des milliers de paysans anglais.
Il
y a encore une quatrième origine du prolétariat moderne, qui
a joué un peu moins en Europe occidentale mais qui a joué un rôle
énorme en Europe centrale et orientale, en Asie, en Amérique
latine et en Afrique du Nord : c'est la destruction des
anciens artisans dans la lutte de concurrence entre cet
artisanat et l'industrie moderne se frayant un chemin de l'extérieur
vers ces pays sous-développés.
Résumons
: le mode de production capitaliste est un régime dans lequel
les moyens de production sont devenus un monopole entre les
mains d'une classe sociale, dans lequel les producteurs séparés
de ces moyens de production sont libres mais démunis de tout
moyen de subsistance, et donc obligés de vendre leur force de
travail aux propriétaires des moyens de production pour pouvoir
subsister.
Ce
qui caractérise le prolétaire, ce n'est donc pas tellement le
niveau bas ou élevé de son salaire, mais plutôt le fait qu'il
est coupé de ses moyens de production, ou qu'il ne dispose pas
de revenus suffisants pour travailler à son propre compte.
Pour
savoir si la condition prolétarienne est en voie de
disparition, ou si elle est au contraire en voie d'expansion, ce
n'est pas tellement le salaire moyen de l'ouvrier ou le
traitement moyen de l'employé qu'il faut examiner, mais bien la
comparaison entre ce salaire et sa consommation moyenne, en
d'autres termes ses possibilités d'épargne comparées aux
frais de premier établissement d'une entreprise indépendante.
Si l'on constate que chaque ouvrier, chaque employé, après dix
ans de travail, a mis de côté un magot disons de 10 millions,
de 20 millions ou 30 millions, ce qui lui permettrait
d'acheter un magasin ou un petit atelier, alors on pourrait dire
que la condition prolétarienne est en régression, et que nous
vivons dans une société dans laquelle la propriété des
moyens de production est en train de s'étendre et de se généraliser.
Si
au contraire, on constate que l'immense majorité des
travailleurs, ouvriers, employés et fonctionnaires, après une
vie de labeur, restent Gros-Jean comme devant, c'est-à-dire
pratiquement sans économies, sans capitaux suffisants pour
acquérir des moyens de production, on pourrait conclure que la
condition prolétarienne, loin de se résorber, s'est au
contraire généralisée, et qu'elle est aujourd'hui beaucoup
plus étendue qu'il y a 50 ans. Quand on prend par exemple les
statistiques de la structure sociale des Etats-Unis, on constate
que depuis 60 ans, tous les 5 ans, sans une seule interruption,
le pourcentage de la population active américaine qui
travaille pour son propre compte, qui est classé comme entrepreneur
ou comme aide familiale d'entrepreneur diminue, alors que de 5
ans en 5 ans, le pourcentage de cette même population, qui
est obligé de vendre sa force de travail augmente régulièrement.
Si
on examine par ailleurs les statistiques sur la répartition de
la fortune privée, on constate que l'immense majorité des
ouvriers, on peut dire 95 %, et la très grande majorité des
employés (80 ou 85 %) ne réussissent pas à constituer même
de petites fortunes, un petit capital, c'est-à-dire qu'ils dépensent
tous leurs revenus, et que les fortunes se cantonnent en réalité
dans une toute petite fraction de la population. Dans la plupart
des pays capitalistes, 1 %, 2 %, 2,5 %, 3,5 %, ou 5 % de la
population possèdent 40, 50, 60 % de la fortune privée du
pays, le reste étant entre les mains de 20 ou 25 % de cette même
population. La première catégorie de possédants, c'est la
grande bourgeoisie ; la deuxième catégorie, c'est la
bourgeoisie moyenne et petite. Et tous ceux qui sont en dehors
de ces catégories-là ne possèdent pratiquement rien que des
biens de consommation (y compris quelquefois un logement).
Quand
elles sont faites honnêtement, les statistiques sur les
droits de succession, sur les impôts sur les héritages, sont
très révélatrices à ce sujet.
Une
étude précise faite pour la Bourse de New York, par la
Brookings Institution (une source au-delà de tout soupçon de
marxisme) révèle qu'il n'y a aux Etats-Unis que 1 ou 2 % des
ouvriers qui possèdent des actions, et encore que cette «
propriété » s'élève en moyenne à 1 000 dollars, c'est-à-dire
à 5 000 nouveaux francs.
La
quasi-totalité du capital est donc entre les mains de la
bourgeoisie et ceci nous dévoile le système
d'auto-reproduction du régime capitaliste : ceux qui détiennent
des capitaux peuvent en accumuler de plus en plus ; ceux qui
n'en détiennent pas ne peuvent guère en acquérir. Ainsi se
perpétue la division de la société en une classe possédante
et une classe obligée de vendre sa force de travail. Le prix de
cette force de travail, le salaire, est pratiquement en entier
consommé, tandis que la classe possédante a un capital qui
s'accroît constamment d'une plus-value. L'enrichissement de la
société en capitaux s'effectue pour ainsi dire au profit
exclusif d'une seule classe de la société, à savoir la classe
capitaliste.
Mécanisme
fondamental de l'économie capitaliste
Quel
est maintenant le fonctionnement fondamental de cette société
capitaliste ?
Si
vous arrivez un certain jour à la Bourse du coton imprimé,
vous ne savez pas s'il y a exactement assez, s'il y a trop peu
ou s'il y a trop de coton imprimé par rapport aux besoins qui
existent à ce moment-là en France. Vous ne constaterez la
chose qu'après un certain temps : c'est-à-dire quand il y a
surproduction, qu'une partie de la production est restée
invendable, vous verrez les prix baisser, et quand il y a au
contraire pénurie, vous verrez les prix monter. Le mouvement
des prix est le thermomètre qui nous indique qu'il y a pénurie
ou pléthore. Et comme c'est seulement après coup qu'on
constate si toute la quantité de travail dépensée dans une
branche industrielle a été dépensée de manière
socialement nécessaire ou si elle a en partie été gaspillée,
c'est seulement après coup qu'on peut déterminer la valeur
exacte d'une marchandise. Cette valeur est donc, si vous voulez,
une notion abstraite, une constante autour de laquelle fluctuent
les prix.
Qu'est-ce
qui fait bouger ces prix et donc, à plus long terme, ces
valeurs, cette productivité du travail, cette production et
cette vie économique dans son ensemble ?
Qu'est-ce
qui fait courir Sammy ? Qu'est-ce qui fait bouger la société
capitaliste ? La concurrence. Sans concurrence, il n'y a pas de
société capitaliste. Une société dans laquelle la
concurrence est totalement, radicalement et entièrement éliminée,
c'est une société qui ne serait plus capitaliste dans la
mesure où il n'y aurait plus le mobile économique majeur
pour accumuler du capital, et donc pour effectuer les 9/10 des
opérations économiques qu'effectuent les capitalistes.
Et
qu'est-ce qui est à la base de la concurrence ? A la base de
la concurrence, il y a deux notions qui ne se recouvrent pas nécessairement.
Il y a d'abord la notion de marché illimité, de marché non
circonscrit, non exactement découpé.
Il
y a ensuite la notion de multiplicité des centres de décision,
surtout en matière d'investissement et de production.
S'il
y a une concentration totale de toute la production d'un
secteur industriel entre les mains d'une seule firme
capitaliste, il n'y a pas encore élimination de la concurrence,
car un marché illimité subsiste toujours et il y aura donc
toujours lutte de concurrence entre ce secteur industriel et
d'autres secteurs pour accaparer une partie plus ou moins grande
du marché. Il y a aussi toujours la possibilité de voir réapparaître
dans ce secteur même, un nouveau concurrent s'y introduisant de
l'extérieur.
L'inverse
est aussi vrai. Si on pouvait concevoir un marché qui serait
totalement et complètement limité, mais qu'en même temps un
grand nombre d'entreprises serait en lice pour accaparer une
partie de ce marché limité, la concurrence subsisterait évidemment.
Ce
n'est donc que si les deux phénomènes sont supprimés simultanément,
c'est-à-dire s'il n'y a plus qu'un seul producteur pour toutes
les marchandises et si le marché devient absolument stable,
figé et sans capacité d'expansion, que la concurrence peut
totalement disparaître.
L'apparition
du marché illimité prend toute sa signification par la
comparaison avec l'époque de la petite production marchande.
Une corporation du moyen âge travaillait pour un marché limité,
en général, à la ville et à ses environs immédiats, et
d'après une technique de travail qui était figée et bien déterminée.
Le
passage historique du marché limité au marché illimité est
illustré par l'exemple de la « nouvelle draperie » à la
campagne, qui au XVe siècle, se substitue à l'ancienne
draperie en ville. Il y a maintenant des manufactures de drap,
sans règles corporatives, sans limitation de production, donc
sans limitation de débouchés, qui essaient de s'infiltrer, de
chercher des clients partout, et non plus seulement dans les
environs immédiats de leurs centres de production, mais qui
essaient d'organiser l'exportation jusque vers des pays très
lointains. Par ailleurs, la grande révolution commerciale du
XVIe siècle provoque une réduction relative des prix de toute
une série de produits qui étaient considérés produits de
grand luxe au Moyen Age, et qui ne pouvaient être achetés que
par une petite partie de la population. Ces produits
deviennent maintenant brusquement des produits beaucoup moins
chers, sinon même des produits à la disposition d'une partie
importante de la population. L'exemple le plus frappant est
celui du sucre, qui est aujourd'hui un produit banal, dont ne se
prive sans doute pas un seul ménage ouvrier en France ou en
Europe, mais qui au XVe siècle, était encore un produit de très
grand luxe.
Les
apologistes du capitalisme ont toujours cité comme bienfait
produit par ce système la réduction des prix et l'élargissement
du marché, pour toute une série de produits. C'est un argument
juste. C'est un des aspects de ce que Marx appelle « la mission
civilisatrice du Capital ». Bien sûr, il s'agit d'un phénomène
dialectique mais réel, qui fait que si la valeur de la force de
travail a tendance à baisser parce que l'industrie
capitaliste produit de plus en plus rapidement les marchandises
qui sont l'équivalent du salaire, elle a par contre aussi
tendance à augmenter, parce que cette valeur embrasse
progressivement la valeur de toute une série de marchandises
qui sont devenues des marchandises de large consommation de
masse, alors qu'elles étaient jadis des marchandises de
consommation d'une toute petite partie de la population.
Au
fond, toute l'histoire du commerce entre le XVIe et le XXe siècle,
c'est l'histoire de la transformation progressive du commerce
de luxe en commerce de niasse, en commerce de biens pour une
partie de plus en plus large de la population. Ce n'est qu'avec
le développement des chemins de fer, des moyens de navigation
rapide, des télégraphes, etc., que l'ensemble du monde a pu
être rassemblé dans un véritable marché potentiel pour
chaque grand producteur capitaliste.
La
notion de marché illimité n'implique donc pas seulement
l'expansion géographique, mais encore l'expansion économique,
le pouvoir d'achat disponible. Pour prendre un exemple récent :
l'essor formidable de la production des biens de consommation
durables dans la production capitaliste mondiale pendant les
quinze dernières années, ne s'est pas du tout réalisé grâce
à une expansion géographique du marché capitaliste ; au
contraire, il a été accompagné d'une réduction géographique
du marché capitaliste, puisque toute une série de pays lui ont
échappé pendant cette période. Il y a très peu, sinon pas,
de voitures françaises, italiennes, allemandes, britanniques,
japonaises, américaines qui sont exportées vers l'Union Soviétique,
vers la Chine, vers le Nord-Vietnam, vers Cuba, vers la Corée
du Nord, vers les pays de l'Europe Orientale. Néanmoins, cette
expansion s'est tout de même réalisée parce qu'une fraction
beaucoup plus grande du pouvoir d'achat disponible, d'ailleurs
lui-même accru, a été utilisée pour l'achat de ces biens de
consommation durable. Ce n'est pas par hasard que cette
expansion a été accompagnée d'une crise agricole plus ou
moins permanente dans les pays capitalistes industriellement
avancés, où la consommation de toute une série de produits
agricoles non seulement n'augmente plus relativement, mais où
elle commence même à diminuer de manière absolue ; par
exemple la consommation du pain, des pommes de terre, de fruits
comme les pommes et les poires les plus banales, etc.
La
production pour un marché illimité, dans les conditions de
concurrence, a comme effet l'augmentation de la production, car
l'augmentation de la production permet la réduction du prix
de revient et permet donc de battre le concurrent en vendant
moins cher que lui.
Il
est incontestable que si on regarde l'évolution à long terme
de la valeur de toutes les marchandises produites sur grande
échelle, dans le monde capitaliste, il y a une baisse de valeur
considérable. Un costume, un couteau, une paire de souliers, un
cahier d'écolier, ont aujourd'hui une valeur en heures et en
minutes de travail beaucoup plus réduite qu'il y a 50 ou qu'il
y a 100 ans.
Il
faut évidemment comparer la valeur réelle à la production et
non les prix de vente, qui englobent soit d'énormes frais de
distribution et de vente, soit des surprofits monopolistiques
gonflés. Prenons l'exemple du pétrole, surtout le pétrole
que nous utilisons en Europe, le pétrole qui provient du
Moyen-Orient. Les frais de production sont très bas, ils s'élèvent
à peine à 10 % du prix de vente.
Il
est donc en tout cas incontestable que cette chute de valeur
s'est réellement produite. L'accroissement de la productivité
du travail signifie réduction de valeur des marchandises,
puisque celles-ci sont fabriquées en un temps de travail de
plus en plus réduit. C'est là l'instrument pratique dont
dispose le capitalisme pour élargir les marchés et vaincre
dans la concurrence.
De
quelle manière pratique le capitaliste peut-il à la fois réduire
très fortement le prix de revient et accroître très fortement
la production? Par le développement du machinisme, par le développement
des moyens de production, donc des instruments de travail mécaniques
de plus en plus compliqués, d'abord mus par la force de la
vapeur, ensuite par le pétrole ou le gas-oil, enfin par l'électricité.
L'accroissement
de la composition organique du capital
Toute
la production capitaliste peut être représentée dans sa
valeur par la formule :
C
+ V + PL
La
valeur de toute marchandise se décompose en deux parties : une
partie qui constitue une valeur conservée, et une partie qui
est une valeur nouvellement produite. La force de travail a une
double fonction, une double valeur d'usage : celle de conserver
toutes les valeurs existantes des
instruments de travail, des machines, des bâtiments,
en incorporant
une fraction
de cette
valeur dans
la production
courante; celle
de créer une valeur nouvelle, dont la plus-value, le
profit, constitue une partie. Une partie de cette valeur
nouvelle va vers l'ouvrier; c'est la contre-valeur de son
salaire. L'autre
partie, la plus-value, est accaparée sans contre-valeur par le
capitaliste.
Nous
appelons V, c'est-à-dire capital variable, l'équivalent des
salaires. Pourquoi capital? Parce qu'effectivement le
capitaliste
avance cette
valeur, elle constitue donc une partie de son capital, dépensée
avant que la valeur des marchandises produites par les
ouvriers en question soit réalisée.
On
appelle capital constant C, toute la partie du capital qui est
transformée en machines, en bâtiments, en matières premières,
etc., dont la production n'augmente pas la valeur, mais la
conserve seulement. On appelle capital variable, V, la partie du
capital avec laquelle le capitaliste achète la force de
travail, parce que c'est la seule partie du capital qui permette
au capitaliste d'augmenter son capital d'une plus-value.
Quelle
est, dès lors, la logique économique de la concurrence, de la
poussée vers l'augmentation de la productivité, de la poussée
vers l'accroissement des moyens mécaniques, du travail des
machines? La logique de cette poussée, c'est-à-dire la
tendance fondamentale du régime capitaliste, c'est d'accroître
le poids de C, le poids du capital
constant relativement à l'ensemble
du capital. Dans
la fraction C/V , C a tendance à augmenter, c'est-à-dire la
partie du capital total qui est constitué en machines et matières
premières, et non pas en salaires, a tendance à augmenter
dans la mesure où le machinisme progresse de plus en plus, et où
la concurrence oblige le capitalisme à accroître de plus en
plus la productivité du travail.
Nous
appelons cette fraction C/V la composition organique du capital
: c'est donc le rapport entre le capital constant et le capital
variable, et nous disons qu'en régime capitaliste, cette
composition organique a tendance à augmenter.
Comment
le capitaliste peut-il acquérir de nouvelles machines?
Qu'est-ce que ça veut dire que le capital constant augmente de
plus en plus?
L'opération
fondamentale de l'économie capitaliste, c'est la production
de la plus-value. Mais aussi longtemps que la plus-value n'est
que produite, elle reste enfermée dans des marchandises, et
le capitaliste ne peut guère l'utiliser; on ne peut pas
transformer des souliers invendus en machines nouvelles, en
productivité plus grande. Pour pouvoir acheter de nouvelles
machines, l'industriel qui possède des souliers doit vendre
ses souliers, et une partie du produit de cette vente lui
servira pour l'achat de nouvelles machines, d'un capital
constant supplémentaire.
En
d'autres termes : la réalisation de la plus-value est la
condition de l'accumulation du capital, qui n'est rien d'autre
que la capitalisation de la plus-value.
La
réalisation de la plus-value, c'est la vente de marchandises;
mais la vente des marchandises dans des conditions telles que la
plus-value contenue dans ces marchandises soit effectivement réalisée
sur le marché. Toutes les entreprises qui travaillent à la
moyenne de la productivité de la société — dont l'ensemble
de la production correspond donc à du travail socialement nécessaire
— sont censées réaliser par la vente de leurs marchandises
l'ensemble de la valeur et de la plus-value produite dans leurs
usines, pas plus et pas moins. Nous savons déjà que les
entreprises qui ont une productivité au-dessus de la moyenne
vont accaparer une partie de la plus-value qui est produite dans
d'autres entreprises, tandis que les entreprises qui travaillent
en dessous de la productivité moyenne ne réalisent pas une
partie de la plus-value qui est produite dans leurs usines, mais
la cèdent à d'autres usines qui sont technologiquement en flèche.
La réalisation de la plus-value, c'est donc la vente des
marchandises dans des conditions telles que l'ensemble de la
plus-value produite par les ouvriers de l'usine fabriquant ces
marchandises est effectivement payée par leurs acheteurs.
Au
moment où le tas de marchandises produites pendant une période
déterminée est vendu, le capitaliste est rentré en possession
d'une somme d'argent qui constitue la contre-valeur du capital
constant qu'il a dépensé pour produire, c'est-à-dire aussi
bien des matières premières utilisées pour produire cette
production que de la fraction de la valeur des machines et des bâtiments
qui est amortie par cette production. Il est également rentré
en possession de la contre-valeur des salaires qu'il avait
avancés pour rendre cette production possible. Il est en
outre en possession de la plus-value que ses ouvriers avaient
produite.
Qu'est-ce
qu'il advient de cette plus-value? Une partie en est consommée
improductivement par le capitaliste; car le malheureux doit
vivre, doit faire vivre son ménage et tous ceux qui sont autour
de lui ; et tout ce qu'il dépense à ces fins est totalement
retiré du processus de production.
Une
deuxième partie de la plus-value est accumulée, est utilisée
pour être transformée en capital ; la plus-value accumulée
est donc toute la partie de la plus-value qui n'est pas
consommée improductivement pour les besoins privés de la
classe dominante, et qui est transformée en capital, soit en
capital constant supplémentaire, c'est-à-dire en une quantité
(plus exactement : une valeur) supplémentaire de matières
premières, de machines, de bâtiments, soit en capital variable
supplémentaire, c'est-à-dire moyens pour embaucher davantage
d'ouvriers.
Nous
comprenons maintenant pourquoi l'accumulation du capital,
c'est la capitalisation de la plus-value, c'est-à-dire la
transformation d'une grande partie de la plus-value en capital
supplémentaire. Et nous comprenons également comment le
processus d'accroissement de la composition organique du
capital représente une suite ininterrompue de processus de
capitalisation, c'est-à-dire de production de plus-value par
les ouvriers, et sa transformation par les capitalistes en bâtiments,
machines, matières premières et ouvriers supplémentaires.
Il
n'est donc pas exact d'affirmer que c'est le capitaliste qui crée
l'emploi, puisque c'est l'ouvrier qui a produit la plus-value,
et que c'est cette plus-value produite par l'ouvrier qui est
capitalisée par le capitaliste, et utilisée notamment pour
embaucher des ouvriers supplémentaires. En réalité, toute
la masse des richesses fixes qu'on voit dans le monde, toute la
masse des usines, des machines et des routes, des chemins de
fer, des ports, des hangars, etc., toute cette masse immense de
richesses n'est rien d'autre que la matérialisation d'une masse
de plus-value créée par les ouvriers, de travail non rétribué
pour eux et transformé en propriété privée, en capital pour
les capitalistes, c'est-à-dire elle est une preuve colossale de
l'exploitation permanente subie par la classe ouvrière depuis
l'origine de la société capitaliste.
Tous
les capitalistes augmentent-ils progressivement leurs
machines, leur capital constant et la composition organique de
leur capital? Non. L'accroissement de la composition organique
du capital s'effectue de manière antagoniste, à travers une
lutte de concurrence régie par cette loi illustrée par une
gravure du grand peintre de mon pays, Pierre Brueghel : les
grands poissons mangent les petits.
La
lutte de concurrence est donc accompagnée d'une concentration
constante du capital, du remplacement d'un grand nombre
d'entrepreneurs par un nombre plus petit d'entrepreneurs, et de
la transformation d'un certain nombre d'entrepreneurs indépendants
en techniciens, gérants, personnel de maîtrise, sinon
simples employés et ouvriers dépendants.
La
concurrence conduit à la concentration et aux monopoles
La
concentration du capital est une autre loi permanente de la société
capitaliste, et elle est accompagnée de la prolétarisation
d'une partie de la classe bourgeoise, de l'expropriation d'un
certain nombre de bourgeois par un nombre plus petit de
bourgeois. C'est pourquoi le Manifeste Communiste de Marx et
d'Engels met l'accent sur le fait que le capitalisme, qui prétend
défendre la propriété privée, est en réalité destructeur
de cette propriété privée, et effectue une expropriation
constante, permanente, d'un grand nombre de propriétaires,
par un nombre relativement petit de propriétaires. Il y a
quelques branches industrielles dans lesquelles cette
concentration est particulièrement frappante : les charbonnages
où vous aviez, au XIXe siècle, des centaines de sociétés de
charbonnage dans un pays comme la France (en Belgique il y en
avait près de deux cents); l'industrie automobile, au début de
ce siècle, comptait dans des pays comme les Etats-Unis ou
comme l'Angleterre, 100 firmes ou plus, alors qu'aujourd'hui,
elle est réduite à 4, 5 ou 6 firmes au maximum.
Il
existe, bien sûr, des industries dans lesquelles cette
concentration est moins poussée, par exemple l'industrie
textile, l'industrie alimentaire, etc. D'une manière générale
: plus la composition organique du capital est grande dans une
branche industrielle, et plus la concentration y est forte;
moins la composition organique du capital y est élevée et
moins il y a de concentration du capital. Pourquoi? Parce que
moins forte est la composition organique du capital, moins il
faut de capitaux au départ pour pénétrer dans cette branche
et pour y constituer une nouvelle entreprise. Il est beaucoup
plus facile de rassembler les 50 ou les 100 millions d'anciens
francs qu'il faut pour construire une nouvelle usine textile
que de réunir les 10 milliards ou les 20 milliards nécessaires
pour construire une aciérie, même relativement petite.
Le
capitalisme est né de la libre concurrence, le capitalisme est
inconcevable sans concurrence. Mais la libre concurrence produit
la concentration, et la concentration produit le contraire de
la libre concurrence, à savoir le monopole. Là où il y a peu
de producteurs, ceux-ci peuvent facilement se concerter aux
frais des consommateurs, en se mettant d'accord pour se répartir
le marché, en se mettant d'accord pour arrêter toute baisse
des prix.
En
l'espace d'un siècle, toute la dynamique capitaliste semble
ainsi avoir changé de nature. D'abord nous avons un mouvement
qui va vers la baisse constante des prix par l'accroissement
constant de la production, par la multiplication constante du
nombre des entreprises. L'accentuation de la concurrence entraîne
à partir d'un certain moment la concentration des
entreprises, une réduction du nombre d'entreprises qui peuvent
dès lors se concerter entre elles pour ne plus réduire les
prix et qui ne peuvent respecter des accords de ce genre qu'en
limitant la production. L'ère du capitalisme des monopoles se
substitue ainsi à l'ère du capitalisme de libre concurrence à
partir du dernier quart du XIXe siècle.
Bien
entendu, quand on parle du capitalisme des monopoles, il ne faut
pas du tout penser à un capitalisme qui a complètement éliminé
la concurrence. Cela n'existe pas. Cela veut simplement dire
un capitalisme dont le comportement fondamental est devenu différent,
c'est-à-dire qui ne pousse plus à une diminution constante des
prix par une augmentation constante de la production, qui
utilise la technique de la répartition du marché, de la
stabilisation des quote-parts du marché. Mais ce processus
aboutit à un paradoxe. Pourquoi les capitalistes qui, d'abord,
se faisaient de la concurrence, commencent-ils à se concerter
afin de limiter cette concurrence et de limiter aussi la
production? Parce que c'est un moyen pour eux d'accroître
davantage leurs bénéfices. Ils ne le font que si ça leur
rapporte davantage. La limitation de la production permettant
d'augmenter les prix rapporte plus de profits, et permet donc
d'accumuler plus de capitaux? On ne peut plus les investir dans
la même branche. Car investir des capitaux, cela signifie
justement accroître la capacité de production, donc accroître
la production, donc faire baisser les prix. Le capitalisme est
pris dans cette contradiction à partir du dernier quart du
XIXe siècle. Il acquiert alors brusquement une qualité que,
seul, Marx avait prévue, qui est restée incomprise d'économistes
comme Ricardo ou Adam Smith : brusquement, le mode de production
capitaliste fait du prosélytisme. Il commence à s'étendre
dans le monde entier par le truchement des exportations de
capitaux, qui permettent d'établir des entreprises
capitalistes dans des pays ou des secteurs où les monopoles
n'existent pas encore.
La
conséquence de la monopolisation de certaines branches et de
l'extension du capitalisme des monopoles dans certains pays,
c'est la reproduction du mode de production capitaliste dans
des branches non encore monopolisées, dans des pays non encore
capitalistes. C'est ainsi que le colonialisme et tous ses
aspects se sont répandus comme une traînée de poudre en
l'espace de quelques dizaines d'années, d'une petite partie du
globe où s'était limité auparavant le mode de production
capitaliste à l'ensemble du monde, vers le début du XXe siècle.
Chaque pays du monde était ainsi transformé
en sphère
d'influence et
champ d'investissement du Capital.
Chute
tendancielle du taux moyen de profit
Nous
avons vu tout à l'heure que la plus-value produite par les
ouvriers de chaque usine reste « enfermée » dans les
marchandises produites, et que la question de savoir si cette
plus-value sera réalisée ou non par le capitaliste propriétaire
de cette usine, sera tranchée par les conditions du marché,
c'est-à-dire par la possibilité pour cette usine de vendre ses
marchandises à un prix qui permet de réaliser toute cette
plus-value. En appliquant la loi de la valeur dont nous avons
traité ce matin, on peut établir la règle suivante : toutes
les entreprises qui produisent au niveau moyen de productivité
réaliseront grosso modo la plus-value produite par leurs
ouvriers, c'est-à-dire vendront leurs marchandises à un prix
qui sera égal à la valeur de ces marchandises.
Mais
cela ne sera pas le cas de deux catégories d'entreprises : les
entreprises travaillant en dessous, et les entreprises
travaillant au-dessus du niveau moyen de productivité.
Qu'est-ce
que c'est que la catégorie des entreprises qui travaillent en
dessous du niveau moyen de productivité? Ce n'est rien d'autre
qu'une généralisation de notre cordonnier fainéant de ce
matin. C'est, par exemple, une aciérie qui, devant la moyenne
nationale de 500 000 tonnes d'acier produites en 2 millions
d'heures de travail-hommes, les produit en 2,2 millions
d'heures, ou en 2,5 millions d'heures, ou en 3 millions
d'heures. Elle gaspille donc du temps de travail social. La
plus-value produite par les ouvriers de cette usine ne sera pas
en entier réalisée par les propriétaires de cette usine; elle
travaillera avec un profit qui sera en dessous de la moyenne du
profit de toutes les entreprises du pays.
Mais
la masse totale de la plus-value produite dans la société est
une masse fixe qui dépend en dernière analyse du nombre total
d'heures de travail fournies par l'ensemble des ouvriers qui
sont engagés dans la production. Cela veut dire que s'il y a un
certain nombre d'entreprises qui, du fait qu'elles travaillent
en dessous du niveau moyen de productivité et qu'elles ont
gaspillé du temps de travail social, ne réalisent pas
l'ensemble de la plus-value produite par leurs ouvriers, il y a
un reliquat de plus-value qui reste disponible, et qui sera
accaparé par les usines qui travaillent au-dessus du niveau
moyen de productivité, qui ont donc économisé du temps de
travail social et qui sont récompensées de ce fait par la société.
Cette
explication théorique ne fait rien d'autre que de démonter les
mécanismes qui déterminent le mouvement des prix en société
capitaliste. Comment ces mécanismes opèrent-ils en pratique?
Dès
qu'on cesse de regarder plusieurs branches industrielles pour ne
considérer qu'une seule branche, le mécanisme devient fort
simple et transparent.
Disons
que le prix de vente moyen d'une locomotive s'élève à 50
millions d'anciens francs. Quelle sera, dès lors, la différence
entre une usine travaillant en dessous de la productivité
moyenne du travail, et une entreprise travaillant au-dessus de
la productivité moyenne du travail? La première aura dépensé
pour produire une locomotive 49 millions, c'est-à-dire
qu'elle n'aura fait que 1 million de bénéfices. Par contre
l'entreprise qui travaille au-dessus de la productivité moyenne
du travail produira la même locomotive avec une dépense disons
de 38 millions. Elle aura donc fait 12 millions de bénéfices,
soit 32 % sur cette production courante, alors que les
entreprises travaillant à la moyenne de la productivité
sociale du travail ont produit des locomotives au prix de
revient de 45,5 millions et n'ont donc réalisé que 4,5
millions de bénéfices, soit 10 % qui sont le taux moyen de
profit.
En
d'autres termes : la concurrence capitaliste joue en faveur des
entreprises qui sont technologiquement en pointe ; ces
entreprises réalisent des surprofits par rapport au
profit moyen. Le profit moyen est au fond une notion abstraite,
exactement comme la valeur. C'est une moyenne autour de
laquelle oscillent les taux de profits réels des diverses
branches et entreprises. Les capitaux affluent vers les branches
où il y a des surprofits, et refluent des branches dans lesquelles
les profits sont en dessous de la moyenne. Par ce flux et reflux
des capitaux d'une branche vers l'autre, les taux de profit ont
tendance à se rapprocher de cette moyenne, sans jamais
l'atteindre totalement de manière absolue et mécanique.
Voilà
donc comment s'effectue la péréquation du taux de profit. Il y
a un moyen très simple de déterminer ce taux moyen de profit
dans l'abstrait : c'est de prendre la masse totale de la
plus-value produite par tous les ouvriers, par exemple pendant
une année, dans un pays déterminé, et la rapporter à la
masse totale du capital investi dans ce pays.
Quelle
est la formule du taux de profit? C'est le rapport entre la
plus-value et l'ensemble du capital. C'est donc : pl/ (C +
V).
Il
faut également prendre en considération une autre formule :
Pl/V c'est le taux de la plus-value, ou encore le
taux d'exploitation de la classe ouvrière. Il détermine
la manière dont la valeur nouvellement produite est partagée
entre ouvriers et capitalistes.
Si,
par exemple, pl/V égale 100 %, cela veut dire que la
valeur nouvellement produite se partage en deux parties égales,
la première allant vers les travailleurs sous forme de
salaires, l'autre partie allant vers l'ensemble de la classe
bourgeoise sous forme de profits, intérêts, rentes, etc.
Lorsque
le taux d'exploitation de la classe ouvrière est de 100 %, la
journée de travail de 8 heures se décompose donc en deux
parties égales : 4 heures de travail pendant lesquelles les
ouvriers produisent la contre-valeur de leurs salaires, et 4
heures pendant lesquelles ils fournissent du travail gratuit,
du travail non rémunéré par les capitalistes et dont le
produit est approprié par ceux-ci.
A
première vue, si la fraction pl/(C+V) augmente, alors
que la composition organique du capital augmente également, que
C devient de plus en plus grand par rapport à V,
cette fraction aura tendance à diminuer, et il y a donc
diminution du taux moyen de profit par suite de l'augmentation
de la composition organique du capital, puisque pl n'est
produite que par V et non par C. Mais il y a un
facteur qui peut neutraliser l'effet d'augmentation de la
composition organique du capital : c'est précisément
l'augmentation du taux de la plus-value.
Si
pl/V, le taux de la plus-value augmente, cela veut dire
que dans la fraction pl / (C+V), nominateur et dénominateur
augmentent tous les deux, et dans ce cas l'ensemble de cette
fraction peut conserver sa valeur, à condition que les deux
augmentations se fassent dans une proportion déterminée.
En
d'autres termes : l'accroissement du taux de la plus-value peut
neutraliser les effets de l'accroissement de la composition
organique du capital. Mettons que la valeur de la production C
+ V + pl passe de 100 C + 100 V + 100 pl à
200 C + 100 V + 100 pl, la composition
organique du capital est donc passée de 100 à 200, le taux de
profit est tombé de 50 à 33 %. Mais si en même temps la
plus-value passe de 100 à 150, c'est-à-dire que le taux de la
plus-value passe de 100 à 150 %, alors le taux de profit
150/300 reste de 50 % : l'augmentation du taux de la plus-value
a neutralisé l'effet de l'accroissement de la composition
organique du capital.
Est-ce
que ces deux mouvements peuvent se poursuivre exactement dans la
proportion nécessaire pour qu'ils se neutralisent l'un
l'autre ? Ici, nous touchons la faiblesse fondamentale, le talon
d'Achille du régime capitaliste. Ces deux mouvements ne
peuvent pas se poursuivre à la longue dans la même proportion.
Il n'y a aucune limite à l'augmentation de la composition
organique du capital. A la limite, V peut même tomber à
zéro, quand on arrive à l'automation totale. Mais est-ce que pl/V
peut également augmenter de manière illimitée, sans
limite aucune ? Non, car pour qu'il y ait de la plus-value
produite, il faut qu'il y ait des ouvriers au travail, et dans
ces conditions, la fraction de la journée de travail pendant
laquelle l'ouvrier reproduit son propre salaire ne peut pas
tomber à zéro. On peut la réduire de 8 à 7 heures, de 7
heures à 6 heures, de 6 à 5 heures, de 5 heures à 4 heures,
de 4 heures à 3 heures, de 3 heures à 2 heures, de 2 heures à
1 heure, à 50 minutes. Ce serait déjà une productivité
fantastique qui permettrait à l'ouvrier de produire la
contre-valeur de tout son salaire en 50 minutes. Mais il ne
pourra jamais reproduire la contre-valeur de son salaire en zéro
minute, zéro seconde. Il y a là un résidu que l'exploitation
capitaliste ne peut jamais supprimer. Cela signifie qu'à la
longue, la chute du taux moyen de profit est inévitable, et je
crois personnellement, contrairement à pas mal de théoriciens
marxistes, que cette chute est d'ailleurs démontrable en
chiffres, c'est-à-dire qu'aujourd'hui les taux moyens de profit
dans les grands pays capitalistes sont beaucoup plus bas qu'il y
a 50, 100 ou 150 ans.
Bien
sûr, quand on examine des périodes plus courtes, il y a des
mouvements en sens divers ; il y a beaucoup de facteurs qui
jouent (nous en reparlerons demain matin quand nous parlerons du
néo-capitalisme). Mais pour des périodes plus longues, le
mouvement est très clair, aussi bien pour le taux d'intérêt
que pour le taux de profit. Il faut d'ailleurs rappeler que de
toutes les tendances d'évolution du capitalisme, c'est celle
qui a toujours été la plus nettement aperçue par les théoriciens
du capitalisme eux-mêmes. Ricardo en parle ; John Stuart Mill y
insiste ; Keynes y est extrêmement sensible. Il y a eu comme un
dicton populaire en Angleterre, à la fin du XIXe siècle
: le capitalisme peut tout supporter, sauf une chute du taux
moyen d'intérêt à 2 %, parce qu'elle supprimerait
l'incitation à investir.
Ce
dicton renferme évidemment une certaine erreur de raisonnement.
Des calculs de pourcentages, de taux de profit, ont une valeur
réelle, mais une valeur somme toute relative pour un
capitaliste. Ce qui l'intéresse, ce n'est pas seulement le
pourcentage qu'il gagne sur son capital, c'est tout de même
aussi la somme totale qu'il gagne. Et si les 2 % s'appliquent
non pas à 100 000 mais à 100 millions, ils représentent tout
de même 2 millions, et le capitaliste réfléchira 10 fois
avant de dire qu'il préfère laisser moisir son capital plutôt
que de se contenter de ce profit tout à fait détestable qui
n'est que de 2 millions par an.
Aussi,
en pratique, n'a-t-on pas vu un arrêt total de l'activité
d'investissement par suite de la chute du taux de profit et
d'intérêt, mais plutôt un ralentissement au fur et à mesure
que le taux de profit tombe dans une branche d'industrie. Par
contre, dans les branches industrielles ou dans les époques
dans lesquelles il y a une expansion plus rapide et dans
lesquelles le taux de profit a tendance à augmenter,
l'activité d'investissement reprend et devient beaucoup plus
rapide, et alors le mouvement semble se nourrir de lui-même et
cette expansion semble jouer sans limites, jusqu'à ce que la
tendance se renverse de nouveau.
La
contradiction fondamentale du régime capitaliste et les crises
périodiques de surproduction
Le
capitalisme a tendance à étendre la production de manière
illimitée, à étendre son rayon d'action au monde entier, à
envisager tous les humains comme clients potentiels (entre parenthèses,
il y a une jolie contradiction à souligner, dont Marx a déjà
parlé : chaque capitaliste voudrait toujours que les autres
capitalistes augmentent les salaires de leurs ouvriers, parce
que les salaires de ces ouvriers-là, c'est du pouvoir d'achat
pour les marchandises du capitaliste en question. Mais il
n'admet pas que les salaires de ses propres ouvriers augmentent,
car cela réduirait évidemment son propre profit).
Il
y a donc une extraordinaire structuration du monde qui devient
une unité économique, avec une interdépendance extrêmement
sensible entre ses différentes parties. Vous connaissez tous
les clichés qu'on a utilisés à ce sujet : si quelqu'un éternue
à la Bourse de New York, il y a 10 000 paysans de Malaisie qui
sont ruinés.
Le
capitalisme produit une extraordinaire interdépendance des
revenus et une unification des goûts de tous les humains ;
l'homme devient brusquement conscient de toute la richesse des
possibilités humaines, alors que dans la société précapitaliste,
il était enfermé dans les étroites possibilités naturelles
d'une seule région. Au moyen âge, on ne mangeait pas d'ananas
en Europe, on ne mangeait que des fruits locaux. Maintenant on
mange les fruits qui, pratiquement, sont produits dans le
monde entier, on se met même à manger des fruits de Chine et
d'Inde auxquels on n'était pas encore habitué avant la Seconde
Guerre mondiale.
Il
y a donc des liens réciproques qui s'établissent entre tous
les produits et tous les hommes. Il y a, en d'autres termes, une
socialisation progressive de toute la vie économique, qui
devient un seul ensemble, un seul tissu. Mais simplement, tout
ce mouvement d'interdépendance est axé d'une manière folle
sur l'intérêt privé, l'appropriation privée, d'un petit
nombre de capitalistes dont les intérêts privés entrent
d'ailleurs de plus en plus en contradiction avec les intérêts
des milliards d'êtres humains englobés dans cet ensemble.
C'est
dans les crises économiques que la contradiction entre la
socialisation progressive de la production et l'appropriation
privée qui lui sert de moteur et de support, éclate de la manière
la plus extraordinaire. Car les crises économiques capitalistes
sont des phénomènes invraisemblables, comme on n'en avait
jamais vu auparavant. Ce ne sont pas des crises de pénurie, comme
toutes les crises pré-capitalistes : ce sont des crises de surproduction.
Ce n'est pas parce qu'il y a trop peu à manger, mais parce
qu'il y a relativement trop de produits alimentaires que les chômeurs
brusquement meurent de faim.
A
première vue, cela paraît une chose incompréhensible.
Comment peut-on mourir de faim parce qu'il y a trop de
nourriture, parce qu'il y a trop de marchandises ? Mais le mécanisme
du régime capitaliste fait comprendre ce paradoxe apparent. Les
marchandises qui ne trouvent pas d'acheteurs, non seulement ne réalisent
plus leur plus-value, mais ne reconstituent même plus le
capital investi. La mévente oblige donc les entrepreneurs de
fermer les portes de leurs entreprises. Ils sont donc obligés
de licencier leurs travailleurs. Et puisque ces travailleurs
licenciés ne disposent pas de réserves, puisqu'ils ne
peuvent subsister que s'ils vendent leur force de travail, le
chômage les condamne évidemment à la misère la plus noire,
précisément parce que l'abondance relative
des marchandises en a
provoqué la
mévente.
Le
fait des crises économiques périodiques est inhérent au régime
capitaliste et reste insurmontable pour lui. Nous verrons plus
loin que cela reste vrai aussi dans le régime néo-capitaliste
dans lequel nous vivons maintenant, même si on appelle alors
ces crises « récessions ». Les crises sont la manifestation
la plus nette de la contradiction fondamentale du régime, et le
rappel périodique qu'il est condamné à mourir tôt ou tard.
Mais il ne mourra jamais d'une mort automatique. Il faudra
toujours lui donner une petite chiquenaude consciente pour le
condamner définitivement, et cette chiquenaude, c'est à
nous, c'est au mouvement ouvrier de la lui donner.
En réalité, les capitalistes ne calculent pas leur taux de
profit avec la production courante (flux), mais sur
le capital investi (stock), pour ne pas compliquer
les calculs, on peut supposer (fictivement) que tout le
capital a été absorbé par la production d'une
locomotive.
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