La grande grève de 60-61 a fait table rase de toutes les théories pseudo scientifiques selon lesquelles la classe ouvrière «n'existe plus», selon lesquelles elle ne serait plus capable de «se battre comme au siècle dernier», sous l'influence de salaires relativement élevés et d'un niveau de consommation «se rapprochant de celui des classes moyennes». Elle a, au contraire, complètement confirmé la thèse que nous ne cessons de défendre dans La Gauche depuis 4 ans, à savoir que la classe ouvrière d'aujourd'hui est capable de se battre plus fortement, avec plus d'acharnement, et plus d'élan, que la classe ouvrière d'il y a 30 ou 50 ans, à condition qu'elle soit éduquée et préparée à ce combat par ses organisations.
La grève a confirmé que partout où les organisations ouvrières avaient informé les travailleurs sur la teneur exacte de la « loi unique », avaient lancé depuis des années la campagne pour les réformes de structure, la classe ouvrière a répondu magnifiquement et au-delà de tout espoir à la poussée de lutte partie spontannément de ses couches sociales les plus avancées. Faut-il rappeler ici que les cheminots ont réussi leur première grève depuis 1923, et qu'ils l'ont réussie en Flandre comme en Wallonie, même en Flandre occidentale, beaucoup mieux qu'en 1923 ?
Que les couches les plus ardentes au combat, à Liège, à Charleroi, dans le Centre, à Anvers, à Gand, étaient les couches qui auraient dû être les plus «corrompues» par les «hauts salaires», selon les tenants de la thèse mécaniste rappelée plus haut ?
Que si la grève a donné moins bien dans certains secteurs industriels en Flandre et dans le Brabant, ce fut essentiellement dans les secteurs les moins bien payés, où le poids des chrétiens, du niveau de vie misérable, du manque d'éducation, d'organisation et de culture, ainsi que - il faut bien le dire - l'insuffisance criante de propagande et de direction de nos propres organisations, contrebalançaient le puissant appel à la solidarité de classe lancée par la grève ?
Car, même dans les régions où la grève a moins bien réussi, on trouve dix, cent indices de combativité ouvrière étonnante. On y découvre surtout une direction syndicale qui ne fut pas à la hauteur de ses tâches (...).
La combativité et l'élan de la classe laborieuse se sont également révélés dans le faut que dans de nombreux bassins, les couches jeunes ont renoué spontannément avec les formes suprêmes d'organisation du passé - les comités de grève interprofessionnels, réunissant tous les jours des assemblées de grévistes - qu'on n'avait plus connu dans notre pays depuis 1936. Dans les régions où la direction syndicale s'était identifiée avec le mouvement, à Liège, dans le Centre, et ailleurs, ces comités furent essentiellement constitués par les délégations syndicales FGTB elles-mêmes. Ailleurs, notamment en partie à Charleroi et à Anvers, ils surgirent de la base, inculant également les non-syndiqués. L'organisation et la centralisation des piquets, l'organisation de la solidarité, la mobilisation de toute la population au secours des grévistes, la défense de la grève contre la répression et la provocation: tel parut l'objectif principal de ces comités.
Toute grève générale est par la force des choses une grève politique , avons nous dit. Elle est, en effet, dirigées contre la classe bourgeoise en tant que telle, c'est-à-dire la classe bourgeoise constitué en classe cominante, c'est-à-dire son gouvernement. Voilà pourquoi, inévitablement, à travers toute grève générale réussie, se profile la trame d'un pouvoir nouveau, de la démocratie directe des travailleurs. Dans les bassins industriels wallons, la grève fut générale au-delà de tout espoir. Ce pouvoir nouveau y est nettement apparu en puissance, plus nettement encore qu'en 1936 ou qu'en 1950. Bien plus que toute «violence», que tout bris de vitres, que toute «émeute», c'est ce pouvoir nouveau embryonnaire qui a fait trembler de rage la bourgeoisie, qui l'a frappée de frayeur, qui l'a incitée à s'accrocher et à résister désespérement, sacrifiant, la mort dans l'âme, des milliards de revenus et de commandes.
Une direction largement défaillante
Tout cela s'est produit par la force des choses bien plus que par la volonté «insurrectionnelle» - totalement absente - des dirigeants. Tout cela fut inscrit dès le début dans la logique d'un mouvement d'une telle ampleur. Il faut bien le dire : dans sa majeure partie et toujours à l'exception de quelques bassins wallons susmentionnés, la direction syndicale et socialiste fut totalement prise au dépourvu et effrayée par cette logique implacable d'une bataille aussi colossale. (...)
Parce que la grève générale est une bataille colossale avec laquelle on ne peut pas jouer, qu'on ne peut pas improviser, une grève générale capable de vaincre rapidement doit être une grève générale bien préparée. Un mouvement spontané, quelque puissant qu'ils soit, ne peut réussir cette tâche, surtout dans un pays comme le nôtre, avec les divisions profondes entre travailleurs flamands et wallons, chrétiens et socialistes, arrière-garde et avant-garde, qui subsistent comme héritage de tout un passé. Pour triompher, il fallait triompher rapidement. Pour triompher rapidement, il fallait une stratégie adéquate, capable de mobiliser les couches d'avant-garde et d'entraîner très vite les couches arriérées dans le combat. Une stratégie adéquate exige une direction adéquate. Celle-ci fut absente à l'échelle nationale.
La principale responsabilité en incombe à la majorité du Comité national élargi du 16 décembre qui, méconnaissant totalement la volonté de lutte decentaines de milliers de travailleurs, avait refusé d'adopter le plan soumi par André Renard, à savoir la préparation d'une grève générale, au moyen d'un mouvement de 24 heures et d'un référendum dans toutes les entreprises.
Toute l'avant-garde de notre classe laborieuse a ressenti ce vote comme un brutal camouflet. Pour manifester ses réels sentiments, elle s'estmise spontannément en grève, le 20 et 21 décembre. Cela ne laissa à la minorité du Comité national que le choix entrel'abandon des grévistes ou la reconnaissance et la généralisation du mouvement dans les régions - essentiellement wallonnes - où elle était majoritaire. Il faut iinscrire à son honneur le fait qu'elle ait choisi la seconde solution.
Entre une grève générale bien organisée et bien préparée et une grève générale spontannée et partiellement sans direction, dans une partie pays, c'est la première qu'il faut naturellement préférer. Mais entre une grève générale spontannée et partiellement sans direction d'un côté, et pas de grève générale du tout, malgré le début d'agression contre le standing de vie des travailleurs, c'est la première éventualité qui est de loin préférable.
Qu'on regarde l'état du mouvement ouvrier français, la démoralisation des travailleurs français, pour se rendre compte de ce qui arrive quand on préfère capituler sans combat, sous prétexte que les risques sont trop lourds à courir ! Et n'y a-til pas d'exmples plus terribles encore dans un passé pas très éloigné?
Incapable de prévoir la grève et de s'y préparer à temps, la direction a été également incapable de l'organiser adéquatement et de la mener à bonne fin, dans une partie du pays.
Lorsque l'extension de la grève ne fut pas assez rapide et totale pour y faire plier genou au gouvernement, il n'y eu plus qu'une seule chance de réussite complète du mouvement : la concentration active de toute l'énergie des grévistes sur un point central. La Gauche, les JGS, d'importantes organisations syndicales, comme les «communaux » d'Anvers et de Liège, les cheminots de Liège, les comités de grève du nord de Charleroi et d'Haine-Saint-Pierre, ont suggéré la marche sur Bruxelles, pacifique et non violente.
Elle avait l'énorme avantage de «fixer» autour de la capitale l'essentiel des forces de répression, de dégager ainsi les bassins industriels, d'interrompre pratiquement tout le trafic dans le pays avec «l'aide» de la gendarmerie, depeser d'un poids décisif sur la ville où, qu'on le veuille ou non, se trouvaient les pouvoir contre lesquels cette grève avait été déclenchée. L'absence d'une direction nationale de la grève, capable de mobiliser les travailleurs de tout le pays, fit échouer ce projet. Nous le regrettons, parce que nous croyons sincèrement qu'il fut réaliste et responsasble, la seule chance de réussite complète qui resta au mouvement.
S'ouvrit dès lors la phase finale du conflit, celle de la guerre d'usure, quand la question du «second front» politique fut soulevée. C'est avec un grand retard que fut soumis le mémorandum Collard (dirigeant du PSB, NDLR) fixant une «solution de rechange» à la «loi unique» comme objectif de la grève. N'eût-il pas mieux valu le faire dès les premiers jours ? N'eût-il pas mieux valu déposer tout de suite - comme nous l'avions demandé ? (...)
Il faut être complètement ignorant, ou avoir l'esprit déformé d'un mouchard, pour supposer un seul instant qu'une poignée d'agitateurs sont capables de déclencher un formidable mouvement de masse de sept ou huit cent mille travailleurs comme celui que nous venons de vivre. Ce mouvement a démontré que notre classe laborieuse est prête à se battre, et se battre de toutes ses forces, pour le grand objectif que l'histoire lui a fixé : refouler résolument l'offensive capitaliste et imposer, à la place de «solutions» capitalistes de régression sociale, le solutions socialistes de réformes de structure.
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