L'idée
du Premier Mai est d'origine américaine. En
octobre 1884, la fédération syndicale américaine de l'époque, la
Fédération of organised Trades and Labor Unions, réunie à
Chicago, décide de placer à l'ordre du jour la conquête de la
journée de huit heures. Dans ce but, elle fixe une journée
nationale de grève au 1er mai 1886. Le Congrès suivant, réuni en
décembre 1885, à Washington, confirme cette décision. Il ajoute
que la réduction du temps de travail serait soumise à la
signature des employeurs ; la grève ne serait déclarée que dans
les usines dont les patrons n'accepteraient pas les huit heures.
Une grande agitation est développée dans tout le
pays par voie de meetings et de manifestations. Des grèves
éclatent le ler mai 1886 à de nombreux endroits. A Chicago, une
provocation policière aboutit, le 4 mai, au lancement d'une
bombe contre des agents qui voulaient disperser une réunion de
grévistes à Haymarkel. Quatre dirigeants ouvriers, anarchistes,
accusés à tort d'avoir organisé l'attentat, sont condamnés à
mort et exécutés ; un cinquième, condamné également à mort, se
suicide. Le sang de ces martyrs a donné une signification toute
spéciale à la journée du Premier Mai.
Des Etats-Unis à la France
En décembre 1886, le mouvement syndical
américain se renforce par la fusion de l'ancienne Fédération et
de quelques groupes de Chevaliers du Travail, Ainsi naît l'American
Federation of Labour, la grande centrale syndicale des
Etats-Unis. Dans son congrès de Saint-Louis, tenu en décembre
1888, elle renouvelle l'appel en faveur d'une grève générale
pour la journée des huit heures et en fixe la date au 1er mai
1890.
Entre-temps, une idée analogue avait pris forme
en France. La première fédération syndicale, la Fédération des
Syndicats Ouvriers, y était née en 1886. Les principaux
dirigeants, Dormoy et Raymond Lavigne, étaient des militants du
Parti Ouvrier « guesdiste » et marxiste. A son congrès de 1888,
tenu à Marseille, Dormoy proposa que les journées du 10 et du 24
février 1889 soient consacrées à des manifestations dans tout le
pays en faveur de la journée des huit heures. Cette proposition
fut acceptée et les manifestations se produirent en une
cinquantaine de villes.
A l'occasion de l'Exposition Universelle de
Paris de 1889, un congrès socialiste international avait été
convoqué à Paris. En fait, ce furent deux congrès qui se
réunirent, l'un rassemblant les «possibilistes» (socialistes de
droite), l'autre qui allait devenir le congrès de Fondation de
la IIe Internationale.
A la salle Pétrelle
C'est ce dernier, dit congrès de la salle
Pétrelle, qui verra l'adoption de l'idée d'une grève
internationale le 1er mai. Après les expériences américaine et
française, l'idée était dans l'air. Ce fut le leader socialiste
belge, Edouard Anseele qui l'avait formulée le premier. Il
s'agissait d'affirmer l'unité de l'Internationale retrouvée,
d'associer notamment travailleurs français et allemands en une
action commune. Aussi Guesde, Lafargue, Lavigne et les autres
dirigeants «marxistes» français avaient-ils pris contact avec le
dirigeant de la social-démocratie, Auguste Bebel, qui donna son
adhésion à l'idée.
Celle-ci fut finalement incarnée dans une
résolution déposée d'abord par le syndicaliste français Raymond
Lavigne, puis amendée par Bebel. Ce fut le délégué américain qui
demanda que la date prévue pour la manifestation internationale
soit le 1er mai. La résolution adoptée eut le texte suivant :
« II sera organisé une grande manifestation
internationale à date fixe, de manière que, dans tous les pays
et dans toutes les villes à la fois, le même jour convenu, les
travailleurs mettent les Pouvoirs publics en demeure de réduire
légalement à huit heures la journée de travail et d'appliquer
les autres résolutions du congrès international de Paris.
Attendu qu'une semblable manifestation a déjà
été décidée pour le 1er mai 1890 par L’AMERICAN FEDERATION OF
LABOUR dans son congrès de décembre 1888 tenue, à Saint-Louis,
cette date est adoptée pour la manifestation internationale. Les
travailleurs des diverses nations auront à accomplir cette
manifestation dans les conditions qui leur sont imposées par la
situation spéciale de leur pays ».
Dans notre pays, ce fut le 1er mai 1891 qui fut
le premier chômé avec éclat. En effet, la Fédération des
Houilleurs le prolongea par une grève qui entraîna 100.000
travailleurs dans une lutte de solidarité avec les mineurs de la
Ruhr et une protestation contre les lenteurs de la revision
constitutionnelle. Cette grève était en quelque sorte le
prologue de la grève générale de 1893 qui aboutira à la conquête
du Suffrage universel, avec vote plural.
Action syndicale et Solidarité internationale
Ce premier mai 1891 permet de dégager clairement
les caractéristiques que cette journée de combat présenta aux
yeux des socialistes et des travailleurs de l'époque. Elle était
avant tout une action internationale de la classe ouvrière, la
première grande traduction pratique de la devise du Manifeste
communiste : « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! »
La nécessité de cette action internationale
n'était pas le produit d'une « doctrine » quelconque. Elle
résultait de l'expérience pratique des luttes ouvrières. D'une
part, les patrons s'opposèrent aux revendications' ouvrières
sous le prétexte que celles-ci mettaient en danger la position
de leur pays sur l'arène de la concurrence internationale.
D'autre part, les patrons essayèrent de briser les grèves en
« important» de la main-d'œuvre étrangère ou en transférant
leurs commandes à l'étranger. Les travailleurs apprirent
bientôt qu'ils n'avaient pas d'autre arme à opposer à ces
manœuvres du Capital que l'arme de la solidarité internationale.
Mais si l'idée du Premier Mai prend ainsi ses
origines dans la solidarité internationale appliquée à un
objectif syndical à conquérir - la journée de huit heures - sa
signification fondamentale dépasse singulièrement ce cadre. La
bourgeoisie ne s'y trompe guère, puisqu'elle réagit partout avec
effroi contre l'idée d'une manifestation internationale
simultanée.
Si les travailleurs de tous les pays s'avéraient
en effet capables de s'unir dans l'action pour un objectif
immédiat, ils pourraient fort bien en conclure que la force
ainsi acquise devrait être utilisée dans une lutte plus vaste.
L'union de millions de manifestants et de grévistes, de par le
monde, pourrait se refaire dans la lutte contre la guerre. Elle
pourrait se refaire dans la lutte pour la conquête du pou-voir,
pour le renversement du capitalisme. Ce fut la Grande Peur des
Bien-Pensants.
Hier et aujourd'hui
Aujourd'hui, ces possibilités que renferme
l'idée du Premier Mai, restent d'une actualité brûlante. La
lutte internationale pour la semaine des 40 heures ne doit-elle
pas être engagée ? La lutte contre la guerre et les expériences
nucléaires n'est-elle pas une lutte internationale d'importance
vitale pour les travailleurs de tous les pays ? La question de
la conquête du pouvoir par le mouvement ouvrier, de l'abolition
du régime capitaliste, ne devient-elle pas une condition
nécessaire pour que l'humanité puisse jouir dans la paix et la
prospérité des bienfaits d’un progrès technique - domestication
de l'énergie nucléaire/automation, etc. - qui, sous le régime de
la propriété privée, menaceraient la vie et le pain de millions
de travailleurs ?
Voilà des pensées qui ne devraient pas nous
quitter lorsque nous marcherons cette année encore dans les
cortèges" du Premier Mai... |