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Les étudiants, les intellectuels et la lutte des classes

Ernest Mandel Imprimer
1. Le mouvement étudiant révolutionnaire 

Introduction 

En septembre et octobre de l'année 1968, Ernest Mandel fit des discours dans trente trois collèges et universités aux Etats-Unis et au Canada, d'Harvard à Berkeley et de Montréal à Vancouver.

Sa présentation à l'Assemblée internationale des mouvements révolutionnaires étudiants, sous l'égide des Etudiants pour une société démocratique (SDS) de l'Université de Columbia, fut considérée comme l'événement majeur de l'Assemblée et un des points chauds de sa tournée. Ce rassemblement se tint le samedi 21 septembre au soir dans l'auditorium de la faculté d'éducation à l'université de New York. Plus de 600 personnes s'y entassèrent ; et le débat se prolongea plusieurs heures durant. Voici le principal discours de la soirée et des extraits essentiels des interventions d'Ernest Mandel au cours de la discussion. 

1. Théorie et pratique 

Rudi Dutschke, le dirigeant des étudiants berlinois, et de nombreuses autres personnalités étudiantes représentatives ont avancé, en tant qu'idée centrale de leur activité, le concept de l’unité de la théorie et de la pratique, de la théorie révolutionnaire et de la pratique révolutionnaire. Ceci n'est pas un choix arbitraire. L'unité de la théorie et de la pratique peut être considérée comme la plus importante des leçons de l’expérience historique tirées des révolutions qui ont eu lieu en Europe, en Amérique ou en d'autres terres du globe.

La tradition historique qui englobe cette idée part de Babeuf et, à travers Hegel, rejoint Marx. Cette conquête idéologique implique que le grand mouvement de libération de l’humanité doit se trouver guidé par un effort conscient pour reconstruire la société, pour dépasser une situation dans laquelle l’homme est dominé par les puissances aveugles de l’économie de marché et commence à prendre son destin en main. Cet acte conscient d'émancipation ne peut être conduit avec efficacité, et certainement pas jusqu'au bout, sans que l’homme ait pris conscience de l’environnement social dans lequel il vit, des forces sociales auxquelles il doit se mesurer et des conditions sociales et économiques générales de ce mouvement vers la libération.

Tout comme l’unité de la théorie et de la pratique est un guide fondamental pour tout mouvement d'émancipation aujourd'hui, le marxisme enseigne aussi que la révolution, la révolution consciente, ne peut être un succès qu'à la condition que l’homme comprenne la nature de la société dans laquelle il vit et que s'il comprend les forces motrices qui sont sous-jacentes au développement économique et social de cette société. En d'autrès termes : à moins qu'il ne comprenne les forces qui commandent l’évolution sociale, il ne pourra pas transformer cette évolution par une révolution. C'est la conception principale que la théorie marxiste introduit dans l’actuel mouvement révolutionnaire étudiant en Europe.

Nous essaierons de démontrer que ces deux idées — l’unité de la théorie et de la pratique et une compréhension marxiste des contradictions objectives de la société — qui existaient bien avant que le mouvement étudiant en Europe n'ait vu le jour, furent retrouvées et réintégrées dans la lutte pratique par le mouvement étudiant européen comme un résultat de ses propres expériences.

Le mouvement étudiant commence partout — et il n'en va pas différemment aux Etats-Unis — comme une révolte contre les conditions immédiates dont les étudiants font l’expérience dans leurs institutions académiques propres, dans les facultés et les écoles secondaires. Cet aspect est évident à l’Ouest, où nous vivons, bien que la situation soit totalement différente dans les pays sous-développés. Là-bas, bien d'autres forces et circonstances appellent la jeunesse étudiante ou non étudiante à se soulever. Mais, au cours des deux dernières décennies, le type de jeunesse qui va à l’université en Occident n'avait pas trouvé, dans l’ensemble, ni sur le lieu des études, ni dans les conditions familiales, ni dans celles de la cité, de raisons imminentes de révolte sociale.

Il y a, bien sur, des exceptions. La communauté noire des Etats-Unis en est une ; les travailleurs immigrés sous-payés de l’Europe de l’Ouest en sont une autre. Toutefois, dans la plupart des pays occidentaux, les étudiants qui viennent de ce milieu prolétarien le plus pauvre sont toujours une minorité infime. La large majorité des étudiants viennent soit de milieux petits-bourgeois ou de moyenne bourgeoisie, soit des couches salariées les plus favorisées. Quant ils arrivent à l’université, ils ne sont généralement pas préparés, de par l’existence qu'ils ont menée jusqu'alors, à comprendre clairement ou pleinement les raisons de la révolte sociale. Ils en prennent conscience tout d'abord dans le cadre de l’université. Je ne fais pas référence aux exceptionnelles petites minorités d'éléments politiquement conscients, mais à la grande masse d'étudiants qui se trouvent confrontés à un certain nombre de conditions qui les conduisent sur le chemin de la révolte.

En bref, celles-ci embrassent l’organisation, la structure et le programme des cours inadéquats de l’université, ainsi que toute une série de faits matériels, sociaux et politiques d'une expérience dans le cadre de l’université bourgeoise, qui deviennent insupportables pour une fraction de plus en plus grande d'étudiants. Il est intéressant de noter que des théoriciens et pédagogues bourgeois, qui veulent comprendre les raisons de la révolte étudiante, ont dû réintroduire dans leur analyse du milieu étudiant certaines notions qu'ils avaient depuis longtemps éliminées de leur analyse générale de la société.

Il y a quelques jours, alors que j'étais à Toronto, un des principaux pédagogues canadiens donna un cours sur les causes de la révolte étudiante. Ses raisons, a-t-il dit, « sont essentiellement matérielles. Non pas que leurs conditions de vie soient insatisfaisantes ; non pas qu'ils soient maltraités comme l’étaient les ouvriers au XIXe siècle. Mais, socialement, nous avons créé une espèce de prolétariat des universités, qui n'a aucun droit de participer à l’élaboration de ses programmes, aucun droit pour, au moins, co-déterminer sa propre existence pendant les quatre, cinq ou six années qu'il passé à l’université. »

Bien que je ne puisse accepter cette définition non marxiste du prolétariat, je pense tout de même que ce pédagogue bourgeois a partiellement révélé une des racines de la révolte étudiante généralisée. La structure des universités bourgeoises n'est qu'un reflet de la structure hiérarchique générale de la société bourgeoise. Les deux deviennent insupportables pour les étudiants, même avec leur présent niveau élémentaire de conscience sociale. Cela nous amènerait trop loin que de sonder les racines psychologiques et morales plus profondes de cette prise de conscience. Mais, dans certains pays d'Europe de l’Ouest et probablement aussi aux Etats-Unis, la société bourgeoise, telle qu'elle a fonctionné pendant la dernière génération, a provoqué dans les dernières années une décomposition très avancée de la famille bourgeoise classique. En tant que jeunes, les étudiants contestataires ont été éduqués au travers de l’expérience pratique à remettre en question toute autorité en commençant par l’autorité de leurs parents. Cela est extrêmement frappant dans un pays comme l’Allemagne d'aujourd'hui.

Si vous connaissez un tant soit peu la vie quotidienne allemande ou si vous étudiez ses reflets dans la littérature allemande, vous savez que, jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, l’autorité paternelle dans ce pays était la moins remise en question au monde. L'obéissance des enfants à leurs parents était très profondément enracinée dans le tissu de la société. Mais l’actuelle jeunesse allemande a traversé une suite d'expériences amères, d'abord en tant qu'enfants d'une génération de parents allemands qui, nombreux, ont accepté le nazisme, puis ont embrassé la guerre froide et, enfin, ont vécu en tout confort dans la croyance que le prétendu « capitalisme populaire» (appelé « économie sociale de marché ») ne serait secoué par aucune récession, aucune crise ni problèmes sociaux. Les faillites idéologiques et morales successives de ces deux ou trois générations de parents ont donné naissance aujourd'hui, au sein de la jeunesse, à un profond sentiment de mépris pour l’autorité de leurs aînés et les ont préparés à ne pas accepter sans défi ou sans réserves sérieuses toute forme d'autorité quand ils arrivent à l’université.

Ils se trouvent alors confrontés, en premier lieu, à l’autorité de leurs professeurs et des institutions universitaires qui, du moins dans le domaine des sciences sociales, sont à l’évidence loin de toute réalité. Les leçons qu'ils reçoivent ne permettent aucune analyse scientifique objective de ce qui se pass dans le monde ou dans les différents pays occidentaux. Ce défi lancé à l’autorité académique en tant qu'institution devient rapidement un défi au contenu de l’enseignement.

De plus, en Europe, bien plus sans doute qu'aux Etats-Unis, nous avons des conditions matérielles très peu satisfaisantes dans les universités. Elles sont surpeuplées. Des milliers d'étudiants sont contraints d'écouter leurs professeurs avec des systèmes d'écoute. Ils ne peuvent parler à leur professeur ou avoir des contacts, des échanges normaux d'opinions ou des dialogues. Les conditions de logement et d'alimentation sont mauvaises aussi. Des facteurs supplémentaires alimentent l’énergie de la révolte étudiante. Cependant, je dois insister sur le fait que la raison principale de la révolte persisterait même si ces conditions matérielles étaient améliorées. La structure autoritaire de l’université et le contenu inadéquat de l’enseignement reçu, du moins dans le domaine des sciences sociales, sont les causes du mécontentement bien plus que ne le sont les conditions matérielles. 

C'est pourquoi les tentatives de réformes universitaires qui ont été faites par les ailes libérales des différents establishments de la société néo-capitaliste [2] occidentale feront probablement faillite. Ces réformes n'atteindront pas leurs fins parce qu'elles ne s'attaquent pas aux origines véritables de la révolte étudiante. Non seulement elles ne tentent pas de supprimer les causes de l’aliénation des étudiants, mais, si elles sont appliquées, elles l’accentueront plutôt. 

Quel est le but de la réforme universitaire telle qu'elle est proposée par les réformateurs libéraux du monde occidental ? C'est une tentative pour aménager l’organisation de l’université afin que celle-ci satisfasse les besoins de l’économie et de la société néo-capitaliste. Ces messieurs disent: Bien sur, il n'est pas bon d'avoir un « prolétariat académique » ; il n'est pas bon d'avoir beaucoup de gens qui quittent l’université sans pouvoir trouver d'emploi. Ceci est pour beaucoup dans la tension et l’explosion sociale. Comment résoudre le problème ? Nous le ferons en réorganisant l’université et en distribuant le nombre de places accessibles selon les besoins de l’économie néo-capitaliste. Dans un pays qui a besoin de 100.000 ingénieurs nous serons assurés de 100.000 ingénieurs plutôt que d'avoir 50.000 sociologues ou 20.000 philosophes qui ne peuvent trouver d'emploi qui rapporte. Ceci nous débarrassera des causes principales de la révolte étudiante.  

Voilà une tentative pour subordonner la fonction de l’université, bien plus que par le passé, aux nécessités immédiates de l’économie et de la société néo-capitaliste. Elle produira un degré encore plus élevé d'aliénation étudiante. Si ces réformes sont appliquées, les étudiants ne trouveront jamais une structure et un enseignement universitaire qui correspondent à leurs souhaits. Ils ne pourront pas choisir une carrière, un domaine de savoir, les disciplines qu'ils désirent et qui correspondent à leurs aspirations, aux besoins de leur propre réalisation en fonction de leurs personnalités propres. Ils seront contraints d'accepter les métiers, disciplines et domaines du savoir qui correspondent aux intérets des pouvoirs de la société capitaliste et non à leurs besoins en tant qu'êtres humains. Ainsi, un niveau plus élevé d'aliénation sera imposé au travers d'une réforme de l’université.

Je ne dis pas qu'il faut être indifférent au problème de toute réforme universitaire. Il est nécessaire de formuler certaines revendications transitoires pour les problèmes universitaires, tout comme les marxistes ont essayé de formuler des revendications transitoires pour d'autres mouvements sociaux dans quelque secteur qu'ils soient. Par exemple, je ne vois pas pourquoi la revendication du « pouvoir étudiant » ne pourrait pas être avancée dans le cadre de l'université. Celle-ci ne peut s'appliquer à toute la société puisqu'elle signifierait qu'une petite minorité s'arroge le droit de régner sur l’immense majorité de la société. Mais, à l’université, la revendication du « pouvoir étudiant », ou n'importe quelle autre revendication dans le sens de l’autogestion par la masse des étudiants, a une valeur certaine.

A ce propos, je serais cependant prudent, car il y a beaucoup de problèmes qui rendent une université différente d'une usine ou d'une communauté productive. Il est faux de dire, comme le font certains théoriciens du SDS américain, que les étudiants sont déjà des travailleurs. La plupart des étudiants sont de futurs producteurs ou des producteurs à temps partiel. Ils peuvent, tout au plus, être comparés aux apprentis dans une usine, puisque leur fonction est identique du point de vue du travail intellectuel, à celle des apprentis du point de vue du travail manuel. Mais ils ont un rôle social et une place transitoire spécifique dans la société. Nous devons donc être prudents quant à la façon dont nous formulons des revendications transitoires à leur égard. 

Cependant, il n'est pas nécessaire de poursuivre cette argumentation plus loin ici. Acceptons pour le moment l’idée de « pouvoir étudiant » comme un mot d'ordre transitoire acceptable dans le cadre de l’université bourgeoise. Mais il est parfaitement clair que la concrétisation d'une telle revendication, qui, en elle-même, n'est pas impossible pour une certaine durée de temps, lors des grandes explosions de contestation universitaire, ne changerait pas les racines de l’aliénation des étudiants parce que celles-ci ne poussent pas à l’université elle-même mais dans la société dans son ensemble. Et vous ne pouvez pas changer un petit secteur de la société bourgeoise — dans le cas présent le secteur de l’université bourgeoise —, et penser que les problèmes sociaux peuvent être résolus dans ce petit segment tant que le problème du changement d'ensemble de la société n'aura pas été résolu. Tant que le capitalisme existera, le travail sera aliéné, le travail manuel le sera, et aussi inévitablement le travail intellectuel. Les étudiants resteront donc aliénés, quels que soient les changement que l’action directe pourrait amener dans le cadre de l’université.

Ici encore, ce n'est pas une observation théorique qui nous tombe du ciel. C'est une leçon de l’expérience pratique. Le mouvement étudiant européen, du moins son aile révolutionnaire, a traversé maintes expériences dans pratiquement tous les pays d'Europe occidentale. Schématiquement, le mouvement étudiant débuta par des problèmes ayant trait à l’université et déborda les limites de l’université plutôt rapidement. Il se développa en posant une série de problèmes sociaux et politiques généraux qui n'étaient pas directement liés à ce qui se passait à l’université. Ce qui se passa à Columbia, où la question de l’oppression de la communauté noire fut posée par les « étudiants rebelles », ressemble à ce qui s'est passé dans le mouvement étudiant européen, du moins parmi les éléments les plus avancés qui étaient très sensibles aux problèmes des secteurs les plus exploités du système capitaliste mondial.

Ils engagèrent des actions de solidarité avec les luttes révolutionnaires d'émancipation des peuples des pays sous-développés ; avec Cuba, le Vietnam et d'autres parties opprimées du Tiers Monde. L'identification des fractions les plus conscientes du mouvement étudiant français avec la révolution algérienne, avec la lutte d'émancipation des Algériens contre l’impérialisme français, joua un très grand rôle. Ceci fut sans aucun doute le premier cadre dans lequel une véritable différenciation politique eut lieu sur la gauche du mouvement étudiant. Les mêmes étudiants jouèrent plus tard le rôle d'avant-garde dans la lutte pour la défense de la révolution vietnamienne contre la guerre d'agression de l’impérialisme américain.

En Allemagne, cette sympathie pour les peuples coloniaux eut un point de départ assez exceptionnel. La grande révolte étudiante surgit lors d'une action de solidarité avec les travailleurs, paysans et étudiants d'un autre pays du prétendu Tiers Monde, l’Iran, lors de la visite du shah d'Iran à Berlin.

L'avant-garde étudiante ne s'identifie pas simplement avec les luttes spécifiques de l’Algérie, de Cuba, du Vietnam : elle montre de la sympathie pour l’émancipation révolutionnaire du prétendu Tiers Monde en général. Le développement partit de là. En France, en Allemagne, en Italië — et le même processus se déroule en ce moment en Grande-Bretagne — il n'était pas possible de commencer l’action révolutionnaire en solidarité avec les peuples du Tiers Monde sans une analyse théorique de la nature de l’impérialisme, du colonialisme, des forces motrices responsables, d'une part de l’exploitation du Tiers Monde par l’impérialisme et, d'autre part, du mouvement de libération des masses révolutionnaires de ces pays contre l’impérialisme.

Au travers d'un détour par l’analyse du colonialisme et de l’impérialisme, les forces les plus conscientes et organisées du mouvement étudiant européen furent amenées au point de départ du marxisme, c'est-à-dire à l’analyse de la société capitaliste et du système capitaliste international dans lequel nous vivons. Si nous ne comprenons pas ce système, nous ne pouvons pas comprendre les raisons des guerres coloniales ou des mouvements de libération coloniaux. Nous ne pouvons non plus comprendre pourquoi nous devrions nous solidariser avec ces forces à une échelle mondiale.

Dans le cas de l’Allemagne, ce processus mit moins de six mois pour se dérouler. Le mouvement étudiant commença par remettre en question la structure autoritaire de l’université, continua en remettant en question l’impérialisme et la misère dans le Tiers Monde, et ensuite, en se solidarisant avec les mouvements de libération, fut mis devant la nécessité de réanalyser le néo-capitalisme sur une échelle mondiale et dans le pays même où les étudiants étaient actifs. Ils durent revenir au point de départ de l’analyse marxiste de la société dans laquelle nous vivons pour comprendre les raisons objectives les plus profondes de la misère sociale et de la révolte sociale. 

2. L'unité de la théorie et de la pratique 

Dans le processus de conquête et de reconstitution de l'unité de la théorie et de la pratique, la théorie est tantôt en avance sur l'action et tantôt l'action précède la théorie. Toutefois, à chaque instant, les besoins d'une lutte forcent ses acteurs à rétablir l'unité à un niveau constamment plus élevé.

Pour comprendre ce processus dynamique, nous devons reconnaître qu'opposer l'action immédiate à l'étude à long terme constitue une fausse méthode. J'ai été frappé, pendant la « Socialist scholars conference » et lors de diverses autres conférences, aux Etats-Unis, au cours des deux dernières semaines, par la façon systématique avec laquelle cette division a été défendue dans un sens ou dans l'autre. C'était comme un dialogue de sourds dans lequel une partie de l'audience disait: « Il est seulement nécessaire d'entreprendre l'action, l'action immédiate, le reste est inutile », pendant que l'autre partie disait: « Non ! Avant d'agir, il faut savoir ce qu'il faut faire, alors n'agissez pas encore. Asseyez-vous, étudiez, écrivez des livres ! » (Applaudissements).

La réponse évidente acquise dans l'expérience historique, non seulement de la période marxiste, mais même de la période prémarxiste du mouvement révolutionnaire, c'est que l'on ne peut faire l'un sans l'autre (applaudissements). La pratique sans la théorie ne sera pas efficace, ni émancipatrice en profondeur, car, comme je l'ai dit auparavant, l'on ne peut émanciper l'humanité inconsciemment. D'autre part, la théorie sans pratique ne sera pas authentiquement scientifique, car il n'existe pas d'autre moyen de mettre la théorie à l'épreuve que par la pratique.

Toute forme de théorie qui n'est pas mise à l'épreuve au travers de la pratique n'est pas une théorie adéquate, elle est insuffisante du point de vue de l'émancipation de l'humanité (applaudissements). C'est au travers d'un effort constant pour poursuivre les deux en même temps, simultanément, et sans division du travail, que l'unité de la théorie et de la pratique peut être rétablie à un niveau progressivement plus élevé afin que tout mouvement révolutionnaire, quels que soient ses origines et ses buts socialement progressistes, puisse vraiment arriver à ses fins.

Dans ce même sens d'une division du travail, une autre idée fut exprimée qui me frappa comme extrêmement étrange pour un corps de socialistes. Cette division prévalente entre la théorie et la pratique, qui en soi est déjà mauvaise, reçoit une nouvelle dimension dans le mouvement socialiste quand il est dit: une catégorie est celle des activistes, les simples gens qui font le sale boulot. Une autre catégorie est celle de l’élite qui doit penser. Si cette élite se mêle aux piquets de grève, elle n'aura pas le temps de penser ou d'écrire des livres et, dans ce cas, un élément précieux de la lutte pour l'émancipation sera perdu.

Je dois dire que toute notion qui chercherait à réintroduire au sein du mouvement révolutionnaire la division élémentaire du travail entre travail intellectuel et travail manuel, entre la piétaille qui fait le sale boulot et l’élite qui pense, est profondément non socialiste. Elle va à l’encontre de l'un des buts principaux du mouvement socialiste qui est précisément d'arriver à la disparition de la division entre travail manuel et intellectuel (applaudissements) non seulement au sein des organisations mais, plus important encore, à l’échelle de la société tout entière. Les socialistes révolutionnaires d'il y a cinquante ou cent ans ne pouvaient pas saisir cela aussi clairement que nous, aujourd'hui, alors que les possibilités objectives d'atteindre ce but existent. Nous sommes déjà entrés dans un processus objectif de technologie et d'éducation qui travaille à cette fin.

Une des principales leçons qui doit être tirée de la dégénérescence de la Révolution russe est que, si cette division entre travail manuel et intellectuel est maintenue dans n'importe quelle société en transition entre le capitalisme et le socialisme, en tant qu'institution permanente, elle ne peut que développer la bureaucratie, de nouvelles inégalités et de nouvelles formes d'oppression humaine, qui sont incompatibles avec une communauté socialiste (applaudissements).

Alors nous devons commencer par éliminer dans les limites du possible toute idée d'une telle division du travail dans le mouvement révolutionnaire lui-même. Nous devons maintenir, en règle générale, qu'il n’y a pas de bons théoriciens s'ils ne sont pas capables de participer à l'activité pratique, et qu'il n'y a pas de bons activistes s'ils sont incapables d'assimiler et de développer la théorie (applaudissements}.

Le mouvement étudiant européen a essayé d'arriver à cela à un certain degré et avec certains succès en Allemagne, en France et en Italie. Il est apparu un type de dirigeant étudiant qui est un agitateur et qui peut même, si besoin est, construire une barricade et y combattre, mais qui en même temps est capable d'écrire un article théorique et même un livre et de discuter avec les sociologues, professeurs de sciences politiques et économistes les plus en vogue et les battre sur leur propre terrain (applaudissements). Ceci nous a rendu confiants non seulement dans l'avenir du mouvement étudiant, mais aussi pour le temps où ces étudiants ne le seront plus mais auront à exercer d'autres fonctions dans la société.  

3. La nécessité d'une organisation révolutionnaire  

Ici, j'aimerais discuter d'un autre aspect de l'unité de la théorie et de la pratique qui a été en débat dans les mouvements étudiants européens et nord-américains. Je suis personnellement convaincu que, sans une véritable organisation révolutionnaire — ce par quoi j'entends non une formation conjoncturelle mais une organisation sérieuse et permanente —, une telle unité de la théorie et de la pratique ne pourrait être acquise de façon durable.

Je donnerai pour cela deux raisons. L'une est dans le statut même de l'étudiant. Le statut de l'étudiant, contrairement à celui du travailleur, est, par sa nature même, de courte durée. Il reste à l’université pour quatre, cinq ou six ans et personne ne peut prédire ce qu'il lui arrivera après qu'il l'aura quittée. Ici, j'aimerais répondre tout de suite à l'un des arguments les plus démagogiques qui ont été employés par les dirigeants des partis communistes européens contre les « étudiants rebelles ». Ils ont dit avec mépris : « Qui sont ces étudiants ? Aujourd'hui, ils se révoltent. Demain ils seront nos patrons qui nous exploiteront, alors ne prenons pas au sérieux ce qu'ils font. »

Ceci est un argument ridicule, car il ne prend pas en considération le bouleversement du rôle des diplômés de l'université dans la société actuelle. S'ils s'en étaient rapportés aux statistiques, ils auraient appris qu'une petite minorité seulement des étudiants diplômés d'aujourd'hui deviennent patrons ou agents directs des patrons, comme gestionnaires de haut rang. C'était peut-être le cas lorsqu'il n'y avait pas plus de 10.000, 15.000 ou 20.000 diplômés par an. Mais lorsqu'il y a un million, ou quatre ou cinq millions d'étudiants, il est impossible à la plupart d'entre eux de devenir capitalistes ou gestionnaires d'entreprises, car il n'y a pas autant de postes disponibles de ce genre-là.

Le grain de vérité de cet argument démagogique est qu'en quittant l'environnement académique, l'étudiant diplômé peut voir se modifier son niveau de conscience sociale et d'activité politique. Quand il quitte l'université, cette atmosphère ne l'entoure plus, et il est plus vulnérable aux pressions de l'idéologie et des intérêts bourgeois ou petit-bourgeois. Il y a le grand danger qu'il s'intègre à son nouveau milieu social, quel qu'il soit. Il s'en suivra un processus de retour à des positions d'intellectuel réformiste ou libéral de gauche, qui n'entraînent plus d'activités révolutionnaires.

Il est instructif d'étudier de ce point de vue l'histoire du SDS allemand, le plus vieux des mouvements révolutionnaires étudiants du moment en Europe. Depuis qu'elle a été expulsée de la social-démocratie allemande, il y a neuf ans de cela, toute une génération de militants SDS a quitté l'Université. Après plusieurs années, en l'absence d'une organisation révolutionnaire, la majorité écrasante de ces militants, quel qu'ait été leur souhait individuel d'être des socialistes convaincus et dévoués, ne sont plus actifs politiquement d'un point de vue révolutionnaire. Ainsi, pour préserver dans le temps la continuité de l'activité révolutionnaire, il faut une organisation plus large qu'une organisation révolutionnaire purement étudiante, une organisation dans laquelle étudiants et non-étudiants peuvent travailler ensemble.

Il existe une raison encore plus importante pour laquelle une telle organisation-parti est nécessaire. Parce que sans elle, aucune unité d'action permanente avec la classe ouvrière industrielle, au sens le plus large du terme, ne peut être acquise. En tant que marxiste, je reste convaincu que, sans l'action de la classe ouvrière, il est impossible de renverser la société bourgeoise et de construire une société socialiste (applaudissements).

Ici encore, d'une manière remarquable, nous voyons comment les expériences des mouvements étudiants, d'abord en Allemagne, ensuite en France et en Italie, sont arrivés en pratique à cette conclusion théorique. Les mêmes sortes de discussions qui ont lieu aux Etats-Unis maintenant sur l'importance ou non de la classe ouvrière industrielle pour l'action révolutionnaire furent menées il y a un an, ou même il y a six mois, dans des pays comme l'Allemagne et l'Italie.

Le problème fut résolu en pratique, non seulement au cours des événements révolutionnaires de mai-juin 1968 en France, mais aussi par l'action commune des étudiants de Turin avec les travailleurs de la FIAT en Italie. Il a aussi été clarifié par les tentatives conscientes du SDS allemand pour entraîner des fractions de la classe ouvrière dans son agitation à l'extérieur de l'université contre la société d'éditions Springer et dans sa campagne de prévention contre la mise en application des lois d'urgence réduisant les libertés démocratiques.

De telles expériences ont appris au mouvement étudiant de l'Europe de l'Ouest qu'il était absolument indispensable qu'il trouve un point qui le relie à la classe ouvrière industrielle. Cette question a différents aspects à différents niveaux. Elle a un aspect programmatique que je ne pourrai aborder maintenant. Se pose la question de : comment les étudiants peuvent-ils approcher la classe ouvrière industrielle, et non pas comme des donneurs de leçons, parce qu'alors les travailleurs les enverront toujours paître, même s'ils ont une zone d'intérêt et des buts sociaux communs.

Se pose par-dessus tout le problème de l'organisation du parti. Sinon une série d'expériences autodestructrices pour parvenir à une collaboration à un bas niveau d'action immédiate entre un petit nombre d'étudiants et un petit nombre de travailleurs s'effilochera au bout de trois à six mois et n'arrivera à rien. Même si l'on recommence à zéro, lorsque le bilan est tiré après un, deux ou trois ans, il en restera peu.

La fonction d'une organisation révolutionnaire permanente est de faciliter une intégration réciproque des luttes étudiantes et de celles de la classe ouvrière par leurs avant-gardes d'une façon continue. Il n'y a pas simplement continuité dans le temps mais aussi, pour ainsi dire, continuité dans l'espace, interaction entre différents groupes sociaux qui ont la même raison d'être socialistes révolutionnaires.

Nous devons nous demander si une telle intégration est objectivement possible. Il est plus facile de répondre oui après les expériences de France, d'Italie et d'autres pays d'Europe occidentale et de défendre cette ligne pour l'Europe occidentale qu'en ce qui concerne les Etats-Unis. Pour des raisons historiques que je ne puis aborder maintenant, une situation particulière existe aux Etats-Unis où la majorité de la classe ouvrière blanche n'est pas encore réceptive aux idées socialistes d'action révolutionnaire. C'est un fait incontestable. Evidemment, ceci peut changer rapidement. D'aucuns disaient la même chose au sujet de la France quelques semaines seulement avant le l0 mai 1968. Cependant, même aux Etats-Unis, il existe une importante minorité de la classe ouvrière industrielle, les travailleurs noirs, à propos desquels personne ne peut dire, après l'expérience de ces deux dernières années, qu'ils sont inaccessibles aux idées socialistes ou incapables d'entreprendre l'action révolutionnaire. Ici, au moins, existe une possibilité immédiate d'unité entre la théorie et la pratique avec une partie de la classe ouvrière.

De plus, il est essentiel d'analyser les tendances sociales et économiques qui, à long terme, secoueront l'apathie et le conservatisme politiques prédominants de la classe ouvrière blanche. L'exemple de l'Allemagne, en des circonstances similaires, montre que ceci peut arriver. Il y a quelques années, la classe ouvrière allemande apparaissait aussi enfoncée avec la même stabilité, dans le même conservatisme, aussi inébranlablement intégrée à la société capitaliste que la classe ouvrière nord-américaine l'apparaît à beaucoup de gens aujourd'hui. Ceci a déjà commencé à changer. Ce cas illustre comment un infime changement dans le rapport de forces, une petite déficience de l'économie, une attaque des employeurs sur la structure et les droits syndicaux traditionnels, peuvent créer des tensions sociales qui peuvent changer beaucoup en ce domaine.

De toute façon, ce n'est pas plus ma tâche de vous informer des problèmes de votre propre lutte de classes que ce n'est la vôtre d'aller prêcher aux ouvriers. Je préfère indiquer un des principaux canaux à travers lequel la conscience socialiste et l'activité révolutionnaire peut se transmettre entre étudiants et travailleurs, comme l'ont montré non seulement l'Europe occidentale mais aussi le Japon. Cette courroie de transmission spécifique, c'est la jeunesse ouvrière. Conséquence des changements technologiques des dernières années sur la structure de la classe ouvrière, le système éducatif bourgeois est inadéquat pour préparer les jeunes travailleurs, ou une partie des jeunes ouvriers, à jouer le nouveau rôle exigé par ce changement technologique, alors qu'il s'agit d'un besoin des capitalistes eux-mêmes. Les Etats-Unis constituent un exemple extrêmement frappant de ceci, avec la faillite totale de l'enseignement pour les jeunes travailleurs noirs qui ont un taux de chômage aussi élevé que la moyenne de la population américaine globale pendant la grande dépression. Ce fait explique en grande partie ce qui se passe au sein de la jeunesse noire dans ce pays.

Et cela est seulement une des manifestations d'une tendance plus générale qui nous dicte une attention extrême à tout ce qui se passe dans la jeunesse. Il n'y a pas de signe plus évident de la décrépitude et de la décomposition d'un système social que le fait qu'il doive condamner et rejeter totalement sa jeunesse. Le pouvoir français, pendant les événements de Mai, n'a pas seulement refusé de faire des distinctions entre jeunes étudiants, jeunes employés et jeunes ouvriers, mais il a considéré la jeunesse en soi comme une ennemie.

Un exemple concret est l'incident de Flins, pendant la grève générale. Après qu'un jeune lycéen ait été abattu par la police, il y a eu un tumulte du tonnerre. Alors, systématiquement, la police rentra dans le tas et tria les manifestants, consultant les cartes d'identité. Tout ce qui avait moins de trente ans était arrêté, car considéré comme potentiellement insurrectionnel, comme décidé à se battre contre la police (applaudissements).

Si vous examinez de près la littérature contemporaine, l'industrie cinématographique et d'autres formes de reflets de la réalité sociale dans la superstructure culturelle au cours des cinq ou dix dernières années, vous verrez que, sous la très malhonnête couverture de dénonciation de la délinquance juvénile, la bourgeoisie a vraiment dressé un tableau de ce type de jeunesse que son système produit, ainsi que de l'esprit rebelle de cette jeunesse. Ceci n'est pas limité du tout aux étudiants ou aux minorités comme la jeunesse noire des Etats-Unis. Cela s'applique aussi aux jeunes ouvriers.

Il est impératif d'étudier tout ce qui se passe chez les jeunes travailleurs en lutte. Gagner ces jeunes ouvriers à la conscience socialiste, aux idées de la révolution socialiste, sera probablement décisif pour le sort de la plupart des pays occidentaux dans les dix ou quinze prochaines années. Si nous arrivons à faire des meilleurs de ces jeunes, des révolutionnaires sociaux, comme je crois qu'il a été fait dans une grande mesure en Europe occidentale, nous pouvons avoir confiance en l'avenir de notre mouvement. Si nous ratons le coche, et qu'une grande partie de cette jeunesse glisse vers l'extrême droite, nous aurons perdu une lutte décisive et nous nous retrouverons dans la même grave situation à laquelle le mouvement socialiste et révolutionnaire européen dut faire face dans les années trente. 

L'unité de la théorie et de la pratique signifie aussi que toute une série d'idées clés du vieux mouvement socialiste et de la tradition révolutionnaire sont en train d'être redécouvertes aujourd'hui. Je sais qu'une partie du mouvement étudiant des Etats-Unis aimerait créer quelque chose de totalement neuf. J'approuve de tout mon coeur toute proposition de faire les choses mieux, car le bilan de ce que les générations précédentes sont arrivées à faire du point de vue de la construction d'une société socialiste n'est pas très convaincant. Mais, ici, un avertissement est de rigueur. Quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent, lorsque vous pensez que vous créez ou découvrez quelque chose de nouveau, ce que vous faites en réalité c'est de retourner dans un passé qui est encore plus lointain que le passé du marxisme.

A peu près toutes les « nouvelles idées » qui ont été avancées dans le mouvement étudiant en Europe au cours des deux ou trots dernières années, et qui commencent à être courantes aux Etats-Unis, sont très, très vieilles. Et ceci pour une raison simple, qui est enracinée dans l'histoire des idées. Les diverses possibilités d'évolution sociale et les principales tendances de critique sociale qui leur correspondent furent développées dans leurs grandes lignes par les grands penseurs du XVIIIe et XIXe siècle. Que cela vous plaise ou non, cela reste vrai pour les sciences sociales comme pour les sciences naturelles où une série de lois élémentaires ont été établies dans le passé. Si vous voulez développer des tendances nouvelles, vous devez fonder sur le socle qui fut maçonné par les meilleurs des penseurs et des lutteurs des générations précédentes.

Cette recherche désespérée de quelque chose d'entièrement nouveau n'est qu'un aspect épisodique de la phase initiale de la radicalisation étudiante. Dès que le mouvement s'élargit et mobilise de larges masses, alors, paradoxalement, l'inverse se produit, comme des sociologues français l'ont souligné avec grand étonnement à propos des événements de Mai. Alors, les larges masses étudiantes révolutionnaires font tout pour redécouvrir leur tradition et leurs racines historiques.

Les étudiants doivent avoir conscience qu'ils sont plus forts s'ils peuvent dire : nous luttons dans le prolongement d'un combat pour la liberté qui commença il y a cent cinquante ans, ou même il y a deux mille ans, quand les premiers esclaves se soulevèrent. Cela est bien plus convaincant que de dire : nous faisons quelque chose de tout à fait nouveau qui est coupé de l'histoire et isolé de tout le passé, comme si ce passé n'avait rien à nous apprendre ni à nous apporter (applaudissements).

Cette quête ramènera les « étudiants rebelles » aux concepts historiques fondamentaux du socialisme et du marxisme. Nous avons vu comment les mouvements étudiants français, allemand, italien et maintenant britannique sont revenus aux idées de révolution socialiste et de démocratie ouvrière. Pour quelqu'un de mon école de pensée, ce fut une joie énorme de voir avec quelle rigueur sourcilleuse le mouvement révolutionnaire français protégeait le droit de chaque tendance à la liberté d'expression, renouant avec les meilleures traditions du socialisme. Votre propre assemblée renoue avec la vieille tradition socialiste et marxiste d'internationalisme quand vous dites que la révolte étudiante est mondiale et que le mouvement étudiant est international.

Et c'est un internationalisme du même type, avec les mêmes racines et avec les mêmes buts que l'internationalisme du socialisme, que celui de la classe ouvrière ! Les problèmes internationaux impératifs auxquels les étudiants font face sont des problèmes de solidarité avec nos camarades au Mexique, en Argentine, au Brésil qui sont à la tête de luttes extraordinaires, poussant la révolution latino-américaine vers un stade nouveau et plus élevé, après des défaites qui leur furent imposées par une mauvaise direction, la réaction intérieure et la répression impérialiste au cours des dernières années. Plus que tout nous devons saluer le courage et l'audace des étudiants mexicains (applaudissements). En quelques jours ils ont fondamentalement changé la situation politique de leur pays et arraché le masque de fausse démocratie que le gouvernement mexicain avait mis pour recevoir des millions de visiteurs pendant les jeux Olympiques. Maintenant, quiconque va à ces jeux apprendra qu'il entre dans un pays où les dirigeants syndicaux des chemins de ter ont été gardés en prison de longues années après que leur peine ait été accomplie, où de nombreux prisonniers politiques de gauche ont été emprisonnés pour des années sans procès, où des dirigeants étudiants et un millier de militants étudiants sont en prison sans aucun fondement juridique. Leurs protestations héroïques auront des conséquences énormes sur l'avenir de la politique mexicaine et de la lutte des classes au Mexique (applaudissements).

Il est aussi nécessaire de dire quelques mots à propos des étudiants persécutés dans les pays semi-coloniaux, dont personne ne parle jamais, tels que les dirigeants étudiants congolais qui sont en prison depuis bientôt un an pour avoir organisé une petite manifestation contre la guerre du Vietnam lorsque le vice-président Humphrey vint chez eux. Nous ne devons pas oublier les dirigeants des étudiants tunisiens qui ont été condamnés à douze ans de prison pour les mêmes raisons. Simplement pour avoir conduit une manifestation : douze années de prison ! Nous devons alerter l'opinion publique afin que ces crimes de répression ne soient pas oubliés.

Nous devons aussi penser à nos camarades en Yougoslavie et en Tchécoslovaquie (applaudissements) qui ont mené de grandes luttes cette année. Ils ont montré que leur lutte pour introduire et consolider la démocratie socialiste dans les pays d'Europe de l'Est est une lutte parallèle à la nôtre contre le capitalisme et l'impérialisme à l'Ouest. Nous ne laisserons ni la réaction stalinienne, ni la réaction impérialiste déformer la nature de cette lutte comme pro-impérialiste ou pro-bourgeoise, ce qu'elle n'est en aucune mesure (applaudissements).

Enfin, nous ne devons pas oublier, comme certains pourraient le faire, car cela ne figure pas à la « une » des journaux, la lutte contre l'intervention US au Vietnam, qui est toujours la lutte principale dans le monde aujourd'hui. Ce n'est pas parce que des négociations viennent de s'ouvrir à Paris que nous n'avons plus rien à faire pour aider la lutte de nos camarades vietnamiens. Ainsi donc, je vous appelle à participer à l'action mondiale qui a été entamée par le mouvement étudiant japonais, le Zengakuren, par la Fédération britannique des étudiants révolutionnaires avec la campagne de « Solidarité pour le Vietnam », là-bas, et le Comité de mobilisation étudiante, dans ce pays. C'est la semaine de solidarité avec la révolution vietnamienne du 21 au 27 octobre. Cette semaine-là, des centaines de milliers d'étudiants, de jeunes travailleurs et de jeunes révolutionnaires descendront dans la rue au même moment dans une action mondiale commune pour le but concret que les camarades vietnamiens eux-mêmes nous disent être le plus important pour eux! Montrer au monde entier qu'aux Etats-Unis des centaines de milliers de gens sont pour le retrait immédiat des troupes américaines du Vietnam, Ca, ce sera un grand acquis ! (Applaudissements).


[2] Le terme néo-capitaliste est utilisé ici dans le sens de « troisième âge du capitalisme », c'est-à-dire signifiant simplement une étape du capitalisme des monopoles (de l'impérialisme) et non un quelconque « dépassement » des contradictions internes du mode de production capitaliste. 

 

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