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La course au réarmement et les problèmes du mouvement pour la paix en Europe

Ernest Mandel - Archive internet
Ernest Mandel Imprimer
Quatrième Internationale, 1985 (16), pp.3-20

1. La guerre est un phénomène endémique sous le capitalisme particulièrement à l'époque impérialiste. Elle l'est à cause de l'expansion impérialiste (colonialisme et néo-Colonialisme), de la concurrence inter-impérialiste, et de l'intervention contre-révolutionnaire en réponse aux montées de la révolution. La paix ne peut en fin de compte être garantie et consolidée que par l'abolition du capitalisme. Cependant, certaines initiatives spécifiques de guerre capitaliste peuvent être empêchées, retardées ou arrêtées par des mobilisations de masse menées de façon résolue. Le rapport général qu'on peut établir entre la lutte pour garantir une paix définitive et la lutte pour des objectifs précis du mouvement antiguerre est analogue au rapport existant entre le combat pour le socialisme et la lutte pour des réformes radicales.

La nouvelle étape du réarmement engagée depuis 1979 par l'impérialisme et qui s'inscrit dans sa course permanente aux armements depuis des années répond à trois objectifs :

  1. arrêter la montée des mouvements révolutionnaires de libération nationale dont la dynamique est clairement celle de la révolution permanente et qui sont favorisés par la défaite de l'impérialisme en Indochine (révolution iranienne, renversement de Somoza, révolution en Amérique Centrale, révolution palestinienne, mouvements révolutionnaires en Afrique centrale, etc...).
  2. offrir un marché de substitution par la production d'armements dans une période de dépression économique s'étendant à long terme.
  3. exercer une pression économique et politique sur la bureaucratie soviétique et les bureaucraties des autres États ouvriers.

2. Pour des raisons d'autodéfense, la classe ouvrière ne peut volontairement abandonner l'utilisation d'armes et le recours à la lutte armée. L 'histoire a prouvé que toutes les classes dirigeantes, y compris la classe capitaliste, ont toujours eu recours à la violence afin de défendre leurs privilèges matériels et de classe, ou pour essayer de les reconquérir une fois perdus. Par conséquent tout pacifisme radical qui enseigne aux travailleurs de n'utiliser les armes dans aucune circonstance désarme objectivement classe ouvrière face à la violence contre-révolutionnaire et contribue ainsi à étendre l'ampleur de la violence effectivement utilisée. Mais le prolétariat considère la violence comme un mal nécessaire, et non pas comme une méthode d'action positive ayant des qualités de «purifications » ou de « rédemption » pour les opprimés.

Les opprimés conquerront le respect d'eux-mêmes par l'auto-organisation de masse, à travers leur propre activité de masse et par ses réussites et conquêtes effectives. De même, l'utilisation de la lutte armée peut s'avérer inévitable, non seulement à des fins d'auto-défense lorsque les masses sont confrontées avec des régimes dictatoriaux qui empêchent tout début de réponse massive par la
terreur sanguinaire.

3. Avec la victoire de la révolution d'Octobre et la création du premier État ouvrier, la question de la nécessité d'une autodéfense armée de cet État contre les tentatives de restauration du capitalisme est posée et, de ce fait, la nécessité de forces armées organisées des États ouvriers, ceci indépendamment d'éventuelles actions réactionnaires des gouvernements bureaucratisés de ces États au niveau diplomatique et dans la lutte des classes internationale.

La défense militaire de tous les États ouvriers pour laquelle la Quatrième Internationale se prononce signifie simplement que pour chacun de ces États, la restauration du capitalisme constituerait un gigantesque recul historique. La Quatrième Internationale prône une défense des États ouvriers par les méthodes de la lutte de classe révolutionnaire, compatibles avec les intérêts
du prolétariat mondial. Par conséquent, elle rejette toute subordination des intérêts des travailleurs et de leur combat dans un quelconque pays aux soi-disant intérêts militaires et diplomatiques prioritaires du « camp socialiste ». Elle rejette de même le diffusion d'idées racistes, chauvinistes, nationalistes, antisémites, militaristes et toute autre idéologie réactionnaire anti-ouvrière sous prétexte de « consolider » et de « renforcer » les forces armées des États ouvriers. De telles pratiques ne sont pas seulement contraires aux intérêts du prolétariat mondial. Elles sapent aussi la défense des États ouvriers.

Le succès de la défense des États ouvriers contre une agression impérialiste dépend en effet en grande partie du degré de cohésion politique et sociale au sein de ces États, et de la capacité des masses des pays impérialistes à résister activement à pareille agression, voire à l'empêcher. Les pratiques politiques réactionnaires de la bureaucratie soviétique et d'autres castes bureaucratiques dirigeantes, la répression qu'elles exercent contre les droits et les libertés des travailleurs et des paysans de leurs propres pays, leur défense de l'inégalité sociale et des privilèges, y compris ceux de la caste des officiers, leur cynisme idéologique et leur corruption morale, tout cela affaiblit sérieusement la défense des États ouvriers, indépendamment des dépenses militaires massives. 

Le marxisme rejette catégoriquement la théorie selon laquelle le niveau de capacité défensive de toute formation sociale - y compris la société de transition entre le capitalisme et le socialisme -est exclusivement ou même essentiellement un problème « technique », une fonction de la quantité et de la sophistication de l'armement. Bien que la technologie militaire et la science militaire jouent un rôle dans ce contexte, le facteur clef est toujours politique et social. C'est ce facteur qui explique, parmi d'autres choses, les péripéties de la guerre de l'impérialisme nazi contre l'URSS, les victoires initiales d'Hitler ainsi que sa défaite finale.

4. La politique militaire du prolétariat est déterminée par des critères de classe et fonction des intérêts de classe du prolétariat. Il s'agit de défendre ces intérêts au cours de la lutte de classe courante (piquets de grève, milices d'auto-défense contre des bandes fascistes) et au cours de la lutte pour la conquête du pouvoir d'État (armement général du prolétariat; efforts pour gagner les soldats de l'armée bourgeoise à la cause prolétarienne; efforts pour paralyser et décomposer cette armée).

Tout problème tactique particulier, comme l'attitude à l'égard du service militaire obligatoire ou à l'égard des tentatives de la bourgeoisie de substituer une armée de métier à l'armée fondée sur le service militaire obligatoire, est subordonné à ce critère général. C'est pourquoi il n'y a aucune contradiction entre des revendications immédiates ou transitoires inspirées par ce critère et des positions de principe comme celui de refuser dans toute circonstance le vote de crédits militaires pour l'armée bourgeoise ou celui de prôner le défaitisme militaire à l'égard de l'armée impérialiste dans toute guerre de la part de l'impérialisme.

La politique militaire du prolétariat est de nature essentiellement internationaliste. Elle cherche à promouvoir toujours et partout l'union internationale des travailleurs et de tous les exploités et opprimés. A cette fin, ce n'est pas seulement le défaitisme militaire à l'égard de l'armée impérialiste qui est de mise. Il est également indispensable de considérer que les guerres de libération des nations coloniales, semi-coloniales et dépendantes contre l'impérialisme sont des guerres justes. Dans le cas de telles guerres, le principe « L'ennemi principal est notre propre bourgeoisie » s'applique sous des formes différentes que celles qui sont de mise dans une guerre entre puissances impérialistes.

5. L'émergence des armes nucléaires à la fin de la deuxième guerre mondiale a changé radicalement la situation objective avec laquelle le prolétariat se trouve confronté internationalement. Ce changement doit conduire à une modification non moins radicale de la politique militaire du prolétariat. Contrairement aux autres armes, les armes nucléaires, et toute arme analogue (chimique, biologique) menace de détruire les préconditions matérielles élémentaires de la construction du socialisme, sinon la survie physique du genre humain. Elles ne peuvent donc être utilisées comme armes d'auto-défense du prolétariat ou de l'État ouvrier, ni comme armes pour l'extension de la révolution. On ne se « défend » pas en se suicidant. On «n'étend » pas la révolution prolétarienne en annihilant le prolétariat.

Le prolétariat doit s'opposer à toute utilisation et donc à toute fabrication et à tout stockage d'armes nucléaires et analogues, pour les raisons de principe matérialistes que nous venons d'indiquer. Il doit se prononcer pour l'abolition complète de ces armes. Il doit proclamer clairement qu'une fois au pouvoir internationalement, il les détruira toutes, il en interdira la fabrication et il prendra les mesures de contrôle, et au besoin de contrainte, nécessaires pour en interdire une fois pour toutes la présence dans tous les pays, sans exception aucune. La nécessité de supprimer et d'interdire la fabrication d'armes de suicide du genre humain prend le dessus sur toute autre considération, y compris celle de défense de « souveraineté nationale » d'une quelconque nationalité. De même, empêcher une guerre nucléaire mondiale devient un but stratégique mondial central de la politique révolutionnaire avant la victoire de la révolution socialiste internationale.

6. Le capitalisme qui repose sur la propriété privée et la concurrence, y compris la concurrence entre États-nations, est incapable d'abandonner la production et le stockage d'armes nucléaires, de même qu'il est incapable de façon plus générale d'éviter la course aux armements, le militarisme et la guerre. Défendre l'avis opposé, c'est succomber à des illusions qui sont chaque fois de nouveau réfutées par l'expérience. Par deux fois, l'impérialisme s'est déjà servi de l'arme nucléaire, à Hiroshima et à Nagasaki. De nombreuses sources ont révélé qu'il a envisagé de la faire également contre les révolutions chinoise, coréenne et vietnamienne.

Dans ces conditions, la fabrication et le stockage d'armes nucléaires par l'Union soviétique - qui implique la menace de les employer en rétorsion à leur emploi par l'impérialisme - fut un mal nécessaire dans le but d'empêcher leur utilisation par l'impérialisme. Ce fut un moyen d'empêcher la guerre nucléaire mondiale et non de la 'gagner'.

La légitimité de ces armes nucléaires soviétiques se limite strictement à cette fonction de dissuasion. Ce ne sont pas des armes de défense de l'URSS. Ce sont des armes de dissuasion de guerre nucléaire. Ce serait évidemment monstrueux, de la part d'un quelconque gouvernement d'État ouvrier, de défendre la thèse: « Si l'ennemi tue 9/10 de « mon » prolétariat, je me « défends» en tuant 9/10 du prolétariat vivant sur le territoire « ennemi » (sans même tenir compte des effets à plus long terme de tels massacres).

Par contre, il est légitime de dire :«Nous, État ouvrier, nous n'utiliserons jamais les armes nucléaires que nous détenons contre des populations civiles, des concentrations urbaines etc... Mais si vous, bandits impérialistes, commettez le crime de les utiliser, vous n'avez aucune garantie d'échapper aux risques de rétorsion. Vous n'avez aucune garantie que nous ne puissions utiliser nos armes nucléaires contre vos quartiers généraux situés loin des villes, contre vos silos atomiques, contre votre flotte, contre vos fusées en vol, contre vos avions, contre vos sous-marins, contre vos centres de communication etc. »

C'est cette incertitude qui fonde la dissuasion nucléaire. On ne peut la considérer comme contradictoire avec les raisons matérialistes de refus de la guerre nucléaire mondiale que dans la mesure où l'on identifie emploi d'armes nucléaires avec holocauste nucléaire, c'est-à-dire dans la mesure où l'on établit comme axiomatique que tout emploi, ou toute menace d'emploi, d'armes nucléaires conduit automatiquement et fatalement à la guerre nucléaire totale. Mais cette fatalité n'est point démontrée.

Au contraire, il est extrêmement probable qu'en l'absence d'armes nucléaires soviétiques, l'impérialisme aurait déjà utilisé une partie de son arsenal nucléaire contre diverses révolutions en cours, et qu'il l'utiliserait ainsi de même à l'avenir. Ce ne serait pas l'holocauste nucléaire, mais ce seraient des dizaines de millions de morts, sinon davantage. Dans la mesure où le menace de rétorsion nucléaire soviétique a réduit ce risque pour toute une période, elle a joué et continue à jouer un rôle positif dans la situation mondiale, même si elle ne suffit pas à écarter définitivement le risque de l'holocauste nucléaire.

7. Le fait que la dissuasion nucléaire soviétique soit une nécessité objective et est loin de répondre à tous les problèmes soulevés par l'armement nucléaire de l'URSS sous une dictature bureaucratique, de même que la nécessité de la défense de l'Union soviétique ne répond pas à toutes les questions liées à la croissance de l'armée dans une URSS gouvernée par la caste bureaucratique (voir à ce propos le chapitre qui concerne cette question dans La Révolution Trahie de Trotsky). Il ne fait aucun doute que guidée par ses intérêts étroits et égoïstes de caste, la bureaucratie soviétique ait profité du progrès technologique et scientifique de la société soviétique, qui a permis la fabrication et le stockage d'armes dissuasives nucléaires contre la menace d'une agression impérialiste, dans le but de consolider sa domination sur les autres États ouvriers ;

  • de terroriser son propre peuple et des peuples des autres États ouvriers (par exemple menaces directes d'agression nucléaires contre la République Populaire de Chine à la fin des années 1960 et au début des années 1970) ; 
  • de justifier une négligence criminelle par rapport aux mesures de sécurité pour les travailleurs employés dans les usines traitant le matériel nucléaire et pour les populations vivant aux alentours, et une négligence non moins criminelle en ce qui concerne les problèmes écologiques ;
  • de poursuivre un développement insensé des capacités de destruction des armes nucléaires soviétiques « en parité » avec celles de l'impérialisme. 

Ceci n'ajoute rien à une dissuasion efficace face à l'agression impérialiste mais aide l'impérialisme en sapant le développement d'un mouvement anti-guerre permanent de masse à l'ouest et au Japon.

C'est la peur de la révolution socialiste à l'ouest ainsi que la peur grandissante des mobilisations et d'actions de masse autonomes dans les pays impérialistes qui pousse la bureaucratie à s'appuyer exclusivement sur l'armement - et sur la course aux armements nucléaire - comme riposte aux menaces d'agression impérialiste. Le nationalisme inné de la bureaucratie nourrit aussi cette dépendance croissante vis-à-vis de la technologie militaire, et la justifie par un recours grandissant aux idéologies militaristes.

8. Pour toutes ces raisons, nous ne sommes essentiellement partisans que de la dissuasion nucléaire stratégique des États ouvriers, et non d'une escalade sans fin de la fabrication d'armes nucléaires tactiques et stratégiques de la part de ces États. Nous acceptons la nécessité de recherche et d'expériences continuelles pour empêcher l'émergence d'une « first strike » capacité par les impérialistes. Notre attitude à l'égard de l'armement nucléaire de l'URSS inclut donc les revendications suivantes:

  • des mesures immédiates et spectaculaires de désarmement unilatéral nucléaire partiel laissant subsister la capacité de dissuasion -, ce qui donnerait un appui et un stimulant puissant au mouvement de masse anti-guerre et anti-nucléaire dans les pays impérialistes;
  • un contrôle collectif et démocratique sur les armes nucléaires stratégiques des États ouvriers par les travailleurs de ces États de façon conjointe, c'est-à-dire sans monopole de la bureaucratie soviétique;
  • un contrôle ouvrier public sur les conditions de sécurité et écologiques des installations nucléaires soviétiques.

La réalisation de ces mesures, qui dépend de la victoire de la révolution politique, loin d'affaiblir la défense des États ouvriers, porterait un coup décisif à la course aux armements impérialistes et aiderait à mobiliser des millions de personnes contre les préparations de guerre insensées de l'impérialisme.

9. Notre critique virulente de la politique de la bureaucratie soviétique, y compris dans le domaine nucléaire, n'implique en rien un alignement sur les positions scientifiquement fausses et politiquement irresponsables qui mettent un signe d'identité entre l'impérialisme et l'URSS, considérées comme les « deux superpuissances ». L'idée selon laquelle l'impérialisme américain et l'URSS seraient conjointement responsables de la course aux armements nucléaires et des menaces de guerre nucléaire mondiale qui en découlent est formellement illogique (qu'en est-il des armes nucléaires chinoises, françaises, britanniques?) et empiriquement indéfendable.

C'est l'impérialisme, et lui seul, qui a pris l'initiative de chacune des phases successives de la course aux armements, s'étendant à une course aux armements nucléaires, y compris de la phase actuellement en cours. La bureaucratie soviétique n'a fait que riposter à chacune de ces menaces successives. C'est l'impérialisme, et lui seul, qui est propulsé sur la voie de la course aux armements par des intérêts économiques, sociaux, politiques inhérents à son système. Rien dans la société soviétique, y compris les intérêts d'auto-défense des privilèges de la bureaucratie, ne la pousse sur une telle voie.

10. Si jusqu'à présent, à côté de la résistance de masse à la folie nucléaire, la dissuasion a contribué à empêcher une guerre nucléaire depuis 35 ans, c'est une illusion de croire qu'une telle guerre peut être évitée indéfiniment par la seule dissuasion. A long terme, avec la continuation et l'aggravation de la course aux armements nucléaires, le danger d'un déclenchement de guerre nucléaire augmente, particulièrement en fonction des facteurs suivants :

  1. Les risques accrus de guerre accidentelle
  2. Les risques qu'une « miniaturisation » de plus en plus poussée des armes nucléaires n'entraîne leur utilisation effective, étant donné le fait que cette utilisation serait présentée comme étant moins suicidaire que l'utilisation des armes nucléaires actuelles. Déjà aujourd'hui, les dirigeants militaires et politiques de l'impérialisme diffusent la doctrine d'une utilisation « limitée » d'armes atomiques « propres », c'est-à-dire d'une « guerre atomique limitée » sensée éviter un holocauste final de toute l'humanité. Nous devons démontrer les implications inhumaines et barbares de telles « prédictions » ( « seulement » 200 millions de morts, ou 500 millions de morts ou un milliards de morts! ) tout en rejetant en même temps vigoureusement ses hypothèses non fondées sur le plan scientifique.
  3. L'approfondissement de la crise du capitalisme, et l'exacerbation des contradictions de classe dans les pays impérialistes, qui pourraient amener une nouvelle montée de puissantes forces politiques fascistes, pré-fascistes ou semi-fascistes dans ces pays. Dans le cas d'une défaite écrasante de la classe ouvrière, et du besoin pour la bourgeoisie d'augmenter radicalement son taux d'exploitation, c'est-à-dire d'abolir ce qui reste des libertés démocratiques des masses, des dirigeants de type « desperado » pourraient réapparaître sur la scène politique. Une fois au pouvoir, de tels dirigeants seraient prêts à déclencher une guerre nucléaire, même au risque de se suicider eux-mêmes et le reste de l'humanité. Hitler aurait certainement utilisé les armes nucléaires, y compris sur le sol allemand, si elles avaient été en sa possession en 1944-1945.


En d'autres termes: il y a quatre positions fausses et irresponsables qu'il faut rejeter à l'égard des risques de guerre nucléaire, et non pas une seule.

  1. La position selon laquelle « le prolétariat » ou « le camp socialiste » (les États ouvriers), ou qui que ce soit, puissent « triompher » dans une guerre nucléaire mondiale.
  2. La thèse selon laquelle la seule pression des mobilisations de masse suffirait pour empêcher l'impérialisme d'utiliser les armes nucléaires dans une guerre nucléaire partielle, notamment contre des révolutions en cours dans des pays du « Tiers-Monde », dans l'absence de la force de dissuasion nucléaire des États ouvriers.
  3. La position selon laquelle la guerre nucléaire accidentelle serait impossible, vu le degré de contrôle des « politiques » (c'est-à-dire des représentants « rationnels » de forces sociales intéressées à survivre) sur les systèmes militaires, dans les deux camps. Ce contrôle existe. Il joue dans le sens de freiner la marche vers la guerre nucléaire mondiale dans les conditions actuelles. Mais il ne constitue pas une garantie totale, vu la complexité des systèmes de réponse électroniques, et les délais de plus en plus brefs pour leur «mise à feu». C'est pourquoi la lutte contre tout nouveau développement des armes nucléaire et leur abolition totale est une tâche vitale dès aujourd'hui.
  4. L'illusion que la dissuasion jouera à long terme, indépendamment de l'évolution politique et sociale dans les pays impérialistes, c'est-à-dire le refus de comprendre qu'en cas d'aggravation de la crise capitaliste, des forces irrationnelles et suicidaires du type nazi («plutôt morts que rouges») peuvent venir au pouvoir, au cas d'une défaite écrasante du mouvement ouvrier .

Pour les raisons que nous venons d'indiquer , la dissuasion soviétique nucléaire ne constitue aucunement une garantie suffisante ou définitive contre le risque mortel de guerre nucléaire mondiale. A long terme, ce risque ne sera pas évité si l'impérialisme conserve le pouvoir dans les forteresses impérialistes. Seule la conquête du pouvoir par le prolétariat au sein de ces forteresses pourra conduire au désarmement nucléaire. Tout affaiblissement sérieux de la classe ouvrière ou du mouvement ouvrier organisé à l'intérieur des pays impérialistes porterait potentiellement un coup mortel au succès de la lutte contre le danger de guerre nucléaire. En dehors du prolétariat, il n'existe aucune force sociale capable d'arrêter à long terme la marche suicidaire de l'impérialisme vers la guerre nucléaire. Des défaites et la démoralisation de la classe ouvrière à l'Ouest ouvriraient la voie au suicide nucléaire de l'humanité.

12. L'émergence d'un puissant mouvement indépendant anti-nucléaire et pour la paix en Europe occidentale mobilisant au cours des dernières années des millions de personnes dans les rues -pour plusieurs pays européens, les plus grandes mobilisations de masse de leur histoire - constitue un progrès important que les marxistes révolutionnaires doivent soutenir avec enthousiasme, indépendamment des idéologies confuses de dirigeants qui, à un moment donné et dans un pays donné, peuvent apparaître comme politiquement hégémoniques au sein de ce mouvement. En tant que matérialistes, nous ne jugeons pas un mouvement de masse principalement en fonction de l'idéologie de ses dirigeants.

Nous le jugeons d'abord en fonction du rôle objectif qu'il remplit dans la société. Cela ne signifie pas que cette idéologie n'est pas importante ou qu'elle n'aura pas d'effet sur le cours des événements ultérieurs. Mais cela veut dire que nous partons de la constatation que l'impact global du mouvement pour la paix sur la situation internationale actuelle est grandement progressiste. Objectivement, il porte un coup puissant à l'impérialisme et au capitalisme, même si ses dirigeants, et une grande partie de ses participants n'ont pas encore acquis une conscience anticapitaliste .

13. Le mouvement indépendant pour la paix en Europe occidentale constitue une réaction saine des larges masses à la nouvelle phase de la course aux armements, en premier lieu la course aux armements nucléaires, déclenchée par l'impérialisme. Il représente un rejet viscéral de la perspective de guerre nucléaire dû à la peur de destruction physique. Il traduit ainsi une remise en
cause instinctive des institutions et «valeurs» bourgeoises traditionnelles, ce qui approfondit la crise sociale.

Simultanément, il exprime l'échec au mouvement ouvrier organisé traditionnel de prendre lui-même en mains la cause hautement progressiste de la lutte anti-guerre massive. La combinaison de ces deux facteurs a ouvert un large espace politique pour un mouvement indépendant de masse pour la paix, prenant la forme d'une coalition, d'un front unique, de différentes forces politiques et sociales.

Les réactions de masse anti-guerre élémentaires fondées sur l'instinct d'auto-préservation n'ont rien à voir avec un « nationalisme européen » (le nationalisme européen consisterait à accepter des armes nucléaires européennes à la place de celles de l'OTAN, ce qui serait profondément réactionnaire. Mais cette position est aujourd'hui faible au sein du mouvement de masse anti-guerre). Bien que la lutte contre les armes nucléaires en Europe soit évidemment insuffisante pour empêcher une guerre nucléaire mondiale, elle contribue de façon certaine à une telle lutte et ne la sape en aucune façon.

C'est une raison supplémentaire pour les marxistes révolutionnaires de soutenir et de construire ce mouvement autour d'objectifs clefs de désarmement unilatéral : « Non aux Pershings ! Non aux Cruises ! Non à quelsques missiles nucléaires que ce soient dans un pays donné (que l'origine, la fabrication ou le contrôle soient américains, « nationaux » ou de l'OTAN) ! Non aux bases de l'OTAN ! Sortons de l'OTAN (dans les pays qui en sont membres) ! Non à l'entrée dans l'OTAN (dans les pays qui n'en sont pas membres). Quand des personnalités ou des tendances non issues du mouvement ouvrier acceptent ces objectifs unilatéralistes, et les méthodes de mobilisations et de lutte de masse pour les atteindre, ils affaiblissent objectivement le capitalisme, quelle que soit par ailleurs leur confusion sur d'autres sujets.

14. Pour cette raison, et étant donné l'importance du problème de la guerre nucléaire pour l'avenir de l'humanité et du socialisme, nous soutenons le mouvement anti-guerre (et anti-OTAN) même s'il reste un mouvement à objectif unique - c'est-à-dire un mouvement centré sur des revendications clefs contre la course aux armements impérialistes, - dépendant de la situation spécifique de chaque pays impérialiste et de la réalité du mouvement de masse -, et même s'il n'avance pas de propositions sur tous les autres problèmes politiques et sociaux à l'ordre du jour de la lutte de classe internationale.

Ceci signifie concrètement que nous continuons à participer à ces mouvements et à en être leurs meilleurs constructeurs, même s'ils restent des mouvements à objectif unique. Cela ne veut pas dire que nous nous abstenions d'y soulever d'autres questions telle que la responsabilité fondamentale de l'impérialisme dans la course aux armements actuelle (contre l'idéologie des « deux super-puissances »), telle que la nécessité de combiner la lutte contre les armes nucléaires et la lutte contre les guerres « locales » contre-révolutionnaires de l'impérialisme (en Amérique centrale, au Moyen Orient, en Afrique centrale, etc...), telle que la nécessité de combiner la lutte contre la course aux armements et la lutte contre l'austérité etc...

Mais nous ne soulevons pas ces questions de façon ultimatiste, faisant de leur intégration dans les plate-formes de mouvement de la paix une pré-condition à notre participation (ou à celle du mouvement ouvrier) au mouvement. Nous n'agissons pas de façon scissioniste en cherchant à diviser le mouvement autour de questions programmatiques liées aux problèmes de la politique de classe en général. 

Nous sommes partisans d'un large mouvement pour la paix sans exclusives, mettant comme seules conditions qu'il n'y ait aucun obstacle sur la voie de la mobilisation de masse pour des objectifs unilatéralistes, et que la démocratie interne au mouvement et son caractère sans exclusives soient maintenues. Cette position de soutien au mouvement de la paix, même en tant que mouvement de masse centré sur des objectifs uniques se justifie du point de vue d'une politique de classe parce qu'un puissant mouvement de masse anti-guerre sur des positions unilatéralistes dans les pays impérialistes affaiblit objectivement l'impérialisme, sa force militaire et ses plans de guerre. Tout
affaiblissement de ce mouvement, quelqu'en soient les prétextes idéologiques, renforce en fait l'impérialisme. Notre démarche est avant tout politique et sociale et non pas idéologique. Nous voulons changer dans les faits les rapports de force aux dépens de l'impérialisme. Sacrifier ces objectifs politiques pour des raisons de «pureté» idéologique, c'est affaiblir objectivement la classe ouvrière et les États ouvriers.

15. Dans notre combat pour le désarmement nucléaire unilatéral en Europe de l'Ouest, nous insistons sur la nécessité des formes les plus larges d'action de masse directes et indépendantes: mobilisation de masse, utilisation massive des méthodes de désobéissance civile, blocus non-violent des sites et bases de missiles, grèves symboliques, actions industrielles de toutes sortes, jusqu'à la préparation d'une grève générale. Un engagement conscient croissant du mouvement ouvrier organisé, particulièrement des syndicats, dans le mouvement de la paix est une condition nécessaire à la réalisation de ces tactiques. 

Un des axes principaux de notre intervention dans le mouvement de la paix consiste par conséquent dans un effort pour le tourner systématiquement vers la classe ouvrière et le mouvement ouvrier organisé. De la même façon, nous faisons systématiquement campagne dans les syndicats et l'ensemble du mouvement ouvrier organisé pour un soutien actif et une intégration systématique dans le mouvement de la paix. Mais nous défendons en même temps l'indépendance organisationnelle du mouvement de la paix vis-à-vis de la social-démocratie et des PC en tant que partis. Toute subordination du mouvement à ces partis sous leurs directions données, ne peut que conduire à un affaiblissement immédiat de l'action de masse active contre la course aux armements impérialiste. 

16. Nous soutenons l'utilisation par le mouvement de la paix de propositions politiques telles que des référendums sur la présence de missiles dans un pays ou même une région ou une ville, la proclamation de villes et de régions dénucléarisées par des municipalités de gauche ou pacifistes, et généralement toute initiative qui tend à dramatiser les périls nucléaires et élever l'hostilité des larges masses à l'égard des armes nucléaires. Bien que nous soyons même partisans d'initiatives électorales et parlementaires allant dans ce sens, nous nous opposons à toute ligne au sein du mouvement de la paix qui s'éloignerait de l'action et de la mobilisation de masse en tant que méthode de lutte principale. 

La question principale est de mettre le sort des armes nucléaires -le sort de l'humanité - dans les mains des masses, et de l'enlever de celles de la classe capitaliste, de ses États, ses politiciens, et ses agents au sein du mouvement ouvrier .

17. Pour cette même raison, nous nous opposons résolument à tout changement de tactique du mouvement de masse anti-guerre qui consisterait à substituer à la lutte en faveur du désarmement unilatéral des négociations pour un désarmement graduel des « deux blocs ». Comme il est impossible d'« imposer » le désarmement partiel de l'Union soviétique par une mobilisation de masse à l'Ouest, une telle orientation - sans mentionner ses autres implications politiques - ne peut
que signifier l'abandon de l'action de masse, en faveur de marchandages inter-gouvernementaux.

L'expérience a montré que dans le meilleur des cas, de tels accords mènent à une course aux armements nucléaires « régulée » et « contrôlée », mais point à un désarmement nucléaire graduel. Une course aux armements contrôlée ne peut à long terme empêcher la guerre nucléaire. Toute tactique qui sape l'action directe de masse et l'élévation systématique de la conscience antinucléaire - conscience du caractère suicidaire de la course aux armements nucléaires, sous toutes ses formes - porte un coup mortel au mouvement de la paix et contribue objectivement au danger croissant de guerre nucléaire.

18. De même, nous rejetons sans appel tous les arguments selon lesquels la remise en cause de l'« équilibre » militaire, politique et social en Europe ou à l'échelle mondiale - c'est-à-dire la remise en cause du statu quo - accélérerait la marche vers le déclenchement de la guerre nucléaire. La course aux armements nucléaires n'est pas le produit de la remise en cause du capitalisme. Elle est le produit du capitalisme lui-même. 

Tout affaiblissement du capitalisme en Europe ou ailleurs, en particulier par des mouvements de masse du prolétariat et de ses alliés, accroît les chances d'éviter une guerre nucléaire par le renversement du capitalisme, avant qu'il ne soit trop tard. Historiquement, loin d'accroître le danger de guerre nucléaire, la révolution est le seul moyen de l'éliminer définitivement. Défendre le statu quo en consolidant le capitalisme rend la guerre nucléaire de plus en plus probable à long terme.

19. De la même manière, il faut rejeter tout argument selon lequel le fait que les pouvoirs impérialistes européens, ou d'autres états capitalistes, disposent d'armes nucléaires, ou que les bourgeoisies européennes renforcent leurs armées conventionnelles non-nucléaires, contribuerait à un « équilibre des forces mondiales » ferait reculer le danger de guerre nucléaire.

C'est tout le contraire qui est vrai. Toute extension des armes nucléaires aujourd'hui accroît le danger de guerre nucléaire. Nous y sommes donc totalement opposés. Toute arme nucléaire aux mains d'États bourgeois constitue une arme potentielle de suicide de l'humanité. Toutes ces armes accroissent le potentiel contre-révolutionnaire de la bourgeoisie . Toutes les armes conventionnelles aux mains des États bourgeois augmentent leur pouvoir répressif contre les masses de leurs propres pays et contre les peuples des pays semi-coloniaux et dé- pendants. Plus que jamais, une seule règle doit guider la classe ouvrière d'Europe capitaliste: notre principal ennemi est dans notre pays! Pas un homme, pas un sou pour « notre propre » armée bourgeoise!

La honteuse capitulation du Parti socialiste et du Parti Communiste français face à la force de dissuasion nucléaire « nationale » française a conduit à désarmer politiquement la classe ouvrière confrontée au péril nucléaire - le mouvement de masse pour la paix en France est le plus faible de tous les pays capitalistes européens.

Accepter un quelconque renforcement des armées bourgeoises en Europe - même s'il s'agit d'armées non-nucléaires -impliquerait que la bourgeoisie européenne soit en quelque sorte moins réactionnaire, moins impérialiste, que la bourgeoisie américaine. Un tel jugement aurait des implications inévitables sur le plan économiques comme sur le plan politique. Cela conduirait logiquement à une politique de défense de la capacité de concurrence de la bourgeoisie européenne contre l'impérialisme américain, c'est-à-dire à l'acceptation des politiques d'austérité, à substituer à la solidarité internationale de la classe ouvrière contre le capital la « solidarité » de chaque classe ouvrière européenne avec son propre patronat.

Une telle orientation divise et désoriente la classe ouvrière, affaiblit considérablement sa capacité de mobilisation de masse politique, y compris sur des objectifs anti-militaristes et les objectifs anti-guerre. Loin de contribuer à réduire l'escalade vers la guerre et le danger de guerre nucléaire, elle contribuerait en fait à accroître le danger de guerre.

20. L'émergence d'un mouvement pour la paix indépendant en Europe de l'Est, en relation directe avec le développement massif du mouvement de la paix en Europe de l'Ouest, représente une aide puissante contre pour la lutte contre le cours militariste de l'impérialisme. En premier lieu, ce mouvement indépendant pour la paix favorise une renaissance de l'intérêt et de l'activité politiques des masses dans ces pays, tout spécialement dans la jeunesse. En surmontant progressivement l'atomisation politique et organisationnelle des masses, il contribue à faire mûrir le processus conduisant à une révolution politique anti-bureaucratie dans ces pays, qui porterait un coup terrible à l'impérialisme et au capitalisme international et donnerait un formidable élan à la révolution socialiste dans les pays capitalistes, contribution décisive pour la victoire dans la lutte contre le danger de guerre nucléaire.

En outre, le mouvement indépendant pour la paix en Europe de l'Est contribue objectivement au développement du mouvement anti-guerre en Europe de l'Ouest, en coupant court à la campagne politique de la bourgeoisie et de ses alliés selon laquelle ce dernier serait à la solde ou « objectivement allié » du Kremlin. 

C'est pourquoi la IVème Internationale soutient pleinement le développement de ces mouvements indépendants pour la paix à l'Est, qu'elle favorise l'établissement de liens étroits entre eux et le mouvement de la paix à l'Ouest, qu'elle se bat au sein de ce dernier pour qu'il défende publiquement et sans compromis ses alliés à l'Est contre toute forme de répression bureaucratique et de discrimination. Les militants pacifistes en Europe de l'Est doivent jouir de pleins droits d'organisation, de manifestation, de publication, d'impression et d'expression de leurs idées sans aucune censure! Non au « Berufsverbote » pour des raisons politiques, à l'Est comme à l'Ouest! 

Le fait que, contrairement aux années '50 et '60, les partis communistes aient largement perdu le contrôle du mouvement de masse pour la paix en Europe de l'Ouest, doit devenir une arme puissante pour la défense des droits démocratiques du mouvement indépendant pour la paix en Europe de l'Est, c'est-à-dire des droits démocratiques des larges masses dans ces pays. Il faut faire
pression sur les partis communistes et leur faire payer le prix du droit - que nous défendons -à participer librement au mouvement pour la paix à l'Ouest sur une base de front unique, afin de les amener à défendre le même droit pour le mouvement indépendant pour la paix à l'Est: celui de pouvoir agir librement et en toute légalité.

21. Pour toutes ces raisons, nous soutenons le droit démocratique du mouvement antiguerre indépendant en Europe de l'Est d'avancer toute revendication qu'il juge nécessaire de mettre en avant à propos de la lutte contre le militarisme et pour le désarmement. Nous soutenons la revendication spécifique de désarmement nucléaire unilatéral des pays d'Europe de l'Est, ce qui n'implique point l'élimination de la force de dissuasion nucléaire stratégique de l'URSS contre l'impérialisme.

Nous soutenons la revendication d'une zone dénucléarisée du Portugal à la Pologne, de même que le mot d'ordre d'interdiction de stationnement des armes nucléaires dans tous les pays d'Europe de l'Est. En même temps, nous défendons avec vigueur au sein des mouvements indépendants pour la paix d'Europe de l'Est l'insistance que met le mouvement pour la paix d'Europe de l'Ouest sur le désarmement unilatéral des pays capitalistes, de même que notre lutte pour le soutien et la solidarité avec les mouvements de libération révolutionnaires en Amérique centrale, au Moyen Orient en Afrique australe etc... 

Toute révolution politique victorieuse dans un des États ouvriers de l'Europe de l'Est devrait immédiatement proclamer la dénucléarisation unilatérale de son pays et appeler les travailleurs de tous les pays capitalistes européens, des USA et du Canada à imiter leur exemple. Cet abandon unilatéral des armes nucléaires, biologiques et chimiques par une révolution politique victorieuse serait la façon la plus efficace d'assurer son autodéfense à la fois contre l'agression impérialiste et contre les tentatives d'intervention militaire de l'armée de la bureaucratie soviétique, car il créerait un élan de sympathie énorme envers cette révolution partout dans le monde, y compris à l'intérieur de l'URSS et de l'armée soviétique.

21. En Europe de l'Ouest, le mouvement de masse pour la paix a déjà obtenu d'importants résultats politiques à court terme. Il a élevé la conscience anti-guerre chez de larges masses. Il a dressé de nouveaux obstacles politiques d'importance sur la route vers l'escalade du réarmement. Il a retardé l'installation de nouvelles armes impérialistes en Europe de l'Ouest (Hollande, Belgique, Opération Hard Rock). Il a renforcé les tendances au sein des partis réformistes de masse qui prei1nent leurs distances avec l'alignement sur l'alliance impérialiste. Il a accru les divisions au sein de la bourgeoisie.

Mais il n'a pas empêché l'OTAN et les États bourgeois d'Europe de prendre les mesures concrètes de réarmement, y compris de réarmement nucléaire, qui leur sont dictées par l'ensemble de la situation mondiale. En lui-même, un mouvement de masse pour la paix centré sur un seul objectif ne peut pas réaliser plus que de tels résultats limités. Il est impossible d'imposer un désarmement nucléaire complet réel -ou des pas importants dans ce sens -à la bourgeoisie impérialiste, sans paralyser réellement l'État bourgeois, c'est-à-dire le renverser. Il est utopique de croire qu'une classe dominante encore riche, puissante et confiante en elle-même, abandonne la volonté de défendre son pouvoir de classe par tous les moyens disponibles, ce qui est totalement contredit par l'expérience historique et par l'analyse des faits courants. De telles illusions éloignent la classe ouvrière et les autres forces sociales désireuses de mettre fin à la course aux armements nucléaires suicidaire du seul objectif global permettant d'atteindre ce but: une mise en cause toujours plus grande du pouvoir d'État bourgeois conduisant en fait à son renversement.

C'est pourquoi les militants de la IVème Internationale continueront à développer des perspectives anticapitalistes et la propagande socialiste au sein du mouvement pour la paix en Europe occidentale, sans les opposer à des mesures et à des buts concrets et pratiques de lutte contre les armes nucléaires. En agissant de la sorte, ils contribuent à préserver le mouvement de la paix des menaces de division et de démoralisation qui le guettent lorsqu'il deviendra évident que la course aux armements continue et continuera en dépit des efforts du mouvement de la paix et de son développement.

22. La social-démocratie européenne ne pouvait jouer un rôle clef dans l'émergence du mouvement de masse pour la paix en Europe de l'Ouest, car elle était historiquement liée à des idéologies et à des politiques de « défense nationale » dans l'État bourgeois depuis 1914 au moins, au vote des budgets militaires, à la collaboration de classe et à la participation gouvernementale, autant d'éléments indissociables de la construction d'armées bourgeoises. Dans sa très grande majorité - à l'exception de quelques tendances minoritaires de gauche - elle était en outre étroitement liée aux politiques de guerre froide depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale. Elle soutient l'Alliance atlantique, l'OTAN et plus généralement le réarmement impérialiste contre l'Union soviétique et les autres États ouvriers.

L'émergence d'un puissant mouvement de masse pour la paix l'a prise au dépourvu mais ne pouvait manquer d'exercer une influence importante dans ses rangs, ne serait-ce que pour des raisons de calculs électoraux. Dans plusieurs pays d'Europe de l'Ouest, la social-démocratie a donc essayé et continue à essayer de s'adapter aux profonds sentiments anti-guerre des masses et de faire des concessions à certaines revendications concrètes des coalitions antiguerre. Néanmoins, de par sa nature même, et en particulier la nature sociale de ses couches dirigeantes, la social-démocratie en Europe de l'Ouest reste liée à l'État bourgeois et à l'armée bourgeoise. Elle ne peut manoeuvrer au-delà de certaines limites dans ses tentatives d'«intégrer» le mouvement de masse antiguerre. Tant que celui-ci restera massif et centré sur l'action, il restera politiquement indépendant de la social-démocratie et continuera à provoquer des différenciations croissantes dans les rangs des réformistes, tout en subissant lui-même des pressions de type « Realpolitik » le poussant à s'adapter conjoncturellement à la social-démocratie parlementaire et à des buts électoraux.

24. Les PC d'Europe capitaliste contrôlaient largement le mouvement antiguerre naissant dans les années '50 - à l'exception du CND en Grande-Bretagne - en raison de leur poids dominant dans le mouvement ouvrier militant, des initiatives qu'ils prirent au moment de la guerre de Corée et de l'Appel de Stockholm, et plus généralement du rôle qu'ils ont joué aux yeux des masses dans la dénonciation de la course aux armements nucléaires initiée par l'impérialisme américain. 

Mais cette hégémonie s'est progressivement érodée par la suite en raison :

  1. du discrédit croissant de la politique internationale de la bureaucratie soviétique après ses interventions militaires contre la révolution hongroise, en Tchécoslovaquie en 1968, en Afghanistan, etc.
  2. de l'affaiblissement graduel de la position des PC au sein de la classe ouvrière organisée dans de nombreux pays européens ;
  3. de l'émergence graduelle de forces indépendantes des PC qui se mirent à prendre des initiatives décisives en Europe dans la lutte contre la guerre en Algérie, en Indochine, en Amérique centrale, et contre d'autres guerres impérialistes contre-révolutionnaires ;
  4. de la tendance générale à la recomposition du mouvement ouvrier et des mouvements politiques oppositionnels de masse, avec l'émergence de nouvelles forces indépendantes de la social démocratie, du stalinisme et de l'eurocommunisme, à l'échelle internationale et en Europe.

Aujourd'hui, à l'exception possible de l'Italie, les PC n'exercent aucun contrôle de nature hégémonique sur le mouvement de masse antiguerre en Europe de l'Ouest. Ils sont obligés d'opérer comme l'un des courants constitutifs d'une coalition plus large de front unique, bien que leur poids reste réel dans de nombreux pays.

25. Les partisans de la IVème Internationale participent au mouvement de masse pour la paix, aspirant à en être les plus efficaces et les meilleurs constructeurs, dans une perspective de mobilisation de masse unilatéraliste, en tant que défenseurs de sa nature démocratique non exclusive, de son indépendance face à la bourgeoisie, de son orientation prolétarienne et de son unité. En agissant de la sorte, et en insistant sur la nécessité de la solidarité avec les mouvements de la paix indépendants d'Europe de l'Est, ils cherchent à construire de larges alliances de gauche avec d'autres forces, révolutionnaires et centristes, au sein comme en dehors des organisations de masse du mouvement ouvrier agissant sur la base de plates-formes similaires. 

L'ampleur et le poids du mouvement antiguerre en Europe sont tels qu'une intervention des marxistes révolutionnaires politiquement et organisationnellement efficace, dans la ligne de ce qui précède, étroitement liée aux besoins objectifs et aux buts progressistes de la masse des participants de ce mouvement, conduira en même temps à contribuer de manière importante à la construction des sections nationales de la IVème Internationale. Les directions des sections doivent considérer que la participation de nos membres et de nos sympathisants au mouvement antiguerre comme une des tâches clés de la construction du parti en Europe capitaliste.

 

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